ET SI ON PARLAIT DU NUCLÉAIRE ?

CERCLE DE DOCUMENTATION ET D’INFORMATION

ET SI ON PARLAIT DU NUCLÉAIRE ?

Mardi 20 Octobre 1987

 

Guy de St Maur, responsable du secteur études, documentation, édition et publications au département des relations publiques et de la communication du Commissariat à l’Energie Atomique, nous a parlé d’un sujet grave et souvent mal connu : « le nucléaire ».

La radioactivité est un phénomène naturel. Depuis l’origine des temps, l’homme et les animaux vivent dans un environnement radioactif.

Les rayonnements « naturels » proviennent de 3 grandes sources :

. les rayons cosmiques émanant des espaces interstellaires de notre galaxie,

. les substances radioactives naturelles contenues dans le sol, dans les matériaux pour construire …

. les éléments radioactifs présents dans notre corps.

L’homme moderne est soumis à d’autres sources « artificielles » de rayonnements telles que les examens radiologiques, la télévision, les cadrans lumineux, etc…

L’importance relative de ces sources artificielles peut se chiffrer (voir annexe).

QU’EST-CE QUE LA RADIOACTIVITE ?

Dans la nature, certains atomes sont stables et d’autres se modifient d’eux-mêmes, spontanément.

Ces atomes se transforment naturellement en d’autres atomes en émettant cert ains rayonnements. Il y a perte de matière et apparition d’énergie.

C’est en 1896 que le Français Henri Becquerel fait une décou­verte fondamentale en travaillant sur la fluorescence d’un composé d’uranium. Une plaque photographique protégée par un épais papier noir et placée près de cet uranium se trouve Impressionnée, c’est-à-dire noircie par un mystérieux rayonnement émis par ce composé. Il avait ainsi, un peu par hasard, découvert la radioactivité naturelle.

Marie Curie se penche sur ce rayonnement avec son mari Pierre Curie en étudiant en particulier le radium.

En 1934, Frédéric Joliot et Irène Curie (fille de Marie et Pierre Curie) transforment des atomes d’aluminium en atomes de phosphore, en les bombardant avec des particules.

Les atomes de phosphore étaient radioactifs. Pour la première fois, on avait obtenu un isotope radioactif artificiel, c’est-à-dire qui n’existe pas naturellement. C’est la découverte de la radioactivité artificielle.

Frédéric Joliot fut le premier patron du Commissariat à l’Energie Atomique créé en 1945 par le général de Gaulle.

LA FISSION NUCLEAIRE.

C’est la rupture d’un noyau lourd sous l’action d’un neutron. La réaction en chaine produit une très grande quantité d’énergie.

Le premier réacteur fut réalisé à Chicago en 1942. Le premier brevet avait été déposé en 1939.

En France, la première pile atomique a fonctionné en 1948, au fort de Chatillon, et en 1957, un premier réacteur nucléaire fut construit.

La volonté politique de développer en France le nucléaire date de 1974. Aujourd’hui, 70% de l’électricité est fournie par les centrales nucléaires.

APPLICATIONS DES PROPRIETES DES RAYONNEMENTS.

Radiothérapie : c’est le traitement par les rayonnements. On utilise cette méthode pour le traitement de certains cancers (permettant ainsi 15000 guérisons par an en France).

Détecteurs d’incendies : une petite enceinte contenant une source radioactive est en communication avec l’air ambiant du local à protéger. Cette enceinte est reliée à un dispositif électrique pouvant déclencher une alarme. En période normale, un certain courant (dû à l’ionisation de l’air) passe dans le dispositif. Si une fumée apparait, le courant d’ionisation est modifié et le changement d’intensité déclenche l’alarme.

Jauges radioactives : d’une manière générale, une jauge est un instrument de mesure (par exemple la jauge de niveau d’huile dans une voiture). Tant que le liquide n’a pas atteint une certaine cote, le détecteur indique une certaine valeur. Dès que le liquide atteint ce niveau, le détecteur enregistre une nouvelle valeur, plus faible parce que le liquide arrête une partie des rayonnements émis par la source radioactive, placé à côté du réservoir de liquide que l’on veut jauger.

Conservation des aliments : en irradiant des produits alimentaires, on peut les conserver plus longtemps que si on les laisse à l’état naturel. Ces produits ne sont pas rendus radioactifs car la source radioactive utilisée n’a pas l’énergie nécessaire.

Elimination d’insectes : on élève les mouches puis on les irradie. Elles deviennent stériles. Lâchées dans la nature, elles ne pourront se reproduire et la race s’éteindra peu à peu. Ainsi au Japon, la mouche du melon a disparu de certaines régions.

