Thème : ARTS, Peinture Conférence du Mardi 5 Janvier 2010
Par Josette Minoret-Gibert – Avocat honoraire
Épiphanie
Donc, Balthazar, Melchior et Gaspar, les Rois Mages,
Chargés de nefs d’argent, de vermeil et d’émaux
Et suivis d’un très long cortège de chameaux,
S’avancent, tels qu’ils sont dans les vieilles images.
De l’Orient lointain, ils portent leurs hommages
Aux pieds du fils de Dieu, né pour guérir les maux
Que souffrent ici-bas l’homme et les animaux ;
Un page noir soutient leurs robes à ramages.
Sur le seuil de l’étable où veille saint Joseph,
Ils ôtent humblement la couronne du chef
Pour saluer l’Enfant qui rit et les admire.
C’est ainsi qu’autrefois, sous Augustus Caesar,
Sont venus, présentant l’or, l’encens et la myrrhe,
Les Rois Mages Gaspar, Melchior et Balthazar.
Comme en témoigne ce poème de José-Maria de Heredia qui évoque les « vieilles images » des rois mages, nombre d’artistes ont été marqués par l’iconographie de l’Epiphanie. Cet événement biblique fut une source d’inspiration tout au long de l’histoire de l’art, aussi bien dans l’art chrétien que dans l’art byzantin, des débuts du christianisme jusqu’à nos jours. Il subsiste quelques vestiges de l’art paléochrétien : les plus anciennes représentations de l’Epiphanie datent de la fin du IIIe siècle, et se trouvent dans les catacombes de Priscille à Rome.
Lorsque l’empereur Constantin s’est converti au christianisme dans les derniers mois de sa vie, l’art chrétien a pu enfin se montrer au grand jour. Le VIIIe siècle a ensuite été marqué par la période iconoclaste et l’interdiction des images. Quand le culte des images fut rétabli, au milieu du IXe siècle, les représentations ont eu un caractère hiératique et toute volonté illusionniste fut bannie. Dans l’art byzantin, aucune fantaisie n’était autorisée, il fallait s’en tenir à la reproduction de représentations passées. L’Occident n’a jamais connu la même permanence que l’art byzantin.
En Occident, l’art gothique s’est substitué à l’art roman à partir du XIe siècle. Les peintres ont renoncé à toute représentation de l’espace et se sont limités à décorer les objets de piété. Lorsque l’Europe s’est couverte d’un blanc manteau d’églises, l’art devint monumental, il fut incorporé directement au monument. On retrouve ainsi des représentations de l’Epiphanie (les mages endormis) sur le chapiteau de la cathédrale d’Autun, mais aussi à Vézelay, sur les vitraux de la basilique de Saint-Denis ou dans le cloître du chœur de la cathédrale Notre-Dame.
Une révolution picturale
Mais, à partir de 1305, Giotto entame une révolution qui débouchera un siècle plus tard à la Renaissance. Il cherche à faire une imitation de la nature en représentant la profondeur et les perspectives naturelles grâce à des jeux d’ombres profondes.
Cette tendance à l’unicité de l’art se développe à l’époque du Trenceto (XIVe siècle) à Sienne. Chez Lorenzo Monaco, on observe un souci du détail et du raffinement rarement vus jusqu’alors. Quand il peint la visite des rois mages à l’enfant Jésus, il réussit à mêler aussi bien les styles byzantin, gothique et moderne. Gentile da Fabriano, lui, compose une scène narrative, marquée par le réalisme des détails, avec une puissance qui réside dans les regards. Puis, avec l’avènement de la Renaissance, une nouvelle forme d’art apparaît. La peinture devient illusionniste, et le restera pendant cinq cents ans et l’arrivée de l’art abstrait. Masaccio, grand peintre du début de la Renaissance, révolutionne la peinture en introduisant les notions de perspective, de lumière et de mouvement. Pour la première fois, l’ombre est présentée. Il est suivi par Botticelli, dont les personnages sont présentés « en relief ». Toute cette génération de peintres marque alors une prédisposition pour les compositions architectoniques – on ouvre la perspective avec un paysage – le lyrisme des attitudes, la subtilité de la composition. C’est l’époque du symbolisme, avec notamment Fra Angelico qui met en avant la relation entre les personnages.
De l’autre côté des Alpes, les artistes du nord de l’Europe recherchent également un art plus vivant, notamment les Flamands tels que Memling ou Van der Weyden. Le XVIIe siècle allemand mêle réalisme et imaginaire. La représentation de l’Epiphanie par Jérôme Bosch exprime toute la rigueur de l’époque. Alors que les peintres italiens mettent en avant la mise en scène, les peintres du nord accordent le plus grand soin aux détails tels que les tissus, les bijoux, les broderies.
Le début du XVIe siècle en Italie marque l’âge d’or de la Renaissance. Leonard de Vinci, dans une œuvre inachevée, transforme la scène de la visite des rois mages en Epiphanie de l’humanité entière. Chez Raphael, la scène est lumineuse, d’une grande clarté. A chaque fois, les peintres de la Renaissance montrent les personnages avec les habits de leur époque, comme si on représentait aujourd’hui les rois mages en jean.
