DE CÉZANNE À MATISSE LES CHEFS-D’ŒUVRE DE LA FONDATION BARNES

Thèmes: Art, Peinture                            Conférence du vendtredi 5 novembre 1993

DE CÉZANNE À MATISSE
LES CHEFS-D’ŒUVRE DE LA FONDATION BARNES

Albert Coombs Barnes (1872-1951) est né dans une famille pauvre. Médecin de formation, il a pu accéder à la richesse en exploitant judicieusement la découverte d’un puissant antiseptique, l’Argyrol. Il dispose donc de fonds importants lorsqu’il se lance dans l’achat de ses premiers tableaux.

Début 1914, il a acquis vingt-cinq Renoir, douze Cézanne et douze Picasso. Mais là ne s’arrếte pas l’originalité du collectionneur. Il a la ferme conviction que l’avenir de la démocratie dépend de l’éducation de tous les citoyens. Son intérêt pour les nouveaux principes éducatifs le conduit à instituer dans son entreprise des groupes de réflexion destinés à ses ouvriers, dont beaucoup sont des Noirs. Il met ses œuvres à la disposition des employés au cours de séminaires d’étude. Il leur donne même la possibilité d’acheter certains tableaux.

Passionné par cette expérience, il décide en 1922 de lui donner toute son ampleur en créant une fondation qui regroupe ses collections, puis il engage un architecte qui construit au cœur du domaine de Merion, dans la banlieue résidentielle de Philadelphie, un bâtiment d’un style néo-classique simplifié.

Lors de son inauguration en 1925, la Fondation compte déjà plusieurs centaines d’œuvres dont le collectionneur va s’employer à accroître le nombre jusqu’à la fin de sa vie.

La Fondation Barnes à Mérion (Pennsylvanie) près de Philadelphie
et son fondateur, Albert C. Barnes (1872-1951).

En 1923, il expose une sélection de soixante-quinze tableaux dont des Picasso, Matisse, Soutine et Modigliani. Cette exposition d’œuvres si nouvelles soulève une tempête dans les journaux et consacre son divorce avec « l’establishment » artistique, le public traditionnel, les critiques, les historiens d’art, les responsables de musées. L’irascible docteur Barnes n’acceptera plus d’ouvrir sa Fondation qu’à ses disciples ou aux élèves assidus de l’institution et sous son contrôle.

Cette règle restera inchangée après sa mort en 1951, dans un accident de voiture. Il faudra attendre 1960 pour qu’une décision de justice autorise l’accès à la collection d’un nombre restreint de visiteurs. Les chefs-d’œuvre de la Fondation Barnes vont rester inconnus de la grande majorité du public, d’autant plus que leur reproduction en couleur et tout prêt à l’extérieur sont interdits.

L’obligation d’effectuer d’importants travaux de rénovation vient cependant d’amener la Fondation à prêter des œuvres les plus représentatives de la collection, qui compte à présent quelque deux mille cinq cents pièces. La justice américaine a délivré une autorisation exceptionnelle pour la sortie de soixante-douze chefs-d’œuvre.

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Manet et Monet –

Édouard Manet (1832-1883) a peint le Bateau goudronné à Berck-sur-Mer, au cours de l’été 1873. Cette œuvre fait partie d’une série à travers laquelle Manet opère le passage de ses toiles sombres des années soixante, à ses toiles de plein air de la décennie suivante, marquées par son adhésion à l’impressionnisme.

L’impressionnisme est d’ailleurs symbolisé par le tableau du célèbre Bateau-atelier que Claude Monet (1840-1926), utilisait à Argenteuil pour saisir dans l’instant les reflets changeants de l’eau et de la lumière, thème majeur de son œuvre.

Édouard Manet
Le Bateau goudronné, 1873
Merion (Penn.) Fondation Barnes

Clause Monet
Le Bateau-atelier, 1876
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Renoir – (1841-1919)

« Je suis convaincu que je n’achèterai jamais trop de Renoir » écrivait Barnes en 1913. Un an plus tôt il avait acquis sa première œuvre de Renoir. La Fondation en compte aujourd’hui cent-quatre-vingts. Avec Buste de femme (vers 1873-1875), Renoir a renoncé aux références mythologiques ou orientalisantes des nus de sa période précédente. La Sortie du Conservatoire, commencé en octobre 1876, se situe devant la porte de l’atelier montmartrois de Renoir. De jeunes ouvrières ont posé pour cette évocation de la vie parisienne. Renoir se veut le peintre de la vie moderne. Le déjeuner, scène intimiste datée de 1879 manifeste ce désir.

