Thèmes: Art, Littérature                                                                                                                       Conférence du mardi 29 mai 1990

RONSARD À LA COUR

 Par Jacques Dugied

Le personnage de Ronsard est difficile à aborder en raison de la diversité des facettes de sa personnalité, mais c’est aussi cette diversité qui rend le personnage passionnant.

Ronsard a été un créateur, chef d’une école poétique nouvelle qui a décidé de glorifier son nom et celui de sa famille, non par armes, mais par sa plume. En parcourant son œuvre, on est frappé par la multiplicité des moyens qu’il mettra au service de ses ambitions.

Sa notoriété fut grande, comme amoureux des femmes, de la nature ou de son pays ; comme philosophe ou moraliste, comme chroniqueur de son temps ou héraut de la gloire des grands, comme politique ou ecclésiastique dans la lutte contre les réformés.

« Ronsard à la Cour de France » c’est un Ronsard au contact avec les rois successifs, avec la famille royale et avec les hauts personnages.

Pourquoi ce choix ? Parce que sa présence à la Cour, tantôt familière, tantôt officielle va durer près de 50 ans, à partir du jour où son père le fait entrer, comme page, au service des enfants de François 1er : Pierre de Ronsard n’a pas encore 12 ans. Il ne perdra plus le contact avec la Cour, pratiquement jusqu’à sa mort.

C’est des services rendus aux grands, et notamment à Catherine de Médicis, gouvernante de France, qu’il tirera, à partir de la quarantaine, la plus grande part de son aisance financière.

« Quatre règnes vont me servir de cadre à la présente causerie : de François 1er à Henri III ; le cinquième, celui de François II, est tellement éphémère qu’il n’a pu marquer, ni la carrière, ni l’œuvre de Ronsard. »

1 – Règne de François 1er

Pierre de Ronsard est né le 11 septembre à Couture (en Bas-Vendômois) à la Possonnière, élégant manoir Renaissance.

Son père, l’un des 100 gentilshommes de l’Hôtel du Roi Louis XII, est fait chevalier à l’âge de 21 ans. Il a reçu l’Ordre de Saint-Michel à 36 ans. Au service de Louis XII et de François 1er, guerroyant en Italie, il a passé 22 fois les Alpes. Il a la confiance de ces deux souverains,

Pendant les nombreuses absences de son père, Pierre connaît une éducation chevaleresque par sa mère, Jeanne Chaudrier, et reçoit l’enseignement d’un précepteur. Mais il profite d’une grande liberté, partageant ses jeux avec les enfants des laboureurs, ou partant seul, tout craintif, dans la forêt de Gâtine. Les instincts poétiques du jeune Pierre, s’éveillent déjà au contact de la nature.

Mais Loys Ronsard, son père, veille à l’avenir de son cadet, normalement destiné à la carrière ecclésiastique.

Il envoie son fils au Collège de Navarre sur la montagne Sainte-Geneviève à Paris, un collège renommé qui reçoit les enfants bien nés, pépinière d’hommes d’église.

C’est un échec, le sauvageon n’a pas supporté la discipline, il quitte le collège après six mois.

Pierre rentré en son foyer, multiplie escapades dans la nature, où il médite sans doute les chants bucoliques des auteurs latins et forge ses premiers vers :

« Je n’avois pas douze ans qu’au profond des vallées,

« Dans les hautes forests des hommes recullées,

« Dans les antres secrets de frayeur tout-couvers,

« Sans avoir soin de rien je composais des vers ;

Loys est inquiet, les muses ne nourrissent pas son homme. Il décide que son fils sera voué aux armes. Depuis quelques années Loys est intendant de la maison du dauphin François. Il obtient de faire entrer son fils au service de ce dernier, comme page.

Nous sommes en août 1536, le dauphin François accompagne son père et l’armée royale en route vers la Provence pour en chasser Charles-Quint.

A la suite d’un malaise, François s’est arrêté à Tournon. C’est là que jeune Pierre a rejoint son maître. Il le voit porter au château sur une civière. Trois jours plus tard, assiste à la mort du dauphin.