Pendant ce temps, l’Europe du nord souffre de la Réforme et de la volonté iconoclaste de Protestants. Mais la réforme appellera une contre-réforme. Les peintres du nord vont parfois en rajouter dans la trivialité : on voit des chiens, du désordre sur le carrelage… Le Saint Concile décide d’interdire dans les églises toute image non approuvée au préalable par un évêque. Cette décision aura une conséquence sur l’art religieux qui avait été, jusque là, un art total (portrait, nature morte, composition architectonique…). Dès lors, on voit se détacher de l’art religieux une partie de ces styles secondaires.
Le XVIIe siècle marque un vif contraste par rapport au passé avec l’élimination des accessoires et des décors. L’austérité des décors et des personnages sera magnifiée par l’art baroque, que ce soit chez Rembrandt et Rubens, ou encore chez Velasquez – qui réduit la scène de l’Epiphanie à l’essentiel – et Zurbaran. Le XVIIIe siècle ne sera pas marqué par de œuvres majeures. Au XIXe siècle, on ne parle plus vraiment d’art chrétien mais d’artistes chrétiens, comme Gustave Doré qui réalise une sublime gravure des rois mages guidés par l’étoile. Au XXe siècle, l’Epiphanie n’est pas représentée par les peintres abstraits, car il s’agit d’un événement particulièrement situé dans l’espace et le temps.
Mais qui sont ces rois mages ?
La visite des rois mages n’est évoquée que dans l’évangile de Matthieu mais on n’y trouve aucune indication qu’il s’agit de rois, ni de leur nombre ou de leur nom. Suivant une étoile, « ils entrèrent dans la maison, trouvèrent l’enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils l’adorèrent ; puis, ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent des présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe ». L’église développera la scène dans des apocryphes ultérieurs. La notion de mages ayant une connotation péjorative (qui signifie magicien), on choisit de rehausser la stature de ces adorateurs en leur associant le terme de « rois ». Les bonnets phrygiens qu’arborent les mages dans les premières représentations (notamment celle à la basilique Saint-Apollinaire de Ravenne, qui date de 600) sont remplacés par des couronnes (ou, parfois, par des turbans). Au XVIIIe siècle italien, ils se parent de vêtements somptueux et sont accompagnés par une cour. Bien que leur nombre ne fut pas spécifié par Matthieu, on opta pour trois rois mages car on sait que trois cadeaux furent apportés à Jésus. De plus, ils symbolisaient les trois continents alors connus. Gaspard, aux traits asiatiques, offre l’encens ; Melchior, un patriarche blanc, offre l’or ; et Balthazar, à la peau noire, la myrrhe. L’idée que l’un des rois est de type maure s’impose définitivement à partir du XIVe siècle.
Les représentations des rois mages aborde tout le cycle narratif : l’étoile qu’ils suivent, le moment où ils se rejoignent avant de se rendre ensemble à Bethléem, ils sont tantôt à dos de chameau (supposés être plus rapides que les chevaux) ou accompagnés d’anges. Certains artistes représentent la scène de la nativité dans une grotte mais le plus souvent elle se déroule dans une cabane. La représentation de la génuflexion devant Jésus est propre à l’Occident. Après l’avoir quitté, les rois mages passent la nuit dans une hôtellerie de Bethléem (comme évoqué sur le chapiteau de la cathédrale d’Autun) où ils reçoivent la visite d’un ange leur enjoignant de ne pas retourner auprès d’Hérode. Les autres personnages ont un rôle essentiel : la Vierge, qui apparaît souvent comme la figure maternelle ; l’enfant Jésus qui tantôt joue avec les présents ou béni les rois ; Joseph, qui est soit un intrus, ou occupé à des tâches domestiques, ou encore présenté sous la forme d’un usurier ; les témoins sont toujours représentés car ils ont rôle capital, ce sont eux qui vont annoncer aux non-juifs la naissance de Jésus le Messie et l’adoration des rois ; l’âne (symbole de l’Ancien Testament) et le bœuf (le Nouveau Testament) seront toujours représentés jusqu’au XVIIe siècle. L’Epiphanie de Van der Weyden réussit à regrouper plusieurs thèmes à la fois, en privilégiant le rendu des matières et le soin du détail. Et il s’y trouve un petit détail assez surprenant et tout à fait anachronique : un crucifix. Et c’est cet anachronisme qui nous projette dans l’intemporalité.
Le thème de l’Epiphanie a inspiré profusion d’images, de la plus théâtrale à la plus rustique, de la plus somptueuse à la plus dépouillée. Comment mieux conclure qu’avec ces mots de Dostoïevski : « la beauté sauvera le monde ».
En savoir plus …
Coté livres :
Louange et veille : Homélies pour le temps de Noël et de l’Epiphanie
Auteur : Michel Corbin
Éditeur : Cerf (5 novembre 2009)
ISBN-10: 2204088145
Coté Web :
http://www.1000questions.net/fr/Noel/qui_sont_les_rois_mages.html
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