Thèmes: Art, Musique Conférence du mardi 16 mai 2023.
BRAHMS, LE ROMANTIQUE IMPRESSIONNISTE
Par Monsieur Guy PERIER, consultant en management et chef d’orchestre.
INTRODUCTION
Le conférencier remercie Jean-Michel Buchoud et Arlette Kempf de leur invitation et commande libre à parler de Brahms. La date retenue est presque marquée du destin, puisque proche du 7 mai, anniversaire des 190 ans de la naissance de Brahms le 7 mai 1833 à Hambourg. Comme l’indique l’animation que Google a placé sur son moteur de recherche.
Hommage universel qui parle de la popularité actuelle de Brahms. Cela n’a pas toujours été le cas, loin de là comme le rappelle l’excellent texte d’annonce que vous avez rédigé. Le jeune prodige a rapidement été accusé de quitter le camp des musiciens d’avenir du fait de son usage des formes du classicisme et de l’époque baroque dont le romantisme avait le sentiment de s’être libéré. Polémique qui l’a souvent fait qualifier de conservateur. Dans l’autre camp ses admirateurs l’ont presque statufié vivant ; le critique Hanslick a créé du vivant même de Brahms ce concept des trois monstres sacrés de la musique : Bach, Beethoven et Brahms.
Polémique dont Guy Perrier décide de s’extraire en profitant de cette commande libre pour vous parler de Brahms sous cet angle particulier : Brahms, le romantique impressionniste.
Qualificatif qui a deux significations, en en assumant le côté un peu provocateur.
En effet il y a un hiatus esthétique, en musique une dissonance, entre ces deux termes : romantique et impressionniste. C’est une façon de parler d’une caractéristique essentielle de cette musique qui a donc été tant cataloguée. Elle échappe à ces classifications ou appropriations identitaires, Brahms n’est la plupart du temps pas là où on l’attend. C’est de cette ambivalence et des ses fruits dont je vous parlerai dans une première partie.
Avant, dans une seconde, de croiser ce moment où la musique de la dernière période de ce grand romantique se pare parfois de connivences, de résonnances, d’harmonies inattendues avec celle qu’un autre grand prodige génial Claude Debussy est en train de composer sur les rivages de l’impressionnisme.
I – Repères chronologiques
Johannes Brahms est né le 7 mai 1833 à Hambourg, ville du nord de l’Allemagne très marquée par la rigueur protestante. Sa famille est d’origine modeste, son père est artisan et sa mère blanchisseuse. Cependant, le jeune Johannes reçoit une bonne éducation et suit ses premiers cours de piano dès l’âge de sept ans. En septembre 1848, Brahms donne son premier concert ; on commence à le remarquer dans le milieu musical.
En 1853, Brahms est présenté à Robert et Clara Schumann, cette dernière jouera un rôle important dans sa vie. A cette même époque, il rencontre Franz Liszt. Publications de ses premières œuvres.
En 1862, Brahms s’installe à Vienne : il convient d’évoquer le double sentiment d’exil qui a marqué toute sa vie. Exil géographique pour cet allemand du nord. Mais également exil temporel pour ce musicien qui aurait voulu être le contemporain de Beethoven et Schubert.
Entre 1868 et 1869, Ein deutches Requiem (Un Requiem allemand) accueilli avec beaucoup d’enthousiasme. La renommée de Brahms ne se restreint plus au seul cercle musical mais devient publique.
Il meurt à Vienne le 3 avril 1897, un an après Clara Schumann, avec qui il était resté en contact toute sa vie.
II – Brahms, où on ne l’attend pas.
En 1853, Brahms frappe à la porte de Schumann à Düsseldorf. Après lui avoir fait jouer un extrait de la première sonate, Schumann est émerveillé et voit en Brahms son double en qui il reconnaît un compositeur plein d’énergie et de génie. D’ailleurs, Schumann lui consacre un article élogieux intitulé Neue Bahnen (Voies nouvelles) dans une revue musicale. Brahms se fait un nom dans le monde musical.
Dans les années 1860 deux écoles s’opposent en Allemagne. Il y a ceux qui, à la suite de Liszt et Wagner, prônent la musique de l’avenir : ils défendent une conception « littéraire » de la musique qui repose sur des formes libres comme le poème symphonique et le drame en musique où le texte est servi par un flot musical continu. Pour Brahms au contraire le but est de créer ce qu’il est convenu d’appeler une musique pure, c’est-à-dire une musique durable qui s’enracine dans le passé et laisse une impression d’équilibre et de solidité.
Brahms en 1860 s’oppose publiquement à cette « musique de l’avenir », mais le texte sera ridiculisé et dès lors Brahms ne portera jamais plus aucun jugement sur les autres compositeurs.
Même si ses détracteurs le qualifient de traditionnel, voire réactionnaire, Brahms innove. Ainsi entre 1854 et 1895 il publie vingt-quatre musiques de chambre dont certaines ne comportent pas le quartet classique mais auquel s’ajoutent deux instruments, l’alto et le violoncelle. Avec ces deux instruments en plus, la musique de Brahms s’enveloppe d’un halo que le compositeur développera ce qui aboutira à l’impressionnisme.
Mais aussi introduction de nouvelles formes plus libres, comme l’intermezzo. (1er quatuor pour piano et cordes) Très ancré dans sa culture du nord de l’Allemagne, Brahms ne s’intéresse pas moins aux diverses cultures du centre de l’Europe notamment la culture tzigane, juive ou hongroise. Cet intérêt transparaît dans sa musique et la musique hongroise, caractérisée par la juxtaposition de parties très rapides puis d’autres très lentes, est retravaillée par Brahms pour donner une musique innovante. Son art de la variation lui permet également de donner une fluidité parfaite à sa musique. (3ème quatuor pour cordes).
