HISTOIRE DES FEMMES PEINTRES DES « ENLUMINERESSES » DU MOYEN-AGE À LA FIN DU XIXE SIÈCLE

Thèmes: Art, Peintures                                                                                                                    Conférences des mardi 5 et 12 mars 2024

HISTOIRE DES FEMMES PEINTRES

DES « ENLUMINERESSES » DU MOYEN-AGE À LA FIN DU XIXE SIÈCLE

Par Marc SOLÉRANSKI, Maître es Lettres modernes et Histoire de l’art ; diplômé de Paris IV Sorbonne et de l’Institut d’études thétrales.

INTRODUCTION

Les femmes peintres bien que méconnues jusqu’au XIXe siècle étaient pourtant bien présentes dans le monde des arts. L’histoire des arts exclut les femmes alors que parfois elles étaient très connues de leur vivant. Les femmes dans le monde artistique mais aussi scientifique, et dans la société en général, ont été occultées voire ignorées. Depuis le début du XXIe siècle, on cherche à mettre en avant l’art au féminin avec plusieurs expositions qui leurs sont consacrées ainsi que de nombreux ouvrages.

Pline l’Ancien au Ier siècle ou Boccace au XIVe siècle citent des noms de femmes artistes mais aucune œuvre n’a survécu. C’est du Moyen-Age que nous sont parvenues les premières œuvres de femmes artistes. Les femmes peintres sont encore très peu nombreuses à la Renaissance et au XVIIe siècle. L’esprit des Lumières sera un contexte favorable au XVIIIe siècle où les femmes partent à la conquête des salons parisiens et de l’Académie. Rosa Bonheur, icône de l’émancipation des femmes, prépare la venue des femmes à l’avant-garde de la peinture aux XIXe et XXe siècles. Souvent laissées de côté par les livres d’histoire de l’art ou considérées comme des exceptions face aux hommes, il faut souvent attendre le XXIe siècle pour les réhabiliter.

On peut cependant se demander s’il existe un art typiquement féminin, ou si la conquête de la mixité par les formations artistiques contemporaines rétablit un équilibre entre hommes et femmes dans l’art contemporain.

I – Femmes artistes dans l’Antiquité et au Moyen-Age.

Dans l’Antiquité, très souvent l’artiste importait peu c’est pourquoi les œuvres étaient pour la plupart anonymes. Qui a sculpté la Vénus de Milo ? Jusqu’à une époque très récente, on pensait que tous les artistes étaient masculins et que l’essor de quelques femmes était une exception. Il est très répandu de croire que les femmes artistes n’ont réellement percé qu’à partir du XXe siècle, or si l’on observe attentivement l’histoire des arts, on note que dès l’Antiquité, les femmes ont réalisé de nombreuses œuvres qui malheureusement ne nous sont pas parvenues. Pourtant déjà au Ier siècle de notre ère, Pline l’Ancien fait plusieurs références à des femmes peintres qui auraient décoré des temples. L’artiste grecque Lala de Cyzique était une peintre et graveuse d’ivoire qui aurait réalisé le premier autoportrait de l’histoire en se regardant dans un miroir (photo). Elle sera à nouveau mentionnée dans l’ouvrage encyclopédique de Boccace De mulieribus claris, publié au XIVe siècle et qui recense toutes les femmes qui ont joué un rôle clé dans la société de leur époque. Il est intéressant de noter que les artistes grecques connues travaillaient surtout à Ephèse en Asie Mineure et à Chypre et non à Athènes ou à Sparte, des cités de pouvoir où les femmes n’avaient aucun droit. Les clergés asiatiques accordaient souvent le même pouvoir aux prêtres et aux prêtresses, et les femmes jouissaient de responsabilités qui leur étaient refusées en Grèce continentale ou à Rome. Le sort des femmes artistes est donc étroitement lié à leur représentation politique et spirituelle dans telle ou telle société. Dans tout pays où l’on refuse un pouvoir aux femmes, leur rôle dans l’éducation et la vie artistique est nécessairement nié.

