LE MONT SAINT-MICHEL, HISTOIRE ET ARCHITECTURE DE LA MERVEILLE DE L’OCCIDENT

Thèmes: Art, Géographie, Histoire                                                                                                          Conférence du mardi 31 janvier 2023

LE MONT SAINT-MICHEL, HISTOIRE ET ARCHITECTURE DE LA MERVEILLE DE L’OCCIDENT

Par Monsieur Olivier MIGNON, guide-conférencier et auteur.

Connaissez-vous vraiment le Mont-Saint-Michel ?
Comment le Mont est-il redevenu une île ? De quand date la flèche couronnant le clocher de l’église abbatiale ? Quel était le régime alimentaire des moines ? Où menaient les « chemins du Paradis » ? Dans quelles circonstances Auguste Blanqui découvrit-il l’abbaye ? Autant d’interrogations pour autant de réponses développées au cours de cette conférence.

INTRODUCTION

Avant de devenir le Mont Saint-Michel, cet ilot de granite de 80 mètres en son sommet et situé à 500 mètres de la côte était le Mont Tombe. Sa situation et son accessibilité le rendent attractif, au début pour les religieux puis de nos jours pour les touristes. Le site est fascinant comme nous le décrit Guy de Maupassant dans sa nouvelle Le Horla : « Le soleil venait de disparaître, et sur l’horizon encore flamboyant se dessinait le profil de ce fantastique rocher qui porte sur son sommet un fantastique monument ».

L’histoire de ce rocher est longue et riche, marquée par les légendes, les guerres et le génie des architectes. Nous fêtons cette année le millénaire du début de la construction de l’abbaye romane. Le mont et sa baie sont depuis 1979 classés au patrimoine mondial de l’UNESCO.

I – Aux origines

Le Mont-Tombe se dresse dans une immense baie envahie par les plus grandes marées d’Europe. Dès le VIe siècle il sert de retraite à des moines, mais personne n’y vit encore de façon permanente. Deux petites églises sont construites, l’une dédiée à saint Etienne et l’autre à saint Symphorien.

La légende raconte qu’Aubert, l’évêque d’Avranches, aurait vu en songe l’archange saint Michel qui lui donna l’ordre de construire un édifice en son honneur. Aubert ne tient pas compte de cette apparition, alors l’Archange revient à deux reprises. L’évêque finit par obéir et fait élever sur le Mont Tombe un oratoire en l’honneur de saint Michel en 708. Cette première église dédiée à l’Archange est relativement petite, avec une capacité d’une centaine de personnes. Très vite des chanoines s’installent de façon permanente pour desservir la chapelle consacrée le 16 octobre 709. Désormais le rocher se nomme Mont Saint-Michel.

Le prénom Michel vient de l’hébreu Mikaël et signifie  » qui est comme Dieu ». Mikaël est le prince de la milice céleste et donc le chef des armées des anges qui combattent les forces du Mal. Dans le monde orthodoxe c’est l’archistratège. La tradition fait de saint Michel le peseur des âmes – la psychostasie des anciens Egyptiens – au moment du Jugement dernier. C’est donc saint Michel qui sépare les élus des damnés.

Le Mont Saint-Michel n’est pas le premier site européen dédié à l’Archange. En effet, dès le Ve siècle le culte de saint Michel s’implante dans une grotte du Monte Gargano, dans les Pouilles, au sud de l’Italie, qui devient rapidement un lieu de pèlerinage. Au VIIe siècle, la grotte-sanctuaire attira l’attention des Lombards de Bénévent qui se rendirent maîtres du Gargano et firent du saint leur protecteur. Des lieux de culte furent ainsi édifiés en Italie et à travers l’Europe à l’imitation de celui du Monte Gargano : sur des hauteurs ou au sommet de collines et de montagnes. On peut citer les sites du Puy-en-Velay, Saint Michel Mont Mercure en Vendée sur un site auparavant dédié au dieu romain, dans le Finistère mais aussi en Cornouailles en Angleterre ou dans le Kerry en Irlande.

