Thèmes: Arts, Histoire, Peinture, Société Conférence du mardi 4 février 2025
LA ROME DES PAPES, EXPRESSIONS ARTISTIQUES À ROME ENTRE LES XVI ET XVIII SIÈCLES
Par Lionel CARIOU de KERYS, diplômé en histoire des arts, conférencier.
INTRODUCTION
Entre 1378 et 1415 la chrétienté catholique subit ce que l’on a appelé le Grand Schisme, c’est-à-dire que deux Papes règnent au même temps, l’un à Rome, l’autre à Avignon. Les souverains européens soutiennent l’un ou l’autre selon qu’ils sont dans le camp des avignonnais ou des romains. En 1417, suite au Concile de Constance, est élu le pape Martin V reconnu par les deux camps.
Le nouveau pape s’installe à Rome et à partir de là plusieurs papes décident d’embellir Rome et d’en faire une capitale rayonnante grâce à une architecture et une vie culturelle de premier rang. Ainsi certains papes notamment Sixte IV, Sixte V, Paul III, Urbain VIII, Paul V et Innocent X seront à l’origine des aménagements et bâtiments les plus emblématiques de la capitale italienne : la place Navone, la place du Capitole, le palais Borghese ou la basilique Saint-Pierre.
I- Carrefours et places.
Lorsqu’à partir du début du XVe siècle, les papes résident à nouveau à Rome, la ville connaît un nouvel essor grâce à la chrétienté. En effet, les papes souhaitent montrer le rayonnement de la foi catholique à travers une ville rénovée qui puisse impressionner les pèlerins.
Sixte V (1521-1590) souhaite mettre l’urbanisme au service des pèlerins et utiliser les obélisques comme points de repère pour ces derniers. Le carrefour des Quatre-fontaines devient un point névralgique de la ville. Quatre fontaines sont aménagées aux angles des quatre bâtiments à l’intersection de la Via Quattro Fontane et de la Via Settembre actuelles. Deux fontaines sont des allégories des fleuves Arno et Tibre, une représente la fidélité symbolisée par Diane appuyée sur trois montagnes (symbole de Sixte V) et la dernière la fortitude avec la déesse Junon.
Les obélisques permettent aux pèlerins de se rendre aisément aux principales basiliques de Rome : l’église de la Trinité-Des-Monts, la basilique Sainte Marie Majeure et la basilique Saint Jean du Latran. Par ailleurs, les obélisques symbolisent la puissance de l’Eglise catholique.
Plusieurs places jouent un rôle clé dans l’urbanisme de Rome et ce depuis l’Antiquité comme c’est le cas de la place du Capitole.
La colline du Capitole était déjà dans l’Antiquité le centre de la ville impériale. La colline et ses édifices sont peu à peu abandonnés mais au Moyen Age le Tabularium, ancien bâtiment où étaient gardés les tablettes et les registres administratifs de l’Empire, est choisi comme siège de la commune. Au XVIe siècle, le pape Paul III (1468-1549) charge Michel-Ange de rénover totalement la place pour la visite de l’empereur Charles Quint en 1536. Le projet comprend la reconstruction des façades du palais Sénatorial et du palais des Conservateurs et la construction d’un nouveau bâtiment, le palais Neuf, ainsi que l’ajout de diverses sculptures et statues dont la statue équestre de Marc-Aurèle, une des rares statues en bronze de l’Antiquité qui soit parvenue jusqu’à nous. C’est également Michel-Ange qui conçoit l’escalier, la Cordonata Capitolina, qui plus qu’un escalier est une rampe qui donne accès à la place aussi bien à pied qu’à cheval. Les travaux durent longtemps et Michel-Ange ne verra jamais la place finie. La place du Capitole continuera au fil des siècles à connaître plusieurs modifications ; ainsi ce n’est qu’au milieu du XXe siècle qu’est réalisé le pavement en ellipse actuel.
Actuellement les palais Neuf et des Conservateurs sont des musées alors que le palais Sénatorial est le siège de la mairie de Rome.
Au palais des Conservateurs on peut mentionner la salle des Horaces et des Curiaces agrandie grâce à la restructuration de Michel-Ange et qui sert encore à de grands événements institutionnels comme la signature en 1957 du traité de Rome fondateur de la Communauté économique européenne. La salle Hannibal quant à elle est la seule qui a conservé intégralement le décor à fresque réalisé dans la première moitié du XVIe siècle. Enfin, la louve capitoline symbole de Rome est conservée au palais des Conservateurs suite au don du pape Sixte IV (1414-1484) à la ville en 1471.