Henri, marié depuis 3 ans à Catherine de Médicis, devient le dauphin. Pierre passe au service de Charles, le 3ème fils de François 1er. Charles a 14 ans, il est d’un caractère gai, ouvert ; c’est le mieux aimé des enfants royaux.

Les troupes de Charles-Quint ayant regagné l’Italie, François 1er retrouve la famille royale à. Châtellerault. Là, le Roi Jacques V, venu trop tard offrir au Roi de France ses services contre l’Empereur, tombe amoureux de Madeleine de France, et la demande en mariage. Celui-ci est fixé à janvier 1537 à Notre-Dame de Paris.

Charles d’Orléans souhaite faire à sa sœur et à son beau-frère un magnifique cadeau de mariage : il leur confie le plus beau, le plus courtois de ses pages, Pierre de Ronsard qui a de bonnes façons.

Jacques V retient son jeune page, qui en deux séjours demeure plus de deux ans à la Cour d’Ecosse, où il connaîtra la deuxième épouse du Roi, Marie de Guise, sœur de Charles de Lorraine, la future mère Marie Stuart.

Jacques V assure au jeune Vendômois (c’est sous ce vocable qu’il est porté sur les rôles de la comptabilité royale) une éducation militaire : maniement des armes, équitation, sports, activités dans lesquelles notre page semble avoir excellé.

C’est un page accompli qui, fin 1539 reprend son service auprès de Charles, à l’écurie royale, rue Saint-Antoine, dans ce Palais des Tournelles si cher à Henri le dauphin et à son épouse Catherine de Médicis. Pierre devient écuyer du dauphin Henri, un excellent cavalier :

« Quant à bien manier et piquer un cheval,

« La France n’eut jamais, ny n’aura, ton égal »…

Pierre contracte un mal d’oreille, sans doute une otite, compliquée d’une mastoïdite, qui le laisse demi-sourd.

Adieu la carrière militaire et même la carrière diplomatique.

Loys Ronsard tenait, avant de mourir, à assurer l’avenir de son fils. L’occasion lui en est donnée en 1543, lors des funérailles solennelles de Guillaume du Bellay, un cousin des Ronsard, grand homme, homme de confiance de François 1er, gouverneur de Turin.

Ses funérailles furent célébrées au Mans, après lesquelles, sur la demande de son père, notre poète s’engagea au service de l’Eglise, fit vœu de célibat et reçut la tonsure : il ne sera jamais prêtre.

Cet engagement conféra à Ronsard le droit de recevoir des charges ecclésiastiques : paroisses, prieurés, abbayes ou canonicats et, bien entendu, les bénéfices correspondants.

Loys pouvait mourir tranquille : D’ailleurs, son père à peine disparu, Pierre qui a 20 ans se sent libre de se consacrer à la poésie et décide de reprendre ses études ; il demande un congé à l’Ecurie Royale, sans être rayé du rôle. Il traverse la Seine et se rend chez Lazare de Baïf, près du quartier de la Sorbonne.

Lazare a confié son fils naturel, Jean-Antoine à un précepteur, Jean Dorat, un helléniste et latiniste renommé, dont Ronsard va bénéficier des cours, donnés à son cousin de 8 ans plus jeune que lui.

Bien qu’en congé de l’Ecurie Royale, l’écuyer Ronsard est appelé de temps en temps à servir son maître le dauphin. Ainsi en 1545, se retrouve-t-il avec Henri à la cour de Blois. Au cours d’un bal, il remarque Cassandre Salviati et en tombe amoureux pour la vie.

Homme d’Eglise il ne peut l’épouser. Cassandre épouse l’année suivante un petit seigneur blésais, Jean de Peigné, seigneur de Pray.

2 – Règne de Henri II

L’accession au trône d’Henri, à la mort de François 1er en 1547, libère Ronsard de sa fonction d’écuyer.

