Thème : ECONOMIE – SOCIETE Mardi 5 Juin et 8 Novembre 2007
COCO CHANEL – Garchoise d’un moment
Par Yves BODIN – Avocat Honoraire, Maire Honoraire de Garches
La famille Chanel est originaire d’un hameau perdu des Cévennes, PONTEILS, (canton de Ginholac-Gard), où s’était établi un certain Joseph Chanel au début du 19è siècle. C’était un village dont les habitants vivaient essentiellement de la récolte des châtaignes dans la forêt alors foisonnante. Aussi, pour survivre, la nombreuse descendance de l’ancêtre a dû s’expatrier, à l’origine dans la région de Nîmes.
Le grand père de Gabrielle CHANEL s’appelait HENRI ADRIEN. Il a quitté le hameau natal et a trouvé un emploi dans une ferme. Ayant « engrossé » la fille du patron, âgée de 16 ans, il a dû, après l’avoir épousée, s’expatrier avec sa jeune femme. Faute d’emploi, il est devenu colporteur sur les foires et marchés, comme beaucoup d’autres CHANEL.
Le deuxième fils d’Henri Adrien s’appelle ALBERT. Né en 1856, il fut comme son père, colporteur sur les marchés, et après avoir erré de ville en ville, il a rencontré un ami de régiment, Marin DEVOLLE, qui a accepté de l’héberger à COURPIERRE. Albert était un coureur de jupons, bonimenteur, sans doute assez brillant, il séduisit la jeune sœur de Marin, Jeanne, âgée de 13 ans. Mais ne voulant pas s’encombrer d’une famille, il laissa la jeune fille enceinte et repartit sur les routes.
Lorsque la grossesse de la jeune fille fut avérée, scandale. Toute la famille CHANEL se mit avec le frère et le grand père de Jeanne à la recherche d’Albert, qui finalement fut retrouvé à AUBENAS en novembre 1882. Jeanne le rejoignit immédiatement, mit au monde une fille Julia et refusa de s’associer aux reproches et menaces de sa famille. Albert accepta de reconnaître l’enfant, mais refusa alors d’épouser la mère.
L’enfance, les marchés
Jeanne avait une passion pour cet homme et au lieu de retourner chez elle pour élever l’enfant, elle suivit le père.
Le couple remonta, suivant les foires et marchés, jusqu’à SAUMUR.
Jeanne était de nouveau enceinte, et alors qu’Albert était sur les foires, elle dut se rendre seule à l’hospice de SAUMUR pour accoucher de Gabrielle, le 19 août 1883.
Jeanne est restée attachée à Albert CHANEL, qu’elle suivit dans ses pérégrinations, de place en place, menant une existence misérable et pitoyable.
En 1884 Albert accepte toutefois de l’épouser ; le mariage a lieu le 17 novembre 1884 à Courpierre. La famille CHANEL y prend part. Un contrat de mariage a été établi. La mariée apporte une dot de 5 000 francs (sous forme de meubles et de linge).
En 1885 Jeanne met au monde un 3ème enfant, Alphonse. En 1887, c’est le tour d’une nouvelle fille Antoinette et en 1889 d’un garçon Lucien. Elle devait avoir un dernier enfant, une fille qui n’a pas survécu.
De ses origines misérables et de sa petite enfance, Gabrielle CHANEL n’a jamais rien voulu révéler car elle les considérait indignes du milieu dans lequel elle vivait désormais.
On peut cependant avancer avec certitude que les enfants ont partagé la vie itinérante de leurs parents. Sans doute ils ont fait quelques séjours chez Auguste CHARDON, oncle de Jeanne établi à COURPIERRE, soit chez Louise COSTER, sœur d’Albert qui avait épousé un employé de chemin de fer et vivait à VARENNES/ALLIER, à quelques kilomètres de MOULINS. Mais le plus souvent ils vécurent auprès de leur mère qui suivait son mari comme elle pouvait, bien qu’il fût le plus souvent absent. Ils ont séjourné ainsi à Saumur, à Issoire et à Brives.
Certes, Gabrielle et ses frères et soeurs ont vécu pauvrement, dans la promiscuité des foires et marchés, mais auprès de leur maman, dans l’attente du père généralement absent ; il court les marchés et les jupons. Jeanne fait des ménages qui lui permettent de survivre. Usée par ses maternités et cette existence misérable, Jeanne meurt de la tuberculose le 11 février 1895.
Gabrielle n’avait pas 12 ans.
1895, veuf, Albert n’envisage pas de s’encombrer de ses enfants. Il place les garçons à l’assistance publique qui les confie à des agriculteurs. Il abandonne Gabrielle, Julia et Antoinette à l’orphelinat d’OBAZINE où étaient recueillis les orphelins nécessiteux.
Situé à 15 kms de BRIVE et proche de TULLE sur la CORREZE, c’était un très ancien monastère issu de celui fondé au 12ème siècle par SAINT-ETIENNE. Déserté depuis des siècles, il avait été repris par les Dames du Sacré Cœur de Marie, qui accueillaient les orphelins sans ressource. La discipline devait y être stricte mais les enfants y trouvaient une certaine éducation et un peu d’enseignement : cuisine, couture, scolaire.
Gabrielle et ses soeurs sont ainsi brutalement coupées de leur famille et placées dans un univers sévère, sans tendresse ni chaleur, après avoir connu avec leurs parents une vie difficile mais animée.
L’orphelinat et le pensionnat
En 1900, Gabrielle approchait de ses 18 ans, âge au-delà duquel les religieuses ne gardaient que les jeunes filles destinées au couvent. Gabrielle est placée au pensionnat NOTRE-DAME-DE-MOULINS. C’est une institution libre qui reçoit en plus des élèves payant leur pension, des élèves nécessiteux qui sont soumis à un régime différent ; c’est la « petite école », vêtements plus modestes, enseignement plus léger, participation aux travaux. Gabrielle y rencontre sa tante, Adrienne, dernière fille de ses grands parents, qui a son âge. Elle retrouve également ces derniers qui habitent dans une mansarde à MOULINS, rue des Fosses ; également, elle retrouve la sœur d’Albert, sa tante, Louise COSTER.
C’est un nouveau changement pour la jeune fille qui découvre des membres de la famille qu’elle ne connaissait plus après cinq années de séparation. Elle l’admet assez mal et ne leur manifeste pas de sympathie, sauf à l’égard d’Adrienne et avec laquelle elle se lie d’amitié qui se poursuivra toute sa vie.
Les deux jeunes filles progressent à merveille, elles sont en outre initiées à la broderie par Louise COSTER ; à l’occasion des sorties, cérémonies, processions, elles entrevoient la vie. Elles sont très belles toutes les deux, elles regardent les garçons et les garçons les regardent.
GABRIELLE a 20 ans en 1903, les religieuses de NOTRE-DAME-DE-MOULINS placent Gabrielle et Adrienne chez des commerçants de la ville qui exploitent sous l’enseigne « Etablissement à SAINTE-MARIE » une maison spécialisée en trousseaux et layettes. Les deux jeunes filles logent ensemble chez leur employeur ; elles apprennent à servir la clientèle et en raison de leurs grandes capacités en couture, on leur confie des travaux demandés par des clientes femmes du monde.
Moulins : Les débuts et premiers émois
Peu de mois plus tard, Gabrielle s’installe dans une chambre indépendante rue du « PONT GUINGUET » et c’est alors qu’elle commence à prendre directement des commandes, parfois même à se rendre dans des maisons bourgeoises pour y accomplir des travaux d’aiguille ; ADRIENNE moins audacieuse, la suit néanmoins. C’est une manifestation du caractère de COCO CHANEL, indépendance et audace.
Un jour, alors que Gabrielle donnait la main à un couturier de garnison, elle fut aperçue par quelques militaires du 10ème régiment de chasseurs à cheval cantonné à MOULINS. Très vite les deux jeunes filles sont repérées, courtisées, sollicitées et c’est ainsi qu’elles furent emmenées au café beuglant de Moulins, « LA ROTONDE », sorte de « caf conce » de province où des jeunes filles « poseuses » ou « gommeuses » se tiennent sur la scène et poussent la chansonnette.
Gabrielle se fait engager, elle est donc assise sur la scène et elle chante :
« Cocorico »
« qui qu’a vu coco dans l’trocadéro »
« J’ai perdu mon pauvre coco »
« Coco mon chien que j’adore »
« Tout fier au Trocadéro »
« Il est loin s’il court encore »
C’est de là que vient le surnom COCO. Ses admirateurs lui font un triomphe et du coup Gabrielle, ambitieuse, pense pouvoir faire carrière dans la chanson.
