Thèmes: Arts, Economie, Sciences, Société Conférence du mardi 14 mai 2019.
Par Monsieur Michel TRIBALLEAU, diplômé de HEC, membre de l’Association des Amis de Le Corbusier.
INTRODUCTION.
L’architecture montre à l’homme sa capacité à habiter le monde, c’est à ce titre le premier des arts majeurs. Le Corbusier a marqué par ses œuvres et sa philosophie cet art. Né en Suisse et plus tard naturalisé français, il n’a pas de formation d’architecte et sa carte d’identité mentionne comme profession « homme de lettres ». Mais il est aussi urbaniste, décorateur, peintre et sculpteur. Dès la première guerre mondiale il lance le mouvement du purisme et établit une théorie basée sur cinq points. Afin de faciliter la reconstruction après-guerre, il travaille à « l’industrialisation de l’architecture ».
I – Quelques données biographiques.
De son vrai nom Charles Edouard Jeanneret-Gris, Le Corbusier est né dans le Jura suisse à La Chaux-de-Fonds le 6 octobre 1887 ; il meurt à Roquebrune-Cap-Martin sur la Côte d’Azur le 27 août 1965. Il prend un pseudonyme car son cousin Pierre, architecte, porte le même patronyme. Il reçoit une éducation particulière en suivant les cours appliquant la méthode Fröbel qui propose un système éducatif basé sur la géométrie. Le Corbusier est avant tout un homme de lettres qui ne suivra jamais une formation d’architecte à proprement parler. Il écrira au cours de sa vie une quarantaine d’ouvrages et lancera une revue intitulée « Esprit Nouveau ».
Il poursuit son apprentissage en suivant une formation de graveur-ciseleur, et suit également des cours de dessin ce qui l’oriente vers l’architecture.
A 17 ans il participe avec l’architecte Chapellaz à la réalisation de sa première villa.
En 1909 après un périple qui le mène en Italie, en Autriche et en Allemagne ainsi que dans l’Est de la France, il arrive à Paris. Il rencontre Eugène Grasset, architecte spécialisé dans la décoration, qui lui conseille le dessin technique chez les frères Perret, des industriels en bâtiments techniques. L’année suivante, en 1910 Le Corbusier est chargé d’une mission d’étude sur les rapports entre industrie et arts du bâtiment en Allemagne. A Berlin il est recruté comme dessinateur. Il rencontre Ludwig Mies Van der Rohe et Walter Gropius, fondateurs du Bauhaus.
Il effectue un nouveau voyage, cette fois à travers l’Europe centrale. Il repasse à nouveau par l’Italie où il visite la chartreuse d’Ema en Toscane qui lui inspirera sa philosophie architecturale. Il s’installe finalement en Suisse et crée avec son cousin une agence d’architecture. En 1917 il commence sa carrière à proprement parler.
II – 1917- 1925 : l’aventure artistique du purisme.
Entre 1914 et 1916 Le Corbusier crée ses premiers projets avant-gardistes comme la maison « Dom-Ino » de 1914. Il pense qu’il faut fournir des solutions simples pour reconstruire rapidement après la guerre. Son idée de base est une construction en béton sur des poteaux portants, les plans et les façades pouvant être composés librement.
Le Corbusier a une approche intellectuelle de l’architecture de la « maison des hommes » comme il nommait l’habitat. Il s’intéresse aussi aux évolutions technologiques qui permettent des évolutions en architecture. Par ailleurs, il commence à penser à l’industrialisation de l’architecture, il théorise l’architecture avec des idées visionnaires. Ces théories sont retranscrites dans divers ouvrages dont « Après le cubisme » écrit en 1918 et « Vers une architecture » publié en 1923 et qui reste un ouvrage de référence. Avec le peintre Amédée Ozenfant, il jette dès 1918 les bases du purisme, courant artistique proposant un retour à l’ordre après les dérives de l’art avant la Grande Guerre. Toute exubérance est bannie. Il fonde un parallèle entre le vocabulaire concis de l’Antiquité et l’esprit fonctionnaliste de l’ère industrielle. Avec sa théorie du purisme tout est débarrassé du superflu et il approfondit son idée d’une architecture normée. Pour ce qui est du mobilier, Le Corbusier affirme « Au fait, la maison n’est autre que des casiers d’une part, des chaises et des tables d’autre part, tout le reste est encombrement ». Pourtant il créera plusieurs pièces de mobilier.
