Thèmes: Arts, Histoire Conférence du mardi 28 mai 2024
Par Madame Anne Amiot-Defontaine, historienne de l’art, diplômée de l’Ecole du Louvre, guide-conférencière.
INTRODUCTION
L’Europe à partir du XVIe siècle est baignée par les contes et les récits de voyages dont ceux de Marco Polo publiés au XVe siècle. Les récits de voyage ont fait de la Chine et de l’Extrême-Orient de manière plus générale des contrées exotiques et fascinantes. Un grand intérêt naît ainsi pour les arts orientaux. Grâce aux bateaux portugais dans un premier temps puis aux Hollandais avec la Compagnie des Indes, un nombre toujours plus grand d’objets décoratifs arrivent en Europe. Dans un premier temps, ce sont les porcelaines de Chine et les laques qui fascinent puis arriveront les tissus en coton d’Inde ainsi que le papier peint. Les décors orientaux idéalisent l’Orient et apportent une touche de rêve dans les intérieurs.
Au XIXe siècle le courant dit orientaliste connaît un franc succès aussi bien dans la décoration que dans la peinture ou la littérature. Les déplacements devenant plus aisés, les récits de voyage se multiplient.
I – Porcelaines et laques
A la fin du XVe siècle, les Portugais entreprennent des voyages réguliers vers l’Extrême-Orient et ouvrent des comptoirs comme Macao. La finesse de la porcelaine chinoise fascine et rapidement l’aristocratie européenne s’intéresse aux objets provenant de Chine. Ainsi au palais Santos de Lisbonne la salle des porcelaines (1664) offre un plafond composé de 261 assiettes en porcelaine Ming. Parmi les motifs représentés, des animaux souvent fantastiques qui nourriront l’imaginaire européen. En France, dans les jardins de Versailles est construit le Trianon de porcelaine (1670) dessiné par Le Vau dont le toit était en faïence, matériau imitant la véritable porcelaine chinoise, les Européens ne connaissant pas le secret de la fabrication de la porcelaine. Ce Trianon sera détruit plus tard car en très mauvais état.
L’engouement est tel que la noblesse et les hautes figures du clergé collectionnent des objets d’art provenant de Chine. Par exemple, le Cardinal Richelieu possédait une collection de 400 pièces. L’objet chinois le plus ancien entré dans les collections de Louis XIV à Versailles est une petite coupe provenant de la succession du Cardinal Mazarin, aujourd’hui au musée Guimet.
Peu à peu les arts européens sont influencés par ce goût pour l’Extrême Orient et à partir du XVIIIe siècle se développe la chinoiserie qui est un modèle artistique européen mais d’influence chinoise. Ce style est caractérisé par l’utilisation du langage figuré et fantaisiste de la Chine imaginaire. C’est un des éléments essentiels du rocaille qui sera très en vogue sous le règne de Louis XV et mis en valeur par des artistes comme François Boucher.
L’influence de la Chine apparaît aussi dans les laques qui comme les porcelaines seront d’abord importées par les Portugais puis par les Hollandais et la Compagnie des Indes. Amsterdam devient la plaque tournante des importations d’art oriental. Les plaques issues de paravents sont légères et faciles à transporter et sont ensuite intégrées à la décoration soit dans des meubles ou aux murs. On peut citer l’exemple du cabinet des laques dans la résidence Stadtholder (1695) à Leeuwarden aux Pays-Bas ou encore un des salons du château de Schönbrunn (1765) en Autriche, décoré en laques à la demande de Marie-Thérèse d’Autriche. Sur ces panneaux apparaissent fréquemment des paysages et des scènes de palais.
En France le goût pour les laques se développe sous Louis XIV lorsque ce dernier reçoit les ambassadeurs de Siam qui lui offrent de somptueux cadeaux dont des laques. Ainsi Madame de Montespan se fera réaliser un portrait avec des objets décoratifs chinois et du mobilier également chinois.
Parfois les objets originaux sont transformés et adaptés aux besoins européens. C’est ainsi qu’un coffre est transformé en chaise d’aisance.
