Thèmes: Art, Peinture Conférence du mardi 6 février 2024
Par Madame Anne LE DIBERDER, conservatrice de la Maison-atelier Foujita à Villiers-le-Bâcle, auteure, attachée de conservation au Conseil général de l’Essonne.
INTRODUCTION
Léonard Foujita (1886-1968) est un artiste étonnant, empreint de deux cultures et qui a passé près de la moitié de sa vie au Japon et l’autre essentiellement en France bien que de façon intermittente au Japon ou en France.
Foujita est l’artiste japonais le plus connu de la première moitié du XXe siècle, il est extrêmement populaire dans les Années Folles étant un des artistes les plus en vue du quartier Montparnasse aux côtés de Picasso, Modigliani ou Fernand Léger notamment.
Artiste qui s’intéresse à de nombreux domaines, photographie, céramique, stylisme, danse, etc. il est un peu oublié après-guerre mais au XXIe siècle Foujita est remis en avant avec plusieurs expositions et ouvrages qui lui sont consacrés.
I – Brève biographie.
Tsuguharu Foujita est né au Japon en 1886 dans une très ancienne famille noble, ayant prétendument une ascendance de samouraïs qui remonte au XVIe siècle.
Benjamin d’une fratrie composée de deux sœurs et un frère, il est choyé mais perd sa mère alors qu’il n’a que cinq ans. Les deux sœurs aînées s’occupent de lui. Étant le plus jeune, il bénéficie d’une grande liberté au sein d’une famille très traditionnelle. Très tôt, il présente un talent certain pour le dessin. Foujita demande l’autorisation à son père pour devenir peintre. Inscrit aux cours français dès l’école primaire, Foujita étudie la peinture de style occidental aux Beaux-Arts de Tokyo où il obtient son diplôme en 1910. Son rêve est de partir en France. Finalement son père lui finance un séjour de trois ans à Paris où il arrive en 1913, il a alors 27 ans.
Foujita s’installe dans le quartier de Montparnasse où se concentre alors un grand nombre d’artistes car il y règne une liberté comme nulle part ailleurs. Les écoles d’art privées et les ateliers sont ouverts aux étrangers et aux femmes ce qui entraîne un grand brassage d’idées et une grande créativité. A peine installé, Foujita part en Grande-Bretagne car la guerre éclate et Paris se vide.
Il revient en France un an plus tard et travaille dans les champs dans le Périgord. En 1917, il revient à Paris, installe son atelier rue Delambre dans la cour de sa femme Fernande Barrey (qui avait été modèle de Modigliani) qu’il épouse très rapidement après sa rencontre au Café de la Rotonde.
Il est très proche de plusieurs artistes dont Diego Rivera -le mari par deux fois de Frida Kahlo- qui vécut à Paris jusqu’en 1923 et Modigliani dont la mort en 1920 l’affecte particulièrement.
Son compatriote, Kawashima, lui fait découvrir l’Akademia Duncan, fondée par Raymond Duncan, frère d’Isadora, où l’on danse, peint, tisse, sculpte etc. afin de retrouver les racines grecques de la civilisation occidentale. Foujita ajoute la danse à ses déjà nombreux talents.
Sa première exposition personnelle en juin 1917 connaît un franc succès. Au cours des années suivantes, il continue à exposer. Alors que sa femme Fernande se détourne de lui, Foujita rencontre Lucie Badoud, qu’il surnomme Youki -qui signifie Neige en japonais- à cause de la blancheur de sa peau et qu’il épouse en 1928 après avoir obtenu le divorce de Fernande.
Youki tombe amoureuse de Robert Desnos et lui impose un ménage à trois que l’artiste a du mal à supporter. Foujita quitte Paris et part en Amérique Latine avec son nouvel amour Madeleine Dormans. Le couple reste en Amérique Latine deux ans puis en 1933 se rend au Japon où l’artiste est accueilli en vedette. Madeleine meurt subitement en 1936 et Foujita fait la connaissance d’une jeune Japonaise, Kimiyo Horiuchi (1910-2009), de 24 ans sa cadette, et qui lui sera dévouée toute sa vie. En 1938 Foujita se rend en Chine en tant que peintre attaché aux armées en guerre. Il retourne à Paris en 1939, à nouveau à la veille de la guerre. Sa collaboration au militarisme japonais lui sera fortement reproché après-guerre. Cependant il collabore avec les Américains pour regrouper des collections d’art et c’est sous la protection du Général MacArthur qu’il arrive à New York en 1949.
En 1950 il retourne à Paris et s’installe à Montparnasse où il renoue avec ses anciens marchands qui lui organisent des expositions. En 1955 il obtient la nationalité française et en 1959 il se convertit au catholicisme, se fait baptiser à Reims -sa marraine est Béatrice Taittinger et son parrain René Lalou, le directeur des Champagnes Mumm- et prend le prénom baptismal de Léonard en hommage à Léonard de Vinci et en l’honneur de Léonard Kimura, l’un des martyrs au Japon. En 1960 Foujita achète pour la première fois de sa vie une petite maison à Villiers-le-Bâcle dans la vallée de la Chevreuse. Il émet le souhait de laisser sa maison ouverte afin que les voisins puissent lui rendre visite quand bon leur semble. Sa dernière œuvre est la chapelle Notre-Dame-de-la-Paix à Reims, entièrement conçue et décorée par lui entre 1965 et 1966, sur un terrain que lui a offert son parrain. Foujita meurt en 1968 à Zurich en Suisse. Inhumé au cimetière de Reims, puis exhumé pour être inhumé à Villiers-le Bâcle, sa dépouille mortelle sera à nouveau exhumée et transférée à Reims où il repose aujourd’hui au côté de sa dernière épouse Kimiyo Horiuchi dans SA chapelle à Reims.
