Thèmes: Art – Musique Conférence du mardi 5 avril 2022
Cécile LAURU (1881–1959)
Par André PALEOLOGUE, docteur en Histoire, expert consultant auprès de l’UNESCO
la vie romanesque et la carrière d’une compositrice française à l’est de l’Europe : une découverte musicale
LAURU Cécile Henriette Louise (épouse Paleolog) née en 1881 à Nantes et décédée en 1959 à Paris, est une musicienne française dont l’œuvre et la vie sont liées aussi à la Roumanie.
Voir aussi : https://sites.google.com/view/cecile-lauru/accueil
Dès son enfance Cécile Lauru montre des aptitudes sérieuses pour la musique et sous le regard attentif de sa mère – organiste titulaire de l’Église réformée de Nantes –, elle se voue très tôt à l’orgue, au piano et, plus tard, à l’alto et au violoncelle. Elle bénéficie d’une éducation soignée et polyvalente dispensée par une grand-mère qui dirigea pendant des années l’Institution Jeanne d’Albret de Nérac et de sa mère qui, en complément de son activité musicale, fonde à Nantes un foyer d’accueil pour jeunes filles allemandes souhaitant travailler en France. Admise au Conservatoire National, elle s’installe à Paris. Malgré son désir de se consacrer avant tout à la création musicale, elle est reçue dans la classe d’orgue d’Alexandre Guilmant. Sur les conseils de ce dernier, elle suit également les cours de la toute nouvelle Schola Cantorum et elle étudie l’harmonie, le contrepoint et la composition avec Charles Tournemire successeur de César Franck à l’église Sainte Clotilde où il fut titulaire des orgues pendant 40 ans.
Ses débuts de compositrice sont prometteurs et très vite la « Société des compositeurs de musique » de Paris, l’inscrit parmi ses membres et l’aide à publier quelques-unes de ses meilleures créations dont plusieurs sont jouées à la salle Pleyel en 1906, 1907 et 1908.
En 1903, à la suite d’un fortuit concours de circonstances, elle est recrutée en tant que Lehrerin und Erzieherin (enseignante et éducatrice) française auprès de la princesse Victoria-Louise de Prusse, fille de l’empereur Guillaume II. Pendant plus de 10 ans à la cour impériale allemande de Berlin et de Postdam, elle a l’occasion de connaître – à leur source même –, les grandes valeurs de la musique et de la culture allemandes. Elle a le privilège, également, de jouer et de faire entendre ses propres œuvres. Sa collaboration artistique avec la sœur de l’Impératrice – Fédora von Schleswig-Holstein (alias F. Hugin) – se concrétise par la publication de plusieurs lieder. Son service auprès de la Cour impériale ayant pris fin en 1909, Cécile Lauru décide de ne pas revenir en France et elle fonde un Foyer d’accueil où « de jeunes Françaises employées à Berlin, trouveront un ″chez elles‶ et un lieu amical de causerie et d’intimité » (Revue des deux mondes, t. 56, 1910). Avec l’accord des autorités françaises, et le soutien impérial, l’établissement voit le jour en 1910, mais la Grande Guerre stoppe net son avenir. Traitée en ennemie, elle est contrainte de quitter l’Allemagne à l’automne 1914.
Par son mariage, cette même année, avec V.G. Paleolog, elle unit son destin à la Roumanie – pays d’origine de son époux. Pour encore quelques années à Paris, elle découvre grâce à son mari les ateliers des artistes de Montparnasse et se lie d’amitié tout particulièrement avec le sculpteur Constantin Brancusi et le très original compositeur Erik Satie. Elle suit V.G. Paleolog à Lorient où, en tant que sujet d’une Roumanie rangée du côté de l’Entente à partir de 1916, celui-ci accomplit diverses missions militaires. La Marche de la victoire (op. 22) que Cécile Lauru dédie en 1919 à la France et à la Roumanie, est sa dernière œuvre réalisée dans son pays natal.