Au Moyen-Age, la régence était confiée aux reines mères et non à un membre masculin de la famille. Des femmes ont donc eu le pouvoir par intermittence. Le Moyen-Âge a souvent été dépeint comme une période sombre et bien peu propice aux femmes alors qu’il faut apporter des nuances. Dans la culture du Moyen-Âge la chrétienté a un poids très important et conditionne toute la société. Les femmes sont assimilées aux saintes ou à la Vierge Marie, à condition d’avoir des mœurs exemplaires. C’est pourquoi de nombreuses intellectuelles de cette époque sont des religieuses. Hildegarde de Bingen une abbesse germanique (v.1100 – 1179), est la première encyclopédie rédigée par une femme et qui a une vocation didactique. Herrad de Landsberg (1125 ?-1195), écrit et illustre l’Hortus deliciarum (Le jardin des délices) vers 1180. Elle s’est représentée en enluminure sur la couverture de son ouvrage.  L’ouvrage original a été détruit lors du bombardement de Strasbourg en 1870 mais il avait été copié à plus de 80%. A la même époque, on trouve de plus en plus d’intellectuelles comme la poétesse Marie de France (1160-1210) qui sera la première à écrire en langue vernaculaire.

Au Moyen-Age, une femme n’héritait pas si elle avait des frères et tous les biens appartenaient à son mari lorsqu’elle était mariée. Cependant dans le cas des filles uniques héritières d’une famille, il leur était possible de prendre la tête d’une entreprise familiale. A cette époque il n’y avait pas d’académies ou d’écoles d’art, les artistes transmettaient leur savoir-faire en milieu fermé (de maître à apprenti ou de parent à enfant). Ainsi au XIVe siècle, Jean Le Noir et sa fille Bourgot étaient de célèbres enlumineurs pour le roi de France notamment. A la mort de son père, Bourgot hérite de l’atelier de son père et continue à travailler. Christine de Pisan (1363 – 1431), une intellectuelle d’origine italienne sollicite l’aide de la reine Isabeau de Bavière, épouse du roi de France, Charles VI. Du fait des troubles mentaux du roi, c’est Isabeau qui règne de fait. La reine Isabeau permettra à Christine de Pisan de fonder une institution destinée à apprendre l’enluminure et la poésie aux jeunes filles, en plus des enseignements classiques, ce qui était très novateur. La société médiévale n’accepte d’être dirigée par une femme que si celle-ci a des mœurs exemplaires. La reine Isabeau sera totalement discréditée lorsque se répandra la rumeur qu’elle collectionnait les amants.

II – La Renaissance.

Durant la Renaissance italienne quelques noms d’artistes féminines sont mentionnés comme Suor Plautilla Nelli (1524-1588), religieuse au couvent des dominicaines de Florence et qui ne peint que des scènes religieuses ou Properzia de Rossi (1490-1530), une sculptrice très connue à son époque et seule femme figurant dans l’ouvrage de Giorgio Vasari Les vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes (1550). A la Renaissance, les hommes posaient pour les artistes masculins et les femmes pour les artistes féminines. C’est pourquoi dans certaines œuvres dont celles de Plautilla Nelli, les personnages masculins sont des femmes que l’on masculinise en leur peignant des barbes et des vêtements masculins. La religion ayant toujours un grand poids culturel, les femmes sont souvent représentées avec des poses mariales. En Angleterre, avec Marie Tudor et Elizabeth Ière, les femmes sont au pouvoir et c’est une femme qui sera la portraitiste des deux reines, Lavina Teerlinc (1510-1576). A la même époque on lit les poèmes d’Esther Inglis (1571-1624), qui est aussi une grande « enlumineresse ».

A la Renaissance, les artistes commencent à prendre une place importante dans le monde culturel. Les artistes jouent un rôle intellectuel aussi bien dans les arts plastiques que dans la musique ou la littérature. Peu à peu, les femmes vont être vues comme des inspiratrices de la beauté plutôt que des créatrices. Les femmes deviennent de simples muses. Cependant, certaines héritières de maîtres d’atelier de peinture vont apprendre les mêmes techniques que les hommes. C’est le cas de Sofonisba Anguissola (153? – 1625) qui se spécialise d’abord dans les représentations de femmes et d’enfants. C’est à la suite de ses œuvres que naîtra l’idée que les femmes étaient plus douées que les hommes pour représenter les femmes et les enfants car leur peinture est plus délicate, les hommes se consacrant à des sujets plus autoritaires. Pourtant c’est elle qui réalise le plus célèbre portrait de Philippe II d’Espagne, alors souverain le plus puissant d’Europe. Ce portrait a été longtemps attribué à Alonso Sanchez Coello bien qu’un contrat prouve que c’est bien l’œuvre d’Anguissola. Cette dernière, morte très âgée, rencontrera Van Dyck, le grand portraitiste des monarques européens et à qui peut-être elle donna quelques conseils. C’est la postérité qui écartera Sofonisba Anguissola de la célébrité car de son vivant elle était très respectée.

