Thèmes: Art, Histoire, Société Conférence du mardi 21 novembre 2023
RESTAURATION D’UN PATRIMOINE : LE MOULIN À MARÉE DU BIRLOT DE L’ILE DE BRÉHAT
Par Monsieur André CARSENAT, ingénieur honoraire et ancien dirigeant de PME.
INTRODUCTION
La France possède un grand patrimoine culturel qui, dans certains cas comme le Château de Versailles, bénéficie d’un financement important par le nombre des visiteurs. Au contraire, certains sites ont moins de ressources et seules les initiatives privées permettent de restaurer et d’entretenir certains monuments comme le moulin à marée du Birlot (XVIIème siècle) situé sur la côte occidentale de l’île sud de Bréhat.
I – Les moulins à marée.
Les moulins sont des machines de précision qui ont évolué dans le temps. Les moulins sont des moulins à main puis viennent les moulins à vent, à eau et aussi des moulins à marée. Les moulins sont utilisés pour moudre le grain, pour battre le fer, broyer des pâtes ou entraîner diverses machines.
Entre 1704 et 1809 on compte en France 16 000 moulins à vent et 82 000 moulins à eau, c’est -à-dire qu’il y avait 100 000 moulins pour 30 millions d’habitants soit un moulin pour 300 habitants. On trouvait à la fin du XIXe siècle quelque 150 moulins à marée en Bretagne, région propice à ce type d’installations avec ses marées de fortes amplitudes.
Seuls quelques moulins de ce type fonctionnent encore périodiquement.
De nos jours 30 minoteries industrielles réparties sur tout le territoire fournissent de la farine a la France ainsi qu’aux marchés internationaux.
On notera que d’autres équipements ont connu des évolutions importantes et rapides au XXe siècle comme les montres, les téléphones, la photographie, l’automobile. Ce sont des mutations technologiques irréversibles.
Comme son nom l’indique, un moulin à marée fonctionne avec la marée, mais pas avec la force de la mer aux flux et reflux. Un moulin à marée est un ensemble constitué d’une digue qui isole une petite baie appropriée ou une partie d’un estuaire afin de former un bassin de retenue, d’une roue à aubes et d’un système de renvoi vers des meules. Son fonctionnement est en fait celui d’un moulin à eau classique dès lors que la mer s’est suffisamment retirée et que la roue est à sec. Au moulin du Birlot, cela correspond au niveau de la mer à mi-marée. Il y a donc 3 heures de descente de mer jusqu’au bas de l’eau, et 3 heures de remontée pour revenir à mi-marée soit 6 heures de travail possible. On comprend pourquoi, avec l’électrification les minoteries modernes fonctionnant 24 heures sur 24, les moulins d’autrefois ont été abandonnés.
A marée montante, l’eau pénètre dans l’étang en soulevant les portes à mer, jusqu’à pleine mer. L’eau reste dans le bassin de retenue -nommé l’étang- et constitue la réserve d’eau. La roue à aubes ne tourne pas. A pleine mer, les portes à mer sont plaquées contre l’intérieur de la digue -côté étang- et empêche l’eau de s’échapper. A marée descendante, dès que le niveau de la mer est suffisamment bas, le meunier soulève la vanne-pelle au moyen d’un levier, l’eau s’écoule dans le coursier créant la rotation de la roue à aubes, et donc le jeu de meules par un ensemble de renvoi de rotation autour d’un axe horizontal à une rotation autour d’un axe vertical, entrainant la meule.
II – La restauration du moulin du Birlot.
Le moulin du Birlot sur l’île de Bréhat a été construit en 1638. De gros travaux ont été réalisés en 1744 et le moulin a produit de la farine jusqu’en 1916. A partir de cette période, le moulin s’est dégradé considérablement ne laissant presque rien du mécanisme interne et une digue en très mauvais état.
En 1990 le bâtiment et l’étang sont rachetés par la commune et quelques travaux de sauvegarde sont effectués. En 1994 est créée l’Association du Moulin du Birlot qui trouve des financements permettant en 1995-96 la réparation de la digue, la réfection du pavage et la porte à mer, en 1997 on procède au remontage des assises, l’année suivante on installe l’arbre de couche (axe horizontal), le rouet et la lanterne. Enfin en 1999 on réalise la mise en place du jeu de meules.et en 2000 le moulin produit de la farine.
