RICHARD WAGNER, LA REVOLUTION DANS L’ART

Thémes: Art, Musique                                                                                                                                                               Conférence du mardi 6 décembre 2022

RICHARD WAGNER, LA REVOLUTION DANS L’ART 

Par Cyril PLANTE, pianiste et compositeur, président du Cercle National Richard Wagner de Paris, Secrétaire général du Musée
Virtuel Richard Wagner

Richard Wagner est un artiste fort méconnu de nos contemporains qui ne voient en lui que le compositeur d’une musique agressive et bruyante (la célèbre Chevauchée des Walkyries) et le fait qu’Adolf Hitler fut totalement sous le charme de ses opéras.

Mais vous verrez que cet artiste romantique a eu une vie des plus intenses et que son œuvre est un hymne à l’amour, à la liberté et à la révolution.

Richard naquit le 22 mai 1813 à Leipzig. 9ème enfant du couple Wagner. Son père était greffier de la police municipale, qui aimait le théâtre et qui était cultivé. Sa mère était fille d’un boulanger mais sans avoir une grande culture, elle est ouverte au monde artistique. 6 mois après sa naissance, le père de Wagner meurt et très rapidement sa mère épouse l’ami de la famille, Ludwig Geyer, acteur et dramaturge. On soupçonne que Geyer avait une liaison avec Mme Wagner et que Richard serait son fils car Geyer sera toujours très proche de Richard. Mme Wagner va tout de même effectuer 160 km pour rejoindre en juillet 1813 Geyer pour lui montrer le petit Richard, en plein milieu d’une guerre sur le territoire allemand…

Toutes ces incertitudes pourraient être considérées comme des détails biographiques, si ces événements n’avaient pas eu une profonde incidence sur le psychisme de Wagner.

En témoigne l’obsession qu’il manifeste dans ses drames pour les «protagonistes sans père» (Robert Gutman). Que plusieurs héros wagnériens soient des orphelins ou que la mort du père occupe une place primordiale dans son œuvre n’est probablement pas un hasard.

L’enfant est très agité et Ludwig Geyer l’appelait son « petit cosaque ».

A 9 ans, il perd son second père.

La famille Wagner déménage souvent, Leipzig Dresde, puis Prague selon les engagements d’une de ses sœurs Rosalie qui est actrice. Son oncle Adolf Wagner qui est philologue lui fait lire Homère, Shakespeare, Goethe, Dante et toutes les tragédies grecques.

Richard est fasciné par le théâtre et il se met à la musique en prenant des leçons d’harmonie, puis il s’inscrit à l’université de Leipzig avec le Thomaskantor de l’église Saint Thomas. Il rencontre Weber, qui est un ami de la famille et il est fasciné par cet homme qui a composé le Freischütz, modèle de l’opéra romantique allemand.

En 1833, il compose son premier opéra, Les Fées, influencé par Weber. L’œuvre ne sera jouée qu’en 1888. Il réussit à décrocher un poste de directeur musical à Wurtzbourg puis à Magdebourg. En 1836, il compose la Défense d’aimer inspiré de la pièce de Shakespeare Mesure pour mesure.

En 1836, il rencontre une jeune actrice Minna Planer. La jeune femme a une fille qu’elle a eu à 15 ans et qu’elle fait passer pour sa jeune sœur. Les crises entre les deux époux se succèdent les unes aux autres et Minna quitte le ménage de Königsberg pour se rendre à Dresde en compagnie d’un négociant du nom de Dietrich. Depuis Dresde, Wagner entreprend alors un voyage à Berlin en vue d’entamer des pourparlers afin de signer un engagement au Théâtre de Riga. Minna l’y rejoint, après avoir envoyé à son époux une lettre lui demandant le pardon. Wagner trouve donc un poste de directeur musical et chef d’orchestre à l’opéra de Riga. Il y apprendra son métier d’orchestrateur.

En 1838, Richard se lance dans la composition de son opéra Rienzi.