Nous abordons là une période, couvrant une dizaine d’années (1547-1557) pendant laquelle Ronsard vit à l’écart de la Cour, tout en maintenant le contact avec elle, soit à coups de boutoir contre les poètes officiels, soit en proposant ses services de poète, soit en chantant la gloire des grands.

Mais surtout une période primordiale pour notre futur poète, une période d’études acharnées et de bouillonnement créateur. Pierre suit au collège de Coqueret l’enseignement de Jean Dorat, devenu principal de ce collège. Cet remarquable va leur faire découvrir et aimer les richesses poétiques et mythologiques des grecs et des latins ; il va mettre ses élèves au défi de faire mieux que les anciens en se servant de la langue française, jusque-là vulgaire.

Ronsard et ses compagnons d’études abandonnent les formes poétiques traditionnelles populaires, comme le rondeau et mettent au point des structures renouvelées, à l’instar des anciens : les odes, les sonnets, les hymnes, les élégies, etc.

Mais ils s’attaquent en même temps à la langue elle-même pour en faire un outil dont la richesse devra être à la hauteur des besoins des poètes : « Défense et illustration de la langue française » est leur charte, un travail collectif, signé Joachim du Bellay.

C’est la naissance de la Brigade, que Ronsard baptisera la Pléiade par la suite, et dont il s’avère le chef dès le départ. Il a décidé d’immortaliser son nom par la plume, rien ne l’arrêtera plus dans cette voie.

Pour les entrées officielles à Paris de Henri II et de Catherine de Médicis, après le sacre de celte dernière à Saint-Denis, Ronsard et Joaquim du Bellay posent leur candidature de poètes des cérémonies.

Pendant cette période de dix années, Ronsard est d’une activité poétique débordante : il prépare les quatre premiers livres des Odes, odes qui sont dédiées au Roi Henri II et qu’il publie à partir de 1550. Il a commencé depuis longtemps les Sonnets à Cassandre qui, sous le titre de des Amours, vont paraître en 1552.

Dans la préface au Lecteur des Livres des Odes, notre poète attaque de front les poètes à la mode, les poètes officiels, qui n’ont pas su renouveler les genres et les structures poétiques, ni enrichir la langue française.

Les réactions à Cour sont violentes, Melin de St-Gelais, poète justement apprécié, fait au roi la critique des œuvres de Ronsard et de la Pléiade.

Henri Il est agacé par l’audace de son ancien écuyer. Il oublie les louanges formulées par lui à son égard dans les Odes, il fait la sourde oreille aux appels du poète et le tient à l’écart de la Cour.

C’est la nièce de Marguerite de Navarre qui viendra au secours du poète , Marguerite, sœur de Henri II, qui connait bien l’ancien page de ses frères, intervient, avec l’aide de son secrétaire, Michel de l’Hospital, auprès des deux poètes antagonistes et obtient une réconciliation franche et sincère.

Pendant ce temps, le succès des Amours est irrésistible, Ronsard publie un recueil de musique, dans lequel il fait harmoniser ses sonnets à Cassandre, par des compositeurs de renom : Muret, Certon, Janequin, Goudimel. Tout Paris chante du Ronsard.

Pour forcer la réserve du roi et des princes, Ronsard crée un genre nouveau : dès 1555, il publie en alexandrins, le Livre des Hymnes, chants à la gloire des Grands.

Le Roi garde encore ses distances, toutefois il n’est pas insensible succès de son ancien écuyer. Il le prend à son service personnel, en le nommant Aumônier Ordinaire du Roi, fonction fort bien rémunérée, que notre « gentilhomme vendômois » conservera toute sa vie et lui imposera d’avoir un domicile à Paris.

C’est au château d’Anet, construction due à Philibert Delorme et financée, pour Diane, par le Roi, que Ronsard rencontre son ancien condisciple du collège de Navarre, Charles de Guise, Cardinal de Lorraine, chef de la police et de la sécurité.

Notre poète n’avait plus osé l’aborder, le pensant selon ses mots, trop superbe et trop fier.