Le Mont Saint-Michel devient très vite un lieu de pèlerinage où les fidèles cherchent à prier l’Archange afin de sauver leur âme. Le premier pèlerin connu par les textes est un moine franc nommé Bernard, qui au retour d’un voyage au Monte Gargano, à Rome et Jérusalem, y vient en pèlerinage vers 867. De nombreuses routes se forment en provenance de divers points de France et même d’Angleterre et de Belgique, elles sont appelées « chemins de Paradis ». Ce sont les miquelots -les pèlerins du Mont saint-Michel- qui les premiers choisiront un coquillage comme signe de reconnaissance avant que les jacquets -les pèlerins de Saint Jacques de Compostelle – n’optent pour la coquille saint-Jacques. Le fait que les miquelots devaient attendre la marée basse pour accéder au rocher semble faire écho au passage de Moïse à travers la Mer Rouge lors de la sortie d’Egypte des Hébreux. Une autre coïncidence, le fait que les proportions du Mont soient les mêmes que celles de l’Arche de Noé. Ainsi, de la même manière que l’Arche s’est échouée au sommet du Mont-Ararat, l’abbaye est-elle construite au sommet du rocher.

Une légende nous rapporte qu’une pèlerine enceinte se voit piégée par la montée de la marée mais que miraculeusement elle parvient à accoucher, son enfant et elle-même sont sains et saufs. Une grande croix sera édifiée à l’endroit même de la naissance et restera en place jusqu’au XVIIe siècle.

II – Le Mont Saint-Michel : mille ans d’architecture.

Alors que Aubert avait fait construire une première église en 708 où s’étaient développée une communauté de chanoines, le duc de Normandie, Richard Ier, chasse les chanoines en 966 considérés bien peu pieux et installe des moines bénédictins dans le Mont. Les moines suivent la règle de saint Benoît dont la devise est « ora et labora » –prie et travaille-, une garantie d’efficacité. Ces premiers moines sont au nombre de treize, nouvelle référence biblique avec Jésus et ses douze apôtres, et viennent de l’abbaye de Fontenelle, aujourd’hui abbaye de saint Wandrille en Seine Maritime. Peu avant l’an mille, une église préromane, Notre-Dame Sous Terre, est édifiée sous la première église. C’est une des rares églises carolingiennes de France encore existante. Le sanctuaire se transforme en une abbaye et au XIe siècle, – on retient la date de 1023 – l’église abbatiale romane fut construite sur un ensemble de cryptes au niveau de la pointe du rocher et les premiers bâtiments conventuels furent accolés à son mur nord.

Prouesse technique, audace des architectes, ambition spirituelle, l’abbaye bénédictine défie les lois de l’équilibre et offre un panorama de l’architecture religieuse médiévale de l’époque carolingienne jusqu’aux formes les plus élégantes de l’art gothique.

Une légende nous conte qu’un jour les moines bénédictins entendent un bruit dans l’abbaye. Ils cassent une partie du mur et trouvent un crâne avec un trou. Ce serait le crâne d’Aubert qui, n’obéissant pas à saint Michel, aurait eu le crane percé à l’endroit où l’Archange avait appuyé son doigt afin qu’il suive ses instructions. Légende, peut-être, mais les techniques modernes de datation ont permis de montrer que le crâne en question correspond aux dates de Saint Aubert.

L’abbaye bénédictine est une prouesse architecturale et ses innovations techniques préfigurent l’architecture gothique bien que l’abbaye soit classée comme monument roman. Au XIe siècle on connaît encore mal les diverses forces de poussées et les calculs parfois étaient erronés, ce qui oblige les bâtisseurs à faire et refaire. La prouesse technique est d’autant plus méritante au vu de la configuration du terrain. Le sommet du rocher ne mesurant que 30 mètres, les constructeurs ont dû au préalable ériger une plateforme artificielle pour supporter l’abbatiale en partie construite sur du vide !

Au XIIe siècle, les bâtiments conventuels furent agrandis à l’ouest et au sud.