Les jeunes militaires l’encouragent dans cette idée et parmi eux Etienne BALZAN. C’est un cavalier hors pair, mais versé dans l’infanterie, il a obtenu à être muté à MOULINS pour rejoindre les cavaliers. C’est un personnage bon vivant, disposant de gros revenus. Il s’est pris de sympathie pour Gabrielle.
Gabrielle désire faire mieux et souhaite exercer de son talent dans une ville plus importante. Par tous ses admirateurs, elle ambitionne de se produire au Casino de VICHY avec Adrienne.
Etienne BALZAN aide les jeunes filles à faire l’acquisition des tissus pour composer leurs toilettes qu’elles confectionnent elles-mêmes. Gabrielle fit les chapeaux. Gabrielle a du goût et donne du chic à tout ce qu’elle touche.
A VICHY, alors extrêmement cosmopolite, Gabrielle réussit à obtenir une audition à l’Alcazar. On lui laissa espérer un emploi de « gommeuse » mais on lui conseilla surtout de parfaire son chant. Elle s’y employa avec application et persévérance et se produisit comme gommeuse, maquillée, revêtue de paillettes, mais le succès n’est pas venu.
Le public de VICHY était plus exigeant que celui de MOULINS. Les spectateurs plus avertis aussi que les jeunes admirateurs cavaliers.
Adrienne repartit rapidement à MOULINS. Gabrielle persévéra, occupant son temps libre à des petits travaux tels que donneuse d’eau à l’établissement thermal, pour payer ses cours de chant.
Malgré l’appui des cavaliers de MOULINS et notamment d’Etienne BALZAN qui rendait visite à Gabrielle, il lui fallut reconnaître qu’elle ne pouvait réussir dans la chanson, elle retourna donc à MOULINS en novembre 1905. Premier échec parfaitement surmonté.
La vie à MOULINS reprit telle quelle : couture et divertissements, avec les cavaliers. Gabrielle est gaie, sa compagnie est très appréciée par les jeunes hommes. Belle, mince, débordante de vie, souple comme personne, adroite, volontaire, dynamique et pleine de charme.
Elle s’est rapprochée d’Etienne BALZAN dont elle est alors sans aucun doute la maîtresse, bien qu’Etienne BALZAN ait pour maîtresse attitrée E. d’ALENCON, célèbre cocotte en pleine gloire qui n’est pas jalouse de la jeune Gabrielle.
Adrienne, revenue beaucoup plus tôt de VICHY, a trouvé auprès d’une certaine Maud qui rapprochait les jeunes gens, un amoureux en la personne du Comte Maurice DE NEXON, qu’elle épousera 50 ans plus tard, ils ne se quitteront pas.
A MOULINS Gabrielle est occupée, elle dispose d’une relative autonomie de logement et de ressources grâce aux travaux de couture.
Royallieu, une excellente cavalière et une habile couturière
1907 – Etienne BALSAN est démobilisé. Plutôt que de retourner à CHATEAUROUX où résident les BALSAN, il achète le domaine de ROYALLIEU près de Compiègne dans l’intention d’y monter un haras. Gabrielle manifeste le désir de le suivre. Il accepte : « La petite coco veut qu’on l’emmène et bien on va l’emmener ».
Elle suit donc, non pas comme maîtresse attitrée, mais comme simple irrégulière au sein de la joyeuse bande d’hommes de cheval qui entoure Etienne BALSAN.
Avec ces jeunes hommes imbus d’équitation mais riches, oisifs et incultes, elle parcourt les hippodromes. Elle participe à toute une série de farces, facéties, déguisements au milieu de garçons qui n’ont d’autres soucis que le cheval et leur plaisir. C’est un monde qui vit sur lui-même fermé de la société des familles et des dames.
Gabrielle s’est mise à la cavalerie et pour monter à califourchon, ce qui n’était pas de mise à l’époque où les femmes montaient en amazone, elle a fait confectionner un pantalon de cheval ; grande nouveauté, elle a dû pour cela trouver un artisan habitué aux vêtements de travail car aucune couturière ne savait le faire. Elle est devenue une excellente écuyère et gardera toute sa vie le goût de l’équitation.
Habile couturière, Gabrielle s’habille elle-même et se démarque déjà de la mode, elle porte des jupes droites, des chemises, des cravates comme les hommes. En outre, elle s’amuse à faire des petits chapeaux qu’elle décore et agrémente à sa manière, à l’inverse des chapeaux à la mode, larges, majestueux et pleins d’accessoires, aigrettes, voilages, etc.
En 1908, Arthur CAPEL surnommé BOY, champion de polo, intègre la bande et y participe activement. C’est un anglais aux cheveux bruns et à la peau mate, bâtard d’un grand de ce monde et sans doute d’une française, catholique, élevé chez les jésuites en ANGLETERRE.
A la différence des autres cavaliers, Arthur CAPEL a reçu une instruction et une éducation soignées ; de plus il a des responsabilités dans le transport du charbon.
Il participe aux jeux de la bande et s’intéresse à Gabrielle ; celle-ci avait fait des chapeaux pour des femmes en vue qui fréquentent la bande, notamment Emilienne D’ALENCON, maîtresse de BALZAN, et pour une actrice débutante mais déjà célèbre, Gabrielle DORZIAT. Elles portent en ville des chapeaux confectionnés par Gabrielle, qui ne passent pas inaperçus et au contraire sont très remarqués. Les femmes coquettes veulent imiter les actrices et les élégantes qui les portent.
Une boutique de mode à Paris… Premiers pas dans le monde
Cependant contrairement à Moulins, Gabrielle n’a pas d’activité professionnelle véritable et moins d’indépendance. Elle doit le ressentir et s’ennuyer parfois.
Aussi pour répondre à cette demande, avec les encouragements d’Arthur CAPEL, Gabrielle imagine d’ouvrir une boutique de mode ; Etienne BALSAN accepte de lui prêter sa garçonnière de Paris, 160 bd Malesherbes. Succès immédiat. Alors c’était encore un jeu !
CAPEL habitait à proximité (134 bd Malesherbes), ce qui a sans doute facilité la liaison qui s’établit avec Gabrielle. Etienne BALSAN paraît s’en être accommodé assez facilement car les relations au sein de la bande se sont poursuivies après cette « mutation ». Arthur CAPEL a des relations mondaines, il ne craint pas de sortir Gabrielle qu’il présente notamment à sa sœur Berthe. Premiers pas dans le monde.
Alors, la mode féminine c’était : taffetas à toute heure, chapeaux bergères, talons hauts, amples jupes descendant au sol, accentuant les formes à l’aide d’un corset.
Au contraire, Gabrielle, qui s’habille elle-même, porte des jupes droites, des chemises et des cravates et se coiffe avec ses petits chapeaux fabriqués sur des calottes achetées aux Galeries Lafayette et qu’elle décore avec goût.
1910 – La garçonnière d’Etienne BALSAN est très vite beaucoup trop petite, et Gabrielle s’installe comme modiste en louant un entresol, 21 rue Cambon.
Gabrielle, qui n’a aucune culture et qui est un peu fantaisiste, elle chante, elle ne tient pas ses comptes, doit faire appel à une femme d’expérience. C’est ainsi qu’est débauchée une professionnelle, première dans une maison concurrente, Lucienne RABATET. Cependant devant la désinvolture dont fait preuve Gabrielle qui alors ignore les contraintes de la vie professionnelle, elle se retire. Il faut alors pour poursuivre l’affaire, la charpenter, d’où nécessité de capitaux. Etienne BALSAN, sollicité, refuse (car il n’est pas convenable d’aider une femme à travailler) mais CAPEL accepte de faire cette avance, car c’en est une, (d’ailleurs elle le remboursera en 1917).
Cette petite affaire de « mode » se développe très rapidement. Toutes les femmes s’y précipitent, coquettes, artistes et demi-mondaines et femmes du monde. C’est une réussite immédiate pour Gabrielle.
De plus, avec Arthur CAPEL, Gabrielle coule le parfait amour. Il y a tout lieu de penser qu’elle a vraiment aimé cet homme de grande qualité. Cette période est seulement endeuillée par le décès de Julia Berthe, sa sœur qui laisse un enfant, André PALASSE. Gabrielle a payé les obsèques et s’est occupée de l’enfant, instruction, éducation, subsistance.
