Thème : ART – LITTERATURE Mardi 12 février 2013
GEORGE SAND – Une femme libre
Par Bernard HAMON, Historien, Président de l’association « Les Amis de George Sand »
Avant de nous plonger dans la vie de George Sand, Mr Hamon a souhaité nous exposer le contexte politique et social à travers duquel la célèbre auteure a vu le jour puis passé sa vie. Car la petite fille, née 5 mois après le sacre de Napoléon 1er, passera toute sa jeunesse sous l’Empire, devenue jeune fille, elle s’affirmera sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, et enfin, la femme qu’elle devient connaîtra le Second Empire et le tristement célèbre soulèvement de la Commune. En définitive, Georges Sand traversera un siècle de bruits et de fureurs ponctué de trois révolutions populaires, une guerre, trois républiques et un coup d’état.
Tout aussi important pour comprendre l’œuvre et la réflexion de Georges Sand est la question de la condition féminine à cette époque. Car même si la révolution française à eu le mérite de changer certaines conceptions, les femmes restent légalement dépendantes de leur père puis de leur mari. Elles ne peuvent ni signer de contrat ni acheter de bien sans l’accord préalable de leur époux. Les femmes doivent être soumises à leur mari, elles ne sont pas solvables financièrement et ne peuvent prendre aucune décisions sans l’aval de leur conjoint. Face à ces injustices, de nombreuses femmes se révoltèrent, dont George Sand qui utilisa sa plume pour exprimer sa colère et fut certainement une des premières à gagner sa vie de manière indépendante.
Aurore Dupin est une métisse sociale. Son ascendance est marquée par la batardise. Son arrière grand-père n’est autre que Maurice de saxe, le vainqueur de Fontenoy alors que du coté maternel, sa mère, Sophie Victoire Delaborde est la fille d’un oiseleur établi sur les quais de Paris. Cette double ascendance, populaire et aristocratique, la marque profondément et explique pour beaucoup son engagement politique futur et sa personnalité. (« Je tiens au peuple par le sang autant que par le cœur »)
Orpheline de père à 5 ans, Aurore Dupin grandit chez sa grand-mère paternelle, Mme Dupin, à Nohant dans l’Indre. Cette femme, imprégnée des idées des Lumières, décide d’engager un précepteur, Deschartres, pour assurer l’éducation de sa petite-fille. Par la suite le couvent des Dames Augustines anglaises de Paris vient parfaire l’éducation reçue au domaine familial.
Au printemps 1822, elle fait la connaissance du baron François Casimir Dudevant. Elle l’épouse à la hâte le 17 septembre pour fuir des prétendants intéressés par la grande fortune que lui a laissée sa famille. Deux enfants naissent de cette union : Maurice (1823-1889) et Solange (1828-1899) mais déjà, son envie d’écrire et son mode de vie particulier (6 mois à Paris et 6 mois à Nohant) ne lui permettent pas de s’entendre avec son époux. Elle quitte son mari en 1831 pour suivre à Paris son jeune amant de huit ans son cadet, Jules Sandeau. Ensemble, ils commencent une carrière de journalistes dans Le Figaro en signant d’un même pseudonyme, J. Sand.
En 1832, George Sand publie son premier roman Indiana et utilise pour la première fois son pseudo. Ce réquisitoire contre la domination de la femme par l’homme est un triomphe; elle y dénonce le «paraître» plutôt que l’«être» et en profite pour fustiger la puissance de l’opinion publique et plus particulièrement celle de l’opinion bourgeoise. En 1833, c’est à nouveau le succès de Lélia qui vaut à Sand d’entrer définitivement dans le cercle des grands écrivains de son temps, et qui lui permet de vivre de sa plume.
Puis il y a la passion avec Alfred de Musset. Rencontrés lors d’un dîner en juin 1833, ils passent ensemble quelques mois heureux à Paris. Ils écrivent, échangent textes et idées, dessinent, puis s’embarquent pour Venise en décembre 1833. Sand est sérieusement malade à Gênes et continue de l’être en arrivant à Venise. De son coté, Musset passe ses nuits dans les cabarets et tombe malade à son tour. Sand fait alors appeler un jeune médecin, Pietro Pagello dont elle s’éprend. Musset repart à Paris alors que Sand, bien que dans une situation financière de plus en plus difficile, décide de rester à Venise. En 1834, la relation houleuse avec Musset reprend mais en 1835, épuisée par tant de rebondissements passionnels, Sand finit par s’enfuir à Nohant et la rupture est cette fois définitive.
Un mois plus tard, alors qu’elle souhaite définitivement se séparer de son mari, George Sand rencontre Michel de Bourges, célèbre avocat de l’époque. Sand devient sa maîtresse et Michel, ardent républicain, défend ses intérêts. Lors du procès en séparation de corps et de biens d’avec son mari, il obtient quelle assure la garde de ses deux enfants et qu’elle récupère sa propriété de Nohant. Cependant, bien qu’intellectuellement riche et fusionnelle, la relation finie par s’effriter au bout de 2 ans. Cet homme au charisme fascinant et autoritaire reste déterminant dans l’évolution de la conscience politique de Sand, convertie aux idées républicaines et au socialisme.