Au XIIIe siècle, une donation du roi de France Philippe Auguste à la suite de la conquête de la Normandie sur Jean Sans Terre, roi d’Angleterre, permit d’entreprendre l’ensemble gothique de la Merveille : deux bâtiments de trois étages couronnés par le cloître, achevé en 1228, et le réfectoire. A cause du terrain difficile les architectes avaient dû innover en construisant le monastère en hauteur au lieu de la structure classique c’est-à-dire des salles autour d’un cloître. La Merveille reflète la structure de la société médiévale : au rez-de-chaussée l’Aumônerie pour les pauvres, au premier étage la salle des Hôtes pour les nobles et au dernier niveau le Réfectoire pour les religieux. L’Aumônerie était le lieu d’accueil et de restauration des pèlerins les plus pauvres. C’est une vaste salle de 35 mètres de long et avec le cellier qui sert à stocker les vivres, elle fait partie des salles les plus simples de la Merveille. La salle destinée aux nobles, à l’étage au-dessus est plus ouvragée et semble bien plus légère que l’aumônerie en dessous. Cette pièce est traversée par une rangée de colonnes fines et délicates; le plafond abonde en voûtes sur croisée d’ogives donnant l’impression qu’elles rayonnent dans toutes les directions. Elle a aussi de fines fenêtres et trois grandes cheminées pour cuisiner et se chauffer. Le Réfectoire était le lieu où les moines prenaient leurs repas, en silence selon la règle de saint Benoît, avec un frère qui lisait un texte sacré sur un ton monocorde. Contrairement aux deux autres étages, il n’est pas divisé par des colonnes. On trouve une série de 59 fenêtres sur les murs nord et sud. Ces fenêtres sont étroites comme des meurtrières et sont encastrées dans des niches laissant pénétrer une abondante clarté à travers une paroi en apparence fermée.

Le monastère comportait aussi un scriptorium qui sera très peu utilisé car le travail de copie des moines est lent à cause des nombreux temps de prière auxquels ils étaient soumis. Au contraire, les copistes laïcs installés près des universités récemment créées (Bologne en 1088, Oxford en 1096, Salamanque en 1218, la Sorbonne en 1257), pouvaient travailler de nombreuses heures d’affilée.

En plus des divers bâtiments religieux construits sur le Mont, on trouve peut-être dès le VIIIe siècle un village dont la population s’accroît probablement au IXe siècle suite aux raids des Vikings sur les villages voisins de la baie. La présence d’un bourg monastique est en tout cas bien établie au Xe siècle comme l’ont démontré les fouilles de l’ancien cimetière découvert en 2016 sous le pavage de la grande rue. Le Mont Saint-Michel difficile d’accès pouvait alors servir de refuge aux populations en danger. Ainsi le Mont Saint-Michel, entouré de puissantes fortifications est le seul lieu en Normandie qui ne soit jamais tombé aux mains des Anglais pendant la guerre de Cent Ans. Après la Guerre, grâce à l’affluence des pèlerins, le village prospère et prend une vocation commerciale avec des auberges et des marchands de souvenirs. Les tarifs des logements étaient déjà élevés et la grande majorité des pèlerins ne restaient au Mont qu’une seule nuit.

III – Les épreuves de la guerre de Cent Ans et l’évolution du Mont St-Michel.

Lorsque débute la guerre de Cent Ans, le Mont Saint-Michel revêt une dimension stratégique et symbolique qui entrainent sa fortification. On dresse une puissante muraille avec sept tours et trois portes. Lorsqu’en 1415 les Anglais déciment l’armée française à Azincourt, et annexent la Normandie, ils tenteront de prendre le Mont, sans succès. Cette victoire contribuera encore davantage à la légende du Mont et les pèlerins afflueront pour rendre hommage à l’archange saint Michel, devenu défenseur du royaume. Cependant, le Mont ne sort pas indemne de ces attaques et en 1421 le chœur roman de l’église s’effondre. Il sera remplacé à la fin du Moyen-Âge par un chœur gothique flamboyant.

Sous François Ier, l’abbaye est placée sous le régime de la commende, c’est-à-dire que le nouvel abbé n’est plus nommé par les moines mais par le Roi en personne. L’absence et le manque d’intérêt des nouveaux abbés pour la plupart laïcs entrainent la décadence du monastère. Le Mont perd donc son intérêt religieux et les pèlerins se raréfient.

