Thèmes: Art, Histoire, Société Visite du mercredi 13 janvier 1993
Mercredi 13 janvier, une cinquantaine d’adhérents du C.D.I. ont visité le musée Rodin.
Le Musée Rodin est installé dans un des hôtels de la rue de Varenne, l’Hôtel Biron. Il regroupe les œuvres et leurs études, ainsi que les collections personnelles léguées à la France par Auguste Rodin.
Le Musée Rodin de Meudon, quant à lui, abrite la plupart des ébauches, des maquettes et des esquisses qui expliquent la genèse des œuvres présentées à Paris et éclairent la méthode de travail de l’artiste.
Auguste Rodin –
Né le 12 novembre 1840, soit dix-huit ans après Baudelaire, dans une triste mansarde de la rue de l’Arbalète, Auguste Rodin fréquente jusqu’à l’âge de dix ans, l’École des Frères de la Doctrine Chrétienne, où, médiocre sujet, il dessine déjà, s’amusant à copier des gravures sur les journaux récupérés chez l’épicier du quartier.
Myope, handicapé dès l’école par une mauvaise vue qui l’empêche de suivre au tableau noir les leçons des maîtres, n’ayant reçu comme instruction que celle de ses très jeunes années, Rodin aura pour vocation ce don inné, instinctif, inexplicable pour le dessin.
À 14 ans, il entre à la « petite école » des beaux-arts (École des Arts Décoratifs). Cette école formait les artisans plutôt que les artistes, les ornementistes, les tailleurs de pierre, les décorateurs.
Rodin assiste aux cours de Horace Lecoq de Boisbaudran, l’après-midi il se rend au Louvre pour y dessiner des sculptures et le soir il suit encore un cours de dessin gratuit à la Manufacture des Gobelins. II gagnera sa vie comme tâcheron, modèlera des figurines pour des cheminées, travaillera pour des orfèvres ou des décorateurs.
À 23 ans, en 1863, l’année du Salon des Refusés et du scandale du « Déjeuner sur l’herbe » de Manet, il loue son premier atelier rue Lebrun, moule le « Buste du père » et participe aux décorations de l’hôtel de la Païva, sur les Champs-Élysées.
Une compagne, Rose, fille de vignerons, ouvrière en confection, s’installe à ses côtés dès 1864 et sera souvent son modèle. Elle lui donne un fils — que Rodin ne reconnaîtra jamais. Rodin épousera Rose en 1917, l’année de leur mort commune.
Conspué au Salon de 1877 où « L’âge d’airain », sa première œuvre exposée fit scandale, ignoré aux salons de 1878 et 1879 où « L’homme au nez cassé » et le « Saint-Jean Baptiste » passent à peu près inaperçus, ce n’est qu’après 1880 que Rodin va sortir de son isolement : le ministre Antonin Proust, les écrivains Daudet, Mirbeau, Claudel et le critique Roger Marx, aideront l’homme de quarante ans à franchir la porte de la célébrité.
Rodin vivra seize années d’amour, à la fois charnel et intellectuel avec Camille Claudel, dans la communion de leur art, qui de la rencontre de 1882 — Camille a 18 ans, Rodin 42 — à la rupture de 1898, s’achèvent sur la folie de Camille. Internée en 1913, elle demeurera dans son asile jusqu’à sa mort en 1943.
Installé dans la gloire après son exposition de 1900, vivant à I’Hôtel Biron comme une star que viennent visiter d’autres stars, d’autres rois — Edouard VII, Isadora Duncan — sous la houlette de l’une des dernières muses, la duchesse de Choiseul, il ira s’éteindre lentement, comme indifférent à son destin.
Son œuvre –
Lors d’un séjour à Rome, il a la révélation de Donatello et de Michel-Ange. Au salon de 1874, « L’âge d’airain » fut très remarqué, mais en 1879, avec « Saint-Jean Baptiste », son talent s’impose à l »unanimité.
« La Porte de l’Enfer » :
Ayant reçu la commande d’une porte monumentale pour le Musée des Arts Décoratifs, il tire de Dante le thème de « La porte de l’enfer » et s’inspire des maîtres de la Renaissance. Il travaille à cette œuvre jusqu’à la fin de sa vie, avec de longues interruptions pendant lesquelles il se consacre à d’autres tâches, car il n’est pas dans sa nature d’achever une œuvre avant d’en entreprendre une autre.