Autre place emblématique de Rome : la place Navone. Cette immense place est construite sur les ruines du stade de Domitien datant du Ier siècle où se déroulaient des épreuves d’athlétisme, et dont elle conserve la forme exacte et quelques ruines. Elle est, avec sa fontaine des Quatre-fleuves et l’église Sainte Agnès-en Agone notamment, l’un des plus beaux ensembles d’architecture baroque de Rome.
La place est ornée de trois fontaines dont celle du centre dite des Quatre-fleuves qui est l’œuvre du Bernin à la demande du pape Innocent X (1574-1655). Les quatre fleuves symbolisent les quatre parties du monde connues alors : le Danube pour l’Europe, le Nil pour l’Afrique, le Gange pour l’Asie et le Rio de la Plata pour l’Amérique. L’obélisque est surmonté d’une colombe, emblème de la famille Pamphili dont est issu Innocent X. Les deux autres fontaines, plus petites, sont la fontaine de Neptune et la fontaine du Maure. L’église Sainte Agnès-en Agone doit son nom au nom antique in agones (lutte, compétition) qui se déforma en nagone puis navone ce qui donnera le nom de la place. Elle a été rénovée à la demande de Innocent X. La rénovation a été achevée par Borromini qui dessine la façade concave. C’est une des rares églises dont la nef à la forme d’une croix grecque et non latine. De l’église on accède à des souterrains où se trouvent une mosaïque et des restes du stade de Domitien.
II- Palais, châteaux et basiliques.
Les principaux papes mécènes ont été à l’origine de la restructuration urbanistique de Rome mais aussi à l’origine de la construction de certains palais et d’importants embellissements de certains bâtiments devenus les emblèmes de la capitale transalpine.
On doit le palais Farnèse à Alexandre Farnèse, futur pape Paul III qui manifeste ses prétentions dynastiques de pouvoir à travers la construction de l’un des plus grands palais de Rome. Michel-Ange conçoit la corniche qui dissimule le toit et le balcon d’honneur. A l’intérieur, la galerie Carracci présente des fresques mythologiques inspirées de la chapelle Sixtine. Depuis 1874, le palais Farnèse est le siège de l’ambassade de France et depuis 1875 également celui de l’Ecole française de Rome.
Quittons maintenant les quartiers en rive gauche du Tibre et empruntons le pont Saint-Ange qui mène au château Saint-Ange.
Le château profondément remanié du Moyen-Âge à la Renaissance se trouve sur l’ancien mausolée d’Hadrien construit vers 135 de notre ère. En 403 l’empereur Flavius Honorius inclut l’édifice dans le mur d’Aurélien et l’édifice perd sa fonction originelle de sépulture pour devenir une forteresse au-delà du Tibre assurant ainsi la défense de Rome. Le monument tire son nom actuel d’un événement ayant eu lieu en 590. Cette année-là, Rome est en proie à une grave épidémie de peste. Le pape Grégoire Ier décide d’organiser une procession dont il prend la tête. Alors qu’il est sur le pont Elio (aujourd’hui le pont Saint Ange) il a la vision de l’archange Michel remettant son épée dans son fourreau indiquant ainsi la fin proche de l’épidémie. Le fort prend alors le nom de château Saint-Ange. En 1365 le château Saint Ange, propriété de la famille Orsini, entre dans les biens de l’Eglise à la suite de l’élection de Nicolas III, issu de cette famille. Le pape Alexandre VI Borgia fait effectuer des travaux de fortification et le bâtiment devient une véritable forteresse militaire. Il fait également aménager de nouveaux appartements car il aime y résider. Le château reste une forteresse très efficace et permettra au pape Clément VII de résister six mois au siège de Charles Quint lors du sac de Rome en 1527. Conscient de l’utilité du château pour la protection des papes, Paul III fait réaliser à son tour de grandioses rénovations le transformant en véritable résidence papale en 1542. Entre 1667 et 1669, Clément IX fait placer dix anges en marbre sur le pont Elio rebaptisé en pont Saint-Ange.
Nous poursuivons notre chemin et nous arrivons au lieu le plus emblématique du catholicisme : la basilique Saint-Pierre.
