Thèmes: Art, Musique                                                                                                                  Conférence du 30 novembre 2021

UNE VOIX BASSE D’OPÉRA

Par Monsieur Timur ABDIKEYEV, soliste du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg.

INTRODUCTION

Le théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg est l’un des hauts lieux de l’art lyrique. Construit en 1783 par décret de l’impératrice Maria, épouse du tsar Alexandre II, d’où son nom, Mariinsky, puis reconstruit en 1860 suite à son incendie, c’est l’un des plus grands théâtres du monde. Il comporte cinq scènes et peut accueillir entre cinq et sept représentations par jour. De très célèbres artistes (chanteurs lyriques, danseurs) s’y sont produits notamment Fiodor Chaliapine, la Pavlova ou Rudolf Noureev.

Timur Abdikeyev a durant dix-huit ans été membre de cette prestigieuse institution et interprété une soixantaine de rôles d’opéras de Verdi, Tchaïkovski ou Bizet. Il a également fait de nombreuses tournées dans les plus grands opéras mondiaux tels l’Opéra Bastille, le Teatro Real de Madrid ou le Carnegie Hall de New York.

I – Le Mariinsky.

Fondé en 1783 par l’impératrice Maria, mécène des arts, le théâtre Mariinsky fut dès sa création et plus particulièrement après 1860, le creuset de la vie musicale, de l’opéra et du ballet de la Russie. Le théâtre Bolchoï n’est devenu réellement important qu’après la révolution d’Octobre suite au transfert de la capitale à Moscou.

Le Mariinsky est le premier théâtre permanent de l’Empire russe et il est devenu l’un des plus grands d’Europe.

La première de l’opéra « La vie pour le tsar » de Mikhaïl Glinka, père de l’opéra russe, fut jouée en 1860 au Mariinsky. Par ailleurs, des compositeurs comme Moussorgski, Rimsky-Korsakov, Borodine ou Chostakovitch ont tous eu leur nom et leur œuvre attachés en grande partie au Théâtre Mariinsky. Les premières russes de compositeurs non russes se tenaient traditionnellement au Mariinsky. L’opéra « La force du destin » a été écrit par G. Verdi exclusivement pour le théâtre Mariinsky et la première y eut lieu en 1862. Le théâtre jouit du droit exclusif pour sa version originale encore aujourd’hui.

A partir de 1935 le théâtre porte le nom du révolutionnaire Sergueï Kirov, chef très populaire de Leningrad, qui a été assassiné parce qu’il aurait fait de l’ombre à Staline (cela ne reste qu’une rumeur sans preuve) ; lle théâtre conservera ce nom jusqu’en 1992 où il reprendra son nom d’origine.

Les années 1990 ont été dramatiques en Russie, en particulier pour les artistes et les institutions culturelles qui ont dû survivre par leurs propres moyens comme ce fut le cas du musée de l’Hermitage et du Mariinsky.

C’est grâce au légendaire chef d’orchestre Valeri Guerguiev, directeur du Mariinsky depuis 1988 que le théâtre a retrouvé sa place sur la scène internationale. Chaque année une dizaine de nouvelles productions sont créées. De plus, grâce aux efforts de Guerguiev, la construction d’une autre scène a commencé en 2008. En 2013, le bâtiment a été ouvert au public et la presse en a fait l’éloge aussi bien de sa conception que de ses qualités acoustiques.

Le Mariinsky respecte son héritage et chérit les opéras et ballets historiques. Les légendaires ballets « Le corsaire » ou « Don Quichotte » sont toujours présentés sur scène tout comme les anciens opéras de Glinka, Tchaïkovski et Moussorgski. Cependant le répertoire actuel comprend aussi des créations du XXe siècle comme « Le sacre du printemps » de Stravinski ou « Roméo et Juliette » de Prokofiev. On peut également voir des opéras contemporains comme « Le journal d’un fou » ou « Lolita ».

Au cours de son histoire, le Mariinsky a employé les plus grands artistes de leur temps comme le chanteur d’opéra Fiodor Chaliapine ou les danseurs Anna Pavlova, Rudolf Noureev et Mikhaïl Barychnikov, ces deux derniers s’exilant plus tard en Occident. Tous ces artistes font partie de la riche histoire du théâtre Mariinsky et de la culture russe.

