Thème : ARTS                                                                                                                                                                                Mardi 2 Octobre 2007

La réaction à l’impressionnisme
Cézanne, Van Gogh et Gauguin libèrent la ligne et la couleur

Par Sophie Amory – Professeur à l’Ecole du Louvre

Le 15 avril 1874, une trentaine de peintres, parmi lesquels Manet, Monet, Pissarro, Degas ou Renoir, exposent leurs oeuvres dans l’atelier du photographe Nadar. Leurs oeuvres se singularisent de la peinture académique par une nouvelle technique picturale qui donne la primeur aux effets de lumière, avec une nouvelle manière d’appliquer la peinture sur la toile. Un critique, qui ironise sur cette nouvelle façon de faire, intitule son article « L’exposition des impressionnistes », d’après le titre d’un tableau de Claude Monet, Impression soleil levant, qui fait partie de l’exposition. Ce qualificatif d’impressionniste restera à la postérité. Au total, huit expositions impressionnistes sont présentées entre 1874 et 1886. La dernière est organisée par Berthe Morisot et le frère d’Edouard Manet dans les locaux du restaurant « La Porte Blanche ». C’est une exposition disparate. Le groupe des impressionnistes est en train de se séparer, car les artistes prennent diverses directions. Manet, Renoir et Cézanne n’y exposent pas. Pourtant, cette ultime exposition laisse entrevoir une nouvelle tendance qu’on nommera post-impressionniste ou néo-impressionniste.

Edgar Degas propose, lors de cette exposition, des oeuvres exceptionnelles, fruits de sa recherche propre. Elles sont liées à l’impressionnisme sans en être vraiment. Alors que l’impressionnisme s’attache aux paysages, il privilégie les portraits. Il est fasciné par le monde féminin. Et aime à utiliser plusieurs points de vues. Ainsi, il expose le portrait d’une femme à sa toilette, dont la composition est influencée par les estampes japonaises, avec des diagonales, des lignes courbes et verticales.

Berthe Morisot expose, elle aussi, une femme à la toilette, à la composition plus classique que celle de Degas mais dont le travail sur la couleur, avec un éclaircissement considérable de la palette, est révolutionnaire en ces années 1870-1880.

Camille Pissarro a été le plus fidèle aux expositions de groupe : il était présent aux huit expositions. Très sensible aux innovations des plus jeunes, c’est lui qui accueille Cézanne et fait monter Gauguin. En 1886, il se montre impressionné par la technique innovante de Seurat.

Les pointillistes

Georges Seurat est alors le pionnier du mouvement pointilliste ou divisionniste. Il applique à ses tableaux des principes scientifiques récemment découverts sur la division des matières et des couleurs. Par petites touches, il joue sur la complémentarité des couleurs pour les mettre en valeur. En 1886, il propose tin dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte. La composition présente une grande rigueur, très équilibrée, avec des formes qui se répondent et des personnages étudiés un à un, qui semblent figés pour l’éternité. Tout est calculé. La dimension de ce tableau est telle qu’il rompt avec la règle impressionniste de peindre en plein air. De fait, c’est une peinture réalisée en atelier et faite pour être accrochée dans un musée. Il faut du recul pour apprécier cette oeuvre : le mélange des couleurs se fait dans l’oeil. Son dernier tableau, inachevé, I e Cirque, rajoute encore une valeur expressive, avec un contraste des couleurs et des lignes entre l’arène, dynamique et gaie, et les tribunes, figées et froides. Mais Seurat n’aura pas le temps de théoriser cette nouvelle technique. Il meurt cinq ans plus tard, à l’âge de 31 ans.

Son ami Paul Signac va reprendre le flambeau et théoriser cette technique pointilliste. C’est une peinture très réfléchie, voire intellectualisée. Les éléments se répondent, les formes s’interpénètrent, comme on le voit dans ses Femmes au Puit (1892). Pour son Palais des Papes à Avignon, les touches s’agrandissent, ses traits de couleurs forment comme une mosaïque.