En 319, l’empereur Constantin Ier ordonne la construction d’une basilique à l’emplacement de la tombe de l’apôtre Pierre, premier évêque de Rome, crucifié dans le cirque de Caligula à cet endroit précis. Au début du XVIe siècle, le pape Jules II, grand mécène des arts, décide de faire rénover cet édifice. Entre 1506 et 1626, du pape Paul II à Innocent X, des architectes et des artistes tels que Bramante, Raphaël, Michel-Ange, Maderno ou le Bernin participent à cette transformation.
La place Saint-Pierre fut agrandie et réaménagée par le Bernin en deux parties et pensée pour embrasser les visiteurs comme les bras maternels, symbolisés par les colonnades en demi-cercle cherchant ainsi à démontrer l’accueil de l’Eglise catholique. La place peut accueillir jusqu’à 300 000 fidèles.
Carlo Maderno crée la façade de la basilique ainsi que les deux fontaines de la place. La façade s’étend sur 144 mètres de longueur et l’attique est surmonté des statues du Christ et de Jean-Baptiste ainsi que des onze apôtres, celle de Pierre étant sur la place. Quant au dôme il est conçu par Michel-Ange et sera achevé par Giacomo della Porta.
L’intérieur de la basilique, à la fois sanctuaire et trésor artistique comprend 45 autels et 11 chapelles abritant des œuvres remarquables comme la statue en bronze de Saint-Pierre, le baldaquin du Bernin et la Pietà de Michel-Ange.
L’immense baldaquin du Bernin est inspiré des ciboriums présents dans de nombreuses églises de Rome visant à créer un espace sacré au-dessus et autour de l’autel, lieu où s’opère le mystère de l’eucharistie. La torsion donnée aux immenses colonnes de bronze rappelle la forme même de la colonne où Jésus fut lié avant d’être crucifié. Les quatre colonnes sont décorées de feuilles d’oliviers et d’abeilles, emblème de la famille Barberini, dont est issu le pape Urbain VIII (1574-1655) commanditaire de l’œuvre.
C’est le pape Alexandre VII qui commandite l’autel et le reliquaire de la chaire de Saint Pierre qui apparaît dans la basilique en 1666.
Renouvelant la tradition iconographique des pietàs en bois du Nord de l’Europe, Michel-Ange conçoit un corps du Christ qui repose doucement sur les jambes de Marie avec un grand naturel et dénué de la rigidité des représentations précédentes.
La chapelle Sixtine tire son nom du pape Sixte IV qui consacre la nouvelle chapelle et la dédie à Notre Dame de l’Assomption en 1480. Jules II, neveu et lointain successeur de Sixte IV, décide de redécorer la chapelle et fait pour cela appel à Michel-Ange. Le Maître peint entièrement les neuf scènes centrales qui représentent des épisodes de la Genèse dont la célèbre Création d’Adam. Ces neuf panneaux sont encadrés de ignudi, sculpturaux athlètes nus qui ont fait polémique.
En 1929, l’Etat du Vatican où se situe la basilique Saint Pierre devient un Etat indépendant dont le chef est le Pape. Au XXe siècle, Benito Mussolini fait raser un ancien quartier pour faire percer l’actuelle Via della Conciliazione qui mène à la place Saint Pierre.
La fontaine de Trevi a été immortalisée dans le film de Visconti La Dolce Vita mais on doit sa création au Pape Clément XII en 1730 pour célébrer l’aqueduc Virgo construit en 19 av.-C. Cette fontaine est autant une œuvre d’architecture que de sculpture. Il est coutume de jeter une pièce de monnaie par le bras droit et en tournant le dos à la fontaine. La rumeur dit que celui qui fait ce geste est assuré de revenir.
CONCLUSION
Au Moyen-Age central les papes jouissaient d’une grande puissance mais l’établissement de la papauté à Avignon provoque une perte d’autorité et un délabrement marqué de Rome. L’élection de Martin V marque un grand changement avec le retour des papes dans l’ancienne capitale impériale. Depuis la Renaissance plusieurs Papes ont été à l’origine de l’embellissement de Rome afin d’en faire le centre du catholicisme promu à se développer avec la colonisation de l’Amérique au XVIe siècle. Certains papes seront de grands mécènes pour Rome et doteront la ville des principales places, fontaines et édifices de la cité.
Rome, la Rome des papes attire toujours des millions de visiteurs, et le Vatican reste un lieu unique de pèlerinage pour les chrétiens.
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