Dans ses premiers projets, Rodin s’inspire des portes de bronze de la Renaissance italienne, en particulier de la Porte du Paradis de Ghiberti à Florence, avec ses vantaux divisés en panneaux géométriques. Il s’en éloigne rapidement pour s’orienter vers un décor foisonnant et débordant du cadre architectural. L’ensemble évoque les tourments de l’enfer.
Les formes mèlées, parmi lesquelles un squelette, surmontées d’une frise de petites têtes coupées évoquent le climat morbide des danses macabres médiévales et imposent le thème de la mort. Les formes humaines courbées, déformées, y étouffent dans le cadre qui les emprisonne et contribuent à créer un effet de souffrance. Les vantaux de la porte se peuplent de quelque cent cinquante figures unies les unes aux autres par des attitudes d’une audace et d’une liberté inconnues jusqu’alors. Les grandes figures d’Adam et Eve ajoutent au pathétique.
Œuvre sans précédent, ni suite, « La Porte de l’Enfer » appartient à l’Art Nouveau, très en avance sur son temps.
L’une des dernières occupations de Rodin sera la direction du montage de l’ensemble de la Porte, mais il n’en verra jamais la fonte en bronze.
Pendant cette période, il réalise « Les Océanides », « Le penseur », « Le baiser’ et en 1884 il entreprend le groupe monumental des « Bourgeois de Calais ».
« Les Bourgeois de Calais » :
Ce monument est l’une des réalisations majeures de Rodin, commandé en 1884 par la ville de Calais afin d’évoquer l’épisode fameux de la guerre de Cent Ans raconté par le chroniqueur Froissart, où la cité assiégée par Édouard III d’Angleterre est épargnée en échange du sacrifice de six notables qui se rendent pieds nus, en chemise et la corde au cou pour être pendus et ne doivent leur salut qu’à l’intervention de la reine Philippa de Hainaut.
Dans une première maquette, Rodin réalise un groupe cohérent de six personnages de même taille qui représentent une notion de sacrifice.
Cette maquette est suivie d’une seconde qui étudie chacun des protagonistes dans son approche personnelle de la mort : courage, détermination, résignation, désespoir sont exprimés par ces Bourgeois vêtus de la robe des condamnés.
Dans l’œuvre définitive, le caractère dramatique des personnages est accentué, dans les visages aux yeux creusés, aux rides profondes et dans l’agencement complexe des vêtements. La présentation au ras du sol renforce l’idée de marche vers le supplice des otages.
Rodin exécute, en 1887, le monument dédié au peintre Bastien-Lepage à Damvillers et remporte en 1889 le concours restreint ouvert pour le monument à Claude Lorrain, inauguré en 1892 à Nancy par le Président de la République Sadi Carnot. Cette année 1889 est aussi celle de la commande nationale du monument à Victor Hugo, destiné au Panthéon mais qui n’y figurera jamais et aboutira à une seconde statue, installée dans les jardins du Palais-Royal.
En 1891, il reçoit de la Société des Gens de Lettres, et grâce à Émile Zola qui la préside alors, la commande d’une statue de Balzac. L’œuvre en plâtre jugée scandaleuse est refusée, elle avait suscité l’hostilité d’un public déconcerté par l’effigie d’un homme célèbre dans laquelle la ressemblance physique et l’imitation du réel font place à une création provocante et visionnaire.
Avec cette statue, Rodin rejette totalement les formules par lesquelles son temps honorait les grands hommes. Insistant sur la vie intérieure, il campe son personnage dans une attitude fière et l’enveloppe d’un vêtement mal défini qui laisse toute son importance au visage creusé, expression du génie créateur. Par son audace, « Balzac » est la source de la sculpture du XXème siècle.
Le dernier monument public réalisé par Rodin, entre 1894 et 1899, est celui, à Buenos-Aires, du président Sarmiento, chef de l’État et organisateur de l’enseignement public en Argentine.
Outre les grandes commandes officielles, il réalisa de nombreux bustes et travailla à des groupes ou figures ayant pour sujet des thèmes mythologiques ou allégoriques.
Il possédait une connaissance approfondie de l’anatomie humaine. Le corps devenait chez lui porteur de passion, d’énergie et de sensualité. I] suggérait le mouvement par de puissantes lignes de force, créant un effet de tension et d’élan par la direction du geste. Il recourait parfois à certaines déformations anatomiques et cherchait des mouvements audacieux, des poses inédites.