RIENZI

Le sujet est basé sur l’histoire de Cola di Rienzo, plus précisément sur le roman historique d’Edward Bulwer-Lytton, et se déroule dans la Rome médiévale. Rienzi est si long qu’on programme l’opéra en deux soirées : l’ascension de Rienzi et la chute de Rienzi.

Après s’être essayé au style romantique allemand (Les Fées), puis italien (La Défense d’aimer), Wagner voulait conquérir Paris. Il créa donc une œuvre dans la veine du « Grand Opéra à la française » avec la volonté – déjà- de le surpasser : un sujet historique traité en cinq actes avec un ballet au troisième, de grandes scènes permettant de déployer de vastes parties chorales, des décors grandioses animés par des machineries aux effets spectaculaires et pas moins de douze solistes !

Le problème c’est que ce n’est pas rentable pour les directeurs de théâtre et les gens n’ont pas envie de payer deux soirées pour une seule œuvre. Pourtant c’est une magnifique partition.

En 1839, criblé de dettes, pour échapper à ses créanciers, le couple fuit Riga pour Londres. Ils ont un gros chien, un terre-neuve dénommé Robber, qui ne peut pas rentrer dans la calèche, aussi prennent-ils le bateau. Au large de la Norvège, ils sont pris dans une tempête qui lui inspirera alors le Vaisseau Fantôme.

Enfin arrivé à Paris, Wagner se précipite chez Meyerbeer, célébrité sur Paris pour lui présenter Rienzi et obtenir de lui des lettres de recommandation auprès de la direction de l’Opéra de Paris. Malgré les quelques lettres de recommandation de Meyerbeer et les nombreuses propositions que Wagner fait aux théâtres et à l’opéra, le compositeur n’arrive pas à s’imposer dans la capitale française et les dettes s’accumulent.

En 1841, Wagner habite à Meudon et achève enfin son Vaisseau fantôme. C’est un nouveau refus de la part de l’Opéra de Paris qui n’en achètera que … le livret (et pour la somme modeste de cinq cents francs). En Allemagne cependant, Wagner, grâce à l’appui de Meyerbeer dans les deux cas, s’ouvre une voie : Rienzi est accepté à Dresde et le Vaisseau fantôme, semble-t-il, à Berlin.

Le VAISSEAU FANTÔME

Condamné à errer sur les mers pour l’éternité pour avoir, selon la légende, défié Satan, le Hollandais n’a plus désormais droit d’appareiller qu’une fois tous les sept ans : à cette unique occasion, il doit essayer de conquérir le cœur d’une femme. Seul l’amour absolu d’une femme qui lui vouera une fidélité éternelle pourra le délivrer de la malédiction. Empruntant son inspiration à l’atmosphère fantastique chère aux auteurs du début du XIXème siècle qui aiment à se délecter de spectres, légendes et crimes passionnels, Richard Wagner adapte toutefois son livret à sa manière et tisse dès 1839 la trame d’un opéra en trois actes.

Le Hollandais rencontre un capitaine et lui propose des richesses en échange d’un mariage avec sa fille Senta. Justement Senta est fascinée par cette légende du hollandais volant. Elle tombe amoureuse de l’inconnu mais son fiancé Erik tente de la retenir. Le Hollandais croit en la trahison de la jeune femme et cette dernière, pour sauver le Hollandais, décide de se jeter dans la mer. Le Hollandais est absous de ses péchés.

Intervient pour la première fois la notion de rédemption par l’amour. Pour Wagner, seul l’amour peut nous permettre d’atteindre le repos éternel. Et quand je parle d’amour, il s’agit d’amour charnel, car  il est contre le mariage.

Il évoque également des notions comme la malediction. Et il utilise pour la première fois le système des leitmotive.

Le leitmotiv est un thème qui correspond à un objet, une idée, un personnage.

Après les désillusions de Paris, Wagner arrive à Dresde où on accepte de créer son Rienzi.

