LA PEINTURE ESPAGNOLE

Thème : ARTS                                                                                                                                                                               Mardi 10 janvier 2006

La peinture espagnole

Par Mme Sylvie Gazannois

J’ai choisi de me concentrer sur la peinture de XVIIe siècle, le « siècle d’or », qui fait suite à la construction du grand empire de Charles Quint. L’Espagne a constitué son empire diplomatique, politique et colonial, la place est libre pour la création d’une véritable école artistique. Au fond, dans les siècles qui précèdent, il n’y a pas eu d’artistes d’aussi grande envergure que Vélasquez, Murillo ou Zurbaràn. Cette école espagnole sera ensuite « en sommeil » jusqu’à la fin du XVIIIe et l’arrivée de Goya.

Le Greco à Tolède

Cette école espagnole est inaugurée par un peintre atypique : le Greco (1541-1614), né en Crète, et qui joue un grand rôle dans l’élaboration d’un style plein d’émotion, avec les doigts allongés des personnages qu’il représente et ses couleurs vives. Lors de ses voyages, il est frappé par la peinture de ses contemporains, Titien, Léonard ou Michel-Ange. L’œuvre du Greco permet de passer du maniérisme à l’italienne au siècle d’or espagnol. C’est à Tolède qu’il réalise l’essentiel de sa carrière. Il y peint ce tableau « L’enterrement du comte d’Orgaz ». Vous constatez que la composition est en deux parties : la partie basse avec le comte et une frise qui incarne les édiles de la ville. Ici se mêle la rigueur propre à l’événement et un caractère festif assez intéressant. Greco insiste sur l’allongement des corps et des traits. On doit à Greco un tableau caractéristique, « La vue de Tolède », exécuté en 1597. C’est l’un des rares paysages que nous verrons car la très grande majorité des œuvres de l’école espagnole porte sur des sujets religieux. L’école espagnole est très  marquée par les commandes faites par l’église, d’où une diversité de sujets moindre que pour d’autres écoles européennes.

Très rapidement, dans les grandes villes du royaume vont naître des écoles. La première du genre, Valence, est incarnée par le peintre Ribéra (1591-1652), formé là-bas mais qui fera l’essentiel de sa carrière en Italie. C’est grâce à ses travaux faits à Naples – qui dépend de la cour d’Espagne – que Ribéra sera connu dans son pays natal. Comme beaucoup d’autres peintres espagnols, il est très marqué par les œuvres ténébristes du Caravage. La peinture de Ribéra se caractérise surtout par un cadrage particulier, un cadrage étouffant qui nous confronte aux corps. Sa palette s’éclaircira à partir de 1630, époque à laquelle il s’intéresse à la mythologie. Vers 1639, il délaisse les peintures religieuses pour faire des portraits. L’œuvre aura une influence majeure sur les peintres de la génération suivante.

L’école de Séville

Puis Séville prend le relais de Tolède. Séville était une ville cosmopolite ayant un fort creuset artistique. L’un des représentants de cette école était Francisco de Zurbaràn (1598-1664), qui incarne encore le peintre espagnol par excellence et le style religieux expressionniste. Toutes ses œuvres ont été commandées par des églises, des chapelles ou des monastères basés à Séville. Chantre de la Contre-réforme, l’artiste a été sensible à la sculpture de son temps. Le réalisme très poussé de Zurbaràn donne un relief tout particulier aux personnages qu’il a peints. Il se pose en représentant du tragique, du martyr. L’art de Zurbaràn marque un changement par rapport au Greco ou à Ribéra en raison du réalisme dans le rendu des visages et des personnages tout en restant dans le cadre d’œuvres historiques. L’un de ses « Saint-François » suggère la présence du divin au travers de l’expression quasi-extatique de Saint-François pendant sa méditation. Zurbaràn choisit souvent des poses insistant sur la valeur émotionnelle du sujet. C’est au travers de ses réalisations sur l’Immaculée Conception, qui insistent sur la pureté de la Vierge, que Zurbaràn va développer l’art du portrait. Il est un artiste très prolifique, qui a peint près de 300 tableaux. A la fin de sa vie, en perte de vitesse, il a subi de plein fouet le déclin économique de la ville de Séville.

Valdés Leal (1622-1690) va plutôt développer l’art des allégories et des natures mortes portant sur la vanité. Ses tableaux sont des réflexions sur la vie, la mort, le pouvoir, l’art… Voici deux œuvres qui fonctionnaient ensemble, « Les Allégories de la fin dernière », commandées pour l’hôpital de la charité de Séville. Le premier tableau montre la mort comme destructrice de tout ce qu’on peut amasser pendant une vie (l’or, le savoir, le pouvoir) ; le second montre un caveau où l’on devine plusieurs corps avec une balance qui penche du côté des valeurs chrétiennes plutôt que des sept péchés capitaux.