Les voici maintenant face à face ; le cardinal se montre « humain et accointable ». Deux jours après, le poète osera faire une requête au Roi et ne sera pas déçu : Henri Il agrée le projet de la Franciade, épopée de la monarchie française que Ronsard fonde sur Francus, alias Astyanax, le fils d’Hector qui aurait, selon Ronsard, échappé à la mort, lors du désastre de Troie.

En réalité, les quatre premiers livres de la Franciade ne paraîtront qu’en 1572, grâce aux largesses de Charles IX.

Sur le plan financier, notre poète est inquiet. Ni les droits, d’ailleurs faibles, versés par les éditeurs des Odes et des Amours, ni les honoraires d’aumônier du roi ne lui suffisent pour tenir le rang qu’il s’est fixé ou a acquis par sa notoriété. Comme les chevaliers, doit protection aux veuves et orphelins, il a ses pauvres.

En 1558, Melin de Saint-Gelais, le chef des poètes officiels, meurt. Henri Il offre à Ronsard de prendre sa place : notre gentilhomme vendômois reçoit sa consécration de « Prince des Poètes et de Poète des Princes ».

Deux ans après la défaite de Saint-Quentin, c’est-à-dire après deux années de négociation entre la France, l’Angleterre, l’Espagne et le Duc de Savoie, le Roi se décide à signer le traité de Cateau-Cambrésis. La France perd l’Italie et rend la Savoie à son Duc.

De ce traité naissent deux alliances : Elisabeth de France épouse Philippe II, Roi d’Espagne et Marguerite de France, Duchesse du Berry, épouse Emmanuel Philibert de Savoie. A l’occasion des noces, la rue Saint-Antoine, près de la Bastille, cannait une série de tournois, dont celui du Roi, qui lui sera fatal. Malgré les prédications de Nostradamus, il engage le combat contre Montgomery, il est blessé et meurt 10 jours après (le 9 juillet).

L’œuvre de Ronsard fait beaucoup de place aux allusions à cette mort et à ses conséquences. Il sent les fondements de sa réussite récente vaciller sous ses pieds, il regrette le départ en Savoie de Marguerite, son amie d’enfance à la Cour, sa protectrice efficace.

3 – Règne de François II

La mort de Henri II place sur le trône un roi de 15 ans et demi, de santé déplorable.

François a épousé l’année précédente Marie Stuart, fille de feu Jacques V, Roi d’Ecosse. On peut rappeler que depuis l’âge de 5 ans, Marie Stuart a été élevée à la Cour de France.

Bien que majeur, François se sent trop jeune pour régner ; Catherine désemparée le confie aux Guise, oncles de la reine Marie. Les protestants, par la conjuration d’Amboise, tentent de leur enlever le pouvoir. Ronsard dédiera de nombreux vers à Marie Stuart.

4 – Règne de Charles IX

L’enfant-roi a 10 ans et demi. Les Etats Généraux se réunissent à Orléans 8 jours après la mort François II. A l’ordre du jour, le financement de la dette énorme de l’Etat : 43 000 000 livres, 2 à 3 fois ses ressources.

Mais les problèmes majeurs sont :

• —d’une part, de rétablir la hiérarchie des pouvoirs en les retirant partiellement aux Guise ;

• —d’autre part, de trouver un modus vivendi avec les protestants.

Catherine prend le titre de gouvernante de France ; elle s’appuie sur Michel de l’Hôpital, protestant, tolérant, qui va l’aider à tout tenter pour maintenir au pouvoir à côté des Guise, les princes acquis à la religion nouvelle : à savoir, les Bourbon-Vendôme et les Châtillon-Coligny.

Ronsard, aumônier ordinaire du roi, est au contact avec le jeune Charles. Il n’en est pas précepteur attitré et pourtant, il lui consacre beaucoup de temps et s’en fait un ami très proche, amitié qui deviendra accaparante de la part du roi et durera jusqu’à la mort de ce dernier. A certaines périodes de surtension avec les protestants, il arrive que le roi exige de son ami qu’il ne quitte pas la capitale.