Lors de la création de Rienzi en octobre 1842, Wagner constate, horrifié, que l’opéra est d’une extrême longueur. L’enthousiasme du public est néanmoins au rendez-vous à la fin du cinquième acte, malgré les six heures qu’aura duré la représentation

En 1843, c’est au tour du Vaisseau fantôme d’être créé au Semperoper de Dresde (Théâtre Royal de la Cour de Saxe) sous la direction du compositeur. Le succès est plus mitigé que celui rencontré pour la création de Rienzi.  Peu après, Wagner est nommé au poste de Maître de Chapelle de la Cour Royale de Saxe.

A la même période, il commence à travailler sur son nouvel opéra Tannhäuser. Il faut savoir que Wagner travaille souvent à plusieurs œuvres en parallèle (il commence le livret des Maitres-Chanteurs de Nuremberg et également Lohengrin).

TANNHAUSER

Transporté par la lecture des légendes médiévales allemandes dont il décèle au fur et à mesure la portée atemporelle, Wagner imagine quasiment instantanément les trames de drames ou d’opéras à venir, tous hérités des légendes de l’Allemagne médiévale.

On trouve parmi les recueils offerts par Lehrs à Wagner, un ouvrage ayant pour titre Le Venusberg, et un autre intitulé Le Tournoi des chanteurs à la Wartburg (Der Sängerkrieg auf der Wartburg). Plus soucieux de portée dramatique de ses livrets que d’exactitude historique, Wagner introduit notamment dans son drame le personnage d’Elisabeth de Thuringe, dont la vie ne croisa pas celle des tournois des Minnesänger, ainsi que certaines figures emblématiques ayant réellement existé (les chanteurs courtois que furent Wolfram von Eschenbach et Heinrich von Ofterdingen).

Il résulte de ces fusions improbables de légendes un livret cohérent qui met en lumière plusieurs thèmes-clés comme l’opposition entre l’amour charnel et l’amour courtois, la rédemption par l’amour ainsi que l’insoumission du héros (auquel le compositeur s’identifie volontiers) à la rigidité d’un mode de vie trop codifié.

Le chanteur Tannhäuser vit depuis des années dans la grotte de Vénus mais il a la mélancolie de sa vie antérieure. Malgré les tentations de Vénus, il la quitte et retourne sur terre. Il retrouve ses anciens amis qui lui rappellent qu’Elisabeth, la nièce du Landgrave de Thuringe, est toujours amoureuse de lui.

A l’acte II, Elisabeth est ravie de revoir Tannhäuser. Le Landgrave annonce qu’il donnera la main de sa nièce aux chanteurs qui gagnera le concours. Se succèdent des chants d’amour courtois, vient le tour de Tannhäuser qui se lance dans un chant qui glorifie l’amour charnel. Devant le tollé général, Elisabeth décide d’exiler Tannhäuser à Rome pour absoudre ses péchés. Il suivra les pèlerins.

A l’acte III, Elisabeth prie Marie que Tannhäuser revienne. Un pèlerin survient ; c’est Tannhäuser à la recherche du chemin du Venusberg. Le pape lui a refusé le pardon et ne lui accordera que si le bois de sa crosse bourgeonne à nouveau. Il implore Vénus qui lui apparaît et dans les bras de laquelle il se précipite, mais Wolfram le ramène à la raison en rappelant le nom d’Elisabeth.

Une procession s’avance et au milieu d’elle, le corps d’Elisabeth, morte de chagrin. Terrassé par la nouvelle, Tannhäuser s’allonge auprès d’elle, invoque la sainte pour son salut, entent le chant des pèlerins annoncer qu’un miracle s’est accompli : le bâton du Pape a refleuri, le pardon divin a été accordé au pécheur.

Nous allons écouter la Romance à l’étoile

Las de sa charge de Maître de Chapelle et de plus en plus en contradiction avec les autorités de la Cour Royale de Saxe, Wagner envoie sa lettre de démission à von Lüttichau durant l’été 1847.

