Thèmes : Arts , Peintures Visite du jeudi 5 novembre 1992
PICASSO ET LES CHOSES
Mardi 5 novembre 1992, les membres du C.D.I. ont visité l’exposition « Picasso et les Choses » au Grand Palais.
Dés les premières scènes esquissées par le très jeune Pablo dans le cadre familial, puis, plus tard dans ses scènes montmartroises, les objets tiennent une place prépondérante, souvent au premier plan de ses compositions, parfois plus visibles que les personnages eux-mêmes.
Très tôt, à l’Âge de seize ans, il s’exerce à peindre des vases de fleurs. À son premier voyage à Paris, en octobre 1901, il expose chez Ambroise Vollard, et ce sont des peintures de fleurs qu’il signe pour la première fois « Picasso », du nom de sa mère.
En 1906, Picasso passe l’été dans les Pyrénées espagnoles, il abandonne alors les recherches décoratives. Après les périodes dites « bleue » et « rose », les objets quotidiens sont saisis tels quels. La découverte de Cézanne lors des deux rétrospectives de 1906 et 1907 au Salon d’Automne est un choc pour Picasso, et une confirmation. Picasso traite à son tour chaque objet dans une perspective qui lui est propre selon “la sphère, le cylindre et le cône ». Le cubisme est proche.
La « Nature morte avec la tête de mort » évoque ainsi des tableaux de Cézanne où figure à plusieurs reprises une tête de mort. Par le motif brutal et par la facture hachée, ce tableau prolonge la détresse de la période « bleue », la mélancolie de la période « rose”.
La nature morte avec la tête de mort
Paris – automne 1907
Entre 1910 et 1912, alors que le cubisme s’affirme, Picasso et Braque répètent en une variation sans fin les mêmes groupes de verres, de bouteilles et de quelques ustensiles ou instruments.
Dans les natures mortes cubistes, la guitare se fait femme. Les formes sont allusives, en partie escamotées. Chaque objet présente des faces opposées visibles simultanément : cercle du pied de verre ou de la table comme vu d’en haut, et profil de la coupe.
La palette est volontairement limitée aux tons de terre en camaïeu afin de ne pas distraire l’attention de l’analyse des volumes.
Pain et compotier aux fruits sur une table
Hiver 1908-1909
Braque se risque, en 1912 à insérer des papiers collés dans ses dessins. Se souvenant de sa formation première de peintre en bâtiment, il à introduit l’année précédente des lettres au pochoir dans ses tableaux, des stries en faux-bois tracées au peigne. Picasso systématise le principe.
Le but du papier collé était de montrer que des matériaux différents pouvaient entrer en composition pour devenir, dans le tableau, une réalité en compétition avec la nature.
L’émulation entre Braque et Picasso se fait plus vive et leur collaboration plus étroite. Ils sont attachés aux objets usuels de la vie urbaine contemporaine, aux affiches, aux papiers imprimés, aux étiquettes.
Picasso se lance avec virtuosité dans les papiers collés où excelle Braque. Il voyait dans les papiers collés la découverte la plus importante et la plus radicale du cubisme.
Nature morte à la chaise cannée
Paris, mai 1912
Malgré tout, un fragment de réalité intégré de façon réaliste, illusionniste, donne la clé de l’image. Dans « Verre et bouteille de Suze » l’étiquette de la bouteille est bien réelle et son authenticité se moque de l’abstraction qui l’entoure.
Verre et bouteille de Suze
Paris, automne 1912
Pour Picasso, la modernité ne vient pas du sujet, mais de la façon de peindre. Cependant la représentation dramatisée des « Oiseaux morts« , comme en victimes sacrificielles, annonce la valeur symbolique dont il les chargera plus tard. La pratique du papier collé va transformer la pratique de la peinture.
Les oiseaux morts
Sorgues, été 1912
« Un des points fondamentaux du cubisme visait à déplacer la réalité ; la réalité n’était plus dans l’objet, elle était dans la peinture. Quand le peintre cubiste pensait « je vais peindre un compotier », il se mettait au travail, sachant qu’un compotier en peinture n’avait rien de commun avec un compotier dans la vie… Je n’imite pas la nature, je travaille comme elle » (Picasso).
Picasso cependant était capable d’imiter la nature à la perfection. Pour « Compotier et verre« , il n’hésite pas à reprendre le même motif, sans changement, selon la syntaxe cubiste.
Compotier et verre
Paris, hiver 1914-1915
Le cubisme bouleverse la sculpture. Picasso ne rend pas le volume externe de l’objet, comme le fait la sculpture classique, mais sa structure interne. Ainsi, une bouteille n’est pas un cylindre mais un axe et un rayon. Picasso se sert de ce qu’il a sous la main. Un bol de crème à raser fendu et réparé plus ou moins mal, et deux planchettes forment « Construction, bouteille d’anis del Mono et compotier avec grappe de raisins » (Paris – Automne 1915).