Pierre-Auguste Renoir
Buste de femme, vers 1879
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Pierre-Auguste Renoir
Le Déjeuner, vers 1873-1875
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Pierre-Auguste Renoir
La Sortie du Conservatoire, 1877
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Tout au long de sa carrière, Renoir a peint des portraits. Ce talent, qui a été une source non négligeable de revenus, lui a aussi donné l’occasion d’exprimer ses convictions : Jeanne-Durand-Ruel (1876) est un exemple parfait de ces portraits d’enfants empreints de naturel. En 1883, Jeune Garçon sur la plage d’Yport accuse une évolution stylistique liée au séjour italien de Renoir en 1881-1882. Mère et enfant, peint à Naples en 1881, évoque ce même voyage.

Pierre-Auguste Renoir
Jeanne Durand-Ruel, 1876
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Pierre-Auguste Renoir
Jeune Garçon sur la plage d’Yport
(Robert Nunès), 1883
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Pierre-Auguste Renoir
Mère et enfant, 1881
Merion (Penn.), Fondation Barnes

La nouvelle préoccupation de Renoir pour la ligne s’allie à une recherche de couleurs particulièrement sensible dans les toiles qu’il rapporte de son séjour à Guernesey en septembre 1883. Le changement de manière atteint son point culminant dans la Scène de jardin en Bretagne, probablement peinte en 1886, où l’artiste fait poser Aline Charigot, qui deviendra sa femme, et leur premier fils Pierre.

La Famille de l’artiste, de 1896, a été conservé par Renoir toute sa vie. On y découvre sa femme, son fils Pierre, futur acteur et son fils Jean, futur cinéaste, leur bonne Gabrielle, l’un des modèles préférés du peintre et une petite voisine des Renoir. Ce portrait de famille symbolise d’une certaine manière, la réussite de l’artiste.

Pierre-Auguste Renoir
La Famille de l’artiste, 1896
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Pierre-Auguste Renoir
Scène de jardin en Bretagne, vers 1886
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Au cours des années suivantes, le peintre revient progressivement à une conception plus souple de la ligne tandis que sa palette se pare de tons plus blonds. Son évolution, jusqu’à son développement ultime à la veille de sa mort, en 1919, est retracée à travers une série de nus fortement pétris de souvenirs classiques.

Pierre-Auguste Renoir
La Toilette, vers 1900
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Pierre-Auguste Renoir
Caryatides, 1910
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Pierre-Auguste Renoir
Après le bain, 1910
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Cézanne – (1839-1906)

Les Baigneurs au repos (1875-1876) sont une magistrale introduction à l’œuvre du peintre. La manière de peindre vaudra à l’artiste de s’attirer les foudres des critiques.

Les paysages exposés, peints entre 1885 et 1900, sont situés dans la région d’Aix-en-Provence, avec entre autres le village de Gardanne, La Montagne Sainte-Victoire, motifs de prédilection de Cézanne.

Paul Cézanne
Les Baigneurs au repos, 1875-1876
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Paul Cézanne
Gardanne, 1885-1886
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Paul Cézanne
La Montagne Sainte-Victoire, 1885-1895
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Les natures mortes, qui datent des dix dernières années du siècle, mettent en scène des objets familiers, tels que les Pots en terre cuite et fleurs, un coin de table ou Nature morte, le tableau le plus abouti, le plus parfait de cette série.

Paul Cézanne
Pots en terre cuite et fleurs, 1888-1890
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Paul Cézanne
Nature morte (fruits, pichet, compotier), 1892-1894
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Paul Cézanne
Un coin de table, 1895-1900
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Hortense Figuet, son épouse servira de modèle à deux des nombreux portraits de femme exposés, dont Madame Cézanne.

On peut interpréter Le Jeune homme à la tête de mort comme une vision de la jeunesse inspirée à un homme vieillissant. On retrouve la tête de mort dans la Nature morte au crâne.