II – Parcours artistique.
Foujita étudie l’art occidental à Tokyo bien que généralement les critiques considèrent ces artistes comme de simples copistes, Foujita est l’exception à cette règle. D’ailleurs, son travail de fin d’études, un autoportrait, est très mal perçu, trop centré sur lui-même.
Dès le début de son séjour à Paris, Foujita profite de sa proximité avec le Louvre pour étudier et copier des artistes tels que Raphaël, Rembrandt ou Vélasquez qu’il admire énormément. En 1917 Foujita commence à dessiner des figures d’une manière très stylisée qui s’inspire des portraits simplifiés de Modigliani dont il était très proche.
Dans les années 1910 les principaux artistes avaient quitté le quartier de Montmartre et notamment le célèbre « bateau lavoir » pour s’installer à Montparnasse, alors un quartier populaire où les arrière-cours pouvant servir d’atelier sont louées à très bas prix. Peu à peu les ateliers s’étendent jusqu’au XVe arrondissement comme le montre la Ruche. Les ateliers sont froids et souvent insalubres, les artistes se réunissent et se réchauffent donc dans les cafés où ils échangent leurs idées et où le mélange de nombreuses nationalités (Français, Espagnols, Mexicains, Russes, Italiens, etc.), différentes religions, différentes opinions politiques, favorise une création très riche. Foujita rencontre son compatriote Kawashima qui l’initie à la photographie et l’introduit dans l’Akademia de Duncan et son école multidisciplinaire. C’est aussi à Montparnasse qu’il côtoie Chaïm Soutine, artiste juif russe qui lui apprendra à utiliser la couleur.
Les Années folles sont aussi des années de libération de la femme, essentiellement citadine, qui rejettent le corset, se coupent les cheveux et raccourcissent leurs jupes. Le look à la garçonne fait fureur. Les corps et les esprits se libèrent. Alice Prin surnommée Kiki de Montparnasse, est alors la reine de la nuit. Foujita inspiré par cette ambiance peint des nus féminins inspirés de l’Olympia de Manet ou des Majas de Goya, et ce fameux Nu couché à la toile de Jouy (aujourd’hui au MAM de Paris). Ses œuvres nous montrent sa maîtrise des blancs transparents et opalescents qu’il obtient grâce à un secret d’atelier : le mélange de talc à sa peinture. Foujita avec l’emploi du cerné noir et de cette transparence est plus proche du dessin que de la peinture.
Dans les années 1930, l’artiste ne réalise plus de grands nus mais des œuvres plus colorées bien que toujours de grande taille.
A la fin des années 1920 un commanditaire lui demande une œuvre pour le pavillon japonais de l’exposition universelle. Foujita réalise une véritable ode à l’art occidental avec des références à Rodin et à Vélasquez notamment. Des nus féminins apparaissent également, ce qui est considéré comme pornographique au Japon. Son commanditaire se fâche avec lui attendant un travail mettant en valeur le Japon. Foujita aimera toute sa vie parler du Japon aux Français et de la France aux Japonais. Par ailleurs, Foujita réalise de nombreuses illustrations.
Quand il revient en France dans les années 1950 il peint des tableaux en lien avec la religion et se convertit au catholicisme en 1959. Sa dernière œuvre est la chapelle Notre-Dame de la Paix de Reims commencée en 1963 et dont Foujita conçoit presque tous les aspects de la structure et décorant l’intérieur de fresques bibliques.
En 1990, Kimiyo Foujita fait don au Conseil départemental de l’Essonne de la maison qu’elle a partagée avec l’artiste, afin que l’atelier de Foujita devienne un musée, la Maison-Atelier Foujita.
CONCLUSION
Foujita est un des artistes japonais les plus connus au Japon, où il est considéré comme est considéré Picasso en France. Foujita se définissait lui-même comme le plus japonais des Parisiens et le plus parisien des Japonais. Si après-guerre au Japon il a parfois été considéré comme un traitre, en France il est associé à l’école de Paris et à l’ambiance festive des Années folles. Après une longue période de célébrité, il avait été un peu oublié dans la deuxième moitié du XXe siècle avant que le XXIème siècle ne le redécouvre avec bonheur grâce entre autres à une importante exposition rétrospective de son œuvre qui a eu lieu en 2018 au musée Maillol pour le cinquantenaire de sa mort. En 2019 a été organisée au musée de la culture du Japon à Paris une exposition qui présentait une soixantaine d’œuvres dont deux des peintures de guerre, exposées pour la première fois hors du Japon, permettant de comprendre la carrière de Foujita au-delà de ses années à Montparnasse.
Bibliographie :
-Buisson, Sylvie et Le Diberder, Anne, Foujita ; peindre dans les Années folles. Fonds Mercator, Paris, 2018.
-Le Diberder, Anne et Lardanchet, Henri, Léonard Foujita et ses modèles. Curators Inc., Paris, 2016
-Le Diberder, Anne et Liot, David, Foujita monumental ! Enfer et paradis. Hazan, Paris, 2010.
Le Diberder, Anne et al., Foujita : le maître du trait. Éditions Philippe Picquier, Paris, 2008.
Sur internet : https://museemaillol.com/expositions/foujita
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