Thème : ARTS – HISTOIRE Mardi 17 janvier 2006
Par Patrick JEAN-BAPTISTE
En 2002, un ossuaire orné d’une inscription : « Jacques, fils de Joseph et frère de Jésus » est découvert à Jérusalem. Cet ossuaire est censé avoir contenu les restes de l’apôtre Jacques. Cette découverte est capitale car c’est la première preuve archéologique de l’existence de Jésus Christ – on connaît son existence par les textes mais ces textes sont relativement tardifs et ne sont pas des traces archéologiques – mais surtout car elle révèle la fraternité de Jésus et de Jacques le Juste. La thèse comme quoi Marie n’était pas restée vierge toute sa vie était admise par une partie du monde chrétien (orthodoxes…) mais refusée catégoriquement par l’église catholique romaine. Elle a donc très mal réagi à la publication de l’article scientifique d’André Lemerre portant sur cette découverte dans une revue d’archéologie. Très vite, il y a eu une levée de barrages.
Un mois seulement après cette publication, différents sites internet spécialisés ont remis en cause l’authenticité de cette relique, affirmant que c’était un faux. L’inscription « Jacques fils de Joseph » précède le « frère de Jésus », qui est « graphié » de façon différente. Les historiens ont souligné que cette mention « frère de Jésus » avait dû être rajoutée. Mais pour les scientifiques, la patine qui recouvre l’inscription semblait authentique. Il y a eu une bataille d’experts autour de certains éléments de cet ossuaire. La polémique s’est amplifiée pendant plusieurs mois, accentuée par la découverte, en janvier 2003, d’une autre relique.
Un réseau de faussaires ?
Cette relique est peut-être encore plus importante que l’ossuaire puisqu’il s’agit d’une tablette noire commémorative qui remonterait au 8e siècle avant notre ère. Cette tablette commémore des travaux faits au Temple de Salomon à l’époque du roi Joas et confirme des écrits de l’Ancien Testament. Fait incroyable, le propriétaire de cette tablette, Oded Golan, est également le propriétaire de l’ossuaire. D’abord authentifiée, la tablette est rattrapée par les doutes entourant l’ossuaire. Un universitaire déclare, en mars 2003 que cette relique est également un faux. Il y aurait un anachronisme dans le texte de la tablette.
Pendant ce temps-là, une unité de police spécialisée de lutte contre le pillage archéologique mène l’enquête. Il faut savoir que 80 à 90% des pièces archéologiques proviennent du pillage, et non de fouilles référencées. Les enquêteurs estiment que ces deux reliques sont la partie immergée d’un vaste réseau de pièces très connues suspectées d’être des faux, notamment une grenade d’ivoire remontant soi-disant au Temple de Salomon. De plus en plus de faux sont mis au jour. A tel point qu’une instruction judiciaire est ouverte en Israël sur la personne d’Oded Golan et d’autres collectionneurs, qui sont mis en examen fin 2004. Le procès, qui a débuté en novembre 2005, devrait durer deux ou trois ans.
Suite à l’annonce de tous ces faux, à partir d’avril 2003, un comité d’expert est mis en place pour essayer de dater les différentes pièces. Il conclut que l’ossuaire de Jacques et la tablette de Joas sont des faux. Mais un des membres de ce comité m’a ensuite dit : « L’inscription de l’ossuaire est peut-être douteuse mais je n’irai pas parier pour dire qu’elle est fausse. » En fait, il a subi des pressions au sein de ce comité pour affirmer qu’il s’agissait bien de faux. Concernant la tablette de Joas, il semble peu probable qu’un faussaire puisse concevoir un tel texte, aussi long et dans un style aussi ancien, sans erreur. J’ai appris que cet objet n’avait pas été saisi par hasard chez Oded Golan mais avait passé un an et demi chez les experts du musée national (l’équivalent israélien du Louvre) avant de finir dans les caves de la police. Plutôt bizarre… Un jour, dans les réserves de la police, on m’a montré ce qui avait été saisi chez Oded Golan en mars 2003 pour me convaincre qu’il est bien un faussaire : beaucoup de matériel, de la terre… Le problème portait surtout sur une petite empreinte en moule permettant de fabriquer de petites statuettes semblables à celles qu’on trouve au Louvre. Pour la police, le vrai faussaire serait un Egyptien que Golan avait hébergé. Mais dans toute cette histoire, rien n’est tout blanc ni tout noir.
Une dimension politique
Quelles sont les conséquences de cette affaire ? Elle est désastreuse pour la crédibilité de toute l’archéologie biblique. On a jeté un voile d’opprobre sur ce domaine de recherche. Si la plupart des inscriptions sont désormais jugées suspectes (environ un tiers d’entre elles), les travaux très précis sur la grammaire jusqu’au 5e siècle de notre ère sont désormais sujet à caution. Les universitaires en sont furieux. Cette affaire jette le doute également sur l’archéologie israélienne qui est pourtant une des régions du monde les plus intéressantes en matière de découvertes archéologiques.
Derrière cette affaire qui relève du droit commun se cache une dimension plus politique, pour la stèle de Joas notamment. Cet objet relatif au Temple se Salomon aurait été découvert sur l’esplanade des Mosquées, un endroit dont les Israéliens et les Palestiniens se disputent – et se disputeront encore longtemps – la souveraineté. Si on montre que cet objet provient de cet endroit et qu’on a laissé faire ce pillage au vu et au su de tous, cela peut avoir des conséquences politiques très graves. De là à imaginer qu’on ait préféré faire passer un vrai pour un faux pour éviter le scandale…
Heureusement, dans cette marée de faux, on a retrouvé des objets tout à fait authentiques, comme une stèle portant l’inscription portant la mention « Maison de David » ou des sceaux évoquant différents rois d’Israël.
L’archéologie biblique aujourd’hui, c’est un gros scandale qui fait encore des vagues, mais aussi des dizaines de travaux passionnants.
En savoir plus …
Coté Livres :
L’affaire des fausses reliques
Patrick Jean-Baptiste
Editeur : Albin Michel
ISBN-10: 2226158723
http://www.amazon.fr/Laffaire-fausses-reliques-Patrick-Jean-Baptiste/dp/2226158723
http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article1304
Coté Web :
http://www.webnietzsche.fr/reliques.htm
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