Guerguiev est aussi à l’origine du festival des Nuits blanches de St-Pétersbourg qui est un événement de plus en plus remarqué dans le monde artistique.

II – Un chanteur d’opéra du Mariinsky à Garches : Timur Abdikeyev.

Timur Abdikeyev est né en 1979 à Bakou en Azerbaïdjan dans une famille tatare. En 1995, après le baccalauréat il entre à la prestigieuse Ecole d’administration publique de Bakou où son père enseigne la sociologie. Un an plus tard, le destin le mène vers d’autres horizons.

Adolescent, Timur fait partie d’un club de la communauté tatare à Bakou et lorsqu’une invitation arrive pour participer à un concours de chant militaire et folklorique à Kazan, c’est lui que l’on envoie. En 2000 Timur remporte des prix et de distinctions lors de deux autres concours, concours régional Shovget Mamedova en Azerbaïdjan et concours international Bul-Bul. Il reçoit aussi le prix Nadejda (L’Espoir) des mains de la grande mezzo-soprano russe Irina Arkhipova. Ce prix renforcera la détermination de Timur Abdikeyev à être chanteur d’opéra. Ce sera le début d’une magnifique carrière.

En 2004, c’est la consécration de l’artiste avec son début au Mariinsky d’une part et son premier récital en solo au Suntory Hall au Japon d’autre part. Ce concert a un grand retentissement international et Timur est reconnu comme un des chanteurs les plus prometteurs de sa génération. D’origine tatare, Timur Abdikeyev accorde dans son répertoire une place importante à la musique classique tatare et inclut des œuvres de compositeurs tatars dans chacun de ses récitals. Il a d’ailleurs reçu le titre de l’Artiste Emérite de la République du Tatarstan.

Ce choix de travailler au Mariinsky et de poursuivre en parallèle une carrière en solo implique un emploi du temps très chargé et une masse de travail conséquente. Ainsi lorsque Timur rencontre en 2015 à Paris sa future épouse Elena, il doit faire un choix. Après deux ans passés entre Paris et Saint-Pétersbourg en plus des engagements professionnels à travers le monde, Timur privilégie sa vie personnelle et s’installe à Garches.

Timur Abdikeyev est une basse c’est-à-dire un type de voix masculine dont la tessiture est la plus grave. Il existe plusieurs catégories de basses qui diffèrent par le caractère des personnages qu’ils interprètent, la vaillance de la voix et la richesse du timbre. On dénombre trois catégories de basses : la basse chantante, la basse profonde ou Nivette (dénomination due au chanteur du XIXe siècle Juste Nivette) et la basse bouffe. La basse chantante est la basse au timbre le plus clair et la voix la plus souple. On la confond fréquemment avec la voix de baryton-basse. On peut citer comme exemple de basse chantante le rôle de Philippe II dans « Don Carlos » de Verdi. La basse profonde est la voix la plus grave des voix de basse. Il s’agit d’une voix sombre et puissante apte à se faire solennelle comme le rôle de Hagen dans « L’anneau du Nibelung » de Wagner. Enfin la basse de bouffe ne désigne pas à proprement parler une catégorie vocale spécifique mais une spécialité dans les emplois comiques. Certains emplois de basse bouffe exigent des moyens vocaux comparables à ceux des basses chantantes ou des barytons. Chez Rossini notamment les rôles de basse bouffe requièrent une véritable virtuosité.

CONCLUSION

Le Mariinsky est l’un des plus grands théâtres du monde depuis de nombreuses décennies et de nombreux artistes prestigieux y ont travaillé. Timur Abdikeyev a fait partie de ce haut lieu de la culture russe pendant dix-huit ans. Il a aussi une grande carrière comme soliste. Depuis 2017, privilégiant sa vie de famille, Timur s’est installé à Garches, dans les Hauts-de-Seine suivant l’exemple de certains grands artistes du Mariinsky comme Chaliapine qui s’installa à Paris à 1932, et où il mourut en 1938, ou Rudolf Noureev, devenu directeur de l’Opéra de Paris.