Thème : ARTS , Littérature Conférence du mardi 17 Octobre 2006
Par Georges Poisson – Conservateur
Pierre Loti, de son vrai nom Julien Viaud, naît le 14 janvier 1850 à Rochefort-sur-mer au 141 de l’actuelle rue Pierre-Loti. Il est le petit dernier d’une famille soudée, entouré par sa mère, sa grand-mère, ses tantes et ses sœurs. Choyé par toutes ces femmes, son enfance est douillette, marquée par l’apprentissage des arts délicats. Julien développe à l’adolescence une double tendance : cet être raffiné, attiré par toutes les sensualités, est attiré par la Marine – Rochefort est alors une ville vivante dominée par ses activités maritimes. Son grand-père, médecin de marine, rentre à Rochefort en 1860 mais meurt cinq ans plus tard du choléra. Le jeune Julien décide de le « remplacer ». A la même époque, son père, Théodore Viaud, receveur municipal de la Ville de Rochefort, perd les titres dont il a la charge. Bien qu’acquitté de l’accusation de vol, il est contraint à la démission et au remboursement des sommes perdues, ce qui plonge la famille dans la pauvreté. Julien sait qu’il doit gagner sa vie au plus tôt pour aider les siens. En 1867, il est reçu à l’Ecole Navale de Brest. Là-bas, il se lie d’amitié avec Joseph Bernard, un « frère » dont il sera très proche, si proche que se posera la question de son homosexualité. Toute sa vie, Loti mènera une vie amoureuse intense. Ce sera même son principal intérêt dans la vie.
Un homme narcissique et exhibitionniste
En 1869, Julien Viaud embarque comme deuxième classe sur le « Jean-Bart ». Ce premier périple le mène en Algérie puis en Turquie, un pays qu’il aimera toute sa vie. En 1870, son père meurt. La même année, pendant la guerre contre les Prussiens, il fait campagne en Mer du Nord. En 1871, il vogue de Dakar à la Guyane, passe le détroit de Magellan et débouche sur le Pacifique. Sur l’île de Pâques, il est chargé de faire des dessins pour illustrer le rapport de son amiral. La vente de ces dessins à des publications en France complètera sa maigre solde dont il reverse une partie à sa famille dans le besoin. A Tahiti, il a une liaison avec la reine Pomaré qui lui donne le surnom « Loti », du nom d’une fleur tropicale.
Ce petit homme malingre, aux manières étranges – il avait l’habitude de se déguiser et de se farder le visage – multipliera les conquêtes tout au long de sa vie. Profondément narcissique et exhibitionniste, il travaille son corps pour le rendre fort, multiplie les activités physiques et se produit même dans des cirques. En 1877, à Constantinople, il rencontre la belle Aziyadé avec qui il vit une passion brûlante. Elle est l’une des quatre femmes d’un dignitaire turc et vient retrouver Loti la nuit tombée sur le Bosphore (c’est du moins ce qu’il écrit). Pour elle, il veut s’installer en Turquie mais fait finalement le choix de repartir sur son navire « Le Gladiateur ». On raconte qu’elle mourra de chagrin.
De retour d’Anatolie, il pense à la façon de réaménager la vieille maison familiale de Rochefort avec tous les objets ramenés de tous ses voyages (sa mère se plaindra des peaux de girafe qui pourrissent dans la cour). Il « reconstitue » la chambre où il accompagnait Aziyadé. De cette pièce simple, il fait un endroit somptueux, un décor rêvé, « pour prolonger ce qui est fini » explique-t-il.
L’écrivain Pierre Loti supplante l’officier Julien Viaud
En 1879, Pierre Loti publie le roman Aziyadé qui témoigne de sa passion à Constantinople. En 1880, la publication du Mariage de Loti rencontre un vif succès. Son roman suivant, le Roman d’un Spahi est le premier signé Pierre Loti. Avec les énormes droits d’auteurs engendrés par ses premiers ouvrages, il peut désormais transformer sa maison à sa guise, d’autant qu’en 1880 la dette de son père a été totalement remboursée. Les romans de Loti mettent en scène des sentiments simples, voire simplistes. Il a une écriture de peintre, toujours à la recherche du mot juste, à l’instar d’un Flaubert ou d’un Maupassant. Il se fait une place dans la société littéraire et se lie avec Anatole France, Sully Prudhomme, Juliette Adam, Sarah Bernhardt…
Sa carrière dans la Marine est loin d’être aussi réussie. En 1881, Julien Viaud est nommé lieutenant de vaisseau à Rochefort. L’année suivante, il est affecté à la « Surveillante » qui inspecte les côtes bretonnes. Son passage en Bretagne – où il prend, comme il le fait partout ailleurs, le soin de se costumer en autochtone – lui inspire l’un de ses plus grands romans, Pêcheurs d’Islande.
Envoyé en Asie pour participer à la guerre du Tonkin, Loti est choqué par les massacres commis par l’armée française. Il en décrit la sauvagerie pour Le Figaro. Ses articles lui valent d’être rappelé en France. Menacé de sanctions, il est même reçu par le ministre de la Marine. Mais au même moment paraît Mon frère Yves, une œuvre instantanément célébrée et adulée dans le pays. Le ministère préfèrera ne pas donner suite.
