Thèmes: Art, Peinture Mardi 28 Novembre 2017
GOYA ET LES FEMMES
par Madame Elena LIZON-RESPAUT, Maître de conférences à l’Université Paris Dauphine.
INTRODUCTION
Francisco de Goya y Lucientes est né le 30 mars 1746 à Fuendetodos, petite ville située à une trentaine de kilomètres de Saragosse. Sa mère est issue d’une famille de la petite noblesse et son père est doreur et maître-d’œuvre. A partir de treize ans, Goya se forme à l’atelier de José Luzán. Il échoue à deux reprises au concours d’entrée de l’Académie royale des beaux-arts de San Fernando. En 1771, comme tous les artistes de l’époque le peintre séjourne en Italie et obtient un prix de l’Académie de Parme. A son retour, il travaille dans la basilique du Pilar de Saragosse. En 1773, il se marie avec Josefa Bayeu. Sous l’influence de son beau-frère, qui le présente à la Cour, Goya travaille comme peintre de cartons pour des tapisseries de la prestigieuse manufacture de Santa Barbara, l’équivalent de celle des Gobelins en France. De 1775 à 1791, il réalisera 63 cartons. Par la suite il est élu à l’Académie de San Fernando, nommé peintre à la Chambre du roi et en 1786, il devient le peintre du roi d’Espagne. À cette époque, Goya est peu connu pour ses cartons et ses gravures mais il devient vite célèbre comme portraitiste. L’œuvre qui le consacre est « La famille de Charles IV » peint en 1800. C’est la reine Maria Luisa qui est mise en valeur, quant à la jeune fille qui a la tête tournée et dont on ne voit pas le visage, elle représente la future épouse du Prince des Asturies, titre porté par le prince héritier. Les personnes sont placées suivant l’ordre dynastique afin de montrer la stabilité de la Couronne espagnole. Il ne faut pas oublier que dans le pays voisin, la France, la Révolution avait eu lieu. Le roi apparaît sous un jour favorable pourtant, les critiques d’art ont considéré que c’était un tableau peu flatteur pour la famille royale. Il passe l’année 1793 alité à cause d’une grave maladie qui le rendra sourd. A la suite de cette maladie, il changera le style de sa peinture qui deviendra beaucoup plus sombre. Entre 1797 et 1799 il réalise une série d’estampes « Les caprices », qui dénoncent les excès de son temps. Puis, entre 1810 et 1820 il réalise 82 gravures intitulées « Les désastres de la guerre ». Il décède en 1828 à Bordeaux où il s’était exilé depuis cinq ans.
I – Portraits féminins.
Chez Goya l’image de la femme est essentielle et quelques 90 de ses œuvres représentent des femmes. Goya peint des femmes de l’aristocratie et de la bourgeoisie mais aussi du peuple, ce qui influencera beaucoup Manet. A la différence des peintres de son époque, les personnages de Goya ont le regard franc et ils attirent immédiatement la sympathie ou l’antipathie. Dans tous les tableaux de Goya on peut noter que le fond des œuvres est à peine ébauché et qu’il ne compte pas vraiment. En 1777 Goya peint « Le parasol », un tableau romantique où le jeune homme est habillé en majo. Le majismo, courant très en vogue à cette époque est la recherche des valeurs les plus nobles de la société espagnole au travers de costumes colorés issus des couches populaires madrilènes, portés par de jeunes gens exaltant la dignité, la sensualité et l’élégance. La jeune fille assise se détache du ciel, quant-au petit chien sur ses genoux, il apporte une touche de tendresse.
La duchesse d’Osuna, une femme très cultivée était, avec la duchesse d’Alba, une grande protectrice des arts. La toile « La famille des ducs d’Osuna » peinte en 1788 représente une des plus grandes familles de l’Illustration, la période des Lumières espagnole. Goya montre toute la sensibilité de la duchesse d’Osuna dans un autre de ses portraits peints en 1785. On peut voir dans cette œuvre toute la tendresse qu’éprouvait Goya pour la duchesse. En 1795, c’est la duchesse d’Alba qui est représentée dans le tableau « Maria Teresa Cayetana, duchesse d’Alba ». La famille d’Alba est une des familles les plus nobles du royaume. Sa noblesse vient de faits d’armes et la maison d’Alba sera au fil des siècles un soutien fidèle à la Couronne espagnole. Par exemple après la victoire espagnole à Breda dans les Flandres, c’est le duc d’Alba qui devient gouverneur. La duchesse est une femme excentrique et séductrice, ses salons et ses fêtes sont les plus courues de Madrid. Elle souffre cependant de l’hostilité de la reine Maria Luisa car elle avait essayé de séduire Manuel Godoy, le premier ministre, amant de la reine. Sur cette toile la duchesse parait triste car elle venait de perdre son mari. Les deux tableaux « La maja nue » et « La maja vêtue » ont été vus comme des représentations de la duchesse d’Alba alors que ce n’est pas le cas. C’est une vraie femme, contemporaine de Goya et qui serait la dernière maîtresse de Godoy, Pepita Tudó. Cette commande émanait de Godoy pour son cabinet privé. Ces deux tableaux de Goya sont inspirés de la toile de Velázquez « Vénus à son miroir ».
