LA VIE D’UN FILM DEPUIS LE SCÉNARIO JUSQU’À SA SORTIE

Thèmes: Art; Cinéma Société                                                                                                                       Conférence du mardi 20 décembre 1988

LA VIE D’UN FILM
DEPUIS LE SCÉNARIO JUSQU’À SA SORTIE

 

Par Jacques Itah, Directeur de Publicité, Relations Publiques à l’U.G.C. (Union Générale Cinématographique),

est venu nous parler du cinéma, de la vie d’un film et de son expérience cinématographique. Il a remplacé « au pied levé » Robert Mazoyer retenu par un tournage.

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Jacques Itah a d’abord parlé de la conception, puis de la naissance d’un film et, abordant la préparation et la réalisation, il a donné quelques exemples montran notamment comment un film pourrait naître d’un roman moderne dont l’exploitation n’est pas tombée dans le domaine public.

Citant « Belle du Seigneur » d’Albert Cohen, le conférencier a précisé que l’adaptation était sujet à autorisation, bien sûr, mais qu’un producteur avait déjà pu acheter les droits, et libre à lui de laisser dans l’oubli l’ouvrage dont il a acheté l’exclusivité, ou de négocier ce qui est devenu « son » bien.

Après cette question de littéraire, Jacques Itah a montré que le passage de la littérature à l’image est difficile. Il demande une adaptation. En outre, ce n’est pas parce qu’un roman a eu du succès qu’il fera un bon film ou téléfilm.

Il existe d’autres formes de création : l’adaptation de faits historiques pris dans un sens très large (films tirés de la Bible par exemple), mais pouvant aller jusqu’à l’adaptation d’un simple fait divers (Violette Nozières), ou de pièces de théâtre, les exemples de Sacha Guitry et de Marcel Pagnol venant immédiatement à l’esprit.

Outre les « adaptations », il y a bien sûr les œuvres conçues directement pour l’expression cinématographique.

Jacques Itah a ensuite développé toute la vie d’un film.

Des quelques lignes d’une idée originale, il faut bâtir un scénario. C’est un travail difficile.

H. Jeanson, J. Prévert, M. Audiard furent des scénaristes de grand talent, quelque fût le point de départ de leur création.

Généralement le scénariste est également le dialoguiste.

Quand le scénario et les dialogues sont écrits, le réalisateur cherche un producteur, c’est-à-dire la ou les personnes, ou les Sociétés, qui financeront le film. Cette vue est bien entendu schématique. Bon nombre de films naissent d’une concertation préalable entre les divers spécialistes. Sans oublier, et loin de là, le rôle des acteurs prévus ou pressentis, ou le motivant, voire le demandant.

Si pour la télévision, c’est la chaine qui achète le sujet, car celui-ci a fait l’objet d’une commande, il n’en est pas de même pour le cinéma.

Parfois un producteur accepte de financer un sujet qui ne sera pas un succès ou inversement, refuse un film qui remportera un grand succès.

Jacques Itah cite l’exemple de producteurs s’étant complètement trompés sur la valeur d’un scénario. Il raconte l’histoire de Coline Serreau, réalisatrice, qui a eu les plus grandes difficultés à trouver un producteur pour son scénario « Trois hommes et un couffin » après avoir frappé aux portes des plus grands, tels que UGC, Gaumont…

L’investissement pour un film, fut-il moyen, est très important (9 millions de francs pour « Trois hommes et un couffin »). En cas de succès, les bénéfices sont très substantiels.

L’Etat peut participer au financement par le biais de l’avance sur recette.

Très souvent, avant de commencer le tournage de son film, le producteur cherche alors un distributeur, un intermédiaire entre les producteurs et les exploitants de salles de cinéma.

Maintenant, le tournage peut commencer.

Le réalisateur ou metteur en scène doit connaître tous les rouages de la fabrication du film, de la technique, jusqu’à la direction artistique (comédiens, lumière, son, prise de vue, régie, décoration…).

On garde environ 1 à 2 minutes de film sur une journée de tournage.

Après plusieurs mois de tournage, tout est dans les boites. Il faut maintenant monter et mixer le film.

Puis intervient le travail de promotion du film en fonction de sa date de sortie (affiches, film-annonce…). Ce travail est effectué sous la responsabilité du distributeur.

Une fois le film sorti, il peut obtenir une fréquentation optimum ou être retiré de l’affiche après une ou deux semaines d’exploitation, c’est le public qui décide.