Cette instabilité affective faisant souffrir George Sand, la rencontre avec Chopin y met un terme pour plusieurs années. Elle fait la connaissance de Chopin en 1836, mais leur liaison ne commence qu’en juin 1838. Durant l’hiver 1838-1839, elle emmène enfants et amant aux Baléares puis à Marseille où ils s’installent à l’hôtel Beauvau pour 3 mois. Ils rentrent à Nohant en juin 1839 pour y passer l’été et grâce à cette nouvelle liaison George Sand entame un nouveau virage aux cotés du compositeur. Mais les enfants Solange et Maurice grandissent, et son fils accepte mal la liaison de sa mère avec Chopin, personnage égocentrique et torturé qu’elle soigne comme une enfant. L’été 1846 Chopin et Maurice s’accrochent et ce dernier décide de quitter la maison. La liaison prendra fin à l’issue d’une histoire de famille causée par le mariage de Solange. La mère et la fille se fa chèrent, Chopin prit le parti de Solange, la rupture était consommée. Chopin qui avait passé l’été 1846 à Nohant n’y revint plus.
Les années de la liaison avec Chopin sont aussi celles de l’engagement profond de George Sand dans la politique et de ses amitiés socialistes. Car Sand reste en quête d’orientation politique et spirituelle. La rencontre avec Pierre Leroux va combler cette attente et son influence va dominer les années 1840. De républicaine elle s’affirmera socialiste, son œuvre romanesque en sera infléchie et cette nouvelle orientation entraînera une longue rupture avec François Buloz, co-fondateur de la Revue des Deux mondes. Leroux prône une doctrine sociale et politique, empreinte de spiritualité et fondée sur la fraternité ; un retour aux sources du christianisme. Sand sera en phase avec lui pendant plusieurs années et l’assistera alors financièrement. Ensemble ils créent en 1841 La Revue indépendante à laquelle elle donne trois de ses grands romans – Horace, Consuelo, La Comtesse de Rudolstadt – et de nombreux articles jusqu’en 1844.
En parallèle, George Sand se lie à des démocrates comme Francois Arago, Barbès, ou encore Bakounine et se réjouit en 1848 de la chute du roi Louis Philippe et de la fin de la Monarchie de Juillet, affichant une fois encore son engagement politique. Mais l’élection d’une assemblée conservatrice relance à nouveau l’agitation et la révolution populaire de 1848 est rapidement réprimée dans un bain de sang. Elle se retire alors à Nohant. Sa perception de l’action républicaine change alors car elle comprend que le temps des révolutions est révolu.
L’élection de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République en décembre 1848 la laisse si ce n’est indifférente, du moins résignée car elle accepte le verdict du suffrage universel qui l’a élu président. Mais, alors qu’à la suite de la défaite de la France par la Prusse, la république a été proclamée le 4 septembre 1870 et maintenue par les élections de février 1871, elle s’indigne de la révolte de la Commune de Paris. Elle ne souffre pas qu’une portion du peuple puisse remettre en cause le verdict du suffrage universel auquel elle tient tant alors même que les Prussiens occupent une partie de la France.
Désormais, George Sand ne quittant plus guère Nohant se consacre à sa famille sans pour autant négliger d’écrire, car elle continuera jusqu’au bout à publier romans, contes et articles littéraires et politiques dans les grands journaux tels que « Le Temps », et « La revue des deux mondes ». Le 22 mai elle termine un article sur un ouvrage de Renan qui paraîtra posthume car sa santé se dégrade rapidement avec son lot de souffrance de plus en plus intenses. Le 8 juin elle s’éteint. Elle sera enterrée dans le petit cimentière qui jouxte sa maison où elle repose encore.
De 1830 à son décès, c’est-à-dire durant 46 ans, George Sand a écrit et publié sans cesse. Son œuvre littéraire compte plus de 100 romans, nouvelles et contes, una autobiographie, de très nombreux articles de presse et une correspondance adressée à plus de 2 000 personnes en France et en Europe. Cette correspondance, passionnante, qui renferme plus de 18 000 lettres comprend 27 volumes, continue à s’enrichir au point qu’un 28ème ne saurait tarder.
Pour comprendre George Sand écrivain, il faut se souvenir qu’elle fait partie de la première génération des auteurs qui ont pu vivre de leur plume au XIXe siècle. Ces auteurs ont pour noms : Balzac, Hugo, Dumas… Ils lui sont contemporains, mais elle est la seule femme à avoir réussi à vivre de son métier de romancière. D’un caractère affirmé, personnalité empreinte parfois d’un certain entêtement, Sand a eu tout au long de sa carrière une démarche homogène et fidèle à elle même. Elle n’a jamais écrit que ce qu’elle a pensé et n’a jamais voulu faire de concessions quant à sa liberté de penser et d’agir.