Un autre exemple de cet oubli postérieur est Lavinia Fontana (1552-1614), fille unique du peintre Prospero Fontana. La jeune fille se forme dans l’atelier de son père où elle rencontre des artistes et des mécènes. Elle réalise son autoportrait pour l’offrir à son fiancé. On y voit un coffre, meuble nécessaire à l’époque pour la fondation d’un foyer, et qui servait à ranger le trousseau de la fiancée. Sur le tableau de Lavinia Fontana, le coffre est vide. C’était une façon de montrer la situation précaire des artistes mais aussi de montrer à son fiancé que sa dot est son talent et non de l’argent ou du linge. On doit à Lavinia Fontana le premier nu féminin d’occident avec sa représentation de la déesse Minerve dans son tableau Minerve s’habillant. On devra attendre Suzanne Valadon pour qu’un nu masculin soit peint par une femme. L’un des plus célèbres portraits de Lavinia Fontana est celui de Tognina Goncalves, une fillette qui avait hérité de la maladie de son père, l’hypertrichose, par conséquent son corps et son visage étaient totalement recouverts d’un épais duvet tel un animal. Lavinia Fontana reste dans la lignée des portraitistes de femmes et d’enfants. Elle se représentera aussi en Judith, personnage biblique controversé. En effet, le livre de Judith n’apparaît pas dans toutes les bibles en particulier dans les bibles hébraïques car l’authenticité des événements est remise en cause du fait de la non concordance des dates (Judith aurait libéré la ville de Béthulie des Assyriens et des massacres perpétrés par le général Holopherne. Elle réussit à libérer la ville en gardant sa vertu car elle enivre Holopherne avant de lui trancher la tête.) Judith est le pendant féminin de David, elle symbolise la fragilité qui vainc la force tout en restant vertueuse.

Le personnage de Holopherne inspira également Artemisia Gentileschi (1593-1654), fille unique du peintre Orazio Gentileschi très influencé par Le Caravage. Artemisia peindra deux décapitations de Holopherne sous les traits de son ancien « fiancé », Agostino Tassi, qui l’avait violée et contre qui elle avait porté plainte, ce qui était rarissime à l’époque. Les jeunes femmes dénonçaient rarement leur agresseur car le déshonneur touchait plus la jeune fille et sa famille que le violeur lui-même. Dans un premier tableau, inspiré d’une toile du Caravage, Artemisia Gentileschi peint une scène très violente en représentant la décapitation elle-même et non la tête déjà tranchée. Ce tableau fait écho à la violence que l’artiste a subi lors de son viol, où elle se représente en Judith et Tassi en Holopherne. Elle se représentera aussi en Danaé et en Dalila, des femmes qui ont battu des hommes. Elle est une des premières femmes à rivaliser avec les hommes en peignant des images fortes et violentes.

III – Les XVIIe et XVIIIe siècles

Au XVIIe siècle à travers toute l’Europe les femmes peintres réalisent essentiellement des natures mortes et des portraits notamment de femmes et d’enfants.

est une hollandaise qui travaille le filigrane, réalisant un exceptionnel portrait de Guillaume III d’Orange dans une feuille de papier découpée aux ciseaux. Le travail est très minutieux et s’apparente au travail de la dentelle, travail exclusivement féminin et qui constituait une économie domestique.

Autre artiste du XVIIe siècle : Maria Sybilla Merian connue quasi uniquement en Allemagne mais qui réalise un travail de dessin remarquable en s’embarquant pour la Guyane hollandaise. Ses planches de végétaux et insectes tropicaux sont extraordinaires et importantes pour le monde scientifique de l’époque. On peut dire que ses illaustrations d’histoire naturelle sont l’équivalent de nos documentaires modernes. Elle figurait sur les anciens billets de 500 deutsch marks.