En 1799, Goya peint le portrait d’une célèbre actrice de l’époque Maria del Rosario Fernandez dont les rôles de méchantes lui ont donné le surnom de « tirana » qui sera aussi le titre du tableau de Goya. L’actrice était elle aussi une protégée de la duchesse d’Alba. Autre portrait psychologique « La reine Maria Luisa de Parma » achevé en 1800. La reine est en noir et porte une mantille typiquement espagnole. Les bras sont nus ce qui est une coquetterie de la part de la reine qui était très fière de la beauté et de la blancheur de ses bras. Par contre le visage de la reine montre son âpreté et sa sévérité, le regard est inquisiteur. Goya n’est pas tendre avec la reine bien que cette dernière ait toujours été la protectrice de Goya. La même année l’artiste peint « La comtesse de Chinchon » qui est la femme de Godoy. Goya rehausse sa naïveté par la blancheur de sa robe et la blondeur de ses cheveux. Elle apparaît timide et incapable de rivaliser avec les maîtresses de son mari. Goya avait beaucoup de tendresse pour son modèle.
Peint entre 1804 et 1805, « Isabel de Porcel » nous montre toute la maîtrise qu’à Goya du noir qu’il oppose divinement au rose et à la blancheur de la peau. Le regard de son personnage montre sa grande volonté. Son mari est un grand financier qui travaille depuis plusieurs années à Paris. Isabel se fait représenter dans une tenue typiquement espagnole car elle cherchait à se démarquer dans la société française et voulait affirmer sa personnalité espagnole.
Maître dans la représentation des majos et majas, Goya les peint dans la chapelle de San Antonio de Florida à Madrid. Goya peint aussi une série de tableaux sur la sorcellerie notamment « Le Sabbat des sorcières » qui est une commande de la duchesse d’Osuna pour un de ses palais de Madrid. Ce tableau visait clairement à discréditer l’Inquisition, qui sévissait toujours en Espagne et qui ne sera abolie qu’en 1913. Le village basque de Zugarramurdi est considéré comme le lieu de réunion des sorcières. De nos jours, il est venu à la mode de refaire des réunions de sorcellerie dans ce lieu. Enfin, « Les vieilles » peint en 1820 présage la période noire de Goya. Derrière les deux vieilles coquettes apparaît le personnage qui symbolise le temps.
II – Les caprices (1797-1799).
Les caprices sont une série de gravures qui sont actuellement à l’Académie de San Fernando. Cette série en fer-blanc initie la phase de maturité du peintre et la transition vers l’esthétique romantique. C’est la première série de réalisation d’estampes espagnoles qui utilisent les techniques de l’eau-forte et de l’aquatinte.
Dans ses « caprices » Goya dénonce les excès de la société de son temps ce qui entraînera sa condamnation pour blasphème par l’Inquisition. On peut remarquer que Goya tout au long de sa carrière entrera souvent en conflit avec l’Inquisition.
Ces gravures dénoncent les mariages arrangés, la naïveté des jeunes hommes si faciles à séduire, le malheur des jeunes femmes mariées par intérêt par des mères ambitieuses et la situation désespérée des prostituées. Un des caprices les plus connus est « Volaverunt » où apparaît toute la tendresse de Goya pour la duchesse d’Alba mais où le peintre dénonce aussi la frivolité des femmes.
III – Les désastres de la guerre (1810-1820).