Deauville, une période faste
En 1913 Gabrielle veut aller plus loin et décide d’ouvrir une boutique de mode et de vêtements en plein centre de Deauville, rue Germain Biron entre le casino et le Grand Hôtel. Deauville est alors le lieu de villégiature d’un grand nombre de familles riches qui y disposent souvent de belles villas.
L’affaire réussit aussitôt. Gabrielle fait venir Adrienne et sa sœur Antoinette. Avec elles, elle s’affiche à Deauville, jouant ainsi les mannequins publicitaires. Elles sont belles, jeunes, gaies et pleines d’allant. CAPEL s’affiche avec elles. Il est sûr que pour Gabrielle c’est une période faste. L’amour d’une part, l’indépendance et l’aisance de l’autre.
Elle réalise alors son premier modèle de vêtement qui est une sorte de marinière toute droite, qui aplatit les formes contrairement à la mode en cours. Elle utilise pour réaliser ce vêtement, le tissu de jersey alors inemployé pour la mode féminine. Coco Chanel est déjà suffisamment en vue et connue pour qu’un caricaturiste de presse s’intéresse à elle.
1914 – Le printemps de l’année 1914 avait été très brillant à Paris et l’été s’annonce tel. Création de « L’ECHANGE» de Paul CLAUDEL et de nouvelles pièces de FLERS et CAILLAVET ou Sacha GUITRY, parution de « Du Côté de Guermantes » de Marcel PROUST. La saison à Deauville débute avec le même succès ; le bruit de botte n’a pas ralenti l’activité du luxe, au contraire.
Août 1914 – la guerre éclate, Deauville se vide. APPOLINAIRE, alors reporter du journal « Comédia », s’exprime ainsi dans son article :
« le 1er Août la rue Germain Biron ressemble à une rue de Pompéi »
Mais sur les conseils de CAPEL, Gabrielle garde sa boutique ouverte car Deauville se remplit de nouveau très vite par l’arrivée de familles qui, craignant l’avance allemande, viennent s’y réfugier.
Après la stabilisation du front, Deauville ne désemplit pas, les familles qui habitent la zone occupée par les Allemands préfèrent poursuivre leur séjour à Deauville. C’est ainsi que Gabrielle est amenée à faire coudre en grand nombre des blouses d’infirmières pour les dames du monde qui vont servir dans les hôpitaux. Bien sûr, elle ne s’en tient pas là et son affaire continue à prospérer.
Il faut noter aussi que le style de CHANEL convenait mieux à l’époque de guerre.
Cependant, la mobilisation de CAPEL qui est citoyen britannique, perturbe Gabrielle ; ses deux frères, Lucien et Alphonse, de condition très modeste, sont aussi mobilisés, laissant chacun femme et enfants dans le besoin. Gabrielle décide de leur adresser désormais une pension mensuelle grâce à quoi ses deux frères ont pu connaître une certaine aisance, très supérieure à ce que leur propre activité aurait pu leur procurer. Le clan CHANEL n’était donc pas complètement dissout, alors que Gabrielle avait acquis dès ce moment une situation financière florissante, et une position dans le monde.
En octobre 1914, Gabrielle laisse son magasin de Deauville à une vendeuse et revient s’installer à Paris où elle pourra rencontrer plus facilement CAPEL qui y vient souvent. Car mobilisé sous l’uniforme britannique, il fut affecté à la commission franco-britannique pour le charbon.
CAPEL a entretenu des relations directes avec CLEMENCEAU alors Président de la commission de la guerre à l’Assemblée, avant d’être Président du Conseil en 1917. Le charbon étant essentiel à la poursuite de la guerre.
Le succès à Biarritz
Gabrielle a l’idée d’ouvrir également une boutique de couture de luxe à Biarritz, qu’elle inaugure en 1915 et c’est aussi un succès immédiat.
Dans cette ville s’étaient réfugiés un certain nombre de grands de ce monde, et aussi des Espagnols, des Russes et tous ceux nombreux qui étaient soucieux de s’éloigner des zones et des soucis de la guerre. Paris est alors sous la menace de l’artillerie allemande.
C’est ainsi que pendant les années noires de la guerre de 1914, les affaires de Gabrielle ont prospéré. Elle a 60 ouvrières à Biarritz, en ajoutant celles de Deauville et de Paris, 300 personnes travaillent désormais pour elle et elle est la seule couturière de luxe, car POIRET, son concurrent direct est aux armées.
Elle en profite en 1917 pour rembourser sans nécessité CAPEL et marquer ainsi son indépendance.
Gabrielle avait découvert le tissu RODIER, maille mécanique, utilisé alors seulement pour les vêtements masculins, qu’elle a commandés abondamment au point que le fournisseur s’est montré réticent. Il paraît que RODIER disposait d’un stock important qu’il avait du mal à écouler, Gabrielle le prit et en demanda de nouveau, alors que RODIER hésitait à relancer cette fabrication !
Ici se situe la première révolution CHANEL ! Libérer le corps et lui procurer l’aisance dans les mouvements !
Jupes raccourcies à la cheville,
ni taille ni cambrure ni poitrine, ni corset ;
suppression de l’ornementation lourde (plume, voilette…),
simples fourreaux sans ornement,
tissu jersey inusité jusqu’alors.
Cette mode correspondait d’ailleurs à cette époque de guerre où les femmes devaient accomplir seules divers travaux jusqu’alors du ressort des hommes.
De succès en succès
CHANEL est devenue alors l’inspiratrice mondiale de la mode. La presse de mode américaine l’a d’ailleurs remarquée la première, car alors les Américains, très au fait de la mode parisienne, ont réalisé cette modification mieux que les Français, absorbés par la guerre.
On raconte que POIRET, autre couturier à la mode, a mécontenté une cliente, épouse de ROTSCHILD qui s’est fâchée avec lui et qui de ce fait est devenue cliente de COCO CHANEL et lui a envoyé toutes ses amies et relations forts nombreuses.
C’est ainsi que COCO CHANEL est devenue également la couturière de la haute société ; elle est déjà à l’apogée de sa carrière, elle va de succès en succès, elle est sollicitée et elle fréquente le monde artistique parisien ; elle est admirée et considérée. Elle mène en outre grande vie. Non seulement elle sort souvent avec Arthur CAPEL mais aussi elle voyage et elle est heureuse.
Pourtant, Arthur CAPEL homme du monde, doit se marier pour garder son prestige dans la société et assurer une descendance. Il épouse une riche héritière, Diana LISTER, fille d’un Lord anglais, en novembre 1918. Néanmoins, il continue à voyager et partage son temps entre Londres où demeure sa femme, et Paris où il rencontre Gabrielle.
Celle-ci a dû quitter la garçonnière de BALSAN boulevard Malesherbes et s’est installée provisoirement dans un rez-de-chaussée médiocre, face au Trocadéro puis, sans doute sur les conseils de BOY, dans une maison isolée à Saint-Cucufa dans les hauts de Rueil où leurs rencontres sont plus discrètes (Villa Milanaise).
Il est sûr que COCO a été quelque peu désemparée par ce mariage, même si BOY est resté son amant et son ami. Il sera d’ailleurs témoin au mariage d’Antoinette qui épouse un aviateur canadien en octobre 1919 et il continue à s’afficher avec elle.
Gabrielle fondait peut-être quelques espoirs de stabilisation d’une liaison avec Arthur CAPEL, elle est déçue. Elle n’en laisse rien paraître, et continue à mener grande vie. Elle reçoit beaucoup de monde dans sa villa, et notamment Henri BERNSTEIN, auteur en vogue qui habite à proximité, à Garches.
Les transformations parisiennes
Par ailleurs, l’entresol du 21 rue Cambon est devenu trop exigu. De plus Chanel y est seulement « modiste » et ne peut faire que des chapeaux et du jersey. Son bail lui interdisait la couture car il y avait une couturière dans l’immeuble.
Aussi elle décide de s’agrandir dans des locaux à sa mesure et s’installe, comme « couturière » cette fois, 29-31 rue Cambon sur 2 étages au début, qu’elle aménage à sa mesure et qu’elle ne quittera pas. Elle utilisera les services de décorateur Mille et réalisera un escalier typique Arts Déco et les glaces qui le ceinturent.
Le 29 décembre 1919, Arthur CAPEL quitte Paris en voiture pour rejoindre son épouse à Cannes. En route, il a un accident et meurt sur le coup.