En France, la création de l’Académie Royale de peinture et de sculpture sous Louis XIV codifie les arts plastiques. La première femme reçue à l’Académie, en 1663, est l’artiste peintre Catherine Duchemin épouse du sculpteur Girardon. Madeleine et Geneviève Boullogne, filles de Bon Boullogne, en 1669 sont les suivantes, spécialisées dans les trophées que l’on peut également voir dans les appartements de la reine à Versailles. A partir de 1680 les académiciennes sont dispensées de l’étape d’agrément et sont reçues directement. Cependant elles ne sont autorisées ni à prêter serment, ni à voter, ni à enseigner, ni à monter dans la hiérarchie interne, c’est-à-dire peindre des tableaux d’histoire. Entre Louis XIV et Louis XVI, une vingtaine de femmes siègent à l’Académie Royale.

Au XVIIIe siècle, le portrait au pastel est à la mode et cela est dû en grande partie au travail de l’artiste italienne Rosalba Carriera (1675-1757). Son travail au pastel sans dessin préalable lui permet de raccourcir considérablement le temps de pause des modèles et d’exécuter des portraits sur le vif avec des expressions naturelles. Elle connaît un tel succès lors de son séjour à Paris qu’elle sera reçue à l’Académie royale en 1720, bien qu’italienne. Elisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842) est l’artiste peintre la plus connue du XVIIIe siècle. Elle est l’artiste préférée de Marie-Antoinette qui l’impose à l’Académie. Ici encore on voit que la reine, ayant un fort pouvoir politique, imposera ses choix en matière artistique. Elisabeth Vigée-Lebrun réalisera de nombreux portraits de la souveraine et de ses enfants (Marie-Antoinette et ses enfantsMarie-Antoinette en robe à panier en satin blanc ou La reine en gaule). Elisabeth Vigée-Lebrun avait de nombreux concurrents et concurrentes et elle était la seule qui n’était pas issue d’une famille d’artistes. C’est exceptionnel aussi bien pour les artistes masculins que féminins car l’art vit plutôt en vase clos. Cet état de fait donne lieu parfois à de véritables dynasties comme celle des Fragonard. Ainsi Marguerite Gérard (1761-1837) était la belle-sœur d’Honoré Fragonard.

A la Révolution toutes les académies royales sont supprimées. En 1795 est fondé l’Institut de France où la section des beaux-arts regroupe les anciennes académies de peinture, sculpture, architecture, musique…

 

IV – Le XIXe siècle.

Aucune femme n’est admise à l’Institut de France récemment créé ; contrairement aux idées reçues, la société française est bien plus misogyne après la Révolution qu’auparavant. Sous Napoléon Ier, Louis David qui pourtant avait accueilli des femmes dans son atelier, refuse catégoriquement la présence de femmes dans les académies. S’il y a eu des femmes révolutionnaires comme Olympe de Gouge, leur représentation en politique leur sera refusée. Le code napoléon du début du XIXe est extrêmement patriarcal et ferme certaines formations aux femmes. Cette caractéristique n’est pas commune à toutes les révolutions. Ainsi, la révolution menée par Atatürk pour instaurer la République turque dans les années 1920, donne le droit de vote aux femmes. Au XIXe siècle aucune femme ne sera élue à l’Académie contrairement à l’Ancien Régime. Les femmes dans un milieu d’hommes ne sont respectées que si elles ont une morale exemplaire. Cependant, même chassées des académies, les femmes continuent de travailler comme Rose-Adélaïde Ducreux (1761-1802) ou Marie-Guillemine Benoist (1768-1826), elle-même élève de Vigée Lebrun, car plusieurs académies privées se créent.

Après la Terreur, on affiche un nouveau style inspiré de l’Antiquité que l’on appellera « élégance républicaine ». On cherche avant tout à se démarquer de l’Ancien Régime : les robes à grands paniers disparaissent et les robes fluides avec des ceintures sous la poitrine comme à l’époque gréco-romaine apparaissent. En politique aussi Napoléon Ier s’inspire de l’Empire romain. En peinture, les œuvres ne sont plus réservées à la seule noblesse et les portraits se diversifient. Un des plus beaux exemples est le tableau de Marie-Guillemine Benoist, Portrait de Madeleine (présenté au Salon de 1800 sous le titre Portrait d’une négresse). Cette toile représente sur fond clair une ancienne esclave noire, Madeleine, arrivée en métropole après la première abolition de l’esclavage. La jeune femme noire apparait sans bijou ni toilette ostentatoire mais une grande prestance ressort de sa pose. C’est un bel exemple d’élégance républicaine, tout comme le portrait de Madame Récamier par Louis David.

