Thème: Arts                                                                                                                                                      Mardi 19 février 2019.

BEAUTE DU VERRE A L’EPOQUE ART NOUVEAU ; L’EXEMPLE DE DEUX ARTISTES EMBLÉMATIQUES, EMILE GALLE ET LALIQUE

Par Madame Anne AMIOT DEFONTAINE, 

Historienne de l’Art, diplômée de l’Ecole du Louvre, guide conférencière attachée au Musée des Arts Décoratifs.

INTRODUCTION

L’art du verre remonte à plusieurs siècles comme le prouvent les fioles antiques ou les vitraux des cathédrales. Au XIXe siècle la technique industrielle se développe et apparaissent de grandes manufactures comme Baccarat, qui travaille en série mais crée aussi des pièces uniques pour les expositions universelles entres autres.

A partir des années 1870 émerge le renouveau des arts décoratifs. Auparavant, l’art du verre était considéré comme art mineur et les artistes peu considérés. Le changement de la fin du XIXe siècle permet à l’objet d’art de régner en maître et de grands verriers vont porter cet art très haut : Emile Gallé et René Lalique en font partie et animent ce que l’on va bientôt appeler l’Art Nouveau.  

I – Emile Gallé.

Emile Gallé est né à Nancy en 1846 et dès son plus jeune âge il est en contact avec le monde du verre. En effet. Son père Charles Gallé était représentant des verriers et des faïenciers de Lorraine et présentait leurs œuvres surtout lors des expositions universelles. Le jeune Emile suit des études classiques et étudie le dessin et la botanique. Il étudie la technique du verre dans les ateliers à Meisenthal bien qu’il ne pratique jamais et la céramique à la Faïencerie de Saint-Clément. En 1867 il rejoint la direction de la verrerie familiale et représente son père à l’exposition universelle de 1867. En 1870 il participe à la guerre contre la Prusse et en sort très traumatisé. Il se rend à Londres, en 1871, où il sera ébloui par les jardins et les objets orientaux du British Museum, notamment les lampes de mosquées. On peut rappeler que la technique du verre nous a été rapportée par les Arabes qui l’avaient eux-mêmes acquise en conquérant les territoires de l’Empire romain autour de la Méditerranée. Le verre émaillé travaillé par les Arabes inspirera des verriers comme Brocard et bien sûr Gallé.

Quand Emile Gallé revient à Nancy en 1872, il pousse son père à restructurer l’affaire familiale car les verreries étaient dispersées et certaines se trouvaient en zone allemande après la défaite française. En 1874 Emile devient le seul patron ; il continue de développer l’entreprise et diversifie les ateliers en ajoutant des fours, des ateliers d’ébénisteries, etc. Il crée également des bureaux de « designers ». Toutes ces améliorations entraînent l’augmentation de la production. En 1883 il continue à travailler à l’essor de l’entreprise et construit de vastes ateliers de faïencerie, de verrerie et d’ébénisterie. De nombreux artistes et artisans commencent à travailler pour lui. Il va même ouvrir plusieurs comptoirs à Paris, Francfort et Londres et exposer ses propres œuvres. 

En 1878 Emile Gallé commence sa vie artistique. Il est en recherche permanente de nouveaux concepts mais comprend très vite qu’il faut se faire connaître à Paris où il y sera remarqué en 1878. Les expositions universelles sont capitales pour les créateurs qui commencent à signer leurs œuvres comme le font les peintres. Ainsi Brocard est le premier à dater et signer ses œuvres et Gallé en fera de même. En 1884, Gallé obtient deux médailles d’or et devient célèbre. La même année il ouvre une boutique à Paris, près de la gare de l’Est afin de faciliter l’arrivage des pièces fabriquées en Lorraine. Il commence aussi à travailler le bois et obtient ainsi à l’exposition universelle de Paris de 1889 trois récompenses pour ses céramiques, ses verreries et son mobilier. Gallé abandonne la céramique en 1891 pour se consacrer totalement au verre. Sa notoriété explose et il triomphe à l’exposition universelle de 1900 où sont exposés notamment les célèbres vases Heracleum et Ipomea. 

En 1904 Gallé ouvre une boutique à Londres et il fréquente les milieux intellectuels. Il meurt à Nancy cette même année.  Avec lui, décline l’Art Nouveau bientôt remplacé par l’Art déco.

L’usine de Gallé fermera en 1931.

II – Emile Gallé et le verre.

Emile Gallé est une des figures les plus marquantes des arts appliqués et l’un des pionniers de l’Art Nouveau, dont il est un des co-fondateurs.

On peut distinguer trois catégories stylistiques de verre : l’historicisme, le naturalisme et l’expérimental. On relève aussi trois phases de recherche sur le verre : la transparence, la coloration et la matière. 

Si l’art islamique a influencé l’art du verre, à partir de 1868 le Japon s’ouvre au monde et le japonisme connaît un franc succès en Europe, influençant l’art du verre. Dans les objets exposés par le Japon lors des expositions, on note l’omniprésence de la nature ainsi que le dépouillement de l’art japonais. Gallé est fasciné par cet art et crée des objets dont on peut y voir l’influence comme par exemple le vase « à la carpe » (1878, musée des Arts décoratifs, Paris). Ayant étudié la botanique très sérieusement, Gallé reproduit la nature « avec des yeux d’amant » et s’intéresse particulièrement aux anomalies des plantes. D’ailleurs à la porte de son atelier on peut lire sa devise : »Ma racine est au fond des bois, parmi les mousses, autour des sources ». Parfois il n’interprète pas et reproduit fidèlement. A partir de 1889, Gallé abandonne définitivement la figure humaine pour ne travailler que sur la faune et surtout la flore.