Tout comme pour la porcelaine, les Européens ne connaissant pas la technique pour réaliser les laques chinoises, ils créent des imitations. Les frères Martin seront des pionniers dans ce domaine et apporteront de nouvelles couleurs à ces décors comme nous pouvons le voir avec les panneaux de « laques » du duc de Richelieu (1728) aujourd’hui au musée Carnavalet. Les figures sont d’inspiration chinoise mais le cadre est une Chine rêvée, imaginaire.
II – La tapisserie et le papier peint.
La tapisserie est elle aussi touchée par la mode des chinoiseries et de grands artistes réalisent des cartons dans ce style. Jean Bérain, grand ornemaniste à la cour de Louis XIV réalisera de nombreuses œuvres qui donneront naissance au style « à la Bérain ». Ses compositions sont encadrées de portiques ou de lambrequins et il met en valeur les arabesques et les grotesques. Par ailleurs, les missionnaires jésuites reviennent en Europe avec de nombreuses anecdotes qui inspirent les artistes comme le montre la Tenture aux grotesques chinois de Bérain et Monnoyer (1688). A la fin du XVIIe siècle apparaît régulièrement la figure du singe ainsi que les oiseaux. Cela donnera naissance à ce qui s’appelle « la singerie » qui est une manière de parodier les vices de l’Homme et de la société sans crainte de représailles. Le thème du singe, très utilisé par Claude III Audran est si apprécié qu’il apparaît même dans les maisons bourgeoises et pas seulement dans les demeures aristocratiques. Audran reprend les arabesques remises au goût du jour par Bérain. La représentation de la Chine de fantaisie atteint son paroxysme avec les cartons de François Boucher Scènes de vie chinoises (1750). La Chine est représentée comme un lieu merveilleux et parfait, ce qui est aussi une manière indirecte de critiquer ce qui se passe en France. La manufacture de Beauvais créée par Colbert fera de nombreuses tapisseries dans le style chinoiseries dont celle de Boucher qui est inspirée des tentures intitulées Histoire de l’Empereur de Chine (1688) du château de Compiègne. L’iconographie de ces dernières décrit des scènes réelles telle que la culture du riz et les personnages sont ceux de la cour de l’Empereur chinois. Au contraire, les cartons de Boucher montrent des scènes intimistes en conformité avec la nouvelle tendance de la cour de Louis XV. On trouve des pagodes, des ponts et les personnages ont quelques caractéristiques asiatiques comme les yeux bridés ou des chapeaux pointus mais les scènes sont européennes.
Le papier peint arrive en France au XVIe siècle mais ne se diffuse dans toute l’Europe qu’au XVIIe siècle. Ces papiers peints apparaissent à Versailles dans les années 1660 et offrent eux aussi une vision idyllique de la Chine. Dès le XVIIe siècle, ils garnissent des paravents ou l’intérieur des malles puis ils sont utilisés pour décorer les murs remplaçant partiellement les tapisseries. Ainsi, Mme de Maintenon fera décorer un de ses cabinets en papier peint. Les fleurs et les oiseaux sont omniprésents. Les Anglais imiteront les papiers peints chinois en utilisant une technique par impression. On utilise des planches de bois gravées que l’on encre et qui sont ensuite appliquées sur le papier. Dans un premier temps les motifs sont assez simples et de taille réduite. Plus tard est mise au point la technique d’impression par rouleau sur des rouleaux de papier. Au XIXe siècle, le papier peint remplacera peu à peu les tissus muraux. En France c’est Jean-Baptiste Réveillon qui développe le papier peint et qui ouvre un atelier dans le 12e arrondissement de Paris en 1759. Son atelier deviendra manufacture royale qui sera brûlée durant la Révolution mais la vogue du papier peint se poursuit.
III – Les Indiennes.