Dès 1561, notre poète écrit l’Institution pour l’adolescence du Roy très chrétien IXème de ce nom » soit près de 200 alexandrins.

Les recherches de Catherine de solutions de compromis, irritent les Guise qui se considèrent comme les seuls défenseurs de l’Eglise contre les hérétiques.

Le dimanche 1er mars 1562, François, Duc de Guise quittant ses terres de Joinville et route vers Paris, fait irruption dans un prêche interdit, au centre de la petite ville de Wassy. Il laisse à terre 75 morts et une centaine de blessés.

C’est le signal de la première guerre religieuse, qui touche en instant une grande partie de la France. Orléans est immédiatement occupée par Condé. Lyon, Blois, Bourges, Le Mans, Rouen, Le Havre passent aux mains des protestants.

Ronsard ne dit mot de Wassy : mais il se précipite en son pays, où il lève une petite troupe pour défendre la paroisse d’Evaillé (près de Saint-Calais) dont il est curé -baron commendataire. Il voit sur place la mise à sac des églises, la misère des campagnes et s’en prend aux protestants.

En 1562 et 1563, il écrit une série de grands poèmes politiques dont : « Discours des misères de ce temps » dédiés à Catherine de Médicis et « Remontrance au peuple de France  » ; c’est plus de 2000 vers qu’il va publier avec une verve et un sens politique remarquable.

Vers 1580, un protestant faiseur de libelles pourra dire que l’échec de la Réforme en France est dû à Ronsard et autres vilains poètes. Ronsard ne se contente pas de s’attaquer aux protestants, il vise le laxisme des rois et de l’Eglise.

Après la reprise de Rouen, de Duc de Guise défait les troupes protestantes à Dreux. Le Connétable de Montmorency et Condé sont faits prisonniers par chacun des camps adverses, peu après, François de Guise est assassiné devant Orléans, qui est reprise. Dans les 2 camps, les finances sont épuisées et les combattants sont las.

Par l’édit d’Amboise, un nouveau compromis est accepté par Condé, la paix semble revenue.

Ronsard fait des appels discrets à la générosité de la reine-mère et du jeune roi, pour services rendus.

Marguerite, la protectrice du poète, écrit de Savoie à son neveu Charles. Les résultats ne se font pas attendre. Ronsard reçoit les bénéfices d’une abbaye de Prémontés à Bellozane (au nord de Rouen), abbaye qu’il échange rapidement.

Il recevra peu après et, coup sur coup, la charge et les bénéfices de trois Prieurés : celui de Saint-Côme près de Tours (où il mourra 20 ans plus tard), les deux autres en Vendômois, à Ternay et à Montoire (Saint-Gilles, cette merveille romane).

Catherine demande alors à Ronsard d’organiser des fêtes de Cour, où elle espère voir les princes des deux confessions se côtoyer pacifiquement.

Celui-ci organise le Carnaval de 1564 à Fontainebleau qui se prête magnifiquement à de telles réjouissances. Le Carnaval terminé, c’est de ce château que la Cour va partir pour un grand tour de France, pendant lequel Catherine a prévu de présenter le jeune Roi à son peuple. Une immense cohorte, jusqu’à 10 000 personnes et 10 000 chevaux qu’il faudra héberger, nourrir tout le long des frontières de la France. Le Roi et la Reine-Mère se déplacent avec le Grand Conseil et tout l’appareil du gouvernement, qui fonctionnera tout au long de 2 années et demi.

On passe à Troyes, où le 12 avril, est signé le traité du même nom avec l’Angleterre, traité qui entérine la reprise du Havre aux Anglais. Elisabeth Ière abandonne définitivement ses prétentions sur Calais. Ronsard, sur la demande de Catherine, envoie un recueil de poèmes à la Reine d’Angleterre.

La Cour rentre au Louvre. Les réformés protestent de toute part, car l’Edit d’Amboise, qui reconnaît une certaine liberté de conscience et de culte aux protestants est considéré trop souvent comme lettre-morte par les responsables catholiques.