Les armées de Napoléon occupent l’Espagne entre 1808 et 1813. Cette période de guerre est pleine de meurtres et de viols. Toute cette violence est représentée dans l’œuvre de Goya. L’invasion française ébranle le vieux peintre qui était un admirateur de la culture française. La série « Les désastres de la guerre » est presque un reportage moderne sur les atrocités commises et met en avant un héroïsme où les victimes sont des individus qui appartiennent ni à une classe sociale ni à une condition particulière. « Les désastres de la guerre » sont une série de 82 gravures réalisées entre 1810 et 1820 mais qui ne sera éditée pour la première fois qu’en 1863 à l’initiative de l’Académie royale des beaux-arts de San Fernando. Dans « Les désastres de la guerre », Goya dénonce la face cachée de la guerre, celle passée sous silence par les historiens. Les faits d’armes ne l’intéressent pas, ce qu’il cherche à montrer ce sont les atrocités faites aux civils ou aux femmes. Comme toujours chez Goya, la présence des femmes est essentielle comme on peut le voir dans la gravure intitulée « Les femmes donnent du courage ».
Le soulèvement du 2 mai marque le début de la guerre d’indépendance espagnole contre l’occupant français et l’utilisation de la guérilla pour contrer les forces militaires napoléoniennes. Cette technique de lutte date de cette époque et consiste en des attaques surprises et en replis immédiats afin de ne pas avoir un front de bataille conventionnel. Agustina de Aragon, héroïne de la guerre d’indépendance se bat comme civile puis devient officier de l’armée espagnole. Elle devient une figure symbolique de la résistance et elle sera représentée par Goya dans l’estampe « Qué valor! ». Dans « A aucun prix » Goya montre la cruauté des viols des soldats et met en valeur la résistance des femmes face aux assauts de ces derniers. Le peintre attire aussi notre attention sur le problème des enfants de la guerre, ceux nés à la suite des viols. Assez objectif, Goya ne dénonce pas seulement les horreurs commises par les soldats français mais aussi la violence des paysans espagnols. Enfin Goya s’attache à nous montrer la douleur et la faim dont souffrait Madrid durant la guerre notamment dans « Mère malheureuse ».
IV – Exil à Bordeaux.
A la suite du soulèvement d’Aranjuez, Charles IV avait été obligé d’abdiquer mais en 1814 son fils Ferdinand VII, devenu roi d’Espagne, déclare illégale la Constitution de Cadix et rétablit l’absolutisme. En 1823 Goya se retrouve assez isolé car il est considéré comme afrancesado et soupçonné d’avoir sympathisé avec l’envahisseur. Prétextant avoir besoin d’une cure thermale, Goya s’exile à Bordeaux. Sa maison de l’époque abrite l’actuel Institut Cervantès de Bordeaux. C’est dans son exil et à la fin de sa vie qu’il peint l’œuvre « La laitière » en 1827 qui est une véritable célébration de la beauté. Il réalise ce travail en observant les jeunes filles de la campagne qui viennent en ville vendre leurs produits. Jusqu’à la fin de sa vie le peintre a sublimé les femmes. Par ailleurs, « La laitière » est considérée comme le tableau précurseur de l’impressionnisme.
Bien qu’exilé, Goya se rendra à Madrid en 1826 pour finaliser les papiers administratifs de sa retraite et il obtiendra une rente de 50 000 reales. Goya meurt le 16 avril 1828 et il est enterré au cimetière de Bordeaux mais finalement en 1919 ses restes sont transférés à l’église San Antonio de la Florida au pied de la coupole qu’il avait peint un siècle plus tôt.
CONCLUSION
On peut dire que les femmes ont une place très importante dans l’œuvre de Goya et même s’il est célèbre comme portraitiste (« la Duchesse d’Alba, Isabel de Porcel ») toutes ses œuvres mettent en valeur les femmes. L’œuvre de Goya a fait l’admiration des certains intellectuels français comme Baudelaire qui lui rend hommage dans son œuvre « Les fleurs du mal » et plus particulièrement dans le poème « Les phares ». Quelques années plus tard c’est Malraux qui lui rend hommage suite à son voyage en Espagne durant lequel il admire les œuvres du peintre au Musée du Prado. Malraux voit son génie comme la source de l’art moderne. Il considère Goya comme un peintre du fantastique, pour lui ce qui est moderne c’est la liberté de son art.
Un commentaire
Jean-Michel BUCHOUD
Dec 15, 2017
"Goya et les femmes" : si Goya est bien connu pour ses portraits de duchesses, de princesses et ses majas, la conférencière a su nous montrer le Goya graveur, et la conférence est devenue "Goya et les mères et les femmes victimes". Goya le graveur reste d'actualité.