En 1919, un changement s’amorce. Des compositions typiques du dernier cubisme, natures mortes sur un guéridon, s’inscrivent dans le cadre rectangulaire d’une fenêtre. L’ouverture de la fenêtre suggère un espace extérieur, en profondeur derrière l’espace intérieur où est placée la table, même si visuellement les deux espaces sont imbriqués l’un dans l’autre, fusionnant sur un même plan homogène. Cette phase de transition inaugure un retour à certains procédés classiques de l’expression de l’espace : profondeur, ombres, modelés. Après l’austérité des années cubistes, les deux décennies qui suivent la guerre marquent une véritable jubilation. Picasso s’attaque à tous les styles et tous les sujets-
Dans les années vingt (il a quarante ans), Picasso acquiert la reconnaissance comme peintre et comme décorateur des Ballets Russes de Diaghilev. Devenu célèbre, marié à l’une des danseuses de Diaghilev, il est l’une des personnalités de la vie mondaine. La figure humaine réapparaît dans l’œuvre de Picasso, de grandes femmes sculpturales drapées à l’antique, qui remplissent toute la toile. Les choses perdent un temps leur place prépondérante. Lorsqu’il les aborde, il leur donne les rondeurs, l’ampleur voluptueuse et sereine des femmes qu’il peint à la même époque.
Nature morte au pichet et aux pommes
1920
Dans les années 1924-1926, une part égale revient aux objets, traités avec magnificence, en grands formats, et couleurs éclatantes.
Atelier avec buste de plâtre
Juan-les-Pins – 1925
En plein retour au classicisme, il se replonge dans ses conquêtes cubistes les plus orthodoxes. En 1924, il joue avec la tôle et le fil de fer, et il reprend les objets d’autrefois, la guitare, qui est alors prétexte à des jongleries plastiques, parfois perturbantes à leur apparition.
Guitare Guitare
1924 1926
Picasso, pendant plus de dix ans, modèle au crayon, au pinceau, en plâtre, en glaise, des rythmes curvilignes qui sont autant d’hommages à la beauté de sa femme Marie-Thérèse. Il trouve encore une facture différente, des couleurs vives et fraîches, lumineuses et transparentes en une gamme de jaune, de mauve, de vert, de lilas, jamais encore apparue dans sa palette. Picasso l’a dit lui-même, la Nature morte sur un guéridon est un portrait métaphorique de Marie-Thérèse.
Nature morte sur un guéridon
Paris – 11 mars 1931
En contrepoint de Marie-Thérèse la lumineuse et du bonheur avec leur fille Maya, Picasso s’attachait, mais essentiellement par des portraits, à une figure de femme intense et dramatique, Dora Maar, la « femme qui pleure », celle des horreurs de la guerre : la guerre d’Espagne avait déjà inspiré Guernica. L’occupation met sa peinture en deuil.
Ses thèmes deviennent porteurs d’angoisse. Une tête de taureau revient obsessionnellement, puis la tête n’est plus qu’un crane, terrible, après la mort de sa mère à Barcelonne, suivie quelques jours plus tard par la chute de la ville aux mains des phalangistes, en 1939. La mort est omniprésente dans son œuvre.
Après la Libération, en 1945, alors que l’Espagne est pour longtemps privée de liberté, la nature morte est encore et toujours tragique.
Nature morte à la tête de mort, poireaux et poterie
Mars 1945
Les années avec Françoise Gilot sont un hymne à la vie et à la nature méditerranéenne. Picasso passe de longs mois par an dans le midi. La découverte de la céramique à Vallauris ouvre la voie à de nouvelles trouvailles et à une nouvelle approche de l’objet. Après le départ de Françoise Gilot et des enfants, en 1953, les objets n’apparaissent plus que rarement pour eux-mêmes. La figure humaine redevient omniprésente, présence à laquelle Jacqueline Roque, qu’il épouse en 1961, prête son visage.
Les dernières années sont dominées par le thème obsessionnel du couple, du baiser et de la fascination érotique. Le corps à corps avec la matière n’a cessé d’être un combat avec lui-même. Il a la forme d’un combat avec les choses.
L’enfant Pablo avait fait ses premières armes en peignant les bouquets de fleurs du salon de sa mère. A la fin de sa vie, des bouquets exubérants explosent en feux d’artifices de couleurs dans la Nature morte au parapluie (14 novembre 1968).
Plus qu’aucun autre peintre, Picasso s’est intéressé aux choses. Parce qu’il leur attribuait un pouvoir magique, il incorpora toute sa vie les objets dans ses œuvres. Cet amour quasi fétichiste du peintre pour les objets, l’exposition du Grand Palais le rend évident.
FICHE DE SORTIE
PICASSO ET LES CHOSES
jeudi 5 novembre 1992
Parcourir cette prodigieuse exposition, c’est non seulement retrouver les grands moments de l’œuvre de Picasso, mais aussi pénétrer dans l’intimité de l’artiste. Lui-m@me disait à un ami : « Mon œuvre est un journal. Pour la comprendre, tu dois voir comment elle reflète ma vie ».