Peu à peu, les tensions politiques deviennent palpables.  A Dresde, le peuple descend dans la rue. Wagner fait la connaissance de Bakounine et s’engage politiquement. Au nom de la liberté de la presse, au nom de la liberté de pensée. Il pense à utiliser la légende allemande des Nibelungen et le héros Siegfried pour incarner

En octobre 1848, Wagner termine l’esquisse en prose de La Mort de Siegfried et décidément en verve, il pose les premières bases d’un drame dont le héros serait Jésus de Nazareth en 1849. Plus encore que ses premiers héros, Wagner voit en la figure du Christ l’incarnation d’un révolutionnaire social.

À la plume du compositeur s’allie celle, plus acerbe, plus révolutionnaire, plus ambitieuse encore, de l’engagé politique. Lors des émeutes populaires de 1849, Wagner redouble d’écrits tous plus subversifs les uns que les autres dans lesquels il prend ouvertement le parti des forces populaires. Que l’armée du royaume n’hésite pas à réprimer dans le sang. Wagner est désormais considéré, tel Bakounine, comme l’un des chefs de meute qu’il faut mettre hors d’état de nuire. Et arrêter.

Richard est suspecté d’avoir incendié l’opéra de Dresde.

Alors que la roi a pris la fuite et cherche refuge dans sa forteresse de Königstein, Richard Wagner prend lui-même le contrôle des ateliers d’impression des Volksblätter. Il fait imprimer des affichettes portant ces mots : “ Êtes-vous avec nous contre les troupes étrangères ? ” et qu’il fait distribuer au cours d’une suspension d’armes aux soldats saxons. Il s’en faut de peu pour qu’il ne soit arrêté à ce moment-là et passé par les armes sur le champ.

Alors que l’insurrection populaire est à son comble, un tableau quasi-surréaliste : Richard Wagner – ayant pour mission d’observer les mouvements de troupes aux abords de la ville et de transmettre ses rapports aux émeutiers basés au sein de l’Hôtel de ville – passe ses nuits et ses jours au sommet du clocher de la Kreuzkirche. Il y discute tantôt art, tantôt politique, tantôt philosophie avec ses compagnons d’armes qui viennent lui tenir compagnie.

Un décret d’arrestation à son encontre prononcé le 16 mai 1849 pousse le compositeur à prendre le chemin de l’exil. Chassé de sa patrie, recherché par la police, Wagner arrive en Suisse le 28 mai 1849. Commencent alors de longues années d’exil et d’errance

Richard Wagner met un point d’orgue à L’Œuvre d’Art de l’Avenir qu’il dédie à son père spirituel Feuerbach.

Dans l’œuvre d’Art de l’avenir, il définit l’opéra tel que nous le connaissons : des chanteurs qui sont des acteurs, une musique qui ne doit pas être qu’un simple accompagnement. Tous les arts doivent se mettre en oeuvre pour créer un spectacle esthétiquement parfait.  Il faut imaginer que les représentations de l’opéra de l’époque n’a pas les qualités d’aujourd’hui : décors empruntés à d’autres spectacles, les chanteurs sont statiques sur scène, les chœurs de même, chacun chantent dans sa langue d’origine, et on fait des coupures en plein milieu des œuvres.

LOHENGRIN

L’inspiration essentielle du compositeur provenait du Parzival de Wolfram von Eschenbach (un poème du XIIIème siècle qui rattache la chanson de geste de L’Épopée du Saint-Graal à celle du Chevalier au Cygne) ainsi que des Légendes allemandes que les frères Grimm avaient publiées entre 1816 et 1818.

Il faut savoir que le livret de Lohengrin tombe entre les mains du jeune Louis II de Bavière qui a 11 ans et ce dernier sans connaître la musique tombe sous le charme de la pièce théâtrale.

Elsa de Brabant est accusée d’avoir tuée son jeune frère. Les accusateurs sont Friedrich Telramund et sa femme Ortrud. Elsa est menée devant le peuple et rêve d’un chevalier qui viendrait la sauver. Soudain, une nacelle tirée par un cygne amène un beau chevalier inconnu. Il vient défendre Elsa et combat en duel Telramund. Il gagne le duel et accepte d’épouser Elsa seulement si elle promet de ne pas demander son identité, ni d’où il vient. Elle accepte.

