Thème : Art, Société Conférence du mardi 31 MAI 2022
L’ART DANS LA PUB
Par Madame Anne AMIOT DEFONTAINE, Historienne de l’art, diplômée de l’Ecole du Louvre, guide conférencière attachée au Musée des Arts Décoratifs.
INTRODUCTION
La publicité a pour but de valoriser un produit afin de le rendre attractif et donc le vendre. Pour cela, la publicité utilise fréquemment l’art car ce dernier fait appel à notre mémoire collective et à notre sensibilité.
Dès le XIXe siècle, les liens entre l’art et la publicité se tissent comme le montre les affiches de Toulouse-Lautrec pour le Moulin Rouge.
De nos jours, les publicitaires utilisent, parodient ou détournent des œuvres d’art pour mettre en avant leurs produits. L’art permet de capter l’attention d’une vaste clientèle car la publicité fait appel à des œuvres universelles.
I – Pourquoi les entreprises se servent elles de l’art?
L’art et la publicité ont en commun de chercher à faire passer un message.
Les œuvres d’art rendent la marque plus noble et la valorisent fortement. Cette interaction permet aussi de mettre en avant une œuvre. On peut citer l’usage de l’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci qui tout en mettant en avant les valeurs de la marque « Manpower », a permis à l’œuvre de gagner en notoriété dans le monde entier.
Les œuvres touchent la sensibilité du spectateur et ce dernier réagit parfois violemment quand certaines œuvres sont détournées. Ce fut le cas avec certaines utilisations du tableau de Léonard de Vinci « La Cène« . D’ailleurs, certaines campagnes publicitaires ont été interdites comme celles de Volkswagen ou de la marque de vêtements François et Marithé Girbaud, les tribunaux jugeant que ces détournements heurtaient la sensibilité des chrétiens.
En 1905 Freud avait parlé du principe de l’épargne physique c’est-à-dire le principe de captation avec peu d’effort. L’Homme ne s’attache que s’il connaît déjà le sujet, et en retient d’autant mieux l’information. Ainsi, les références culturelles sont bien souvent aisées à saisir car il faut qu’elles permettent de flatter ceux qui ont reconnu l’allusion. De ce fait, le consommateur a un sentiment d’appartenance, de complicité : il a la sensation de bénéficier d’un message personnalisé.
Certaines marques choisissent une œuvre non pas pour son aspect esthétique mais pour son histoire. Ainsi le scandale qu’a provoqué « Le déjeuner sur l’herbe » de Manet et son côté révolutionnaire (jamais auparavant une femme n’avait été peinte nue hormis les déesses), est repris par Dior qui cherchait alors à se moderniser, à se « révolutionner » pourrait on dire. Le côté sulfureux de l’œuvre fait écho au souhait de changement d’image que Dior voulait insuffler à la marque.
Par ailleurs l’incorporation de l’art dans la publicité est aussi un élément majeur de différenciation ce qui est essentiel de nos jours car nous vivons dans une société surmédiatisée. Seul bémol, une même œuvre peut être utilisée par plusieurs marques comme ce fut le cas des tableaux de Mondrian, aussi bien modèle stylistique des robes de la collection éponyme d’Yves Saint Laurent en 1965, inspiration chromatique chez Moët et Chandon et source formelle en 1980 pour l’Oréal dans sa gamme capillaire Studio line.
Un autre exemple d’association qui utilise l’image d’un type d’art pour se l’approprier est la campagne publicitaire des jeans Levis qui a associé les techniques du street art à l’image rebelle et dynamique de son produit. Pour l’aspect esthétique la marque a repris le travail de Hokusai » La grande vague« , estampe mondialement connue. Nous avons ici une double utilisation des ressources artistiques : technique et esthétique.
II – Les différents types d’utilisation de l’art.
La publicité utilise de diverses façons l’art.
Une des méthodes utilisées est le détournement à l’identique. Un des exemples les plus représentatif est « La Laitière » de Vermeer et la marque Chambourcy. L’atmosphère de ce tableau résonne de manière très authentique et reflète les valeurs que la marque souhaite se donner. Le lien avec l’œuvre est si fort que la marque reprend jusqu’au nom du tableau pour ses produits.
Le deuxième type de détournement est celui « à la manière de « . Siemens avait utilisé ce type de détournement avec le tableau de Magritte « Ceci n’est pas une pipe » en créant une affiche où figurait un téléphone et comme légende « Ceci n’est pas un mobile ». Les œuvres surréalistes sont très utilisées car c’est un courant artistique qui permet facilement la transgression et l’anticonformisme et donc d’attirer aisément l’attention du spectateur.
Un autre type de détournement consiste à n’utiliser qu’une partie d’une œuvre. Ainsi une publicité pour le crémant Aimery n’a utilisé que la main très délicate de Saint Sébastien de la toile de Raphaël. En reproduisant ce geste, l’annonceur voulait montrer toute la finesse du produit. Dans ce cas d’utilisation partielle parfois un élément, celui que l’on veut mettre en valeur, est ajouté. Le grand magasin Le Bon Marché a « complété » le tableau de la Renaissance « Portrait présumé de Gabrielle d’Estrées et de sa sœur » en y ajoutant des jambes habillées de bas afin de promouvoir son rayon lingerie. Autre exemple, l’ajout de la bouteille d’eau de javel Lacroix au tableau « Les repasseuses » de Degas.