Pablo Picasso est né le 25 octobre 1881 à Malaga. Son père, professeur de dessin, constate très rapidement que son fils est doué d’un talent aussi exceptionnel que précoce.
À 14 ans, Picasso est reçu à l’École des Beaux-Arts de Barcelone. II a exécuté en un jour le sujet que les concurrents avaient un mois pour traiter.
À 16 ans, il est admis à l’École des Beaux-Arts de Madrid.
À 20 ans, en 1901, il arrive à Paris. Il s’y installe définitivement à partir de 1904.
Son atelier de Montmartre, au célèbre « Bateau Lavoir » va devenir le rendez-vous des poètes et peintres d’avant-garde de l’époque : Appollinaire, Modigliani, Van Dongen, etc.
Après les périodes dites « Bleue » et « Rose », sous l’influence probable des primitifs espagnols, de l’art nègre et de Cézanne, sa peinture va subir, à partir de 1907, une mutation capitale.
À travers l’exposition « Picasso et les Choses » que nous allons parcourir aujourd’hui, nous allons découvrir ou redécouvrir l’aventure artistique de tous les courants abstraits de l’art moderne : le cubisme.
En 1908, à l’occasion d’une exposition faite par Braque à la Galerie Kahnweiler, un critique d’art, Louis Vauxhelle, écrivait : « Braque méprise la forme, réduit tout, sites, figures, maisons, à des schémas geométriques, à des petits cubes… ». Le mouvement cubiste est né. Braque et Picasso en sont les inspirateurs.
Ces peintres veulent montrer les choses, non pas telles que nous les avons vues, mais telles que nous les connaissons. Par exemple : l’orifice de ce verre que nous voyons ovale, mais qui est circulaire, c’est circulaire que le peintre cubiste nous le montrera. Les fruits contenus dans un compotier et que cachent ses bords relevés, il nous les mettra sous les yeux en représentant le compotier en coupe.
La leçon de Cézanne (1839-1906) est entendue : « Traiter la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tout mis en perspective… La nature pour nous, hommes, est plus en profondeur qu’en surface ».
Quant à la couleur, sans doute en réaction avec le fauvisme, elle est à base de teintes claires, des ocres, des bleus lavande, des roses délavés ou verts olive.
Cette peinture cubiste, mal comprise par le public de l’époque, va séduire par contre de nombreux jeunes artistes.
La guerre de 1914-1918, ébranle fortement ce mouvement. Le cubisme, cet art pictural qui se veut réaliste d’intention, hyperréaliste par les moyens mis en œuvre, aboutit à un résultat irréaliste.
Pour retrouver la réalité, des peintres de ce mouvement, Picasso entre autres, vont introduire de la peinture de chevalet, des procédés de peinture de bâtiment imitant le bois, le marbre, … puis seront collés sur la toile, du sable, des morceaux de papiers réels : un genre nouveau apparaît, celui du collage ou papiers collés.
L’œuvre de Picasso, au fil des ans, va sans cesse évoluer, marquée par de nouvelles influences (Ingres, surréalisme). Doué d’une grande puissance d’assimilation, prodigieusement curieux, il n’ignorait rien d’aucun art, et a su fondre tous ses emprunts pour en faire du « Picasso ». C’est un artiste qui a fait preuve d’une exceptionnelle puissance de création en tant que peintre, graveur, sculpteur et céramiste.
Sa peinture, c’est son journal intime. Il laisse transparaître son besoin d’excessif, c’est un dessinateur d’une agilité inégalée qui parvient à vous imposer ses visions, devenues de la sorte incontestables.
Ses nombreux ateliers étaient connus pour l’amoncellement d’objets hétéroclites dont il aimait s’entourer : cartons, ficelles, tickets de cinéma, cruches, etc.
Sur plusieurs des cent cinquante œuvres exposées, on retrouve ces objets qui l’ont inspiré, qu’il a coloré au gré de ses sentiments, des anecdotes de sa vie. Mais ces tableaux ne sont jamais un simple exercice de style.
Son ami Richardson explique : « Ses natures mortes m’apparaissent souvent comme des pièces de théâtre, où le compotier, la guitare figurent des personnes qui jouent un rôle. Picasso use d’un ou plusieurs codes, souvent difficiles à décrypter parce qu’il s’amuse à les permuter. Picasso aimait glisser des secrets dans ses tableaux, il y avait chez lui un exhibitionisme, et une volonté de cacher ». Par exemple, dans une nature morte de 1916, la carte à jouer est en deuil, son blanc est devenu noir, parce qu’Eva, sa compagne vient de mourir.
Ses « natures mortes » content l’amour de la vie, mais aussi la mort, la guerre, la souffrance (série de têtes de taureaux écorchées au moment de la guerre d’Espagne).
Suivant Picasso dans ses rapports avec les objets, on le suit à travers sa propre vie, mais aussi celle de son époque, de notre époque (1881-1973).
Pour pouvoir apprécier pleinement cette exposition, une visite guidée nous paraît indispensable.
Madeleine Netter
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