Thèmes: Art, Peinture, Société Conférence du mardi 30 mai 2023.
ROSA BONHEUR, PIONNIÈRE EN TOUT
Par Madame Irène PARION, guide conférencière et historienne de l’art.
INTRODUCTION
Rosa Bonheur (1822-1899) a traversé tout le XIXe siècle et ses événements marquants (révolution industrielle, second empire, débâcle contre la Prusse en 1870, essor de la photographie, etc.). Rosa Bonheur de son vrai nom Marie-Rosalie Bonheur a été une pionnière dans divers domaines sociétaux notamment la place des femmes dans l’art et la société, la cause animale et sa place dans la ruralité et l’écologie.
Dotée d’une forte personnalité, Rosa Bonheur a su s’imposer comme artiste officiellement reconnue et en s’associant aux marchands et collectionneurs les plus éminents elle a pu conquérir son indépendance financière et morale. Elle fut notamment la première femme artiste à pouvoir acquérir un bien immobilier grâce au fruit de son travail.
I- Une artiste « hors du cadre » et une ascension fulgurante.
Rosa Bonheur naît à Bordeaux dans une famille d’artistes. Son père, Raymond Bonheur, est peintre d’histoire et sera le seul professeur de Rosa.
La famille vit dans une grande pauvreté, car le père influencé par le saint-simonisme décide de partir s’installer à Paris où il se retire dans un couvent et donne une grande partie de la fortune familiale aux pauvres.
La mère de Rosa doit subvenir aux besoins de ses enfants en réalisant des travaux de couture, mal payés. Éreintée, Sophie Bonheur meurt en 1833, Rosa n’a alors que 11 ans. Cet événement dramatique marqua durablement la fillette qui se jura de devenir un grand peintre et de ne jamais se marier. Pourtant, Rosa reçoit une éducation classique destinée à former la jeune fille aux tâches ménagères et à être une bonne épouse.
Raymond Bonheur fait découvrir à sa fille Félicité de la Mennais qui prétendait que les animaux avaient une âme, ainsi que les romans champêtres de George Sand. Rosa, très observatrice et aimant passer des heures dans la nature se spécialise dans un genre peu reconnu et loin derrière la grande peinture d’Histoire, les tableaux animaliers.
A 14 ans, Rosa Bonheur rencontre la famille Micas et se lie d’amitié avec la fillette de la famille, Nathalie Micas. Cette amitié durera toute sa vie. Henriette Micas, la mère de Nathalie sera une mère de substitution pour Rosa.
A 19 ans Rosa Bonheur participe pour la première fois au Salon de 1841 où elle expose son tableau Deux lapins. Elle obtient une médaille de 3e classe au Salon de 1845 et au Salon de 1848 elle obtient une médaille de 1ere classe pour son tableau Bœufs et taureaux. Cette récompense lui permet d’être reconnue dans le monde de la peinture et elle obtient une commande d’Etat pour réaliser un tableau agraire ; Labourage nivernais. Elle en obtient la somme colossale de 200 000 francs, permettant à l’artiste d’être totalement indépendante financièrement ce qui à l’époque n’était pas fréquent.
En effet, Rosa Bonheur a non seulement été une artiste reconnue de son vivant mais elle a aussi su s’assurer une grande aisance financière, assez exceptionnelle au XIXe siècle où les femmes étaient très dépendantes de leurs maris.
II- Œuvres remarquables.
Après une ascension fulgurante dès ses 19 ans, Rosa Bonheur réalise plusieurs œuvres remarquables qui seront reconnues par les experts et appréciées des amateurs d’art.
Rosa Bonheur accède au succès en 1849 avec un tableau majeur, Labourage nivernais évoqué plus haut : un attelage de bœufs saisi dans son élan puissant. Les bœufs sont les protagonistes de l’œuvre en occupant la zone centrale du tableau et les hommes sont au second plan, comme ce sera le cas pour les toiles représentant des animaux et des hommes : l’animal devant, mis en valeur au milieu de la toile, l’homme derrière. Labourage nivernais sera également présenté à l’Exposition universelle de Paris en 1889. La France paysanne qu’elle peint correspondant aux idées conservatrices du Second Empire, son chef-d’œuvre Marché aux chevaux va l’installer dans un rôle quasi officiel tout en frappant les esprits. Cette toile rend Rosa Bonheur extrêmement célèbre. Elle y dénonce la souffrance animale, en réussissant à retranscrire l’émotion des animaux, en particulier dans leur regard. Cet intérêt pour le bien-être animal est à cette époque très novateur mais Rosa Bonheur est une pionnière dans divers domaines. Le tableau connaît un grand succès en Belgique et en Grande-Bretagne. Cette œuvre sera elle aussi exposée à l’Exposition universelle de 1855. Le critique Henry de la Madelène écrit dans la revue artistique L’Eclair : « C’est vraiment une peinture d’homme, nerveuse, solide, pleine de franchise. » Être comparée à un homme est un compliment à l’époque !
Une autre de ses œuvres remarquables est le tableau Fenaison en Auvergne dont les dimensions sont plutôt celles d’un tableau historique : 213 x 422 cm. Là encore Rosa Bonheur innove car la peinture animalière est considérée comme un genre mineur et on ne s’attend pas à une toile aussi imposante. Cette œuvre était une commande du Ministère de l’Intérieur après le Salon de 1853 et représente une vision idéalisée des travaux des champs. La toile est inspirée des nombreux séjours en Auvergne et dans le Cantal de l’artiste qui rapporte de nombreux croquis de paysages et d’animaux.