Pour Gabrielle c’est le malheur qui la frappe brutalement elle en est très affectée. On raconte que dans sa douleur, elle fait peindre sa chambre en noir, puis refuse d’y coucher avant qu’elle ne soit repeinte en rose.
Gabrielle s’installe à Garches
Aussi, elle veut quitter cette maison et sur les conseils et à l’instigation d’Henri BERNSTEIN, elle achète une maison située à Garches (rue Alphonse de Neuville), dénommée « Bel Respiro » où elle s’installera en mars 1920, avec sa femme de chambre, Marie, son maître d’hôtel Joseph, son chauffeur Raoul et ses chiens, Soleil et Lune et 5 chiots.
C’est une belle villa qu’elle fait repeindre en beige avec des volets noirs, ce qui, parait-il a scandalisé le quartier. Cette maison occupe une des plus belles situations de Garches, au sommet et à la pointe du plateau vers l’est ; elle n’a aucun vis-à-vis et domine Paris et toute la région sud.
Par l’intermédiaire de Boy, Gabrielle CHANEL avait rencontré MISSIA au cours d’un dîner chez Cécile SOREL en 1917. Celle-ci a, dans une de ses lettres, décrit COCO telle qu’elle l’a connue lors de leur rencontre :
« Jeune femme brune réservée, qui ne prononçait pas un mot mais dont émanait un charme irrésistible ». Le charme de Gabrielle a frappé tous ceux qui l’ont connue. Il était réel. D’autant plus que Gabrielle était d’une grande finesse et fort habile.
Elle se lia d’amitié avec Missia qui fut une fidèle de COCO et l’a soutenue dans les moments difficiles. Née Maria GODESKA, cette femme d’une grande beauté a été l’inspiratrice et le modèle de peintres célèbres, VUILARD, BONARD, TOULOUSE LAUTREC, PICASSO. Elle a connu VERLAINE et MALLARME.
Elle avait épousé en seconde noces Mr EDWARDS, homme riche et influent, propriétaire du « MATIN », mais elle devait en divorcer pour épouser Mr José Maria SERT, peintre espagnol également très riche. Alors elle règne sur le monde artistique de Paris.
Un voyage à Venise et rencontres à Biarritz
Au décès de Boy, voyant la douleur de Gabrielle, elle décide de l’emmener en voyage et le trio se rend à Venise où il rencontre fortuitement DIAGUILEV dont MISSIA apprend seulement les difficultés financières ; par contre Mr José Maria SERT l’initie à l’art vénitien et à la peinture italienne.
Quelques temps plus tard, DIAGUILEV se trouvait en grande difficulté pour monter « le Sacre du Printemps » – musique de STRAVINSKY, chef d’orchestre habituel de DIAGUILEV. Un jour, Gabrielle prit l’initiative an matin de se rendre seule à l’hôtel de DIAGUILEV qui la reconnut à peine et auquel elle remit une enveloppe de 300 000 francs, pour lui permettre de monter son spectacle à la condition qu’il n’en parle à personne. Il garda effectivement le secret tout en le partageant avec son secrétaire Boris KOHKO qui, dans ses mémoires diffusées vers les années 1970, révéla cette action de Gabrielle demeurée secrète pendant 50 ans.
Le voyage à Venise a été une diversion utile pour Gabrielle.
C’est au retour de Venise et à Biarritz qu’elle fait la connaissance du Grand Duc Dimitri PAVLOVSKI, cousin du tsar, qui a évité le sort de la famille impériale parce qu’il avait été exilé à la suite de l’assassinat de Raspoutine, auquel il avait participé en Décembre 1916
Elle l’a rencontré au cours d’une soirée joyeuse à Biarritz où elle se trouvait en compagnie de Gabrielle DORZIAT et de Marthe DAVELLI (jeune cantatrice à l’époque, qui deviendra célèbre à l’Opéra Comique), toutes trois anciennes de ROYALLIEU. Cette dernière était la maîtresse de Dimitri ; elle aurait dit à Gabrielle « s’il t’intéresse, je te le cède, il est trop cher pour moi ». En effet Dimitri était complètement désargenté.
La vie Garchoise
Gabrielle l’emmène et l’installe chez elle avec son valet Piotr à « Bel Respiro » à Garches.
Curieusement, pendant l’été 1921, Gabrielle devait se rendre avec son amant Dimitri au Moulleau, où elle avait loué une villa dans laquelle elle est demeurée pendant deux mois, quasiment sans visite ni sortie, en dehors des bains de mer, retraite qui n’est pas dans le style de Gabrielle.
L’année 1920 où elle avait rencontré Dimitri est aussi marquée par la création du parfum CHANEL N°5.
Gabrielle en avait confié la fabrication à un chimiste, Monsieur BEAUX, fils d’un employé de la cour de Russie, où on se parfumait beaucoup. C’est Dimitri qui le lui avait présenté.
Ce parfum diffère des compositions antérieures à base d’essences végétales (héliotrope, gardénia), dont la senteur était reconnaissable. Au contraire, le parfum créé par CHANEL provient de matières purement synthétiques et a une odeur indéfinissable. Créer un parfum par pure synthèse était une nouveauté.
Le chimiste avait préparé cinq compositions ; c’est la 5ème qui a été retenue par Gabrielle qui la nomme tout simplement « n° 5 ».
En outre, Gabrielle dessine un flacon de forme géométrique simple, à base de carrés et de lignes droites, en réaction absolue avec ce qui se pratiquait jusque là, où les flacons de parfums étaient de forme fantaisie.
Gabrielle CHANEL devait confier ensuite la fabrication et la commercialisation de ce parfum à une société qui lui réservait une commission. Cette société était animée par la famille WERTHEMEIR (propriétaires des parfums BOURJOIS). C’est Mr BADER créateur des Galeries Lafayette qui avait présenté Pierre WERTHEMEIR à COCO CHANEL à Longchamp.
Gabrielle avait apporté à la société son nom et la formule, au début elle avait 10% du capital et 10% des revenus. Bien que ce parfum soit à la l’origine de sa fortune, elle a été en contestation permanente avec cette société. Ces contestations ont donné lieu à diverses procédures dont la dernière introduite malgré les conseils de ses avocats, Mtres de Chambrun et Chresteil n’a pas été jugée du fait de la guerre de 1939.
Pendant cette période, Gabrielle vit à GARCHES avec Dimitri. Son chauffeur Raoul l’emmène en Rolls le matin à sa boutique et l’en ramène le soir. Elle reçoit beaucoup de monde à « Bel Respiro ».
Elle y héberge STRAVINSKY, musicien chef d’orchestre habituel de DIAGUILEV qui a décidé de s’installer en France mais ne sait où aller. Ses moyens sont faibles mais c’est un grand musicien et chef d’orchestre. Gabrielle accepte de l’héberger avec sa femme et leurs 4 enfants à « Bel Respiro ». Il y vécut 2 ans et y composa diverses œuvres.
STRAVINSKY a manifesté sa reconnaissance à Gabrielle en lui offrant une icône rare qu’il avait rapportée de Russie. Gabrielle a gardé cette icône auprès d’elle jusqu’à sa mort.
A Garches, Gabrielle héberge en outre le Comte KOUTOUSOV, sa femme et ses deux filles. Elle devait embaucher ce russe qui fut employé dans sa maison de couture pendant plus de 15 ans. Les enfants STRAVINSKY parlaient russe avec le valet Piotr. La maison était ainsi très animée.
Elle reçoit également à Garches de nombreux réfugiés russes parmi lesquels elle embauchera diverses jeunes femmes comme mannequins, ainsi que Maria PAVLOVSKA, sœur de Dimitri à qui elle a confié la direction d’un atelier de broderie ; d’ailleurs en 1921 Coco place des broderies sur ses blouses et sur ses jupes.
Henri BERNSTEIN est son voisin. Selon la veuve du jardinier il était sensible au charme de Coco et il y aurait eu un passage encore sauvage à proximité de « Bel Respiro » auquel aurait été donné le surnom du « sentier des amoureux » car ce serait là qu’Henri BERNSTEIN et Coco se retrouvaient.