Paul Cézanne
Portrait de Madame Cézanne, 1885-1887
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Paul Cézanne
Nature morte au crâne, 1895-1900
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Paul Cézanne
Jeune Homme à la tête de mort, 1896-1898
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Les Joueurs de cartes constitue l’œuvre majeure de Cézanne. Pour cette toile datée du début des années 1990, le peintre a fait poser les ouvriers agricoles de son père. Il n’a jamais expliqué la signification précise de ce tableau.

À la fin de sa vie, entre 1900 et 1905, Cézanne travaille à trois grands tableaux de baigneuses, thème qui l’a inspiré durant toute sa carrière. Les Grandes baigneuses sont marquées par la culture classique du peintre.

Paul Cézanne
Les Joueurs de cartes, 1890-1892
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Paul Cézanne
Grandes baigneuses, 1900-1905
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Seurat – (1859-1891)

Poseuses, daté de 1886-1888 est la troisième toile de vastes dimensions de Georges Seurat. Elle peut être interprétée comme un avatar moderne du thème des Trois Grâces. Mais le rappel de Un dimanche à la campagne, en second plan en fait une allégorie moderne de l’atelier de artiste. Au Salon des Indépendants en 1888, elle a recueilli les éloges des critiques amis et les sarcasmes des autres, qui ont raillé les modèles « rachitiques, bariolés de toutes les nuances de l’arc-en-ciel ».

Georges Seurat
Poseuses, 1886-1888
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Van Gogh – (1853-1890)

Quelques heures avant son départ pour Arles où il séjournera de fin février 1888 au début 1889, Vincent Van Gogh a visité I’atelier de Seurat, qu’il admire au plus haut point et il est reste sous le charme d’une « révélation de couleur ». Il s’est libéré de la matière sombre de sa période hollandaise au contact de l’impressionnisme et de Gauguin. De ces années parisiennes date l’étrange Nu allongé, thème exceptionnel dans son œuvre.

C’est à Arles que Van Gogh a peint le portrait de Joseph-Etienne Roulin. Le « facteur » Roulin est l’une des rares personnes qui ait témoigné de l’amitié à l’artiste et se soit occupé de lui après l’accès de démence au cours duquel il s’est coupé l’oreille, peu avant Noël 1888.

Vincent van Gogh
Nu allongé, 1887
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Vincent van Gogh
Joseph-Etienne Roulin, 1889
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Gauguin – (1848-1903)

Paul Gauguin détestait Seurat et a cessé de voir Van Gogh après sa crise de démence de 1888 qui a interrompu son séjour auprès de lui en Arles. En 1890, au Pouldu en Bretagne il a peint le portrait d’enfant dédicacé à Monsieur Loulou — il s’agit du jeune Louis Le Ray, dont les parents furent liés à l’artiste. Les plages de couleur éminemment décoratives du tableau annoncent déjà les toiles de Tahiti où Gauguin se rendra pour la première fois au printemps 1891.

Paul Gauguin
Monsieur Loulou (Louis Le Ray), 1890
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Toulouse-Lautrec – (1864-1901)

Henri de Toulouse-Lautrec a suivi l’enseignement du peintre Cormon, comme Van Gogh, qu’il a bien connu à cette occasion. En choisissant de devenir le peintre des faubourgs et de Montmartre, le jeune aristocrate a définitivement rompu avec l’enseignement de Cormon. Le modèle de la figure féminine de À Montrouge – Rosa la Rouge (1886-1887) est la blanchisseuse Carmen Gaudin, dont la chevelure cuivrée avait séduit Lautrec.

Henri de Toulouse-Lautrec
À Montrouge – Rosa la Rouge, 1886-1901
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Matisse – (1869-1954)

Après Renoir et Cézanne, Henri Matisse est le peintre préféré de Barnes qui a découvert ses œuvres en 1912.

Durant l’été 1904, à Saint-Tropez, Matisse a adopté le néo-impressionnisme. L’été suivant, en compagnie de Derain, dans le petit port de pêche de Collioure il dira : « Je travaillais comme je sentais, rien que par la couleur ». Le Fauvisme était né. Peu après son retour à Paris en octobre 1905, il a entrepris Le Bonheur de vivre qui fait apparaitre le paysage de Collioure. Il est l’une des œuvres clés de ce début du 20ème siecle et tout porte à croire que Picasso a peint ses célébres « Demoiselles d’Avignon » de 1907 en réponse à la toile de Matisse et en opposition à elle.