Dans les années 1650, les tissus de coton imprimés appelés Indiennes se répandent en Europe avec l’intensification des échanges commerciaux entre l’Orient et l’Occident, là encore grâce à la Compagnie des Indes. Jusqu’alors le coton était très rare et était importé du Moyen-Orient. On trouve du coton uniquement pour rembourrer certains vêtements comme par exemple le pourpoint de Charles de Blois (milieu du XIVe siècle, musée des tissus de Lyon). Avec le développement du commerce la disponibilité du coton permet une utilisation bien plus importante. Il est utilisé pour les vêtements car il est bien plus facile d’entretien que la soie ou la laine mais aussi en décoration. Par ailleurs, il est beaucoup moins cher. Ces indiennes permettent un décor à plat car elles sont imprimées et non brodées ou tissées. Les indiennes s’utilisent pour les rideaux, les dais ou les palempores qui sont des sortes de plaids. Les Indiennes représentent essentiellement de la faune et de la flore, très rarement des personnages. Quant aux couleurs, si au XVIIe et première moitié du XVIIIe siècle on préférait les couleurs vives notamment les rouges grâce à la garance, la mode est aux couleurs claires et aux fonds pâles dans la seconde moitié du XVIIIe. Ces indiennes connaissent un tel succès que les métiers de la soie et les manufactures royales de laine s’insurgent contre cette forte concurrence. Leur « lobbying » pousse le roi Louis XIV à adopter un arrêt en 1686 qui interdit l’importation et la fabrication des Indiennes. La prohibition pousse à la contrebande et à la fabrication clandestine ; l’interdiction est finalement levée par Louis XV en 1759. Dans les années 1780 la France compte quelques 110 fabriques d’indiennes.
IV – L’orientalisme au XIXe siècle.
A la fin du XVIIIe siècle et surtout au XIXe siècle se développe en Europe le goût pour l’orientalisme et les arts de l’Islam. La venue des Empereurs perses à la cour de Louis XIV puis la traduction par Antoine Galland des Contes des Mille et une nuits en 1704 donnent naissance à ce nouvel engouement.
En décoration les motifs géométriques sont de plus en plus utilisés, copiés directement d’Orient ou d’Andalousie et notamment de l’Alhambra de Grenade. A l’intérieur on aime s’habiller à l’ottomane et on aménage des cabinets turcs inspirés des tentes comme le cabinet turc du Comte d’Artois (1781) dans l’aile sud du château de Versailles. Ce nouveau courant est connu sous le nom de turqueries et persistera sous l’Empire, période qui nous a laissé le boudoir turc de l’hôtel Beauharnais (1803). En peinture, le style orientaliste inspire bon nombre d’artistes dont Eugène Delacroix (Femmes d’Alger), Dominique Ingres (Bain Turc) ou Jean-Léon Gérôme (Bain maure). Le style orientaliste apparaît aussi dans les papiers peints.
Au XIXe siècle la diffusion est plus rapide et plus massive car les voyages deviennent plus fréquents notamment en Afrique du nord, une bonne partie de ce territoire formant les colonies françaises, mais aussi au sud de l’Espagne marquée par l’héritage mauresque. On utilise les carreaux de faïence aux motifs géométriques comme dans la salle de bain de l’hôtel particulier de la Païva (1856) célèbre courtisane des années 1850. On construit également des folies dans les parcs comme au château de Monte-Cristo à Port Marly. Sarah Bernhardt décore son appartement avec des tapis persans et des divans où l’on peut s’allonger langoureusement et Pierre Loti marqué par ses voyages en Orient aménage sa maison de Rochefort en style orientaliste avec des fontaines intérieures, des faïences, des arches mauresques, etc.
Vers la fin du XIXe siècle, lors de l’exposition universelle de Paris en 1887 on découvre l’art japonais ce qui mènera au japonisme, lui-même donnant naissance à l’Art Nouveau.
CONCLUSION
L’intensification des échanges commerciaux à partir du XVIe siècle a permis l’arrivée de nouveaux produits et de nouveaux styles très en vogue comme les chinoiseries ou les indiennes. Si dans un premier temps les objets et les tissus sont importés d’Orient, rapidement la production s’adapte aux goûts européens puis est copiée en Europe même, souvent avec des techniques différentes.
Au XIXe siècle l’art inspiré d’Extrême Orient décline et c’est l’art musulman qui s’impose grâce notamment aux récits de voyage (Au soleil de Guy de Maupassant). Finalement à la fin du XIXe siècle arrive le japonisme qui permettra la naissance de l’Art Nouveau. Tous ces courants exotiques ont apporté une touche de rêve aux intérieurs.
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