Murillo (1618-1682) est un autre artiste brillant de Séville, qui fut assez sensible aux peintres flamands (Rubens, Van Dyck…), et c’est sans doute celui qui eut la palette la plus claire, la plus lumineuse, la plus colorée. Cela se retrouve aussi bien dans ses sujets religieux que dans ses scènes de genre. Ce type de sujet (un jeune mendiant) plaira beaucoup aux peintres du XIXe siècle qui redécouvriront Murillo ou Vélasquez (que Manet adorait). Le thème de l’enfance était un sujet de prédilection de Murillo, qui touche le spectateur au cœur grâce à ces expressions très douces, très claires. Comme d’autres, Murillo a souvent mis la Vierge en scène. Les catholiques espagnols se sont emparés de cette figure de Marie pour attaquer les « hérétiques », les protestants, qui contestaient le culte de la Vierge. C’est ce qui explique la prolifération d’images de la Vierge et de l’Immaculée Conception dans l’art espagnol.

Vélasquez, le « prince des peintres »

Vélasquez (1599-1660) est celui qui incarne avec le plus de génie la peinture espagnole. Très ambitieux, il aspirait à gravir tous les échelons de la hiérarchie artistique, et être reconnu comme peintre du Roi. Il a travaillé à Séville, beaucoup à Madrid, et en Italie. En 1623, il entre au service du roi Philippe IV. Ses premières années montrent qu’il a su analyser la technique de Rubens, celle des Vénitiens ainsi que celle du Caravage.  A Madrid, il fait des tableaux historiques, des scènes de bataille, des portraits du Roi et des personnages qui gravitent à la Cour (y compris le bouffon représenté en héros). Après cette longue série de commandes, il se rend en Italie et, en 1650, est admis à l’académie de Saint Luc de Rome. A l’occasion de son second séjour en Italie, il réalise l’un des portraits les plus saisissants de la peinture espagnole, celui du pape Innocent X. Fait quasiment de mémoire, c’est un portrait d’une vivacité inouïe avec une présence quasi photographique. A Rome, il réalise l’un des rares nus de ce siècle. Bien qu’il ait une portée mythologique – c’est une Vénus – ce qui compte, c’est le reflet du visage dans le miroir. Il s’agit de l’un des premiers tableaux à introduire un lien entre le sujet et le spectateur. Ce sujet renouvelle complètement la séduction du nu mythologique, tout en étant une réflexion sur la peinture. En 1657, il réalise le tableau « Les Fileuses », qui est une mise en abîme de la création artistique puisqu’on voit des fileuses réaliser une tapisserie. Ce tableau annonce les dernières créations : les portraits de l’infante Marguerite mais surtout son chef d’œuvre absolu « Les Ménines », un des tableaux les plus riches et les plus complexes de l’histoire de la peinture.

« Les Ménines » représente un portrait dynastique de la famille royale, où l’on voit l’Infante et ses amies à côté de Vélasquez qui peint le portrait  du Roi et de la Reine dont l’image se reflète dans un miroir au fond de la pièce. Les souverains se situent dans l’espace où se tient le spectateur. C’est un tableau qui inclut le spectateur dans l’image tout en étant un autoportrait de Vélasquez (qui a dû se regarder dans un miroir pour pouvoir se peindre) avec des personnages qui se trouvent face à lui. Ce tableau nous fait perdre nos repères picturaux et supprime la frontière entre la fiction et la réalité. C’est un tableau d’une valeur, d’une composition et d’une virtuosité absolument incroyables.

Avec ce chef-d’œuvre, l’école espagnole a atteint des sommets. Picturalement, le XVIIe siècle a été très marquant – les Français, les Hollandais, les Italiens rivalisaient de chefs-d’œuvre – et les Espagnols ont trouvé leur place dans ce siècle extrêmement riche.

En savoir plus …

Coté Livres :

La peinture espagnole : Histoire et méthodologie

Bernard Bessière

Editeur : Du Temps

ISBN-10: 2842741161

http://www.amazon.fr/peinture-espagnole-Histoire-m%C3%A9thodologie/dp/2842741161

Coté Web :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Si%C3%A8cle_d’or_espagnol

http://pagesperso-orange.fr/pages.hispaniques/peinture.htm

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