A partir de 1815 se développe le mouvement romantique qui apporte un nouveau souffle dans le monde des arts. Certaines femmes vont se cacher derrière des pseudonymes masculins pour pouvoir travailler. C’est le cas d’Aurore Dupin, devenue George Sand (1804-1876) qui n’aurait jamais été publiée en tant que femme. Seule la littérature enfantine ou éducative, écrite par des nobles, comme les publications de la Comtesse de Ségur, est acceptée. Même en Grande-Bretagne, les sœurs Brönté publieront d’abord sous des noms masculins. George Sand n’était pas qu’une grande romancière, elle avait aussi des dons certains pour le dessin et la peinture mais ses œuvres ne seront jamais exposées et resteront dans ses propriétés.

Face au mouvement romantique apparaît le mouvement réaliste. Les réalistes reprochaient aux romantiques de donner une vision trop sentimentale et aux classiques de trop intellectualiser la réalité. Dans le mouvement réaliste on trouve les prémisses des théories marxistes comme le reflètent les romans sociaux d’un Balzac ou d’un Flaubert. C’est également à cette époque que naît la photographie qui reproduit mécaniquement la réalité. En politique on reproche à la Seconde République et à Napoléon III d’avoir remplacé les privilèges de l’aristocratie par ceux de la bourgeoisie.

Rosa Bonheur (1822-1899) est issue d’une famille d’artistes et se spécialise dans la représentation des animaux. Elle commence comme artiste romantique puis influencée par le mouvement réaliste, elle représente les animaux comme des êtres exploités. Elle s’engage pour la reconnaissance des animaux dans leur singularité. Par sa grande maîtrise technique, elle restitue à la fois l’anatomie et la psychologie animales. Son tableau Le marché aux chevaux, la rendra célèbre mais les portes de l’Académie lui restent fermées même si elle sera la première femme artiste à être distinguée de la Légion d’Honneur, qu’elle recevra des mains de l’impératrice Eugénie. Ses peintures sur le labour montrent des bêtes fatiguées et exploitées tout comme les hommes dans le monde du travail du XIXe siècle.

La Grande-Bretagne est durant une bonne partie du XIXe siècle dirigée par une reine, Victoria, ce qui permettra l’émergence de plusieurs artistes féminines comme Elizabeth Thompson Butler (1846-1933). Son mari participe à la guerre de Crimée dont il rend témoignage et collectionne les uniformes et objets militaires. A partir de ces récits, l’artiste réalise de nombreux tableaux de scènes de guerre, ce qui est une première en Grande-Bretagne. Elle révolutionne la peinture militaire dans son tableau Scotland forever en représentant les cavaliers écossais chargeant frontalement, face au spectateur. L’artiste donne une grande impression de vitesse tout comme les impressionnistes en France car la photographie reste à l’époque un moyen de représentation statique.

Berthe Morisot (1841-1895) est la grande figure féminine du mouvement impressionniste. Issue d’un milieu aisé, son père lui fait donner des cours de dessin et de peinture pour qu’elle réalise le portrait de sa mère. Berthe est douée et prend goût aux arts, elle décide d’en faire son métier. Elle rencontre Manet pour qui elle pose comme modèle à plusieurs reprises et qui l’influencera dans son œuvre. Elle n’épousera pas Edouard Manet mais son frère. En 1874 elle participe à la première exposition impressionniste que l’on n’appelait pas encore ainsi, où elle côtoie Pissarro, Monet, Cézanne, Renoir, etc. Elle représente beaucoup de femmes et d’enfants comme Le Berceau de 1872 (photo) restant ainsi dans la tradition de la peinture féminine. Ces portraits contribueront à sa célébrité mais elle saura apporter de l’originalité à ses tableaux comme dans sa toile Femme et enfant au balcon où les personnages sont représentés de dos. C’est une scène prise sur le vif et qui inspirera Manet pour la composition de son tableau Le chemin de fer. Manet a eu plusieurs élèves féminines qui étaient aussi modèles comme Victorine Meurant (1844-1927) dont nous avons peu de tableaux, ou Eva Gonzalès (1849-1883). De cette dernière on peut évoquer La loge qui montre le monde des demi-mondaines de l’époque qui en louant une loge au théâtre espérait attirer l’intérêt d’un homme riche et se marier ou en faire un amant. Influencée par son maître, Eva Gonzalès peindra plusieurs déclinaisons de l‘Olympia. Marie Bracquemond (1840-1916) sera une autre impressionniste qui peint sur toile mais aussi sur des poteries.