Ronsard est près du roi, il le suit dans ses déplacements qui sont souvent commandés par les soulèvements des protestants. Ceux-ci ne renoncent pas à leur projet de s’emparer du Roi pour en faire un otage.

Ronsard et Charles IX échangent des vers que notre poète ne publiera qu’un 1575, après la mort du Roi.

La guerre religieuse s’est portée en Poitou où les protestants détiennent à la Rochelle un très fort point d’appui.

Ronsard assure la chronique de cette campagne où il loue les vertus guerrières du jeune Henri d’Anjou (futur Henri III), qui, à 8 ans, commande des troupes royales.

II est temps de marier le roi : en novembre 1570, la Cour de France s’installe à Mézières, aux frontières de l’Empire pour les cérémonies du mariage avec Elisabeth d’Autriche, petite-fille de Charles-Quint.

C’est une petite princesse de 16 ans, blonde et charmante. En mars 1571, elle est sacrée Reine à Saint-Denis et fait son entrée à Paris, dans des décors et glorieuses inscriptions choisies et écrites par Ronsard.

« Catherine a régi le navire de France

« Quand les ventz forcenez la tourmentoient de flots

« Mille et mille travaux a porté sur son dos,

« Qu’elle a tout surmontez par longue patience.

« C’est elle que l’olive en France rameine

« Alliant nostre Roy à la race Germaine,

« D’où vient ce roiaume un bonheur renaissant »

La Saint-Barthélemy éclate. L’Europe s’indigne ; Ronsard ne prend pas parti.

Charles IX ne se remettra pas d’avoir donné l’ordre du massacre. Il tombe rapidement malade. Ronsard ne quitte plus guère Paris ; il assiste son ami.

Le frère du Roi, Henri, est élu Roi de Pologne par la diète de ce pays (6 juin 1573). Avant de le laisser partir, Charles, qui sent sa fin prochaine, lui fait promettre de revenir en France pour lui succéder.

En septembre, la Reine-Mère inaugure son palais des Tuileries et son jardin, à l’occasion de la réception donnée aux délégués polonais venus chercher leur roi.

Ronsard est là. A ses côtés, Hélène de Surgères, une des filles d’honneur de Reine-Mère ; cet escadron volant qu’elle lançait à l’assaut des résistances politiques ou autres. Hélène avait perdu son fiancé, tué au combat et paraissait inconsolable. Catherine demande à Ronsard de la sortir, pour la distraire.

Huit mois après le départ de son frère en Pologne, Charles meurt au château de Vincennes ; la famille royale est venue se réfugier dans cette forteresse, lors des émeutes du coup d’état fomenté par François-Hercule, le cadet qui brigue le trône en l’absence d’Henri.

Ronsard pleure son ami et protecteur :

« Charles, tu es et maugré moy je vy !

« Je maudis le Destin. Que je ne t’ay suivi, …

4 – Règne de Henri III

Henri, prévenu très rapidement de la mort de son frère, quitte en secret son palais de Cracovie et regagne lentement la France, par un long détour, à travers la Hongrie et l’Italie, où Venise lui fait un accueil triomphal.

Ronsard s’interroge sur son avenir à la Cour. Sur le plan matériel, notre gentilhomme vendômois est riche et bien doté. Il conserve sa fonction d’aumônier ordinaire du roi et détient 3 prieurés.

Le « gentilhomme vendômois » s’en va vivre dans ses prieurés, il soigne sa goutte avec des plantes qu’il cueille aux alentours. Dans un poème dédié à Amadis Jamyn, son secrétaire et ami, il raconte une telle cueillette :

« Une salade arnasson, et faison

« part à nos ans des fruicts de la sarson,

« Je m’en iray solitaire à I’escart.