Mais Ortrud sème le doute dans l’esprit d’Elsa qui le soir après la célèbre marche nuptiale ne peut résister de poser les questions interdites.

Lohengrin annonce alors qu’il se prénomme Lohengrin, qu’il est le fils de Parsifal et qu’il vient de Montsalvat, qu’il est un chevalier du Graal. Il est obligé de partir mais avant cela, le Cygne qui l’avait mené se transforme, il s’agit du jeune frère d’Elsa qu’Ortrud (qui est une sorcière) avait transformé en Cygne.

La création de Lohengrin eut lieu, sans la présence de son compositeur interdit de séjour en Allemagne, le 28 août 1850 au Théâtre grand-ducal de Weimar à l’occasion des fêtes organisées en commémoration du centenaire de la mort de Goethe, sous la direction musicale de Franz Liszt.

Wagner n’assista à sa représentation que onze ans plus tard, lors d’une production à l’Opéra de Vienne le 15 mai 1861. Œuvre emblématique de Wagner par excellence, exaltant de romantisme, Lohengrin est aujourd’hui l’un des opéras les plus joués du compositeur.

Nous allons écouter le prélude qui est typique. Il représente les anges qui viennent du ciel portant le Graal et qui repartent.

Après avoir essayé de revenir à Paris, puis un bref séjour à Bordeaux, Richard va à Zurich retrouver Minna Planer qui l’a suivi dans son exil.

S’étant vu offrir la direction du théâtre de Zürich, Richard Wagner esquisse en mai 1851 le scénario du Jeune Siegfried, la première partie d’un drame inspiré par la Chanson des NibelungenZürich, terre d’exilés de toutes conditions et origines, ville de libre expression, se révèle terrain de rencontres marquantes pour le compositeur. À partir de 1852, il fait la connaissance du jeune Hans von Bülow qui commence une timide carrière au poste de chef d’orchestre à Zurich, ainsi que de Otto Wesendonck, futur mécène, et de son épouse Mathilde qui sera sa future muse.

Wagner accepte la proposition de venir s’installer avec son épouse Minna à l’« Asile », une bâtisse construite sous la forme d’un chalet à proximité de la propriété que le couple vient de se faire construire  sur la colline d’Enge, à Zurich. Le compositeur, sous le charme de sa muse, Mathilde Wesendonck, abandonne son héros Siegfried dans la forêt et se consacre alors pleinement à Tristan.

Mais dès le début 1858, le conflit s’envenime entre “L’Asile” et la Villa Wesendonck, Minna commençant à comprendre la relation qui unit son époux à Mathilde. Le scandale éclate à l’interception par Minna d’une lettre “équivoque”  entre le compositeur et son égérie.

Wagner doit quitter l’ « Asile » définitivement. Sans Minna. Prochaine étape pour le compositeur : Venise, puis Lucerne. Toujours des difficultés financières, toujours des dettes et toujours Tristan et Isolde.

On va évoquer TRISTAN

Il s’agit également du seul ouvrage résultant d’une commande dans la carrière du compositeur : le 9 mars 1857, Wagner reçoit la visite du Dr. Enesto Ferreiro-França, émissaire de l’Empereur Dom Pedro II du Brésil qui demande à ce dernier de lui composer “un opéra dans le style italien” afin de faire représenter celui-ci à Rio de Janeiro. Séduit par cette commande et attiré, comme toujours à travers ses œuvres, par le projet de magnifier sur scène la puissance de l’amour, et par de l’argent Wagner abandonne provisoirement la composition de La Tétralogie (il en est alors à la composition de l’acte II de Siegfried) ainsi que son projet des Maîtres chanteurs de Nuremberg dont il a déjà tissé la trame principale.

Sur l’aspect philosophique, Wagner retient de la pensée de Schopenhauer, axée sur une vision pessimiste de la condition humaine, la souffrance de l’homme tiraillé entre le désir de mort et l’amour.  Mais pour le philosophe, l’homme doit tuer cette volonté en lui par l’ascèse (à la manière des bouddhistes) et la négation. Wagner, lui, réinterprète cette pensée et montre une fusion enfin atteinte dans la mort entre les deux amants, sous le voile bienfaisant de la nuit qui tient un rôle central dans l’opéra.