Une maison transformée en musée du monde
En 1886, Loti consent enfin à se marier mais, pour ce faire, pose des conditions drastiques quant aux qualités exigées de sa future épouse. L’être rare existe. Loti rencontre Blanche à Bordeaux lors d’une soirée arrangée et le mariage est célébré peu après. « L’homme était marié, le marin l’était moins, Loti ne l’était pas » écrira Sacha Guitry. Blanche s’installe à Rochefort dans cette maison sans confort – Loti refuse l’eau courante et l’électricité – sous l’autorité des « vieilles ». Bien qu’elle ne se plaise pas à Rochefort, elle est l’épouse magnanime d’un homme qui la trompe et à qui elle donne un fils, Samuel, en 1889.
A Paris, Loti fréquente aussi bien les bouges et les bals populaires que les soirées de la haute société. A Rochefort, il poursuit l’aménagement de sa maison.
Après une salle arabe, il installe une salle médiévale. Puis une pagode japonaise, une salle saintongeaise, une mosquée, une salle Renaissance… Pour cela, il achète les maisons avoisinantes. Sa bâtisse, qui conserve un aspect classique de l’extérieur, est, à l’intérieur, un véritable puzzle en trois dimensions. Transformer cette maison est une façon pour lui de conjurer le temps qui passe, de tromper cette insondable tristesse qu’il cache sous ses déguisements et ses maquillages. Il y a installé la stèle d’Aziyadé qu’il a fait arracher de son emplacement en Turquie.
En 1888, il obtient son premier commandement, un navire qui vogue… sur la Charente. En 1891, il obtient un nouveau commandement symbolique, à Hendaye, pour surveiller les pêcheurs et les contrebandiers. Fasciné par le Pays basque, il se met en tête d’avoir des enfants basques. Il « achète » une jeune fille du cru, qu’il installe à Rochefort et à qui il fait trois fils. Blanche doit supporter et accepter. Jusqu’en 1907 quand, n’en pouvant plus de cette vie, elle décide de retourner à Bordeaux.
En 1891, Pierre Loti est élu par ses pairs à l’Académie Française qui l’ont préféré à Emile Zola. Très fier de son corps, il envoya aux académiciens et aux journalistes une photo de lui-même entièrement nu (seul son sexe était caché).
Un soutien indéfectible à la Turquie
En 1898, après trente ans de service sans relief, le lieutenant de vaisseau Julien Viaud est mis à la retraite d’office. Refusant cette issue, il se rebelle avec l’appui de ses amis et de l’Académie Française et gagne son recours devant le Conseil d’Etat. En 1899, il est donc réintégré et promu capitaine de frégate. Affecté sur le « Redoutable », il part en Chine, ce qui lui inspire Les Derniers jours de Pékin. Séjournant ensuite en Corée, il prédit l’annexion par le Japon dans La Troisième jeunesse de madame Prune.
En 1903, la Marine décide de se servir de ses liens avec les Turcs pour opérer un rapprochement entre les deux pays. Nommé attaché naval, il reste sur place près de deux ans et écrit Les Désenchantées où il évoque sa mésaventure liée à un harem.
En 1910, l’officier Viaud fait définitivement ses adieux à la Marine. En 1912, la guerre des Balkans éclate. Loti souffre pour les Turcs. Il lutte contre le démantèlement de l’Empire Ottoman voulu par les Occidentaux et publie Turquie agonisante. Âgé de soixante-quatre ans quand la Première Guerre mondiale éclate, il offre néanmoins ses services à l’armée. D’abord renvoyé dans ses foyers, Galliéni le prendra comme agent de liaison, ce qui ne l’empêchera pas de critiquer – à raison d’ailleurs – la bataille des Dardanelles contre la Turquie. A la fin de la guerre, il rentre à Rochefort dans sa maison qu’il a faite réaménager comme hôpital pour les blessés de guerre.
En avril 1918, « en prévision de ma mort, j’arrête le journal de ma vie qui n’intéresse plus personne », écrit-il. Fait rarissime, à Rochefort, sa rue est baptisée « Pierre-Loti » de son vivant. En 1919, il apprend les massacres des Arméniens perpétrés par les Turcs. Il condamne, mais les traite tout de même avec beaucoup d’indulgence. La Mort de notre chère France en Orient exprime son incompréhension et sa réprobation face au démantèlement de l’Empire Ottoman. En 1921, il se rétablit d’une attaque cardiaque et il publie Suprêmes visions d’Orient. En avril 1922, il est élevé au rang de Grand Croix de la Légion d’Honneur – il est le premier écrivain à obtenir cette distinction – et fait sa dernière apparition publique, à Rochefort. En décembre, il fait ses adieux à Sarah Bernhardt venue lui rendre visite. Il meurt en juin 1923 à Hendaye et se fait enterrer dans le jardin de la petite maison familiale de l’île d’Oléron.
L’œuvre de Pierre Loti, qui compte une quarantaine de romans, a été follement célébrée de son vivant. Aujourd’hui, elle est davantage décriée. Il ne figure pas dans La Pléiade. En fait, le souvenir de Loti subsiste davantage grâce à sa personnalité hors du commun que par son œuvre, plus quelconque. « On devrait dire aux jeunes gens qu’il existait un homme qu’on admirait tellement qu’une escadre l’accompagnait quand il faisait le tour du monde », écrivit Sacha Guitry.
En savoir plus …
Coté Livres :
Voyages, 1872-1913
Pierre Loti
Editeur : Robert Laffont
ISBN-10: 2221065670
http://www.amazon.fr/Voyages-1872-1913-Pierre-Loti/dp/2221065670
Coté Web :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Loti
http://www.bibliomonde.com/auteur/pierre-loti-126.html
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