« Tu t’en iras, Jamyn, d’une autre part,

« Chercher songneux la boursette toffue …

Au retour du roi, Ronsard se précipite à la Cour pour y reprendre sa place. Sans être éconduit, il est déçu par un accueil indifférent. L’image du personnage royal ne correspond plus à celle qu’il conserve du jeune duc d’Anjou. Il écrit quelques sonnets d’une grande insolence à l’égard des mœurs du roi et de ses mignons. Dans de nombreux poèmes il donne libre cours à la rancœur :

« Je hay la Court comme la mort

« II faut mentir, flater et courtiser,

« Rire sans ris, sa face desguiser

« Au front d’autruy, et je ne le veux faire,

« Car telle vie à la mienne est contraire.

« Je suis, pour suivre à la trace la Court,

« Trop maladif, trop paresseux, et sourd,

« Et trop craintif;

Henri III a choisi un autre poète officiel, Philippe Desportes qui l’avait suivi en Pologne. Ce poète pétrarquise et a la faveur des salons parisiens.

Ronsard ne s’avoue pas vaincu il trouve sa Laure en Hélène de Surgères et montre à son concurrent qu’il est, lui aussi capable de pétrarquiser : il entreprend et publie les « Sonnets pour Hélène » dont le premier livre paraît en 1578.

Le gentilhomme vendômois retiré dans ces terres, vient néanmoins régulièrement à Paris et à la Cour, pour remplir ses fonctions d’aumônier ordinaire du roi.

De plus, il participe aux travaux de l’Académie du Palais, que le Roi a pris sous sa protection : assemblée littéraire qui se réunit au Louvre, dans le Cabinet du Roi.

En dehors de la Cour, Ronsard, vieillissant, fort handicapé par sa goutte, passe chaque hiver à Paris, au Collège de Boncour, derrière Saint-Etienne du Mont. Là, choyé par son ami Jean Galland, principal du Collège et par les élèves, il prépare avec son éditeur, les rééditions de ses œuvres.

En juin 1585, il quitte Paris pour la dernière fois, dans un petit carrosse qu’il s’est fait construire et qui est garni de moults coussins. Pendant l’été, il va d’un prieuré à l’autre, cherchant dans le pavot un apaisement à ses douleurs.

« J’en ay mangé, j’ay beu de son just oublieux

« En salade, cuit, cru et toutesfois la Somme

« Ne vient par sa froideur s’asseoir dessus mes yeux.

C’est sans doute à cette époque qu’il écrit « Caprice » un long poème dédié à un ami, poème qu’on peut considérer comme son testament littéraire et politique : entre autres, il y prédit, avec quelle lucidité, l’avènement d’Henri IV, son suzerain, Duc de Vendôme, avènement qu’il voit sanglant :

« Le Roy, dit-on, n’aura jamais d’enfants,

« Son héritier dés ses plus jeunes ans

« Ayme la guerre, il est haut de courage,

« Prompt et actif, il est caut, Il est sage…

Il dicte son testament et ses derniers vers tout empreints de réalisme, de foi et d’humour, en un mot, il se prépare à une mort édifiante :

« Je n’ay plus des les os, un squelette je semble

« Décharné, denervé, dernusclé, depoulpé,

« Que le trait de la Mort sans pardon a frappé :

« Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble

« Adieu, chers campaignons, adieu chers amis :

« Je m’en vay le premier vous préparer la place…

Sa mort survient en son prieuré de Saint-Côme, dans la nuit du 27 au 28 décembre. Il est entouré de ses moines et de quelques amis, dont Jean Galland.

L’année suivante, le février 1586, Jean Galland organisa, en l’honneur du poète, dans la chapelle de son collège, des funérailles solennelles, qui connurent une grande presse. Le Roi envoya sa musique, des princes et des seigneurs représentèrent la Cour, dont le prince Charles de Valois (le bâtard de Charles IX) et le duc de Joyeuse, beau-frère du Roi ; le cardinal de Bourbon dut faire de mi-tour, tant était grande la foule. L’oraison funèbre fut prononcée par le futur cardinal, Jacques Duperron.

Ainsi se termine cette conférence illustrée par de nombreux poèmes lus par Monsieur Bourdin.

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