Du reste, les motifs musicaux de deux des Wesendonck-Lieder, le cycle de cinq mélodies composées par Richard Wagner sur des textes de Mathilde Wesendonck, Träume (Rêves) et Im Treibhaus (Dans la serre) furent repris dans le drame musical.

Il achèvera Tristan et Isolde à Venise, au cours de l’automne 1858, l’atmosphère lugubre de la ville en cette saison et le chant plaintif des gondoliers lui inspirant la noirceur de la composition de la musique du troisième acte.

L’aventure de la création sur scène de l’oeuvre se déroula de manière sans aucun doute aussi pénible et douloureuse que la composition de celle-ci : persuadé que seul l’orchestre de l’opéra de Vienne était capable d’interpréter l’une des partitions les plus novatrices et audacieuses de son temps, Wagner prépara les répétitions de Tristan et Isolde à Vienne à partir de 1861. Nietzsche travailla d’ailleurs la réduction pour piano cette même année. Mais à la suite de la mort de Maxilimien II en 1864, la représentation de Tristan fut annulée.

Pourtant, l’oeuvre fait date dans l’histoire du langage musical, notamment par son prélude, présentant les leitmotive qui seront développés tout au long du drame. Au tout début de l’ouvrage, un accord étrange, dissonant (que l’on surnomma par la suite l’accord de Tristan) semble ne pas répondre aux règles harmoniques habituelles. Ainsi en va-t-il de tout l’ouvrage qui pousse dans ses retranchements le cadre de la tonalité : avec Tristan et Isolde, Richard Wagner ouvre une nouvelle porte à l’expression musicale qui, par la suite, inspireront des compositeurs tels que Claude Debussy chez  les français, ou bien encore les compositeurs de l’Ecole de Vienne (Arnold Schoenberg, Anton Webern…) qui allèrent encore plus loin que les audaces initiées avec Tristan et Isolde et ouvrirent ainsi la voie au dodécaphonisme.

Le 10 septembre 1859, Wagner est invité par l’Opéra de Paris à venir y faire représenter son Tannhäuser avec le solide appui de la princesse Pauline von Metternich, épouse de l’ambassadeur d’Autriche à Paris.

Wagner serait-il enfin en bonne voie pour faire se faire accepter des Parisiens ? Les premiers mois à Paris s’avèrent prometteurs, les premiers concerts dirigés par le compositeur  remportant un honorable succès. En revanche,  à l’occasion des répétitions de Tannhäuser, le compositeur doit entièrement remanier l’œuvre.

Et surtout, on impose à Wagner, selon l’usage, d’intercaler un ballet au deuxième acte de son ouvrage, en l’absence duquel il risquerait de se voir attirer les foudres des membres du Cercle du Jockey-Club dont les maîtresses n’étaient autres que les jeunes danseuses du corps de ballet ! Mais Richard Wagner n’entend pas ces mises en garde : si ballet il doit y avoir, ce sera une bacchanale, et au premier acte de son ouvrage, directement après l’ouverture. Victime d’une cabale sans précédent, l’œuvre qui déclenche les passions (et les sifflets des membres du Jockey-Club) est retirée au bout… de trois représentations ! Wagner quitte Paris le 15 avril 1861 avec ce mot : “ Les français sont des idiots ! ”

Mais tout va changer en 1863, tout d’abord il avoue son amour à Cosima von Bülow et il est autorisé à revenir en Allemagne.

Wagner se bat, encore et toujours, contre les problèmes financiers. En 1864, acculé par les dettes, totalement désespéré, le compositeur songe pour la première fois au suicide.

Fuyant Vienne et cherchant, comme toujours, refuge auprès de ses amis, il est accueilli par Eliza WilleMathilde Wesendonck quant à elle lui fait parvenir des meubles ainsi qu’un piano.