Les Rois de France vont commencer à utiliser le Mont comme prison et le Mont gagne son surnom de « Bastille des mers ». Ainsi Louis XI en fait une prison d’Etat, destinée aux religieux et aux exilés. Lors de sa visite en 1472, il y fait apporter une « fillette », cage en bois et fer de trois mètres de côté, suspendue en l’air, destinée aux prisonniers.  La Révolution chasse les derniers religieux et libère les prisonniers de la monarchie mais bientôt elle envoie au Mont des prêtres réfractaires ou constitutionnels, des chouans et des condamnés de droit commun. Napoléon Ier et Louis XVIII en font une maison de force, humide et glaciale, pour les condamnés (hommes et femmes) aux travaux forcés. On compte alors jusqu’à 600 détenus dans l’abbaye transformée pour les accueillir.

Le Mont ne perd définitivement son rôle de prison qu’en 1863. Il est dans un état pitoyable notamment à cause de nombreux incendies dont ceux de 1776 et 1834 dans l’église abbatiale. L’administration pénitentiaire, peu soucieuse du respect des bâtiments, a implanté des ateliers de filature du coton, de cordonnerie et de fabrication de chapeaux de paille là où le volume le permettait. La nef de l’église était alors divisée en deux par un plancher pour accueillir le réfectoire des prisonniers au rez-de-chaussée et la fabrique de chapeaux au premier tandis que les chapelles rayonnantes du chœur de l’église servaient d’ateliers de cordonnerie.

La lente renaissance du Mont Saint-Michel commence en 1874 lorsqu’il est classé Monument Historique et que le président Mac Mahon décrète son relèvement. D’importants travaux de rénovation sont entrepris à la fin du XIXe siècle, et une digue-route construite en 1879 relie le continent au Mont, facilitant ainsi l’accès des visiteurs.

La célèbre statue de l’archange Saint Michel terrassant le dragon, sculptée par Emmanuel Frémiet, à qui l’on doit aussi une statue de Jeanne d’Arc à Paris, est posée en 1897 sur la flèche de l’abbaye. On peut signaler deux détails concernant cette statue : d’une part, le modèle en est une femme et d’autre part, une erreur du sculpteur qui a représenté l’archange avec le fourreau de son épée à droite, c’est-à-dire du côté de la main qui tient l’épée.

Le culte est restauré dans l’abbatiale avec des moines bénédictins en 1969 et depuis 2001 ce sont les frères et les sœurs des Fraternités Monastiques de Jérusalem qui occupent l’abbaye et assurent une présence religieuse permanente au Mont.

Le village perdure lui aussi et la commune compte actuellement 29 habitants. L’activité économique est basée sur le tourisme.

Le Mont Saint-Michel est en province le premier site le plus visité de France et durant l’Occupation allemande, 350 000 soldats en permission visitent le Mont. Au XXIe siècle, quelque trois millions de visiteurs par an se rendent sur ce lieu unique en Occident.

CONCLUSION

L’histoire du Mont Saint-Michel n’est pas terminée et le site subit des travaux régulièrement. Le changement le plus spectaculaire est la disparition de la digue-route remplacée en 2015 par un pont-passerelle, interdit aux voitures des particuliers, qui permet de préserver le caractère maritime du Mont. Le parking a disparu et les voitures restent dans les aires de stationnement aménagés sur les polders à trois kilomètres du rocher. Des navettes sont mises en place.

On peut ajouter que le Mont Saint-Michel est aussi présent dans la littérature avec des ouvrages comme La fée des grèves de Paul Féval ou Le Horla de Guy de Maupassant, dans la peinture avec les manuscrits enluminés du Moyen-Âge dont celles du Très riches heures du Duc de Berry), au cinéma avec L’incorrigible de Broca, ou encore Tout pour être heureux de Gelblat, à la télévision (L’ombre du Mont-Saint-Michel, téléfilm français) et dans divers jeux vidéos.

Le Mont Saint-Michel fascine depuis plus de mille ans et continuera longtemps à fasciner.

Ouvrages d’Olivier Mignon :

Le guide secret du Mont-Saint-Michel, Editions Ouest-France

Le Mont-Saint-Michel, la baie, le village et l’abbaye, Itinéraires de découvertes, Editions Ouest-France

Le Mont-Saint-Michel dévoilé, Hachette

Le Mont-Saint-Michel en questions, Editions Ouest-France

 

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