Mais avec tous ces invités, « Bel Respiro » est trop petit, également trop loin de Paris ; de plus sa domestique, Marie, épouse de Joseph meurt alors que c’est elle qui tenait la maison. Aussi, suivant en cela les recommandations de Missia, Gabrielle décide de rejoindre Paris fin 1921. STRAVINSKY devait demeurer jusqu’en novembre 1922 à Bel Respiro. La séparation de Gabrielle et de Dimitri correspond au départ de « Bel Respiro ». Elle se fera sans brouille. Pour redorer son blason, Dimitri a contracté une riche alliance avec une américaine.
Le retour à Paris
COCO CHANEL s’installe dès lors en 1922 dans un hôtel particulier, 29 rue du faubourg St-Honoré dont elle loue le rez-de-chaussée et le premier étage. C’est une résidence somptueuse avec des jardins donnant sur l’avenue Gabriel et qui convient pour recevoir.
Gabrielle la meuble à son idée avec le concours de Missia. Elle y installe un mobilier à son goût : des paravents en laque de Coromandel, un piano pour STRAVINSKY et un ameublement dans le style Art Déco alors naissant.
Elle y reçoit beaucoup : artistes et acteurs, Jean COCTEAU, Cécile SOREL, Pierre REVERDI. PICASSO a fait plusieurs séjours chez Gabrielle, avec Olga qui était alors sa femme.
C’est vers cette époque que Gabrielle se prit de passion pour Pierre Reverdi, poète, avide d’absolu. REVERDI avait rencontré Gabrielle quelque temps après la mort de BOY chez Missia ; REVERDI n’était pas coureur, et Gabrielle était encore dans l’amertume.
Au début, ce fut donc une simple amitié. Reverdi était un mystique, il avait assisté au baptême et à la première communion de Max Jacob. Il se fit baptiser à son tour le 2 mai 1921. Il méprisait l’argent mais il aimait bien vivre, seul point commun avec Gabrielle à laquelle tout l’opposait par ailleurs.
Pour autant Coco se lança dans cette nouvelle aventure avec détermination. C’était une cause perdue. Paul MORAND écrit :
« Elle l’aimait, il l’aimait aussi mais leurs caractères étaient trop opposés, lui en quête d’absolu, elle sur terre ».
De fait il était tourmenté et leur liaison s’altéra. Leur aventure fut pleine d’orages. Gabrielle renonça à se l’attacher et le laissa voguer vers ses aspirations spirituelles – mais pas de brouilles entre eux. REVERDI continua à lui vouer une amitié sans faille et elle garda auprès d’elle jusqu’à sa mort toutes les marques d’affection – lettres, dédicaces, etc. que le poète lui a envoyées. Il devait se retirer à SOLESME en 1925 : à quelques escapades près, notamment en 1931, il y demeura jusqu’à sa mort.
Ses problèmes sentimentaux n’affectent pas l’activité de Gabrielle dont la maison de couture prospère. Elle tient aussi une place éminente dans la société artistique du moment.
Elle est sollicitée pour réaliser les costumes d’Antigone que COCTEAU vient d’écrire, montée a l’Atelier repris par Charles Dullin, fin 1922. Les décors sont de PICASSO, la musique de HONNEGER, les costumes de Chanel. Ce fut un échec. La pièce est critiquée vertement. Seuls les costumes de CHANEL trouvent grâce.
Plus tard en 1924, elle participe activement à la création du « TRAIN BLEU », comédie musicale imaginée par DIAGUILEV et COCTEAU. Cette pièce a été préparée dans la plus grande confusion avec des acteurs peu connus alors, dont Serge LIFAR, juste arrivé de Russie. Désaccord entre les chorégraphes et les metteurs en scène, défauts de précision, etc.
Le rideau de scène devait être l’œuvre de PICASSO, qui cependant ne l’a pas réalisé. Il a été confectionné par un autre artiste, mais PICASSO l’a néanmoins signé. La musique était de Georges AURIC, le chef d’orchestre André MESSAGER, les costumes de Coco CHANEL. Ce fut un triomphe le 13 juin 1924. COCO CHANEL y a sa part.
La retraite de REVERDI à SOLESME en 1925 a certainement affecté Gabrielle. Néanmoins, elle vit dans un tourbillon entre sa maison de couture et le monde des artistes. Son appartement est le rendez-vous du monde artistique : COLETTE, Dunoyer de SEGONZAC, Christian BERARD, Jean COCTEAU, qui lui font la cour. Elle figure parmi quelques autres, au palais des élégants, lors de la fermeture solennelle de l’exposition des Arts Décoratifs en 1925.
Le style art déco par sa simplification, rejoint la façon CHANEL. Alors les femmes ont coupé leurs longs cheveux. Depuis déjà plusieurs années, Gabrielle avait lancé la mode des cheveux courts dès 1917.
En outre Gabrielle dessine et fait fabriquer des bijoux fantaisies que sa clientèle lui achète pour leur nouveauté et aussi pour sa marque. Les robes de CHANEL et ses produits se vendent dans le monde entier, notamment en Amérique.
Gabrielle est alors l’une des reines de Paris.
COCO CHANEL a quitté Garches et habite un somptueux hôtel particulier du Faubourg St-Honoré. Elle est alors en pleine gloire. C’est une femme qui approche de la quarantaine, elle est belle, elle a beaucoup de charme, en société elle est enjouée et sa compagnie est recherchée.
Elle est toujours très élégante et porte des bijoux de grande valeur, elle est l’une des femmes les plus en vue de Paris qui alors est le centre du monde artistique et intellectuel.
Elle se produit, elle voyage ; à Monte-Carlo à Noël 1922 une de ses employées « Véra », anglaise apparentée à la famille royale, la présente au duc de WESTMINSTER.
C’est l’héritier d’une famille GROSVENEUR qui remonte à Guillaume le Conquérant, cousin de la reine Mary qui a élevé son grand-père à la dignité de duc. Il est richissime et surnommé « BENDOR », nom d’un cheval célèbre et hors de prix.
C’est un personnage haut en couleur, il aime la chasse, les chevaux, le gros temps et les femmes. Il a des résidences multiples : Mimizan dans les Landes, Saint-Servan en Normandie. Deux yachts : l’un dans la Manche, l’autre à Monaco « Flying Cloud » (4 mâts goélette – 40 hommes d’équipage).
Il avait été marié deux fois et était en cours d’un divorce peu édifiant. Il se mit à faire à Gabrielle une cour assidue. Il lui aurait fait livrer un cageot de légumes frais au fond duquel se trouvait une émeraude de grande valeur.
Sans doute marquée par ses précédents déboires, Chanel hésite à céder aux instances de BENDOR qui multiplie lettres et cadeaux. Mais un soir sur le « Flying Cloud », à l’issue d’une soirée après laquelle il avait congédié tous ses invités, ne gardant que Gabrielle, il décida de prendre le large. Seule auprès de lui, elle céda à ses instances et devint sa maîtresse.
Désormais, elle s’affiche avec le duc de Westminster qui lui apprend non plus le luxe mais le faste. Il l’emmène dans des trains spéciaux : deux wagons salon et quatre pour le personnel et les bagages. Il l’emmène aussi dans son château de « Eton Hall », d’une incurable laideur, mais aux jardins magnifiques où se déroulent des fêtes fastueuses. Parmi les invités figurent notamment Winston CHURCHILL et sa femme et aussi le Prince de GALLES (futur Edouard VIII).
Gabrielle pénètre sans peine la société anglaise dans laquelle elle se plait ; dans le souci de mieux s’intégrer dans cette société, elle achète une propriété à Roquebrune, « La Pausa », sur laquelle elle fait construire une somptueuse résidence comprenant trois appartements autour d’un patio.
Elle y reçoit fastueusement les invités qui avaient accès libre au buffet, au service et à une voiture. Elle a offert à Véra et à son mari une petite maison au fond du jardin : « La Colline ».
Gabrielle, une femme de cœur
Le 19 août 1929 le Flying Cloud croisait en mer Tyrrhénienne, Gabrielle et son amie Véra qui étaient à bord, apprenant que DIAGUILEV est mourant à Venise, obtiennent de Bendor que le bateau fasse demi tour pour leur permettre de se rendre au chevet de DIAGUILEV. Malheureusement elles arrivent trop tard : elles trouvent à son chevet Missia, Serge LIFAR et Boris KOCHKO. Missia, faute d’argent sur elle, allait gager son collier de diamants pour payer l’hôtel et les funérailles. Gabrielle arrivée à temps put l’éviter en payant obsèques et hôtel.