L’humour est un autre élément prisé par les publicitaires souvent pour des sujets dramatiques comme les campagnes de prévention du sida ou les accidents de la route.
Enfin on peut mentionner l’évocation culturelle qui ne reprend pas directement une œuvre mais recrée l’ambiance de certaines œuvres comme ce fut le cas de la marque Bonne Maman pour ses confitures en nous plongeant dans l’atmosphère des natures mortes de Chardin ou de Cézanne. Ce type de publicités peut être très subtil. Ainsi l’affiche de Lu montrant un petit Lu dont juste un petit coin avait été croqué faisait référence à l’oreille coupée de Vincent Van Gogh dans son autoportrait.
III – Utilisation de divers domaines artistiques : sculpture, architecture et cinéma.
Si les peintures sont les œuvres artistiques les plus utilisées par les publicitaires, on peut souligner que certaines publicités font référence à des films comme la publicité d’Evian et ses bébés qui étaient mis en scène comme dans les films d’Esther Williams et ses ballets aquatiques.
Parfois on fait appel à de vraies stars ou à leurs sosies comme pour une publicité d’un whisky qui copie fidèlement Ingrid Bergman dans le film Casablanca.
On peut également noter que parfois les stars de cinéma apparaissent dans une publicité sans faire référence à un film mais plutôt dans un lieu qui évoque le produit. Guerlain fait appel à Sophie Marceau qui est photographiée sur les Champs Elysées, symbole de Paris et donc du luxe à la française. Les parfumeurs sont ceux qui utilisent le plus les références à Paris (Tour Eiffel, Place Vendôme ou de la Concorde, Champs Elysées etc) qui symbolise le luxe dans le monde entier.
La sculpture est moins utilisée car moins facile d’accès. Cependant, la Statue de la Liberté est une exception. Elle est à la fois le symbole de la liberté mais aussi de New York et des Etats-Unis de manière générale. Levis s’approprie tous ces éléments pour ses jeans dans les années 1970. La célèbre statue est habillée d’un jean et on fait apparaître aussi les couleurs du drapeau américain.
Autres éléments artistiques utilisés : les fresques ou les peintures rupestres qui ont par exemple été utilisées avec humour par la vodka Smirnoff. La marque y a ajouté des objets modernes : un caddie et une bouteille de vodka sur une frise de hiéroglyphes égyptiens.
Finalement on peut souligner que les publicitaires n’utilisent pas toujours les œuvres d’art en elles-mêmes mais l’univers artistique en général : muses, outils, cadres, piédestal, atelier, etc.
IV – Dans la réalisation des publicités, les artistes peuvent être sollicités, pour eux-mêmes ou pour leur style.
Dès le XIXe siècle, de grands artistes ont collaboré à la promotion de certains produits comme le montrent les affiches publicitaires de Toulouse-Lautrec pour le Moulin Rouge. Dans les années 1930 on peut mentionner le travail de Cassandre pour les vins Nicolas. Quelques années plus tard, la même enseigne fera appel à Vasarely.
Par ailleurs, certaines grandes agences publicitaires font appel à de célèbres graphistes, concepteurs ou cinéastes dans le cas de films publicitaires. C’est pourquoi certaines campagnes publicitaires sont très onéreuses alors que l’utilisation d’œuvres anciennes qui sont tombées dans le domaine public est gratuite.
Tout désignés, certains artistes du Pop’Art comme Andy Warhol sont sollicités car ce mouvement s’est s’inspiré esthétiquement de l’art populaire et des images de la publicité (soupe Campbell ou Coca-Cola) pour les ériger en œuvres d’art.
Certaines marques font appel à de grands artistes non seulement pour leurs campagnes publicitaires mais aussi pour leur logos. En 1972, c’est Vasarely qui crée le logo de Renault .
Enfin on peut évoquer l’exemple particulier de Citroën et de Picasso dont la famille a souhaité associer la signature de l’artiste à cette marque qu’ils considéraient comme la plus innovante et donc celle qui correspondait le mieux à l’esprit créatif de l’artiste espagnol. Dans ce cas précis ce n’est pas la marque qui s’est approprié l’œuvre d’un artiste mais ce dernier, ou ici ses héritiers, qui ont voulu cette association.
CONCLUSION.
Mêler l’art et la publicité permet de véhiculer un message important de façon rapide et facile. Cette forme de promotion est donc un avantage certain pour les publicitaires qui associent ainsi une œuvre, des valeurs et un produit ou une marque. L’association œuvre-produit garantit à la marque une visibilité accrue, une plus-value d’authenticité et de créativité ; cependant, elle peut perdre aussi son originalité et son identité propre.
Par ailleurs, les publicitaires sont-ils en droit de s’approprier un artiste, ou une œuvre quitte à la dénaturer sous prétexte de gagner en visibilité? Déjà, à la mort de Victor Hugo, ses héritiers dénonçaient le détournement de l’œuvre de l’écrivain…
Les nombreux modes de diffusion aujourd’hui complètent et complexifient les questionnements.