Thème : ARTS Mardi 15 février 2005
Science et patience, la restauration des peintures
Par Mme Bergeon-Langle – Conservateur général du patrimoine
La restauration existe depuis que les œuvres d’art existent, sur tout support (poterie, photographie, sculpture, peinture sur bois, sur toile, peinture murale…) La restauration est un traitement apporté à l’œuvre en ayant conscience de la distance qui existe entre l’œuvre elle-même et le travail de restauration. Il faut distinguer la patine – qui apporte une authenticité à l’œuvre – de l’altération, qui empêche d’apprécier le tableau.
En matière de restauration, l’esprit de l’œuvre compte davantage que l’aspect purement technique. Il faut prendre en compte les effets du temps. Ainsi, les supports de bois, en raison du vieillissement, se courbent. Cette courbure est due à un dessèchement du côté qui n’est pas peint. Nous considérons cette courbure comme acquise. Il ne faut pas modifier en un temps très court ce qui a mis quatre cents ans à se produire. En revanche, quand le bois est attaqué par des larves d’insectes, un ébéniste viendra rigidifier les galeries avec une résine spécifique. Quand le bois est fendu, il réduit la fente en enlevant le moins possible de bois ancien puis rejointe les lèvres de cette fente en incrustant du bois ancien de même nature.
En aucun cas la restauration ne doit être plus solide que l’original. Il faut que ce travail puisse être réversible.
Sur les supports en toile, il est fréquent que le textile vieillisse, devienne cassant, que se fendillent l’encollage et la préparation, ce qui fait tomber la peinture. Plusieurs techniques de rentoilage peuvent être appliquées mais le principe reste identique : poser une nouvelle toile au revers du tableau. La transposition consiste en revanche à retirer la peinture de son support initial. Cette technique fut inventée en Italie au XVIIIe siècle. Le premier tableau transposé de bois sur toile, en France, fut La Charité d’Andrea del Sarto. En transposant le tableau, on a micro-fragmenté cette peinture mais sans l’user en surface puisque cette œuvre a conservé toutes ses ombres.
Quand l’altération atteint le vernis et les couleurs, il faut utiliser des techniques spécifiques de restauration de la couche picturale. Les vernis anciens sont plus moelleux que les vernis modernes qui donnent un effet de sécheresse. Le vernis est quelquefois blanchi par un chanci ; cette altération localisée dans la couche de vernis est due à une micro-fissuration. C’est un phénomène réversible qui se traite avec du solvant à vernis.
Il faut rester très délicat dans le traitement et toujours conserver une marge de sécurité. Le degré d’allègement du vernis peut être variable selon les différents endroits du tableau et selon l’état de dégradation du vernis. Un allègement peut être prononcé quand le tableau est en bon état, et, au contraire, peu prononcé quand le tableau est très abîmé. Il faut être conscient que ce n’est pas en dévernissant qu’on retrouvera les tons originaux. Au contraire, les sombres s’assombrissent et les clairs s’éclaircissent. En France, on préfère procéder à des allègements de vernis délicatement et éviter le dévernissage.
Le vernis du portrait de Balthazar Castiglione par Raphaël avait pris une teinte brune en raison du vernis qui avait roussi. Après l’intervention des restaurateurs, on a retrouvé le fond gris et le bleu des yeux du personnage.
Il convient de distinguer l’altération de la patine, qui est le vieillissement des éléments originaux. Une œuvre relève d’une bipolarité esthétique et historique. L’équilibre est difficile à trouver mais il ne faut pas qu’un tableau du XIVe siècle ressemble, après restauration, à une peinture sortie hier de l’atelier de l’artiste. C’est au directeur du musée ou au conservateur de choisir le degré d’intervention après plusieurs propositions du service technique. Il faut faire attention à certains pièges comme ces feuilles d’argent incrustées dans certains tableaux qui noircissent avec le temps. Si on avait nettoyé cette « crasse », on aurait retiré l’argent. Certains composés cuivriques ont créé des auréoles rousses qui sont irréversibles. De même qu’il est impossible de gratter un bleu transparent de smalt devenu jaunâtre. Si un tableau a été encadré avec un cadre qui cache la matière picturale, il suffit de le remettre à la lumière pour qu’il retrouve ses couleurs.
Contrairement aux anglo-saxons, les Français considèrent qu’il n’est pas pertinent de chercher à retrouver l’état original d’un tableau car il appartient au passé et il est perdu, et que ce n’est pas une finalité en soi. En revanche, nous enlevons des repeints quand ils trahissent la version originale, surtout quand ceux-ci étaient purement techniques. Mais là encore, il est nécessaire d’étudier les poids historique et esthétique des repeints par rapport à l’original. Nous analysons la finalité et la caractéristique du repeint. S’il a été fait par Girodet, on le garde. De même qu’un tableau religieux repeint en tableau de la Victoire de la Révolution Française peut mériter, pour des raisons historiques, d’être conservé.
Quand on retouche un tableau, on utilise un code reconnaissable par tous afin d’indiquer qu’il s’agit là d’un travail du restaurateur. Le « Tratteggio » est une méthode d’équivalence chromatique. Ce travail est visible de près mais n’est pas perceptible de loin. Parfois le restaurateur ne doit rien faire, notamment dans le cas d’un repentir qui devient perceptible parce que la matière picturale qui le couvre devient translucide en vieillissant. Le repentir est une transformation par l’artiste lui-même et doit subsister comme un témoignage de la création artistique.
Le nettoyage et l’intégration des œuvres d’art prennent différents aspects. Des interventions différentes sont possibles selon le contexte de l’œuvre, encore faut-il avoir l’armature historique et esthétique pour proposer des interventions respectueuses de l’œuvre et de sa signification.
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