Sa théorie se base sur cinq points : les pilotis, l’ossature indépendante, le plan libre, la façade libre et le toit-terrasse.
En 1934 Le Corbusier élabore une charte de 95 articles où il définit les quatre fonctions de l’habitat : habiter, travailler, se cultiver (corps et esprit) et circuler.
III – 1922-1931 : au temps des villas blanches.
Suite à l’élaboration de sa théorie du purisme, Le Corbusier crée une série de villas dites villas blanches. Elles reflètent parfaitement le purisme de l’architecte. On peut mentionner la villa Stein – de Monzie située à Garches. Elle a été construite pour deux riches familles, les Stein et les de Monzie qui partagent cette villa non pas pour des raisons financières mais pour vivre une nouvelle expérience en matière d’habitat. En effet, si la villa comprend des pièces privées, elle dispose aussi de pièces communes pouvant être utilisées par les deux familles. Les façades et le jardin de la villa ont été classés monument historique récemment ce qui permet de la conserver et de la maintenir en bon état.
Deux autres exemples de villas blanches sont les villas La Roche conçue pour le collectionneur et banquier Raoul La Roche, et la villa Jeanneret, logeant actuellement la Fondation Le Corbusier qui la jouxte à Paris XVIe, et construites entre 1923 et 1925. Enfin on peut mentionner la villa Savoye à Poissy, construite en 1929 et classée elle aussi par l’UNESCO. Voulue comme une « maison secondaire » c’est une villa au milieu de la campagne qui est une application littérale des cinq points essentiels définis par l’architecte. Cette villa est la plus remarquable de cette période et elle aura une influence considérable dans l’histoire de l’architecture. Mais elle a engendré plusieurs controverses, en particulier avec les propriétaires car si Le Corbusier se souciait du design, il se préoccupait moins de l’aspect technique ainsi donc il pouvait pleuvoir dans la maison. Le Corbusier a souvent intégré les couleurs dans son œuvre architecturale afin de faire ressortir les volumes.
IV – 1929-1944 : logements collectifs, bâtiments publics et urbanisme.
Entre 1924, et 1926, Le Corbusier crée une cité ouvrière à Pessac à la demande d’un grand industriel du sucre, la Cité Frugès. C’est le premier ensemble collectif construit par l’architecte. Ce dernier, dans l’entre-deux guerres mène une réflexion théorique sur l’urbanisme par des projets qui provoquent de violentes polémiques et des projets qui ne seront pas retenus. C’est le cas du plan Voisin pour Paris (1925) et du plan Obus pour Alger. Son plan Voisin bannit la rue traditionnelle qui est remplacée par plusieurs niveaux de circulation séparés et par des axes routiers reliant trois secteurs : un centre d’affaires, un quartier résidentiel central de vingt-quatre gratte-ciels logeant 500 000 personnes et une périphérie d’usines et de cités-jardins. Dénaturant totalement la capitale, le projet est rapidement rejeté.
Le Corbusier construira plusieurs bâtiments publics notamment la Cité Refuge à Paris XIIIe en 1929. C’est un bâtiment pour l’Armée du Salut qui en est toujours le propriétaire. Il crée aussi le pavillon suisse de la cité universitaire de Paris. Enfin en 1931, il crée le premier immeuble dont la façade est totalement en verre. Cet immeuble « Le Molitor » situé à Paris XVIe sera durant de nombreuses années, de 1931 à 1965, le lieu de résidence de l’architecte qui utilisera le dernier étage comme atelier.
V – 1945-1965 : L’après-guerre.
Après guerre Le Corbusier, crée son propre nombre d’or, le Modulor, en s’appuyant sur la suite de Fibonacci et en partant d’un homme ayant une stature d’un mètre quatre-vingt-trois avec un nombril à un mètre treize. Le Corbusier utilisera le Modulor dans quasiment la totalité de ses réalisations. Durant cette époque il se plaît à échanger avec Albert Einstein et d’autres éminents mathématiciens.
Après-guerre, il concrétise avec cinq œuvres majeures sa théorie de l’unité d’habitation de grandeur conforme. Ces cinq exemplaires, construits à Marseille, Briey-en-Forêt, Rezé, Firminy-Vert et Berlin, bien que différents, reprennent ce concept. La conception de Le Corbusier est de concevoir dans un même bâtiment tous les équipements collectifs nécessaires à la vie.