Dès la première séance de 14h 00, on sait généralement si le film aura ou non du succès, car « le bouche à oreille » intervient.

Il arrive que des films dont on attendait peu se révèlent parfois être des œuvres que tout le monde veut voir, tandis que d’autres, tournés avec de grands moyens financiers, ne bénéficient pas de l’engouement des spectateurs.

« Emmanuelle » par exemple, fut un succès immédiat et mondial. Mais « La guerre des boutons » ne se révéla qu’après un long « rodage » qui ne se fit que grâce à l’insistance d’Yves Robert et Danielle Delorme.

Jacques Itah a parlé de la crise du cinéma en notant que le spectateur allait de moins en moins dans les salles obscures pour voir le film souhaité, mais qu’il attendait souvent son passage sur les écrans de télévision.

[Notons cependant que la notion de « crise » ne doit pas être ramenée à une modification des moyens de diffusion. La découverte de l’imprimerie a peut-être entrainé une « crise » chez les copistes, mais certainement pas une « crise » de la création littéraire ni de la lecture.]

Les moyens financiers sont bien différents entre les films selon qu’il s’agit de films ou de téléfilms.

Si l’avenir du cinéma est encore incertain, Jacques Itah a raconté qu’il a vu aux U.S.A. un film d’un quart d’heure, en relief, sans lunettes spéciales. La dimension donnée alors à l’image est d’une extraordinaire densité et l’avenir est peut-être dans cette nouvelle forme d’expression.

La musique de film

Il y a de grands musiciens du cinéma : Michel Legrand, Georges Delerue ; Philippe Sarde …

Le film « Partir revenir » de Claude Lelouch, où il y a 1 h 30 de musique sur 1 h 30 d’images, a été un échec relatif.

La musique doit être au service de l’image. D’autres types de films mettent la musique en avant : les comédies musicales américaines, les opéras portés à l’écran.

Question : Qu’est devenu l’art cinématographique ?

Il y a de moins en moins de spectateurs, donc il faut essayer de tourner des films sur des sujets intéressants, et surtout attirer le public « en salle ». Peut-on oublier cependant qu’une pièce classique à la télévision touche plus de spectateurs en un soir qu’elle n’en a trouvé en trois siècles.

Les petites salles sauvent le cinéma d’auteur. Grâce à elles, les films ne disparaissent pas complètement des écrans et peuvent continuer à être exploités. Cependant depuis deux ans, les spectateurs vont de plus en plus dans les grandes salles à grand écran, et dotées des derniers perfectionnements techniques.

Question : Pourquoi toujours de plus en plus de violence et de sexe ?

Paris est la capitale du monde qui passe la plus grande variété de films. Nulle part ailleurs, y compris aux USA, il n’y a une telle richesse et une telle variété de programmation cinématographique. On peut voir des films de toutes les nationalités, en version originale et en version française, dans des petites salles et des grandes salles. En Italie, par exemple, on ne voit que des films en italien, aux USA, ce ne sont que des américains. A Paris et en France, on peut choisir « son » film. Il y a 300 salles à Paris et sa banlieue pour 10 films qui sortent par semaine.

Le spectateur a donc tout le loisir de choisir film à son goût !

Question : Qui choisit les acteurs ?

Le metteur en scène choisit les acteurs, mais il sait que le producteur aura plus de mal à monter financièrement un film sans acteur connu.

Question : La critique est-elle importante ?

Elle l’est beaucoup moins qu’au théâtre.

La presse écrite a de l’influence uniquement sur les inconditionnels du cinéma.

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Jacques Itah a terminé sa passionnante conférence en racontant des anecdotes sur les personnages rencontrés dans le milieu du cinéma.

« Plus on est génial, plus on est simple ». Chez Charlie Chaplin, John Ford et Gloria Swanson, « j’ai rencontré », nous dit-il, « une gentillesse, une intelligence, une humilité rares chez beaucoup de vedettes actuelles ».

Jacques Itah connut Charlie Chaplin en 1971. Charlie Chaplin avait bloqué ses films pendant 15 ans. On ne pouvait pas les voir dans le circuit commercial. Après quelques interventions d’amis, il donna cependant son feu vert pour la diffusion de ses films, notamment « Les temps modernes », « La ruée vers l’or », « Monsieur Verdoux », « Le dictateur » et « Limelight ». Une société, dans chaque pays, était chargée de la réédition de ses films.