Madame Matisse, également peint à Collioure, mais durant l’été 1907, témoigne déjà d’une évolution vers un style plus décoratif, tandis que la magnifique Nature morte bleue de la fin de 1907 doit étre vue comme un hommage à Cézanne.

Henri Matisse
Le Bonheur de vivre, 1905-1906
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Henri Matisse
Madame Matisse (Madras rouge), 1907
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Henri Matisse
Nature morte bleue, Fin 1907
Merion (Penn.), Fondation Barnes

La monumental Rifain assis fait écho à un voyage de Matisse au Maroc à la fin de 1912. L’attirance du peintre pour !’exotisme se manifeste aussi dans le grand triptyque Les Trois sœurs de 1917. Lorsque Matisse se rend à la Fondation en 1930, Albert Barnes n’a acquis que les deux panneaux extérieurs. Matisse l’engage à acheter le troisième et lui indique la disposition de l’ensemble.

Henri Matisse
Le Rifain assis, Fin 1912 – début 1913
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Henri Matisse
Les Trois sœurs, triptyque, 1917
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Rousseau – (1844-1910)

Henri Rousseau dit Le Douanier Rousseau a été découvert, entre autres, par Picasso et Guillaume Apollinaire, il a séduit par ses thèmes énigmatiques et par la somptuosité de sa peinture. Mauvaise surprise (1901) peut être considéré comme une reprise de « Persée et Andromède ». Son tableau Éclaireurs attaqués par un tigre (1904) marque le début d’une série de scènes de jungle particulièrement brillantes qui l’ont rendu célèbre. Contrairement à une légende entretenue par Apollinaire, Rousseau n’a jamais été au Mexique. Sa forêt vierge est un rêve inspiré par les publications populaires de l’époque.

Henri Rousseau
Mauvaise Surprise, 1901
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Henri Rousseau
Éclaireurs attaqués par un tigre, 1904
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Modigliani (1884-1920)

Amedeo Modigliani a peint en 1917, le Nu couché de dos qui fait partie d’une série de toiles, dont certaines exposées pour la première fois cette année-là, ont été jugées indécentes et confisquées par la police.

Le scandale résidait moins dans le thème que dans le dépouillement des volumes et de la ligne.

Amedeo Modigliani
Nu couché de dos, 1917
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Picasso (1881-1973)

Dès le début de sa collection, Albert Barnes s’est intéressé à Pablo Picasso, mais uniquement à ses œuvres les plus anciennes. Seules les deux petites Tête d’homme et Tête de femme (1907) rappellent la période des « Demoiselles d’Avignon ». Tous les autres tableaux sont antérieurs. L’Ascète (1903) est un bel exemple de la « Période bleue » où le thème de l’humanité souffrante s’allie à la tristesse d’une palette réduite.

Pablo Picasso
Tête d’homme, 1907
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Pablo Picasso
Tête de femme, 1907
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Pablo Picasso
L’Ascète, 1905
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Acrobate et Jeune Arlequin (1905) témoigne déjà de l’évolution rapide de Picasso dans sa série d’œuvres empreintes d’une mélancolie sentimentale et consacrées au monde du cirque et des saltimbanques. Jeune fille à la chèvre (1906) reprend le thème classique de la femme à sa toilette.

Pablo Picasso
Acrobate et jeune arlequin, 1905
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Pablo Picasso
La Jeune Fille à la chévre, 1906
Merion (Penn.), Fondation Barnes

La Fresnaye – (1885-1925)

La Vie conjugale (1913) de Roger de La Fresnaye, au titre quelque peu énigmatique, se situe dans le sillage de Cézanne et des cubistes.

Roger de la Fresnaye
La Vie conjugale, 1913
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Soutine – (1893-1943)

En achetant en bloc l’atelier de Chaïm Soutine, Albert Barnes attire l’attention sur ce peintre biélorusse installé à Paris depuis 1913. La sincérité de ses accents proches de Van Gogh a séduit le collectionneur enthousiasmé par Le Petit pâtissier. Ce tableau, de même que Le Lapin écorché, est difficile à dater avec précision, mais l’artiste l’a peint au début de sa carrière.