Van Gogh, l’inclassable

Vincent Van Gogh est plus inclassable que les autres peintres de la fin du XIXe siècle. Sa peinture reflète les tourments qui l’habitent et dans lesquels il se perdra. Fils de pasteur, il fait d’abord des études de théologie. Un temps « prêtre-ouvrier » auprès des mineurs, il commence à peindre ces personnes à la vie rude. Ses premières toiles ont des teintes sombres, sourdes, et sont déjà marquées par la véhémence de la touche et de l’empattement. C’est en rejoignant son frère Théo à Paris qu’il s’intéresse à la nouvelle peinture. Grâce à son frère, il rencontre Pissarro qui bouscule sa perception de l’art. Van Gogh éclaircit radicalement sa palette, et le soleil entre dans sa peinture. Tout comme Manet et Monet, il est, lui aussi, influencé par les estampes japonaises. C’est à Arles qu’il trouve son Japon à lui. La valeur expressive de la couleur provoque un sentiment violent.

Quand il s’installe à Auvers-sur-Oise, où résident déjà d’autres artistes, ses troubles sont de plus en plus forts. Sa représentation, magistrale, de l’église d’Auvers ressemble à un bateau à la dérive pris dans des tourbillons. L’oeuvre de Van Gogh, incomprise de son vivant y compris d’artistes contemporains, annonce le fauvisme et l’expressionnisme.

Gauguin et Cézanne, influences majeures de la peinture moderne

Paul Gauguin a partagé quelques mois avec Van Gogh à Arles. L’expérience s’est achevée de façon dramatique. A la suite d’une dispute, Van Gogh a tenté de le tuer, puis, pour se punir de ce geste, s’est coupé une oreille. D’abord agent de change et collectionneur d’art, Gauguin décide de se consacrer pleinement à la peinture en 1885. Après son épisode provençal, sans le sou, il s’installe à Pont-Aven où la vie est moins chère qu’à Paris et où il subsiste des paysages peu marqués par l’homme. Il aime à retrouver l’aspect primitif Très porté sur la vie sauvage, sa quête le mène en Polynésie en 189 1, d’abord à Tahiti puis aux Marquises.

Son oeuvre est complexe, multiple. Sa peinture, qui bouleverse les canons, est radicalement nouvelle. Gauguin est éperdu d’absolu, constamment à la recherche de la pureté primitive, du paradis perdu. Sa façon de juxtaposer les couleurs vives influencera des générations d’artistes. Paul Sérusier est l’un d’eux. Son Talisman a même été réalisé sous la dictée de Gauguin. Avec Pierre Bonnard, Maurice Denis et d’autres, Sérusier forme le groupe des Nabis. Très marqué par Gauguin et du japonisme, ils estiment que la peinture doit faire partie de la vie quotidienne, que ce soit sur des murs à décorer, des meubles, des vitraux… Paul Cézanne, installé en Provence, se situe à l’écart de Paris et de ses marchands. Il a toutefois exposé une fois avec les impressionnistes, en 1874. Lui aussi pousse les recherches sur les couleurs de plus en plus loin. Parfois elles se superposent car cela concoure à reproduire la vibration de la lumière provençale. La structuration dans l’espace est très importante pour lui. Cézanne aime à donner une assise stable à ses tableaux. Il est adepte d’un art médité, structuré. Considéré comme le père de la peinture moderne, son art est construit avec des disproportions, sans respect de la perspective mathématique. Il inspirera notamment Braque, Picasso et Kandinsky. Matisse, qui a repris la technique à la mosaïque de Signac, dira même plus tard: « Si Cézanne a raison, alors j’ai raison. »

En savoir plus …

Coté Livres :

Les impressionnistes

André Fisch | Agnès Raynaud

Editeur : Dessain et Tolra

ISBN-10: 978-2-295-00065-1

http://www.passiondulivre.com/livre-28695-les-impressionnistes.htm

L’impressionnisme de France et d’Amérique – Monet, Renoir, Sisley, Degas…

Auteurs : Collectif

Editions Artlys

ISBN: 9782854953169

Coté Web :

http://www.fluctuat.net/5446-L-impressionnisme-et-les-peintres-impressionnistes

http://www.picturalissime.com/art_impressionnisme.htm

http://declerck.chez-alice.fr/formation.htm

Le CDI ne peut être tenu responsable des dysfonctionnements des sites visités. Vous pouvez toutefois en aviser le Webmaster pour information et mise à jour