Parfois son choix des plantes a une valeur politique et surtout patriotique car à sa façon Gallé lutte contre l’annexion allemande des territoires français à la suite de la défaite de 1870. On peut citer ici le vase « Rose de France ». La flore permet aussi des créations d’inspiration fantastique.

Emile Gallé a toujours mis en avant ses collaborateurs notamment Victor Prouvé qui fera de nombreux motifs pour lui. Certaines œuvres de Gallé laissent transparaître tout son symbolisme comme la sculpture « La main » réalisée en 1900 (musée d’Orsay). Certaines œuvres comportent également du texte qui peut être des lignes de Mallarmé ou de Hugo. Ces textes apparaissent sous la base ou sur l’objet lui-même, ce qui se nommera « la verrerie parlante ».   

L’essentiel de la production de Gallé est en verre soufflé. A la paraison initiale du verre, Gallé ajoutait des couches nouvelles colorées d’oxydes métalliques, des inclusions, avant de souffler la pièce, de la retravailler d’inclusions nouvelles, d’appliques, de feuilles d’or ou d’argent. Au refroidissement les différences de dilatation de ces couches étaient la cause d’accidents très fréquents, la casse était importante et les pièces réussies rares. Ces dernières étaient alors retravaillées par gravure, à la roue pour les plus précieuses ou à l’acide fluorhydrique pour les plus courantes. Gallé est également l’inventeur de plusieurs techniques dont celle de la marqueterie de verre par dépôt de petites inclusions de verre dans la pâte en fusion.

III – René Lalique.

René Lalique naît en 1860 à Aÿ, en Champagne.  A seize ans il commence son apprentissage chez le joaillier parisien Louis Aucoc. Entre 1878 et 1880, le jeune homme suit les cours de la Sydenham Art à Londres. En 1882 il devient dessinateur-concepteur indépendant pour plusieurs maisons de joaillerie de Paris. Il lance quatre ans plus tard sa propre joaillerie. 

Lalique est reconnu comme un des concepteurs de bijoux les plus importants de l’Art Nouveau français en créant des pièces innovantes pour la boutique de Siegfried Bing, la maison de l’Art Nouveau créée en 1895. Il commence à exposer sous son propre nom dès 1894 et son stand à l’exposition universelle de 1900 à Paris remporte un franc succès. En 1913 il rachète une verrerie à Combs-la-Ville (Seine et Marne). Après la Grande Guerre, les créations de Lalique vont ouvrir la voie à une industrialisation des objets d’art. Ainsi en 1921 il construit une usine de verre en Alsace à Wingen-sur-Moder. Artiste d’exception et industriel avisé, René Lalique a su vivre pleinement son époque pour développer son entreprise. Il meurt en mai 1945 laissant derrière lui un héritage artistique et un nom qui restent célèbres encore de nos jours.

IV René Lalique bijoutier

Avant d’être un grand verrier, Lalique est un célèbre joaillier, Emile Gallé disait de lui qu’il était l’inventeur du bijou moderne. Tout en gardant les sources d’inspiration de l’Art Nouveau, faune et flore dont le paon, divers insectes et parfois un bestiaire fantastique, il innove en utilisant des matériaux peu présents pour la bijouterie : le verre, l’émail, le cuir, la corne ou le nacre. Il introduit également le volume dans la bijouterie et ce grâce à ses connaissances en modelage. Il dessine ses modèles et les fait réaliser par une équipe de ciseleurs, sculpteurs et émailleurs qu’il recrute avec soin. Il recherche en permanence l’adéquation entre forme, utilité et esthétique. Très innovateur, Lalique crée des bijoux pour Sarah Bernhardt notamment. Ayant renouvelé le bijou avec audace (parfois trop) on juge ses bijoux « pour le théâtre ». Ses créations ne remporteront un franc succès et une grande valeur mercantile qu’à partir des années 1960. 

Très tôt il s’intéresse au verre comme matière artistique et dès 1890 il commence à expérimenter ses possibilités dans sa première usine de verrerie à Clairefontaine, d’abord en bijouterie. Ses premiers bijoux comportant du verre sont exposés en 1895. Après avoir ouvert une boutique Place Vendôme, il commence à concevoir en 1895 des flacons de parfums en verre, étant ainsi le premier à imaginer de commercialiser cet emblème du luxe et du raffinement dans un emballage tout aussi splendide. Il collabore essentiellement avec le célèbre parfumeur Coty. Cette même année le musée des Arts Décoratifs de Paris fait entrer Lalique dans ses collections.  Il abandonne la joaillerie et dans le domaine du verre passe de l’atelier à l’industrie. Il commence aussi à travailler dans le domaine de la décoration urbaine et participera à la décoration des wagons-restaurants de l’Orient-Express dans les années 20’. Dans son usine de Wingen-sur-Moder, il fabrique en grande série et dépose des brevets sur de nombreuses techniques de fabrication comme le verre pressé-moulé ou le verre à double fond. Il crée aussi des effets esthétiques comme le satiné Lalique ou les verres opalescents. 

CONCLUSION

Le dernier quart du XIXe siècle voit l’essor des arts décoratifs, auparavant considérés comme des arts mineurs. De grands artistes comme Gallé et Lalique vont donner leurs lettres de noblesse au travail du verre et au mouvement Art Nouveau. Leur parcours est exemplaire, d’industriel du verre à la création d’objet d’art unique pour l’un, Gallé, d’artisan bijoutier à industriel verrier pour l’autre, Lalique. De très belles pièces de ces deux artistes peuvent être vues au Musée des Arts Décoratifs de Paris.

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