Préservation des biens culturels : de nombreux témoignages du passé sont attaqués par des insectes, des bactéries, des moisissures.

Le rayonnement gamma, très pénétrant, permet un traitement efficace en profondeur, et détruit les organismes vivants qui prolifèrent.

L’exemple le plus intéressant à citer est celui du traitement de la momie de RAMSES II qui était en danger de destruction au Musée du Caire.

Elle fut transportée, en 1976, pour y être traitée par le C.E.A. à Saclay, près de Paris.

EFFET TRACEUR DES RADIO-ISOTOPES.

On « marque » un élément que l’on veut suivre avec une quantité, en général très faible, de radioisotope. Disposant de détecteurs de radioactivité très sensibles, on peut ainsi, à tout instant, contrôler le cheminement de cet élément.

– recherche d’une fuite sur une canalisation,

– application médicale : étude du fonctionnement des organes, suivi dans le corps d’un médicament …

– étude de l’envasement des ports ou de l’érosion des plages.

Etc …

LA RADIOACTIVITE SOURCE D’ENERGIE.

La fission est une source d’énergie extraordinaire.

La matière de base est l’uranium. 1 kg d’uranium radioactif libère la même énergie que 2500 tonnes de charbon. On le trouve dans le sous-sol.

Les principaux gisements français se situent en Vendée, dans le Massif Central, dans le Limousin, …

L’extraction des minerais doit être suivie d’un long travail de concentration et de purification avant d’entreprendre la production de l’uranium enrichi dont on a besoin.

Actuellement 70% de l’électricité française est d’origine nucléaire.

On compte environ 50 centrales nucléaires.

 

 

Il existe 3 types de centrales :

– purement françaises, à uranium naturel graphite-gaz.

– inspirées d’un brevet américain, à eau sous pression.

– surgénérateurs (superphénix).

La centrale de Fessenheim en Alsace comprend 2 réacteurs nucléaires. S’ils fonctionnent à plein, en même temps, ils peuvent faire « marcher » 1,8 million de radiateurs de 1000 watts chacun (Une chambre peut être chauffée par un radiateur de 1000 watts).

FONCTIONNEMENT D’UNE CENTRALE.

Au sein du réacteur, le combustible est le siège de réactions en chaine qui provoquent un grand dégagement de chaleur. Cette chaleur est continuellement évacuée hors du réacteur vers un échangeur de chaleur grâce à un fluide, dit caloporteur, qui peut être, selon les cas, du CO2, de l’eau ordinaire ou du sodium fondu.

L’échangeur transfère la chaleur qui lui vient du réacteur à un circuit eau-vapeur. La température de l’eau injectée sous pression s’élève quand elle pénètre dans l’échangeur où elle se vaporise. Au contraire dans le condenseur, à l’autre extrémité du circuit, la température et la pression sont maintenues très faibles en raison du refroidissement constant assuré par l’eau d’un fleuve, de la mer ou provenant d’une tour de réfrigération.

La vapeur produite sous une forte pression dans l’échangeur est dégagée vers le turboalternateur où elle fait tourner la turbine placée sur son passage. Cette turbine entraîne un alternateur qui produit l’électricité. La vapeur passe ensuite dans le condenseur où elle se refroidit et redevient liquide.

Une centrale nucléaire est donc une centrale thermique dont la chaudière est un réacteur nucléaire.

TRANSPORTS DES DECHETS RADIOACTIFS.

Lorsqu’il y a transport de déchets radioactifs, il est effectué par route ou par chemin de fer avec des wagons ou des camions spécialement conçus. De plus, les conteneurs peuvent supporter des chocs importants et résistent au feu.

A ce sujet Monsieur de St Maur raconte :

« On a immobilisé sur une voie ferrée en Grande-Bretagne un camion de déchets de haute activité. On a précipité sur ce camion une locomotive avec 3 wagons à 160 km/h sans personne à bord. Tout cela a été filmé. J’ai vu le film. La locomotive part en petits morceaux à 20 m de haut, tout est en feu, c’est l’apocalypse. Quand tout se calme on récupère le conteneur intact. J’ai vu les images d’une autre expérience américaine : cette fois un camion transportant ce même genre de cylindre envoyé à 140 km/h contre un mur de béton. Là encore, le cylindre a très bien résisté.

Les précautions prises sont énormes ».

LE FILM.