Wagner espère un miracle et celui-ci arrive : le jeune monarque Louis II de Bavière appelle le compositeur. Il lui fait part de son admiration et le comble de bienfaits matériels. “Mais, grâce à mon auguste ami, le fardeau de la vie me fut définitivement épargné.” déclare alors l’artiste. Wagner s’installe donc à Munich.

A partir de cette date, voire plusieurs fois par jour, le roi en personne se déplace à la villa Pellet afin de rendre visite à son ami, ou bien reçoit ce dernier dans sa résidence d’été du château de Berg, situé à proximité.

Peu après, Cosima ainsi que ses filles Daniela et Blandine se rendent auprès du compositeur.

Fin 1864, enthousiaste, le roi Louis II de Bavière décide officiellement de faire construire à Munich un Festtheater (Théâtre des Fêtes), grand édifice moderne en pierre, sur la rive droite de l’Isar, en vue de la création de La Tétralogie. Plusieurs architectes sont pressentis, mais le roi pense confier les plans du futur bâtiment à Gottfried Semper (par ailleurs ami de Wagner).

Mais Wagner, sûr de son influence sur le jeune monarque, déborde du champ musical et veut se mêler de tout. Depuis des conseils « personnels », en familiarités en public, puis… de politique ! C’en est trop pour l’entourage du monarque ! Dès février 1865, le compositeur connaît sa première disgrâce auprès de la Cour de Bavière.

Ailleurs, un bonheur l’attend : la naissance d’Isolde von Bülow. Bien qu’officiellement reconnue par Hans von Bülow, Isolde est la première fille de Richard et Cosima. Cette naissance s’accompagne peu après, le 10 juin 1865, de la première de Tristan et Isolde.

Mais quelques mois plus tard, en décembre 1865, Wagner est contraint de quitter Munich par arrêté du Roi. C’est la disgrâce. Un nouvel exil contraint et obligé pour le compositeur ! Alors qu’il voyage à Marseille, Wagner apprend en janvier 1866  la nouvelle du décès de son épouse Minna à Dresde, d’un infarctus du myocarde.

C’est à ce moment que commencent les années Tribschen,  du nom du lieu où se situe la villa sur le lac des Quatre-Cantons, non loin de Lucerne.

Lorsqu’en février 1867 naît Eva (Wagner est en pleine composition des Maîtres Chanteurs de Nuremberg), deuxième enfant de Richard Wagner et Cosima von Bülow, Hans von Bülow en assure à nouveau officiellement la paternité. Cela n’entame pas les relations entre le compositeur et le chef d’orchestre : Hans von Bülow en effet dirige la Première des Maîtres Chanteurs de Nuremberg au Hoftheater de Munich qui reçoivent d’ailleurs un accueil extrêmement chaleureux de la part du public. Et déjà, Wagner se remet à la composition de La Tétralogie et achève celle du deuxième acte de Siegfried, qu’il avait abandonné provisoirement pour mieux se consacrer à la composition de Tristan.

C’est à Tribschen en 1869, que Wagner fait connaissance d’un jeune homme, Friedrich Nietzsche. Ce dernier ayant perdu son père compense ce manque en s’attachant à Wagner comme un père de substitution et une nouvelle famille. En 1869, Cosima donne naissance à Siegfried.

Et c’est en août 1870 que Cosima épouse Wagner (enfin !)

Alors que le sentiment anti-wagnérien se développe en France – la nation vient de perdre la guerre de 1870 contre la Prusse – Wagner s’apprête à réaliser le rêve d’une vie.

En pleine verve créatrice, Richard Wagner précise son projet de monter l’intégralité de La Tétralogie sur la scène de l’Opéra des Margraves de Bayreuth ou sur la scène d’un théâtre qui serait entièrement dédié à la représentation de ses œuvres.