Gabrielle, COCO CHANEL n’avait pas la réputation d’une bienveillance et d’une générosité particulières, elle fut au contraire souvent exigeante parfois brutale. Cependant elle a été capable d’actes de générosité le plus souvent méconnus mais considérables :
Elle a payé les obsèques de RADIGUET.
Elle a permis à DIAGILEV de monter le « Sacre du Printemps ».
Elle a payé ses obsèques.
Elle a aidé ses deux frères ainsi que sa sœur et le fils de cette dernière A. PALASSE.
Elle payera les obsèques de REVERDI, elle sera marraine de guerre de Jean MARAIS et l’ a couvert de bienfaits ainsi que toute la compagnie à laquelle il était affecté.
Elle a payé l’épée d’académicien de Jean COCTEAU.
Mais d’une façon générale, elle tient à ce que ses actes de générosité ne soient pas révélés.
Comme le Duc est libre et qu’il n’a pas de fils, il est sûr que Gabrielle a caressé des espoirs de mariage, si elle parvenait à lui donner un héritier mâle.
Aussi elle s’est ingéniée à rendre sa famille plus présentable, en qualifiant ses frères de commerçants et en leur offrant une maison à chacun. Elle racontera aussi que son père était négociant et qu’il est parti en Amérique pour affaires.
Malheureusement elle est stérile ; espérant y remédier, elle consulte et se livre à des pratiques diverses, mais rien n’y fera.
Aussi, le couple se distend dès 1929, d’ailleurs le Duc ne craint pas de s’afficher avec d’autres femmes et c’est la rupture. Elle se fit en douceur. Gabrielle, cette fois-ci tenait à sauvegarder les apparences. Le Duc a continué à la visiter à Paris jusqu’en Avril 1930 où sont annoncées ses fiançailles. Il a présenté la jeune femme à Gabrielle et lui a demandé s’il avait bien choisi !!
A ce moment, Reverdi revient de SOLESME et Gabrielle lui offre sa collaboration littéraire… Il fait des allers et retours plus ou moins fréquents, il sort beaucoup pendant ses séjours à Paris. Durant l’été 1931 il séjourne longuement à la Pausa, Gabrielle publie des pensées plus ou moins revues et corrigées par REVERDI.
C’est de cette époque sans doute que datent les aphorismes prêtés à Gabrielle :
« A 30 ans une femme doit choisir entre son derrière ou son visage. »
« Il n’y a pas de mode si elle ne descend pas dans la rue. »
« Si une femme est mal habillée on remarque la robe et pas la femme, si la femme est bien habillée, on ne remarque pas la robe mais on remarque la femme ».
Toutefois, la collaboration littéraire avec REVERDI est illusoire et ce ne sont que discutions orageuses et pénibles. Ils sont trop différents. Elle veut vivre, lui est à la recherche de l’au-delà et c’est une nouvelle rupture à la fin de l’année 1931.
L’amitié et le souvenir vont demeurer chez l’un et chez l’autre. Les sentiments qu’ils ont éprouvés l’un vis-à-vis de l’autre sont réels mais complexes, au point que la fille d’André PALASSE pense qu’il n’y a pas eu véritablement de liaison charnelle.
La période américaine
Au début de l’année 1930, Dimitri de passage à Monte-Carlo, présente Gabrielle à GOLDWIN MEYER, potentat du cinéma américain.
Il était comme elle, fils de colporteur. Il propose à Gabrielle un contrat faramineux, 1.000.000 dollars, moyennant une visite annuelle à Hollywood. Toutes les stars seraient habillées en CHANEL à la scène et en ville.
Après s’être fait prier, COCO accepte finalement de se rendre en Amérique et part avec Missia. Elle arrive à New-York le 4 mars 1931 et y reçoit un accueil triomphal, comme à Hollywood quelques jours plus tard.
Elle rencontre toutes les grandes vedettes, Greta GARBO, Eric VON STROHEIM, Marlène DIETRICH avec laquelle elle s’est liée d’amitié.
Elle est fêtée par la presse, mais elle ne se plaît pas, elle trouve les habitants d’Hollywood sans intérêt et après avoir contribué à la réalisation d’un seul film, « Ce soir ou jamais » avec Gloria SWANSON, elle revient à Paris en décembre 1931 après avoir négocié la rupture de ce contrat.
Les vedettes s’étaient d’ailleurs rebiffées contre l’obligation de s’habiller suivant la mode CHANEL. Cette opération apporte néanmoins à Gabrielle CHANEL une formidable publicité aux U.S.A. qui sera pour elle un appui par la suite.
Alors, Gabrielle rencontre couramment Paul IRIBARNEGAREY, dit IRIBE. Un personnage arriviste et sans scrupule. Colette l’appelle le « démon ». Il a débuté à Paris comme dessinateur, et en publiant un album des robes de POIRET, concurrent de Gabrielle avant la guerre de 1914.
Il a été embauché comme directeur artistique par Cécil B 2000, expérience qui s’est mal terminée. Depuis, il s’est installé comme décorateur, et dessine des meubles.
Après avoir perdu sa première femme morte de chagrin et de honte, il épouse une américaine qui le finance largement. Il vit fastueusement si bien que sa deuxième épouse, lassée, doit s’en séparer craignant la ruine.
Mais il est alors lancé dans le monde et bien sûr connaît Gabrielle qui devient sa maîtresse à la fin de l’année 31 alors qu’il n’est pas encore divorcé. Au début, ils se rencontrent discrètement à la villa « La Gerbière », à MONTFORT LAMAURY achetée par COCO CHANEL, mais à partir de 1932, Iribe s’installe chez Gabrielle.
En novembre 32, Gabrielle avec la ligue internationale de diamants installe dans son domicile une exposition de vrais bijoux qui y sont présentés par des mannequins, ce qui impose d’énormes mesures de sécurité et ne passe pas inaperçu.
C’est une nouveauté et une surprise vivement critiquée notamment par les grands bijoutiers qui n’admettent pas cette incursion d’une couturière dans leur champ d’action ; jusqu’alors COCO CHANEL n’avait présenté que des bijoux fantaisie. Cette initiative qui sera alors sans lendemain, a certainement été influencée par Paul IRIBE.
1933, Iribe sort un journal « Le Témoin », qui avait été initié en 1910 et interrompu depuis, il est édité par une société CHANEL et financé par Gabrielle. C’est un journal réactionnaire virulent qui exalte le patriotisme étriqué et correspond à la pensée « Action Française » de l’époque. Pour COCO CHANEL c’est évidemment un instrument de publicité mais est-ce son mobile ?
Les idées d’Iribe doivent l’influencer. Elle en profite pour exalter la France, le bon goût, le luxe. Pour la première fois, elle associe quelqu’un à sa vie professionnelle et charge Paul Iribe à plusieurs reprises de la représenter dans différents conseils.
Et surtout elle ne se cache pas d’avoir avec Iribe des projets de mariage dès qu’il sera divorcé. Ce qui a fait dire à Colette que « Gabrielle épouse le démon ».
Alliances, malheurs et évènements
Au printemps 1934, elle décide de renoncer à son installation Faubourg St-Honoré, se sépare de son personnel domestique, le fidèle Joseph et s’installe au Ritz avec seulement sa femme de chambre ; elle y apporte ses meubles et notamment ses paravents de Coromandel.
Par contre, elle s’attache à sa propriété de la Pausa où Iribe, à peine séparé, vient la rejoindre dès 1934. Fêtes, réceptions, loin des conflits sociaux et du réarmement allemand.
C’était l’été 35, et à la Pausa Gabrielle vient retrouver Iribe qui jouait au tennis ; il tombe, on le relève inanimé, il meurt à l’hôpital.
La mort d’Iribe, c’est à nouveau le malheur. Gabrielle a passé 50 ans, elle a perdu toute illusion, elle est touchée. Missia et ses amis l’entourent. Son inspiration et son enthousiasme en sont affectés.
Pourtant, elle veut encore se battre et notamment contre une nouvelle concurrente Elsa SCHIAPARELLI, italienne qui commence à lui prendre des clientes.
Surviennent les évènements de 1936. Elle est alors à la tête d’une entreprise de 4000 personnes sans compter la société de parfums. Ses employés se mettent en grève. Ils lui envoient une délégation qu’elle refuse d’accueillir.
Elle se présente en grande tenue et avec ses bijoux, pour pénétrer dans son magasin et s’en voit refuser l’accès. « Humiliation suprême ».Elle finira après de longues négociations à exécuter les accords de Matignon, congés payés, horaires contrôlés et fixes, contrats de travail.