Dans le marbre, il préférait donner un aspect lisse, poli à la surface, créant une impression de souplesse et de fluidité par un mouvement d’ensemble fondu.
Dans les dix dernières années de sa vie, il pratique la sculpture de petit format — portraits et mouvements de danse — et se consacre surtout au dessin par lequel il exalte le corps féminin.
Il n’eut pas d’héritier car ses élèves cherchèrent à réagir contre son style, mais il a annoncé, dans une certaine mesure, l’expressionnisme, en donnant un caractère puissant à la masse, en procédant à des déformations subjectives.
LE MUSÉE RODIN
Le musée est situé dans l’hôtel Biron dont l’élégante architecture du 18ème siècle se dresse au milieu d’un ravissant jardin.
Le quartier qui s’étend du boulevard des Invalides au boulevard Saint-Germain connaît une grande vogue au 18ème siècle. C’est en effet dans le faubourg que seigneurs et financiers font construire de majestueux hôtels qui donnent aux rues une physionomie si particulière (Hôtel de Noirmoutiers, Hôtel de Bouteiller, Hôtel de Villeroy, Hôtel Matignon, résidence du Premier ministre).
L’hôtel Biron –
L’édifice et son délicieux jardin permettent de découvrir les œuvres du sculpteur Auguste Rodin dans le cadre d’une grande demeure du Faubourg.
En 1728, Peyrenc, ancien perruquier, commande à Gabriel (le frère) l’hôtel de la rue de Varenne qui devient ensuite propriété de la duchesse du Maine (épouse du second enfant de Louis XIV et de Madame de Montespan), puis du Maréchal de Biron. Après avoir été Légation du Saint Siège, Ambassade de Russie, Couvent du Sacré-Coeur de Jésus, l’hôtel devient Bien de l’État qui le met à la disposition des artistes.
Isadora Duncan, Matisse, de Max, Jean Cocteau vécurent ici et Auguste Rodin eut la jouissance des lieux de 1908 à sa mort en 1917, en échange de ses œuvres et de ses collections. L’hôtel devient alors musée et voit en 1927 ses jardins à l’anglaise remis en état.
Auguste Rodin –
Né à Paris en 1840 et mort à Meudon en 1917, il était d’origine humble. Ayant manifesté très tôt un goût assez vif pour le dessin, il entre à l’École de Dessin et de Mathématiques puis se présente trois fois à l’École Nationale des Beaux-Arts où il est refusé.
Il exerce différents métiers (ornementiste, mouleur, ciseleur, etc.). Ensuite il se fait admettre chez les Eudistes de la rue Saint-Jacques et porte la soutane pendant cinq à six mois.
Peu après sa sortie du couvent il rencontre Rose Beuret, son premier modèle, qu’il épousera seulement vers la fin de son existence.
Rodin rencontre Carrier-Belleuse qui devient l’un de ses maîtres, puis il entre à la Manufacture Nationale de Sèvres dans l’atelier de ce dernier.
Après sept années passées en Belgique et un voyage à Rome et à Florence où il découvre Michel-Ange, il produit son premier chef-d’œuvre « L’Âge d’Airain ».
En 1879, il réalise le « Saint-Jean-Baptiste » et de 1880 à 1885, travaille sur un projet monumental qui ne fut jamais achevé « La Porte de l’Enfer ». Il exécute une grande série de bustes, crée des œuvres importantes telles « Le Baiser », « La Cathédrale », « Le Penseur » et surtout ce majestueux ensemble des « Bourgeois de Calais ».
Rodin travaille maintenant avec ses élèves dans son célèbre atelier de Meudon. À partir de 1900, il devient une gloire nationale et s’installe en 1907 à l’Hôtel Biron.
Sa production est abondante. Ses œuvres sont exposées dans un grand nombre de musées du monde. Réalisées essentiellement en bronze et en marbre blanc, les sculptures de Rodin frappent par la force de l’expression et la puissance contenue.
Dans le musée figurent quelques sculptures de Camille Claudel qui fut élève de Rodin. La liaison amoureuse de ce dernier avec Camille fit grand bruit à l’époque. Une passion extraordinaire réunit ces deux êtres animés du même idéal, toutefois des divergences devaient les séparer par la suite.
Pierre Muller