Sa première unité d’habitation est la cité Radieuse de Marseille, construite entre 1947 et 1952. Il s’agit d’un immeuble sous la forme d’un parallélogramme sur pilotis en forme de cônes évasés. A l’intérieur il crée un village vertical composé de 360 appartements en duplex pour 1600 habitants, distribués par des rues intérieures. En plus des habitations, on trouve des cinémas, une bibliothèque, une école maternelle sur le toit-terrasse, des commerces et un hôtel.
Au début des années 1950, un autre grand projet occupe l’architecte. Le Corbusier construit une capitale de toute pièces comme Oscar Niemeyer, son contemporain, le fera au Brésil. C’est la ville de Chandigarh au Nord de l’Inde, nouvelle capitale de l’Etat du Penjab, une cité jardin avec un plan ordonné et rectangulaire. C’est une ville moderne ouverte à tous qui sera classée par l’UNESCO. Les principaux bâtiments sont le Palais de justice, le Palais du gouverneur et le Palais de l’Assemblée.
L’architecte réalise également des œuvres éphémères comme le pavillon de la marque Phillips lors de l’exposition universelle de Bruxelles en 1958. Avec cette œuvre il fait dialoguer la musique avec l’architecture avec notamment une acoustique particulière.
Enfin dans ces décades d’après guerre Le Corbusier construira aussi des bâtiments industriels, comme une écluse à Kembs dans le Haut-Rhin, et différentes œuvres à travers le monde notamment au Japon où son style épuré plaît énormément mais aussi aux Etats-Unis, en Argentine et en Inde où sa notoriété là aussi est immense.
En 1952, le bâtisseur d’édifices gigantesques, séduit par la côte d’Azur, construit avec Fernand Gardien, à Roquebrune-Cap-Martin, un cabanon-baraque de 3,66 mètres par 3,66 mètres par 2,26 mètres, c’est-à-dire des mesures empruntées au Modulor. Il appréciera tant ce cabanon-baraque qu’il y passera beaucoup de temps et finira par y décéder en se baignant, d’une crise cardiaque en août 1965.
VI – Le Corbusier et le sacré.
Bien qu’agnostique, Le Corbusier travaillera à la réalisation de lieux sacrés. En 1950, choisi par l’archevêque de Besançon, il se lance dans la reconstruction de la chapelle Notre-Dame-du-Haut, située au sommet de la colline de Bourlémont à Ronchamp en Franche-Comté. On peut noter que l’architecte réalise seul en usine le décor de la grande porte de l’église en y appliquant 18 m² de peinture sur émail. En 1958, il construit un couvent à la demande du Père Couturier, un religieux dominicain avec qui il a des liens particuliers. C’est le couvent Sainte-Marie de la Tourette, situé à Eveux près de Lyon, où l’architecte met en œuvre ses cinq points de l’architecture moderne et les proportions du Modulor. Cet ensemble conventuel comporte une église, un cloître, une salle de chapitre, des salles de cours, une bibliothèque, un réfectoire, des parloirs, des cuisines et une centaine de cellules individuelles, le tout en béton armé brut de décoffrage. Enfin, il réalisera l’Eglise Saint-Pierre de Firminy-Vert, dans le département de la Loire, qui ne sera achevée qu’après sa mort en 1969. Cette création a pour particularité de laisser pénétrer la lumière par des orifices dans la coupole ce qui dessine la constellation d’Orion. Seul bémol, la forme et le matériau utilisé, le béton brut, donnent une piètre acoustique au bâtiment.
CONCLUSION
Indiscutablement, Le Corbusier aura marqué l’architecture du XXe siècle. C’est également un homme paradoxal qui bien qu’agnostique construira des lieux sacrés, qui sera considéré comme de droite par certains et marxiste par d’autres du fait d’avoir construit un palais des Soviets à Moscou. On lui reprochera vivement sa sympathie pour le régime de Vichy mais le Général de Gaulle le glorifiera et lors de son décès, André Malraux lui organisera des obsèques nationales dans la cour du Louvre. Architecte mais aussi peintre et auteur prolifique certains de ses ouvrages restent des références en matière d’architecture.
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