Néanmoins, elle est ulcérée. Elle a cédé parce qu’elle voulait ne pas affecter la collection à venir et tient à préserver son affaire, maintenant concurrencée.
L’exposition de 1937 apporte toutefois à Gabrielle CHANEL l’occasion de la relance. Elle est très sollicitée, inaugurations, réceptions, elle fait face, elle se montre, elle va au spectacle.
COCTEAU lui demande de faire les costumes pour Œdipe ROY où débute Jean MARAIS, c’est un succès mitigé. La presse fut indulgente à son égard. Elle participe aussi au film « Le Regard d’Or » à la demande de Jean RENOIR en 1938.
A la Pausa, elle reçoit STRAVINSKY, JOUVET même Dimitri, Serge LIFAR. Même après les évènements de 38 (ANCHLUSS, MUNICH), elle fait bonne figure et poursuit sa carrière. Et sort en été 39 des robes gitanes qui comportent une légère touche tricolore, ce sont ses dernières créations avant guerre.
A la déclaration de guerre septembre 39, Gabrielle licencie son personnel et décide de fermer la maison de couture, sauf la boutique. Cette décision surprend et Gabrielle est l’objet de nombreuses démarches de ses amis, de sa clientèle, même de la Chambre de la Haute Couture. Elle refuse :
« Ce n’est pas le temps des robes » dit-elle.
En fait, marquée par les incidents de 1936 avec son personnel, mal remise de la mort d’Iribe, elle veut rompre. Elle quitte Paris et se réfugie auprès de son neveu, fils de Julia, A. PALASSE sur l’éducation duquel elle avait veillé avec CAPEL.
Par contre, elle rompt avec ses frères : elle écrit à Lucien qu’elle a fermé sa maison, qu’elle se trouve de ce fait presque dans la misère, et doit supprimer les subsides qu’elle lui adressait. La réponse de Lucien est surprenante : il lui offre ses économies pour l’aider. Il ne semble pas que Gabrielle y ait répondu. Par contre Alphonse, plus philosophe se borne à lui répondre que cela devait arriver et qu’elle avait toujours vu trop grand.
Aucun de ses deux frères ne revit Gabrielle, et aucun évènement familial ne la fit sortir de sa réserve totale. On raconte que vers 1968, les enfants de ses frères accompagnés de leurs propres enfants, sont venus pour la rencontrer ; elle ne les a pas reçus.
Pendant la guerre 39-40 elle séjourne donc à Corbières, où s’était réfugiée la famille de son neveu. Elle fait également quelques passages en Suisse, en Espagne, à Vichy. Cette oisiveté ne lui ressemble guère et en août 1940 elle revient s’installer au Ritz.
L’hôtel est alors occupé par les Allemands et sa chambre n’est plus disponible. Elle tempête avec l’administration du Ritz et finit par obtenir la disposition d’une petite chambre « de rien du tout » donnant sur la rue Cambon, dont elle s’accommode.
Elle installe par contre ses meubles et notamment ses fameux paravents de Coromandel au 3ème étage du magasin, qu’elle avait déjà commencé à aménager depuis 1928.
La guerre…et Spatz
Son neveu André PALASSE a été fait prisonnier. Gabrielle s’est souvenu qu’avant la guerre elle avait rencontré un allemand se faisant appeler SPATZ, de son vrai nom Günter VON DINKLAG, garçon de bonne famille se disant attaché d’ambassade, en fait un espion allemand blond distingué, bel homme. Agent de l’ « ABVER » ; il avait semble-t-il pour seule mission de pénétrer les milieux mondains français, ce à quoi il s’était employé et y avait parfaitement réussi (5ème colonne). Il s’était éclipsé à la déclaration de la guerre car les services de renseignements français l’avaient depuis longtemps repéré et il risquait d’être interné.
Dans l’espoir de faire libérer son neveu, Gabrielle prend contact avec SPATZ. Il n’y parvient pas mais par contre il est devenu l’amant de Gabrielle.
Avec lui, Gabrielle 57 ans connaît une nouvelle idylle. Le personnage n’est pas très intéressant. Notamment il n’a rien fait auprès des autorités d’occupation pour venir en aide à son ancienne concubine qui avait été inquiétée et poursuivie par les services de renseignements français.
Ensemble, ils mènent une existence discrète. SPATZ ne tient pas à se faire remarquer, et souhaite au contraire, se faire oublier par ses chefs, en raison du guêpier allemand où les services de renseignements ne cessent de se contrôler et de se détruire mutuellement. Gabrielle de son côté, ne tient pas à s’afficher avec cet allemand. Ils vivent retirés et se remettent à la musique. Gabrielle s’est fait livrer un piano crapaud, à la mesure de sa nouvelle installation.
Cependant, faute d’avoir obtenu la libération d’André PALASSE, SPATZ a présenté à Gabrielle un de ses amis de régiment (ils avaient fait leurs classes ensemble au 17ème hulans), Théodore « MOMM», qui dans le civil, exploite une entreprise de textile en Belgique et en Allemagne ; mobilisé, il avait été chargé en France des problèmes relatifs au textile avec le titre de « RITT MEISTER ». D’un niveau très supérieur à SPATZ, il a réussi à faire libérer le jeune homme au moyen de la création d’une entreprise de tissu près de ST-QUENTIN à MARETZ, acquise par Gabrielle, dont le jeune homme prit la direction.
Gabrielle CHANEL avait confié la fabrication et la commercialisation de ses parfums aux frères WERTHEIMER, propriétaires des parfums Bourgeois, avec qui elle avait constitué une société. Alsaciens et juifs, ils ont quitté la France à la déclaration de guerre et sont allés s’installer aux Etats-Unis laissant leurs affaires aux mains de collaborateurs avisés.
Gabrielle CHANEL était en conflit permanent avec cette Société estimant que les revenus qu’elle en obtenait n’étaient pas suffisants. Or les allemands avaient imposé des dispositions stipulant que « les affaires dont les dirigeants avaient quitté la France » seraient placées sous séquestre et pourraient être liquidées. Gabrielle pensa pouvoir en user pour reprendre ses parfums. Malgré l’appui de « SPATZ », elle devait échouer car les associés des WERTHEIMER disposaient encore en France de représentants et d’agents qui ont su parer aux manœuvres. Un montage a été réalisé mettant l’affaire hors de portée. Un administrateur aryen a été désigné ; curieusement, ce fut le frère du Conte DE NEXON, fiancé d’Adrienne. De plus, un allemand a été placé au conseil d’administration, c’était bien sûr un prête nom.
Les tractations
En 1943, après l’occupation de la zone libre en France, la guerre paraissait s’enliser et beaucoup pensaient qu’il fallait arrêter le massacre et négocier. Ce n’était pas l’avis de Winston CHURCHILL, aux commandes en Angleterre.
Par contre, Gabrielle qui se souvenait avoir parfaitement connu Winston CHURCHILL se mit dans la tête de le rencontrer pour le convaincre de négocier avec l’Allemagne.
Cette démarche n’était pas évidente car il fallait sortir de France pour rencontrer Winston CHURCHILL. Celui-ci au retour de Téhéran devait faire escale à Madrid, et Gabrielle espérait pouvoir l’approcher à cette occasion. Evidemment, obtenir des saufs conduits était au-delà des possibilités de SPATZ. Aussi, elle se décida à aller confier son projet au RITTMEISTER MOMM, qui avait fait libérer son neveu. Lui même ne pouvait délivrer les autorisations nécessaires qui étaient du seul ressort de Berlin. Mission sans doute impossible.
N.B : L’armistice avec les Sociétés des Parfums eut lieu en 1947. Après que Gabrielle ait voulu créer un parfum concurrent « Mademoiselle CHANEL » qu’elle avait offert gratuitement à des amis. Au cours de l’arrangement convenu, elle reçut d’importantes indemnités pour tenir compte des ventes faites pendant la guerre à l’étranger, et une redevance complémentaire de 2 % sur toutes les ventes, ce qui fit de Gabrielle une femme très riche.
Néanmoins, poussé activement par Gabrielle qui a réussi à le convaincre, il se rendit à Berlin, d’abord au Ministère des Affaires Etrangères où il n’obtint aucun résultat puis ne sachant à qui s’adresser, directement auprès de la direction des S.S., où la chance voulut qu’il soit reçu par SCHELLENBERG, n° 2 des S.S, juste derrière HIMMLER.