A partir de 1923, elle s’installe en Roumanie avec son mari devenu gentleman-farmer et leurs trois fils. C’est dans ce pays que le langage musical de Cécile Lauru arrive à maturité, sous l’influence aussi des motifs musicaux et des rythmes des Carpates. Le contact qu’elle entretient avec le milieu orthodoxe, la découverte des travaux d’ethnomusicologie de l’époque contribuent à enrichir et revigorer son écriture musicale. Elle a l’occasion de s’entretenir avec plusieurs compositeurs roumains de l’époque dont G. Enesco, C. Brăiloiu et D. Cuclin et s’intéresse aux œuvres d’inspiration folklorique de Béla Bartók. Elle compose plusieurs Trios, dont La foire de Tismana (op. 53), une Sonate pour violon et piano (op. 40), ainsi que le poème symphonique Dimanche des Rameaux au monastère de Cozia (op. 54) dont les développements intègrent les systèmes modaux de la musique traditionnelle et religieuse roumaine. Elle donne des conférences sur Erik Satie et sur la musique française moderne (1928) et saisit toutes les occasions pour jouer et faire entendre ses créations. Le Poème symphonique ne sera interprété par un orchestre professionnel de valeur qu’en 1974.
Pour assurer un bon niveau d’études à ses enfants, de 1931 à 1940, elle se rend 10 mois par an à Berlin, ville à laquelle elle se sentira toujours très attachée. Expulsée d’Allemagne en septembre 1941 avec ses enfants ayant porté « atteinte à l’ordre public », elle regagne la Roumanie, l’Occident lui étant dorénavant interdit. Malgré l’accueil chaleureux dont elle bénéficie dans le milieu musical roumain très francophile, elle vit l’angoisse de la mère qui voit ses fils envoyés sur le front antisoviétique et s’inquiète pour la France occupée. Après la Seconde Guerre, dans un pays totalement asservi par Moscou, au regard de son passé et en tant qu’épouse de V.G. Paleolog, elle subit d’incessantes vexations. La musique et l’harmonium du Temple réformé (Calvineum) de Bucarest sont ses seuls refuges. Toutefois, après bien des difficultés, elle parvient à obtenir un visa pour le France en mars 1959. Mais trois jours après son arrivée à Paris, elle décède, victime d’un accident sur les Champs Elysées. S’accomplit ainsi son vœu maintes fois exprimé de finir ses jours en France.
Une vie et une œuvre musicale presque inconnues dans son pays natal restent encore à découvrir. Raison pour laquelle des musiciens qui jouent depuis 2018 ses œuvres rêvent de voir leurs interprétations éditées sous forme d’un CD. Ce n’est qu’ainsi que les futurs dictionnaires du patrimoine musical français pourront s’enrichir du nom d’une compositrice qui mérite pleinement sa place.
Principales œuvres musicales publiées : Communion (poésie de Léonce Depont), Éd. F. Durdilly, 1901 ; Zwei Lieder (von F. Hugin) für eine Singstimme mit Begleitung des Pianoforte, Leipzig, Cologne, Berlin, Ed. N. Simrock,1906; Impressions brèves. Neuf mélodies pour une voix avec accompagnement de piano (poésies de Sully Prudhomme, Ronsard, A. Dorchain, Leconte de Lisle et Conrad F. Mayer), Éd. F. Durdilly, 1907.
Sources : André Paleologue, Cécile Lauru – le destin d’une compositrice française de Nantes aux Carpates, n° spécial des « Cahiers de la Société historique et archéologique des 8e et 17e arr. », Paris, 2020, ill., 56 p ; Florence Launay, Les compositrices en France au XIXe siècle, Fayard, 2006, 544 p. ; Viorel Cosma, Muzicieni din România – Lexicon, București, Ed. Muzicală, 1970, 475 p. ; Vasile Tomescu, Histoire des relations musicales entre la France et la Roumanie, Bucuresti, Ed. Muzicala, 1973, 495 p. ; Sanda Ionela Georgescu, Excerpte din memoriile lui Cécile Lauru (…) – Extraits des « Souvenirs » de Cécile Lauru épouse Paleolog concernant son séjour à la cour du dernier Empereur d’Allemagne), Bucuresti, Ed. Panthéon, 2007, 59 p.il ; André Paleologue, « Musicienne française en Roumanie », dans Réforme, septembre,1999.