Cécilia Beaux (1855-1942), une artiste américaine ayant des origines françaises, s’intègre au mouvement impressionniste français et peint de manière originale une petite fille avec sa gouvernante. Son cadrage très particulier, place la fillette au centre de la toile mais la gouvernante est littéralement coupée : on ne voit que le bas du corps. Le spectateur devant donc imaginer son visage.

Une autre artiste américaine qui a épousé le mouvement impressionniste est Mary Cassatt (1844-1926). Elle travaille avec Edgar Degas et commence à l’instar du grand maître à peindre des scènes d’opéra mais dans l’esprit puritain américain. Mary Cassatt posera elle-même pour plusieurs œuvres de Degas. Peu à peu, elle se spécialise dans les portraits de femmes et d’enfants.  Elle s’installe définitivement en France et sera avec Claude Monet la dernière représentante du mouvement impressionniste encore vivante dans les années 1920. Parce qu’elle a eu des problèmes de santé dus à l’essence de térébenthine, elle se tourne vers les pastels et les gravures d’inspiration japonaise. Vers la fin de sa vie, elle réalise une série d’œuvres de promenades en barque afin de montrer que les impressionnistes travaillent par petites touches non pas parce qu’ils ne savent pas dessiner, comme il leur était souvent reproché, mais par choix esthétique.

Face à ces artistes impressionnistes, on trouve des femmes naturalistes qui pour certaines sont issues de milieux défavorisés et non artistiques. Cela sera possible avec l’apparition de la peinture en tube car auparavant non seulement la peinture en plein air était impossible mais il fallait un grand savoir-faire pour créer les couleurs en atelier. Dans ces conditions, apprendre la peinture en autodidacte était inenvisageable. Dans cette seconde partie de XIXe siècle, la démocratisation du milieu artistique permet à Nélie Jacquemart, fille d’une blanchisseuse, célibataire et pauvre, mais néanmoins protégée de Mme de Vatry, d’apprendre la peinture au couvent. On lui confie la réalisation du portrait d’un riche banquier, Edouard André, qui l’épousera. Nélie Jacquemart contribua à transformer son hôtel particulier en véritable musée, le couple Jacquemart-André réunissant une très riche collection d’œuvres d’art.

Louise Abbéma (1853-1927) est une artiste réaliste qui a peint de nombreux portraits de l’actrice Sarah Bernhardt. Cette dernière avait reçu une formation de sculptrice et réalisé plusieurs œuvres mais on l’avait rarement laissé exposer à cause des hostilités contre cette figure trop omniprésente. Sous le nom de Marcello (1836-1879) se cachait Adèle d’Affry, Comtesse de Castiglione, une grande sculptrice mariée avec la prestigieuse famille romaine de Castiglione. Son œuvre la plus connue est La Pythie de bronze que l’on peut admirer sous l’escalier de l’Opéra Garnier, nouvelle preuve des préjugés contre les femmes artistes obligées de se cacher derrière un pseudonyme masculin.

CONCLUSION

Avant le XIXe siècle, les femmes artistes étaient généralement issues d’un milieu aisé ou d’une famille comptant déjà des artistes reconnus. Avec la démocratisation de la peinture dans les pays de la révolution industrielle, le déséquilibre entre hommes et femmes ne pouvait que devenir paradoxal dans une société moderne. La place laissée aux femmes dans le monde artistique reflète le plus souvent leur statut dans la société. Les femmes artistes ont souvent été mises en avant lorsque d’autres femmes étaient au pouvoir, et le paradoxe du XIXe siècle français est de s’être montré plus misogyne que l’Ancien Régime. Après Camille Claudel, Suzanne Valadon, Sonia Delaunay… La plupart des femmes artistes ne se sont affirmées face aux hommes qu’à partir du milieu du XXe siècle à l’instar du droit de vote (en France, seulement en 1944) de l’ouverture de certaines professions jusque-là réservées aux hommes et de leur entrée à l’Académie Française.

Bibliographie :

Petite histoire des Artistes femmes, Chefs d’œuvre Grands tournants Thèmes, Susie Hodge, édition Flamarion

Le Vieux Montmartre, bulletin de la Société d’Histoire et d’Archéologie des IXe et XVIIIe arrondissements de Paris, n°91, décembre 2022

 

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