Entre 1856 et 1867, Rosa Bonheur n’expose plus au Salon, toute sa production étant vendue d’avance. A l’Exposition universelle de 1867, l’artiste présente dix toiles mais n’y obtient qu’une médaille de 2e classe, ce qui pour elle est un camouflet. Elle décide alors de ne plus exposer au Salon de Paris.
Dans les années 1870 elle peint plusieurs toiles représentant des lions. L’une des plus connues est El Cid réalisé en 1879. Le fait que Rosa Bonheur ait peint à plusieurs reprises un animal symbolisant la majesté et la force après la défaite française de 1870 ne paraît pas anodin. C’est aussi le cas de sa toile L’aigle blessé qui peut être vu comme la représentation de la patrie meurtrie suite à la défaite de Sedan.
Rosa Bonheur peignait les animaux et en possédait un grand nombre dans son château de By, transformé en véritable ménagerie. Elle eut notamment plusieurs chiens qui ont été les sujets de nombreuses œuvres. Ils sont représentés seuls ou au milieu d’autres animaux, l’artiste ne faisant pas de distinction entre les animaux sauvages et domestiques.
III- Rosa Bonheur et la sculpture.
Formée simultanément à la peinture et à la sculpture par son père, Rosa Bonheur pratique la sculpture surtout en autodidacte. Elle exposa néanmoins à ses débuts, conjointement à ses tableaux, aux Salons de 1842,1843 et 1848. Les six sculptures de sa main qui furent éditées en bronze, présentent trois moutons et trois taureaux dont Le taureau marchant créé entre 1843 et 1848. C’est un agrandissement de cette sculpture qui sera réalisé pour ériger un monument en son honneur en 1901 à Fontainebleau. Ce bronze sera fondu en 1942 par le régime de Vichy qui avait besoin de métal. Bien que très talentueuse, Rosa Bonheur choisit cependant de se consacrer entièrement à la peinture, laissant à son frère cadet, Isidore, vite reconnu dans ce domaine, l’art de la sculpture.
IV- Le château de By.
Rosa Bonheur avait son atelier rue d’Assas à Paris mais une foule se pressait régulièrement et la gênait dans son travail. Lasse, en 1860, elle décide d’acheter une propriété près de la forêt de Fontainebleau (au plus près des animaux qu’elle chérit), le château de By. Elle est une des premières femmes à acheter un tel bien avec ses propres fonds. Elle s’y installe avec Henriette et Nathalie Micas. Elle fait construire un très grand atelier à l’étage par l’architecte Jules Saulnier qui lui donne un air néo-gothique avec d’immenses baies vitrées et un plafond très haut. Elle fait aussi aménager des espaces pour ses nombreux animaux : lions, oiseaux, singes, écureuils, cerfs, moutons, chevaux et même des loutres qui parfois réussissent à s’introduire dans les chambres du château, pour la plus grande frayeur de Mme Micas.
Elle installe aussi un studio photo à côté de son atelier, car Rosa Bonheur s’intéresse à cette nouvelle forme d’art, et elle travaillera parfois à partir de photographies.
Toujours soucieuse d’observer la faune dans son milieu naturel, elle demande une permission de travestissement auprès de la Préfecture de Paris pour pouvoir porter des pantalons dans le but de fréquenter les foires à bestiaux, monter à cheval ou se promener facilement en forêt. Nathalie Micas aura également la permission de travestissement.
Plusieurs personnalités politiques et artistiques se rendront au château de By. La visite la plus notable est celle de l’Impératrice Eugénie qui se rend au château en 1865 afin de remettre la Légion d’Honneur à l’artiste. Rosa Bonheur est la première artiste et la neuvième femme à recevoir cette distinction.
A l’occasion de l’Exposition universelle de Paris de 1889, Rosa Bonheur invite William Cody, dit Buffalo Bill dans son domaine. L’artiste se passionne pour les Etats-Unis, bien qu’elle n’y soit jamais allée. Elle peint plusieurs tableaux inspirés de son idée des Etats-Unis, notamment Rocky Bear et Red Shirt représentant des Indiens et leurs chevaux, montés à cru, ce qui donne une grande liberté à l’animal. De son amitié avec Buffalo Bill naîtra un tableau Portrait du Colonel William F. Cody.
En 1889, Nathalie Micas meurt après 50 ans d’amitié avec l’artiste. Cette même année Rosa rencontre l’Américaine Anna Klumpke (1856 – 1942), une artiste-peintre, qui finit par s’installer au château de By en 1898 et qui écrira la biographie de Rosa Bonheur. Rosa la désignera comme son unique héritière. Afin d’éviter tout conflit avec la famille Bonheur, Anna vendra la quasi-totalité de la collection d’études accumulées en soixante années de travail et reversera la moitié du produit des ventes à la famille Bonheur. Ainsi au printemps 1900 quelque 2100 œuvres seront mises en vente provoquant un effondrement de la cote de l’artiste.
CONCLUSION
Artiste novatrice, Rosa Bonheur plaça le monde animal au cœur de son art. Elle s’engagea pour la reconnaissance des animaux et chercha à exprimer leur « âme ». Née dans la précarité, farouchement indépendante, elle connut la richesse et la célébrité grâce à son talent et son travail hors norme. Oubliée au XXe siècle, Rosa Bonheur revient sur le devant de la scène au XXIe siècle avec plusieurs rétrospectives qui mettent en avant son œuvre, notamment Rosa Bonheur (1822-1899) au Musée de Bordeaux, de mai à septembre 2022 puis au Musée d’Orsay d’octobre 2022 à janvier 2023, et Capturer l’âme, Rosa Bonheur et l’art animalier au château de Fontainebleau (juin 2022-janv. 2023).
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