L’histoire de la radioactivité est jalonnée des travaux des savants français. Dans les années 1950, Irène Joliot Curie travailla à l’Institut du Radium. Toute jeune elle y avait poursuivi les recherches de sa mère Marie Curie qui isola les premiers corps radioactifs. En 1934, Irène et Frédéric Joliot découvrent que ces rayonnements invisibles provenant des atomes de certains corps naturels et dont on peut seulement saisir la trace sur des plaques photographiques peuvent être provoquées artificiellement.

En 1935, Joliot prophétise : « Nous sommes en lieu de penser que les chercheurs brisant ou construisant les atomes à volonté sauront réaliser des réactions en chaîne explosives. Si de telles transmutations arrivent à se propager dans la matière, on peut concevoir l’énorme énergie utilisable qui sera libérée.

Quatre ans plus tard, la prophétie de Joliot est confirmée par la découverte de la fission de l’Uranium. Les fragments de noyaux brisés vont frapper un autre noyau qui se brise à son tour. Ainsi se propage la fission nucléaire.

La maîtrise de ce phénomène allait permettre à de nombreux pays de produire une grande partie d’électricité dans des centrales nucléaires.

C’est en France que la production d’électricité d’origine nucléaire a atteint proportionnellement le plus grand développement. Cela tient à une série de succès techniques mais aussi à l’évolution du marché mondial de l’énergie. Dans les années 50-60 et 70, une série d’événements ne cessent de faire monter le prix du pétrole. Pendant la même période, la France construit toute une série de prototypes de centrales jusqu’à réaliser le modèle industriel.

A partir de 1973, l’écart entre le prix de revient du kilowatt/heure fuel ou charbon et du kilowatt/heure nucléaire finit par devenir tel que le choix est fait de lancer la construction d’une cinquantaine de centrales nucléaires. La réalisation de ce programme a suscité la création d’une industrie nouvelle, l’Industrie nucléaire qui compte aujourd’hui 200 000 travailleurs et dont le principal volet est la construction des centrales.

Au milieu des années 70 commencèrent à s’ouvrir les chantiers de centrales.

Par leur Importance et leur durée exceptionnelle, ils représentent une mutation par rapport aux chantiers traditionnels en raison des contraintes nouvelles qu’il a fallu maîtriser :

– contraintes techniques : pour résister aux séismes, les ouvrages ont des structures en béton armé encore jamais réalisées.

– contraintes sociales : ces constructions emploient pendant plusieurs années quelque 5000 ouvriers. Comme la moitié est embauchée sur place, il a fallu organiser la formation de ces travailleurs et l’accueil de ceux qui doivent s’installer à proximité du chantier.

– contraintes d’environnement : avant la construction d’une centrale, on simule sur maquette le fonctionnement des principaux ouvrages afin de vérifier l’impact sur l’environnement.

Sur chaque site, les centrales nucléaires sont groupées par 2 ou 4 unités de production. Chaque unité comporte un bâtiment rectangulaire pour le turbo-alternateur, et un bâtiment cylindrique pour la chaudière nucléaire. La chaudière est composée d’une cuve où l’on met tout à la fois l’eau et le combustible d’uranium de générateurs de vapeur.

La fission des noyaux d’uranium chauffe l’eau. L’eau donne de la vapeur qui actionne le turbo-alternateur produisant l’électricité.

Réaliser le programme nucléaire représentait un effort industriel gigantesque. Il fallait en 10 ans fabriquer tous les composants des centrales (50 cuves, plus de 150 générateurs de vapeur, 50 turbo-alternateurs…).

Les composants d’une chaudière nucléaire sont caractérisés par leur grande talle, par la nature du métal (ils sont pour la plupart en acier inoxydable, par leur qualité d’étanchéité (ils contiendront des produits radioactifs), et par leur grande fiabilité.

Aussi l’industrie nucléaire a-t-elle nécessité le développement de procédés technologiques nouveaux en métallurgie, en thermohydraulique, en soudure. Enfin chacune des phases de travail fait l’objet d’une procédure de contrôle permettant de garantir la qualité du produit final.

De leur usine de fabrication, les composants sont acheminés vers les sites de centrale.

La construction d’une centrale nucléaire dure 6 ans en moyenne.

Quand le bâtiment de la chaudière nucléaire est achevé ainsi que la salle des machines, on prépare le chargement du combustible.

Les combustibles traditionnels fuel et charbon sont utilisés pratiquement tels qu’ils sont extraits du sol et après combustion s’envolent en fumée. La fabrication du combustible nucléaire à partir du minerai est longue et minutieuse. Après avoir été utilisé en centrale, en est récupérable.