A partir des années 1880, Brahms intensifie sa musique et ses œuvres sont plus concises. Ainsi, ses œuvres transmettent autant d’émotions en vingt minutes qu’une œuvre de quarante minutes.
Brahms est aussi un symphoniste, il créera dix-sept ouvres symphoniques dont onze durant la décennie 1876-1887. C’est le domaine où il y avait le plus de conflits avec les modernistes. Brahms, grand amateur de la nature, donne l’impression de faire partie de cette nature et non pas seulement de la contempler. La forme baroque de la Passacailles lui permet d’atteindre une très grande fluidité (Variations Haydn). Après cela Brahms est capable d’utiliser la richesse de la palette sonore de l’orchestre pour faire vivre devant nous la lumière et du souffle du vent dans les feuilles, celle de la transformation des nuages. (2ème symphonie)
III – Brahms, l’impressionniste ?
C’est dans ses œuvres pour piano que Brahms est le plus impressionniste. Il compose vingt et une œuvres de ce type avec une structure très dense. Dans les années 1890 certaines œuvres de Brahms ne présentent quasiment pas de thème, c’est l’instant qui prime. On trouve ici une similitude frappante avec les peintres impressionnistes qui peignaient un paysage à un moment précis et non pas un paysage quelconque (cf. la montagne Sainte-Victoire peinte maintes fois par Cézanne ou la cathédrale de Rouen de Monet). L’opus 119 n°1 est une des plus grandes œuvres impressionnistes de Brahms. On peut d’ailleurs y trouver une similitude avec l’œuvre Reflet d’eau de Debussy.
CONCLUSION
Le lien avec la génération suivante est ainsi établi. Après avoir évoqué Brahms l’impressionniste, peut-être faudrait-il aussi évoquer Brahms, le passeur car bon nombre de ses successeurs, en premier lieu Schoenberg, s’inspireront de ses compositions.
Brahms le passeur, certainement, dans la façon dont il nous redonne les fruits des maîtres du passé qu’il a visité : Beethoven, les classiques, les baroques, la polyphonie de la Renaissance, la musique modale du moyen-âge
Mais quel sens donnait-il à son état de compositeur ? Avec Beethoven, il partageait la vision romantique d’une mission d’artiste. Si les deux compositeurs s’entendaient sur le point de départ, s’adresser à l’humanité dans son drame, son tragique et sa détresse, là où la mission de Beethoven le conduisait de la mélancolie à la joie dionysiaque, celle de Brahms le poussait à faire acte de Consolation, la Mitleid, la compassion pour l’humanité. Il l’a montré dans son œuvre pivot : Ein deutsches Requiem.
Si c’était la mission qu’il ressentait, il faut lui reconnaître de l’avoir mené de façon inlassable, trouver son propre chemin sans suivre les modes.
Quittons-nous donc avec Brahms le consolateur et un dernier extrait musical.
Liens youtube avec les œuvres écoutées :
1ère sonate pour piano : https://www.youtube.com/watch?v=EuW2WJFFh4c
Schumann : Novelettes op. 21 n° 8 : https://www.youtube.com/watch?v=AR_Swf7YYm4 et Chants de l’aube : https://www.youtube.com/watch?v=SqZZYMTIXRo
Sextuor pour cordes n°1 : https://www.youtube.com/watch?v=c5D9FbG71eE
Quatuor pour cordes et piano n°1 : https://www.youtube.com/watch?v=VKigitziwbU et https://www.youtube.com/watch?v=42lro9rDSQQ
Quatuor à cordes n°3 : https://www.youtube.com/watch?v=ertrDksMqOk
Variations sur un thème de Haydn (Passacaille finale) : https://www.youtube.com/watch?v=UNw4hni9vNw
Symphonie n°2 : https://www.youtube.com/watch?v=T8P6MkfMIWs
Œuvres pour piano :
Op 116 n°1 : https://www.youtube.com/watch?v=nC8UPJvX-EI
Op. 119 n°4 : https://www.youtube.com/watch?v=cwrfFSmQuYU
Op. 119 n°3 : https://www.youtube.com/watch?v=sIv87uSB3vk
Op 118 n°6 : https://www.youtube.com/watch?v=uWvCpC6cDRw
Debussy : Clair de Lune : https://www.youtube.com/watch?v=Ch2mrPm1JnM
Op 116 n°2 : https://www.youtube.com/watch?v=w6x2S1M8i6A
Op. 116 n°4 : https://www.youtube.com/watch?v=xHz0qWXeG4M
Op. 116 n°5 : https://www.youtube.com/watch?v=XJfgjMFZFEQ
Debussy : La Puerta del Vino : https://www.youtube.com/watch?v=qQdhoKJhjb8
Op. 118 n°5 : https://www.youtube.com/watch?v=Y8y5gVMcyoo
Op. 119 n° 1 : https://www.youtube.com/watch?v=fFnyRz-SVGw
Debussy : Reflets dans l’eau : https://www.youtube.com/watch?v=EQJwbJ4wMBw
Trio pour piano et cordes n°3 : https://www.youtube.com/watch?v=s8UTK21Ky4Y
EXTRAS : non diffusés durant la conférence :
Intermezzis op 117 : https://www.youtube.com/watch?v=hZKrgUSfcm4
Sonate pour clarinette et piano n°2 : https://www.youtube.com/watch?v=KpavgOh4Osc
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