Charlie Chaplin était très inquiet de l’accueil que leur réserveraient les jeunes générations. Il voulait que la France soit le premier pays à projeter ses films, car, pensait-il, si la France les appréciait, le monde entier la suivrait.

Jacques Itah travaillait à l’époque dans la société « Para France » qui avait acheté les films de Chaplin. Il fut chargé de l’accueil de ce dernier à Paris. Il organisa des projections privées à l’attention des journalistes qui apprécièrent vivement ces films.

Il raconte sa première rencontre à Londres avec Charlie Chaplin pour organiser son voyage à Paris. Charlie Chaplin ne désirait pas d’interviews, mais une simple conférence de presse. Il voulait aussi une vraie rencontre avec les professionnels du cinéma. Il vint à Paris et ce fut un triomphe inouï.

Le premier film sorti fut « Les temps modernes ». Avant de rejoindre le studio de R.T.L où Philippe Bouvard avait tout le « gratin » du cinéma, il voulut faire un crochet Boulevard Saint-Germain pour voir s’il y avait du monde devant le cinéma Publicis où se projetait « Les temps modernes ». Quel ne fut pas son étonnement quand il vit une file d’attente d’au moins 600 m. Il pleura d’émotion.

Arrivé au studio, il rencontra tous les invités, et en particulier Michel Simon. Leur rencontre témoigne de leur admiration mutuelle et fut empreinte d’une grande émotion.

En 1976, malheureusement, un grand du cinéma s’est éteint. C’était le soir de Noël …

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Gloria Swanson avait été une immense star du cinéma muet. Elle possédait une collection de Rolls, de bijoux, de maris ! …

En 1950, alors qu’elle s’était retirée du cinéma, elle fit un retour éblouissant dans le film « Boulevard du crépuscule ».

Jacques Itah nous raconte comment il la rencontra.

La cinémathèque française, en 1974, à l’occasion des 75 ans de l’actrice, voulut lui rendre hommage. On appela Jacques Itah en tant qu’attaché de Presse pour s’occuper d’elle à Paris.

« C’était », nous dit-il, « une femme superbe, pleine de vie ».

Henri Langlois, Fondateur de la Cinémathèque (1934), acheta pour cet évènement 75 gâteaux et posa 1 bougie sur chacun d’eux. Elle était ravie, et souffla ses 75 bougies.

Une autre fois, à Deauville, au cours de la projection d’un de ses films muets, elle prit un micro et doubla son personnage. On s’aperçut alors qu’elle avait une voix de chanteuse d’opéra. Elle eut une ovation de 20 minutes.

John Ford était un ami de Jacques Itah. Il avait 70 ans quand il vint en 1971 à Paris. C’était un grand farceur. Il adorait faire des blagues.

A sa descente d’avion, il fit croire qu’il ne pouvait marcher, on amena en toute hâte un fauteuil roulant.

Le lendemain, il courait sur les Champs-Elysées comme un lièvre. Il avoua à Jacques Itah qu’il avait un peu trop apprécié les alcools français durant le vol.

Il était Vice-Amiral dans la marine américaine. Lors de son passage à Paris, il fut invité à Toulon sur un porte-avions américain. Il demanda à Jacques Itah de l’accompagner jusqu’à Toulon et de l’y attendre 24 heures.

Dans la voiture, en direction du porte-avions, John Ford dit à l’oreille de Jacques Itah : « surtout quoique je dise, quoique je fasse, tu ne me contraries pas et tu me suis ».

Devant le bateau, il sortit, attrapa Jacques Itah par le bras et le fit sortir de la voiture. Il dit au Commandant qui les accueillait : « Je vous présente Monsieur Jacques Itah, représentant du gouvernement français » ! Tout le monde se mit au garde à vous.

Et les voici installés dans la salle à manger avec le commandant de bord et tous les officiers. « Pendant tout le déjeuner », nous dit Jacques Itah, « je n’ai pas cessé de répondre aux questions du style : « alors, votre Général (De Gaulle), que pense-t-il faire, compte-t-il retourner dans l’OTAN ? ». Quand John Ford voyait Jacques Itah trop embarrassé, il disait « il est tenu par le secret et « ne peut vous répondre … ».

C’était donc l’une de ses blagues.

Jacques Itah conclut sur ces mots : « L’humilité, la gentillesse, l’humour de ces trois personnes, hélas, je ne les ai pas souvent retrouvés chez nos acteurs et metteurs en scène français ».

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