En 2019, l’arbre de couche s’effondre car la durée de vie du chêne est de moins de 10 ans dans l’eau de mer à cause des marées, du soleil, des « tarets » (mollusques qui creusent des galeries dans les bois immergés) et des algues. Pour les mêmes raisons, la roue est elle aussi très abîmée. C’est alors qu’un projet de rénovation innovant est mis en place.
Un bénévole de l’Association du moulin du Birlot, Monsieur André Carsenat, suivant l’incitation de son petit-fils Gabriel âgé alors de 13 ans, lance un projet original pour remplacer la roue à aubes et l’ensemble du mécanisme.
Il faut dans un premier temps définir les besoins, choisir les matériaux mieux résistants que le bois, trouver un constructeur, un transporteur et un installateur, obtenir les autorisations et le financement.
Le choix du matériau est innovant car en France on effectue les rénovations en remplaçant avec un matériau identique à celui d’origine. Or, la roue sera en aluminium et non en bois. C’est une solution qui permettait d’avoir un mécanisme conforme à l’apparence de la roue d’origine tout en étant moins sensible aux éléments marins, transportable par barge, ne nécessitant aucun entretien particulier et surtout ayant une durée de vie supérieure à 40 ans soit quatre fois plus que le bois.
En 2020, alors que les schémas sont déjà prêts et grâce à la conception assistée par ordinateur CAO, le constructeur est trouvé. Il s’agit de EFINOR qui avait déjà fabriqué des bateaux en aluminium et des barges en bois pour les ostréiculteurs. Le transport sera effectué par Bréhat Marine une société qui vient de construire une nouvelle barge de transport (Le Quistinic). Enfin DAIGRE Bâtiment est choisi pour assurer les installations. La chaîne de compétences est complète, il ne reste plus qu’à obtenir les autorisations et le financement. La rénovation ne peut avoir lieu qu’avec l’aval de l’Association du moulin du Birlot, de la Mairie de Bréhat, de l’Architecte des Bâtiments de France, du Département des Côtes d’Armor et de la Région Bretagne. Finalement, en dépit du changement de matériau, toutes les autorisations sont obtenues en juin 2021. Quant au financement qui s’élève initialement à 50 000 euros, il est assuré de façon égale entre l’association, la mairie et les dons privés.
Quelques difficultés ont surgi au fur et à mesure de l’avancée du projet. Ainsi la crise sanitaire du COVID a provoqué une envolée du prix de l’aluminium, mais EFINOR ayant pu s’approvisionner suffisamment tôt a pu à peu près contenir les devis initiaux. Grâce au logiciel CATIA, dès le mois de janvier 2022, les pièces métalliques élémentaires sont usinées et l’assemblage en usine peut commencer ainsi que les premiers essais en atelier qui ont lieu courant mars 2022.
En mars le Quistilic est livré, l’ancienne roue pourra être enlevée, ce sera sa sortie inaugurale.
Commence alors l’installation sur site. Le rouet a été la pièce la plus difficile à installer de par ses dimensions, son poids et surtout l’accès réduit à l’intérieur du moulin. En mai 2022 ce sont la roue et l’arbre de couche qui sont mis en place en moins de 2 heures. Il faut effectuer la pose rapidement à cause des marées qui limitent les horaires de travail (on ne peut travailler que pendant les heures de basse mer).
L’inauguration officielle a eu lieu le 2 juillet 2022 comme prévu soit 13 mois après les autorisations.
CONCLUSION
Le moulin à marée du Birlot est un élément du patrimoine qui joue aussi un rôle pédagogique important. En effet, c’est un bâtiment historique qui nous amène à réfléchir sur la conservation du patrimoine et les moyens d’y parvenir, notamment en favorisant l’apport de nouveaux matériaux ou de nouvelles technologies et sortir du schéma traditionnel qui consiste à refaire à l’identique ce qui parfois a un coût élevé. Mais c’est aussi un bâtiment technique qui nous fait réfléchir sur les énergies renouvelables, des problèmes de physique, le phénomène des marées, etc.
La restauration de ce bâtiment du patrimoine culturel a été sans aucun doute une prouesse technique et technologique, dont la réalisation est due à des engagements personnels, de la volonté, et une chaine de compétences, beaucoup de solidarité et de compréhension. Par la nature même des matériaux employés et des procédés de fabrication, cette réalisation constitue un prototype. Puisse cette réalisation servir de modèle pour d’autres restaurations de patrimoine.
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