C’est la raison pour laquelle on le retraite pour séparer le bon et n’avoir à confiner que l’inutile.

C’est pourquoi autour de la centrale consommatrice de combustible, on a créé des usines qui constituent le « cycle du combustible ».

C’est le deuxième volet de l’industrie nucléaire.

En amont de la centrale, on trouve les mines et la carrière, l’usine de concentration du minerai, l’usine d’enrichissement de l’uranium et l’usine de fabrication du combustible qui livre son produit à la centrale.

La prospection du minerai de l’uranium a commencé en France dès les années 50.

L’exploitation en est faite maintenant dans les régions de l’Ouest et du Centre.

En outre, la France exploite des mines à l’étranger, en Afrique et en Amérique ce qui lui permet d’assurer à long terme son approvision­nement et de tenir une place très importante sur le marché mondial.

Les installations minières disposent d’une usine de concentration où le minerai d’uranium changeant plusieurs fois d’état et de couleur devient un gâteau jaune qui est ensuite transformé en gaz. Les conteneurs de gaz sont transportés à l’usine d’enrichissement.

Etant donnée l’importance des investissements nécessaires à la construction de ces installations, plusieurs pays européens se sont groupés pour construire une usine dans la Drôme « Eurodif« .

Toute la manutention du combustible, chargement, déchargement et stockage, s’effectue sous l’eau qui a la propriété d’arrêter les rayonnements.

Pendant un an, la centrale fonctionne sans arrêt. C’est quand la puissance est au maximum que sont réalisées les meilleures conditions d’exploitation.

Chaque année la centrale est arrêtée quelques semaines pour les opérations de maintenance.

Des robots sont aujourd’hui utilisés pour la plupart de ces interventions. L’industrie nucléaire a ainsi suscité le développement des automates et de la robotique. Ces retombées sont profitables aux autres branches de l’Industrie.

Chaque année on remplace par du combustible neuf 1/3 des assemblages. Le combustible usagé que l’on dit irradié est pris en charge par des usines qui constituent en aval de la centrale la deuxième partie du cycle du combustible : l’usine de retraitement (telle La Hague) et les installations de stockage des déchets radioactifs, Le combustible irradié est transporté dans des conteneurs blindés aux usines de retraitement. Celle de La Hague représente le plus important centre de retraitement du monde. La France étant un des rares pays à avoir maitrisé à l’échelle industrielle ce procédé, de nombreux pays étrangers viennent y faire retraiter leur combustible irradié. Pour accueillir ces assemblages irradiés, on a construit des piscines de stockage où en quelques années le combustible perd une grande partie de sa radioactivité. Les assemblages sont ensuite traités automatiquement. Les produits de fission sont vitrifiés.

Les blocs de verre sont conditionnés et entreposés en attendant un stockage définitif à grande profondeur. Les autres déchets de faible et moyenne radioactivité sont confinés dans des centres de stockage où leur contrôle sera assuré jusqu’à disparition naturelle de leur radioactivité. Les déchets ne représentent que du combustible irradié. Tout le reste est récupéré.

L’uranium appauvri part se faire réenrichir et redeviendra du combustible.

Quant au plutonium, il peut être recyclé dans les réacteurs R.E.P. (réacteur à eau sous pression ; en anglais, pressurized water reactor) ou utilisé comme combustible d’un autre type de centrales nucléaires : les surgénérateurs. Elles sont très économes en combustible. En collaboration avec l’Italie et l’Allemagne, la France a construit Superphénix qui est le prototype le plus évolué de cette filière à neutrons rapides.

Dans le nucléaire, la réussite est difficile et coûteuse, mais les bénéfices peuvent être considérables, aussi est-ce un lieu privilégié de la coopération et de la compétition internationales.

Au plan de la recherche, la France joue un rôle international important par exemple dans les expériences de fusion contrôlée qui remplacera peut-être un jour la fission.

Etant le seul pays à avoir maitrisé la totalité des maillons de cette industrie, la France tient une place importante sur le marché du nucléaire. Elle vend à l’étranger des études, de l’uranium enrichi, du combustible y compris du combustible pour réacteurs de recherche et des services de retraitement à plusieurs pays (Allemagne, Japon).

C’est avec beaucoup de précisions que Monsieur Guy de St Maur a répondu aux nombreuses questions du public.

Il nous a montré une fois encore sa grande compétence car en 1984, alors secrétaire adjoint au Ministère de l’Industrie et de la Recherche, il était venu nous parler d’un autre défi : l’exploitation des océans.

ANNEXE

 

 

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