Les autorités de la ville de Bayreuth mettent à la disposition du compositeur un terrain à bâtir juché sur une colline à l’extérieur de la ville, le Bürgerreuth, pour la somme de 14.000 guldens. En route donc pour Bayreuth. En avril 1872, Wagner quitte définitivement Tribschen. Il faut rappeler que Wagner souhaitait un théâtre en bois pour le démonter et surtout des représentations gratuites pour le peuple.

Le 22 mai 1873, Wagner fête ses 60 ans. Un an s’est écoulé depuis le début des travaux. Le chantier est plus long que prévu. En 1874, alors que le projet est au bord de la faillite, Louis IIl’indéfectible mécène, vole malgré les disputes passées au secours de Wagner. Soulagé, Richard Wagner s’installe avec Cosima le 28 avril 1874 dans la Villa Wahnfried, construction pour laquelle le roi Louis II de Bavière a également contribué à hauteur de 25.000 thalers. Lorsqu’en Août 1874  Friedrich Nietzsche séjourne à Wahnfried, une querelle lézarde l’amitié qui liait les deux hommes. Mais Wagner n’a à ce moment qu’un objectif en tête : l’avènement du Festival.

Enfin, en juin 1876, débutent les (vraies) répétitions de La Tétralogie au Festspielhaus et le 13 août 1876, c’est la grande inauguration du premier Festival de Bayreuth : sous la direction de Hans Richter, représentation de L’Or du Rhin (Das Rheingoldle 13de La Walkyrie(Die Walkürele 14, de Siegfried le 16 et du Crépuscule des Dieux (Götterdämmerung) le 17. La première édition du Festival remporte un succès musical exceptionnel, un succès artistique en demi-teinte et une débâcle financière. En effet, malgré le succès, malgré les aides financières et malgré les apports personnels du couple Wagner, le Festival génère un déficit énorme.

Si Wagner renfloue en partie, par l’entreprise inespérée du directeur de l’Opéra de Leipzig, les caisses d’un Festival dont la première édition a creusé un déficit d’une importance colossale, c’est dans l’objectif de l’avènement d’une nouvelle œuvre. En vertu du pouvoir créateur de Wagner, 1877 marque en effet la naissance de Parsifal. Œuvre emblématique, moquée par les adversaires du compositeur qui y voient un christianisme mièvre de fin de siècle, véritable chant du cygne pour les autres, la composition de Parsifal commence par l’écriture du poème que le compositeur-dramaturge achève en à peine quelques mois.
Malgré sa brouille avec Nietzsche (qui, entre-temps, a fait paraître son Humain trop humain), malgré ses combats  (il s’engage notamment dans une lutte contre la vivisection), malgré les alertes d’une santé préoccupante, Wagner achève assez rapidement, en 1879, la composition musicale de Parsifal.

Wagner organise donc son deuxième Festival et prévoit la création de Parsifal à Bayreuth pour 1882. Le travail est énorme : se mêlent soucis techniques et – une fois encore – financement compliqué. Par ailleurs, un sentiment fortement antisémite s’est largement développé en Allemagne, occasionnant une situation de crise à Wahnfried. En effet, c’est le chef d’orchestre Hermann Levi que Wagner a choisi pour diriger la création de Parsifal. Ce choix ne fait pas l’unanimité et le compositeur reçoit des lettres l’accusant d’entacher ainsi la soi-disant pureté de son œuvre. Levi, blessé, s’éloigne mais il est rattrapé par Wagner : c’est lui qu’il veut pour créer son Parsifal et personne d’autre.

Mais Wagner, épuisé par cette nouvelle composition et cette création dans laquelle il s’est donné corps et âme, retourne à Venise. Mais Wagner reste un séducteur et il est émoustillé par une jeune fille en fleur, jeune choriste et Cosima lui fait une scène de ménage. Wagner, malade du cœur, fait une crise cardiaque et décède sur un canapé. C’est dans la ville des Doges qu’il s’éteint le 13 février 1883. Le corps est embaumé, la dépouille est rapatriée et Richard Wagner est inhumé en grande pompe à la villa Wahnfried le 18 février. Il laisse derrière lui une veuve éplorée, des enfants encore jeunes, une œuvre monumentale et un Festival à gérer.

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