Chaïm Soutine
Le Lapin écorché, Vers 1926-1927?
Merion (Penn.), Fondation Barnes

Chaïm Soutine
Le Petit Pâtissier, Vers 1921-1922
Merion (Penn.), Fondation Barnes

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Extraits de textes et photos du Petit Journal des Grandes Expositions (Réunion des Musées Nationaux)

FICHE DE VISITE

AU MUSÉE D’ORSAY
LES TOILES DE LA COLLECTION BARNES

« La Source » – Renoir

Nous aurons beaucoup à voir cet après-midi, beaucoup à découvrir aussi, car les tableaux que nous propose la Collection Barnes sont aussi admirables que souvent inconnus, et présentés avec autant d’art que d’intelligence.

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Laissons le plaisir des yeux pour tout à l’heure et consacrons quelques instants à la réflexion. Monsieur Barnes joint à ses connaissances profondes de conservateur de musée en matière de documentation et de présentation, la délicatesse de l’amateur d’art éclairé et la perspicacité du collectionneur qui a l’œil sur les toiles mais aussi sur leur cote.

Perspicacité du collectionneur ! Voilà qui entrouve la porte à toute la troupe des marchands et aux initiés de la spéculation ; voilà qui laisse entier l’abîme entre les misères des « peintres maudits » et les batailles à coup de milliers de dollars dans les grandes ventes chez Christie’s ou Sothesby.

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Quant à nous, qui avions souvent de jeunes enfants vers 1945-1950, nous saurons avoir un sourire amusé en plus. Monsieur Barnes, co-inventeur, mais aussi exploitant d’un désinfectant appelé Argyrol nous délivrait, après l’attente anxieuse du médecin pour une gorge rouge ou une angine de nos jeunes enfants, des soucis immédiats, car le médicament en vogue à l’époque était l’Argyrophédrine, c’est-à-dire Argyrol plus Éphédrine. Alors nous avons bien, sur les cimaises du Musée d’Orsay, un coup de pinceau qui nous appartient.

Nous saurons être aussi, à cette exposition, témoin d’une véritable révolution dans l’art de peindre : le peintre quittera son atelier pour la nature, et la grande toile tendue pour le chevalet portable, ouvrant ainsi la voie aux innombrables essais de ce qu’il est convenu d’appeler avec un dédain certain : « les peintres du dimanche ». Mais bien loin de ce dédain, c’est beaucoup d’estime, d’admiration parfois que nous devons à ces véritables amateurs d’art dont la sensibilité et l’habileté s’expriment sur leur toile, même si ce n’est que le dimanche.

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Notre visite terminée, nous penserons que notre Île-de-France —et particulièrement près de chez nous — abonde en sites que le génie de nos peintres a immortalisés. Certains d’entre vous ont en mémoire la conférence de Georges Godfroy, illustrée de nombreuses diapositives sur les sites et les peintres de l’Îe-de-France. Il la tient d’ailleurs à votre disposition pour nous la présenter à nouveau. En attendant, au cours de promenades ou randonnées, on peut toujours retrouver les ciels que peignit Corot au-dessus des étangs de Ville-d’Avray, les routes de Louveciennes et Sèvres qui inspirèrent Pissaro, la Maison Fournaise dans l’Île de Chatou, Argenteuil et ses régates, Rueil et sa Grenouillère chère à Renoir comme à Maupassant. Seules ont disparu les crues de la Seine que peignit Sisley à Port-Marly et les fumées des gares et des usines où chacun s’appliqua à mettre sur sa toile l’insaisissable.

Si nous sommes plus aventureux, Auvers ou Eragny nous attendent sur l’Oise, Moret et Barbizon aux abords de la forêt de Fontainebleau et Giverny bien sûr, aux bords de l’Epte.

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Alors au cours de visites, voire de pèlerinages, nous saurons bien retrouver les brumes ou les ors de l’automne, le cheminement des saisons, les lumières ou les colères des ciels et des eaux pourtant rarement capricieux. Mais ce que nous ne retrouverons pas, ce sont les personnages de Millet dans la plaine de Brière, priant au son de l’Angélus du Soir… il ne reste guère de paysans et l’on ne prie plus beaucoup.

Emile Brichard

 

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