SCHELLENBERG, encore jeune avait emprunté la filière S.S. Pour un jeune homme ambitieux et compétent, c’était alors la seule voie de la réussite. Il fit une carrière fulgurante et devint rapidement l’adjoint direct de HIMMLER. Théodore MOMM à sa propre surprise, a convaincu SCHELLENBERG qui décide d’accorder à Gabrielle un sauf conduit pour Madrid où elle pourra rencontrer CHURCHILL.
MOMM rapporte la bonne nouvelle à COCO CHANEL qui entre temps a réalisé que ses chances d’aboutir seraient beaucoup plus grandes si elle était accompagnée par son amie Vera. Celle-ci de nationalité britannique est apparentée à la famille royale, aussi Gabrielle exige donc d’être accompagnée par Vera qui à l’époque réside à Rome avec un officier italien qu’elle avait épousé ces derniers temps.
MOMM subjugué se laisse à nouveau convaincre et retourne à Berlin voir SCHELLENBERG pour tenter d’obtenir un sauf conduit complémentaire pour VERA. Miracle il obtient l’accord. L’opération est programmée elle s’appelle « Modelhut » ou chapeau.
Les deux femmes voyagent avec des sauf-conduits allemands mais leur arrivée à Madrid ne passe pas inaperçue, car cette ville regorge d’agents secrets de tous les pays.
Gabrielle obtient un rendez-vous de l’Ambassadeur de Grande-Bretagne, Monsieur HOVE ; elle ne lui parle pas de Véra, voulant garder cette carte en réserve.
Mais Véra prend contact directement avec l’ambassadeur et lui demande de regagner la partie de l’Italie alors libérée par les alliés.
Contradiction entre la démarche de ces deux femmes, qui surprises, se trouvent nez à nez à l’ambassade où Gabrielle informe alors Vera de son projet.
Il en résulte une inévitable suspicion de la part des services britanniques, néanmoins la demande d’audience est transmise.
Mais la réponse se fait attendre jusqu’au 16 décembre 1943, où est révélée la maladie de CHURCHILL qui a annulé tous ses rendez-vous. (Retour de TEHERAN en décembre 1943). C’était vrai et non pas diplomatique !
L’échec
Gabrielle comprit alors que sa mission ne pourrait aboutir et rentre à Paris où MOMM l’attendait impatiemment craignant que la date limite du sauf conduit ne soit dépassée.
Véra est restée en Espagne ; elle fut autorisée à regagner l’Italie en juillet 1944. Elle a dû vivre d’expédients jusque là.
Cet échec également a marqué Gabrielle, elle l’impute d’ailleurs à Véra.
Elle le ressent très vivement et veut s’en expliquer ; aussi éprouve-t-elle le besoin d’aller elle-même à Berlin, début 1944, sous les bombardements avec les risques que cela comportait à l’époque, pour tenter de se justifier auprès de SCHELLENBERG.
Ce dernier l’a reçue dans son « bunker » souterrain, car Berlin était bombardé en permanence par l’aviation alliée. C’était au début d’avril 44, deux mois avant le débarquement de Normandie.
L’opération « Modelhut » figure dans les archives de l’Allemagne où elle est retracée sommairement.
Août 44 – Après quelques semaines de débâcle, où les allemands déménagent en quittant Paris, survient la semaine épique du 18 au 25 août 1944 et la libération de Paris. Prudemment, SPATZ est parti se réfugier en Suisse.
Gabrielle est restée, terrée chez elle, et bien sûr n’a pas participé aux extraordinaires mouvements de foule du moment. Miraculeusement, elle n’est l’objet d’aucune des exactions que subirent beaucoup de femmes qui avaient sympathisé avec les allemands.
Elle héberge chez elle Serge LIFAR qui se cache.
Les jours passent lorsque mi-septembre, deux individus débraillés et tutoyant le concierge du Ritz viennent appréhender Gabrielle chez elle, malgré ses vigoureuses protestations.
Deux heures plus tard, elle est libérée.
La question de savoir comment et sur l’ordre de qui elle a été libérée n’est pas élucidée. Beaucoup pensent à une intervention de W. CHURCHILL ou du Duc de Westminster. Edmonde CHARLES ROUX dans son livre, rapporte une hypothèse qu’elle raconte avec beaucoup de précautions.
Des soldats anglais qui ont accompagné certains dignitaires militaires logés en 1944 dans les hauteurs de Garches, auraient entendu le nom de CHANEL, on ne sait comment, peut-être par un bavardage de la veuve du jardinier, laquelle parlait anglais et pouvait converser avec ces soldats. Ceux-ci auraient rapporté ce nom à leurs supérieurs qui savaient que sur l’ordre de Winston CHURCHILL l’on recherchait actuellement ladite Gabrielle et l’auraient aussitôt fait libérer.
Cette explication repose sur la relation, 25 ans plus tard (1970) de la veuve du jardinier qui servit Gabrielle pendant son séjour à Garches en 1920-1921. Elle est certes corroborée par les indéniables relations ayant existé entre CHANEL et Winston Churchill et le duc DE WESTMINSTER. Mais cette hypothèse demeure bien invraisemblable.
Comment l’autorité anglaise aurait-elle eu connaissance quelques heures après, de l’arrestation de COCO CHANEL alors que les comités d’épuration ne rendaient guère compte de leur activité. Elle suppose aussi que le cabinet de Winston CHURCHILL ait donné instruction de rechercher Gabrielle CHANEL ce qui par contre n’est pas impossible. Il est légitime néanmoins de penser que sous quelque forme que cela ait eu lieu, COCO CHANEL a bénéficié en la circonstance d’une haute protection.
Gabrielle n’a jamais soufflé mot permettant d’élucider ce mystère. Par contre, elle a proclamé à la fin de sa vie qu’elle avait été blanchie par un comité d’épuration, ce qui n’est pas établi.
Quoi qu’il en soit, l’alerte a été chaude et ceci renforce singulièrement Gabrielle dans le désir de s’expatrier.
Elle s’était rendue auparavant en Suisse pour faire réapprovisionner ses magasins en parfums, notamment celui de la rue Cambon, en prévision des achats des troupes qui remplaceront les allemands ; ceux-ci, après avoir acheté en masse, avaient depuis plus d’un an sensiblement réduit leurs achats. (Parfums et bijoux marqués).
Exil en Suisse
En Suisse, Gabrielle retrouve « SPATZ », mais elle vit en exilée et aussi dans la crainte de révélations de SCHELLENBERG.
Ce dernier s’était réfugié quelques jours en Suède lors de la reddition de l’Allemagne, mais il en fut expulsé et inculpé parmi d’autres comme criminel de guerre. Comme eux, il subit le procès de NUREMBERG.
Gabrielle craignait que SCHELLENBERG, n°2 SS, pour essayer de se disculper, relate les entretiens qu’il avait eus avec elle ; elle se sent dépendante des témoins de cette aventure et craint d’être accusée d’« Intelligence avec l’ennemi ».
La vie avec « SPATZ » n’était pas non plus parfaite, il y aurait eu entre eux de violentes disputes et même des échanges de coups, mais SPATZ a besoin d’argent et elle avait besoin du silence.
Elle séjourne le plus souvent à Lausanne soit dans un des hôtels Beau Rivage, ou Palace, soit dans une villa sur les hauteurs. Elle se rend à Davos, Villars sur Oron et en Italie. Elle rencontre beaucoup d’artistes qui alors fréquentent aussi la Suisse, Y. PRINTEMPS, Gary COOPER, Paul MORAND qui s’est aussi mis à l’abri (secrétaire de Laval).
Elle a obtenu sans peine en 1946 un passeport et un visa pour les USA. Ce qui suppose aussi une grande protection, compte tenu de son passé et des difficultés pour obtenir des visas des U.S.A.
C’est pour s’occuper de ses intérêts dans les parfums qu’elle fit ce voyage en vue d’ exiger de la société des parfums qu’il lui soit tenu compte des ventes réalisées pendant la guerre en Amérique et ailleurs dans le monde. La société des parfums avait en effet créé une filiale américaine qui fabriquait sur place et répandait très largement les parfums CHANEL.
Au cours de ce voyage elle a tenu ce propos : à une femme qui lui demandait où il fallait se parfumer, elle répondit :
« Partout où vous souhaitez vous faire embrasser »
SCHELLENBERG devait être jugé en avril 1949 seulement et encore après 15 mois de procès. Il fut condamné à 6 ans de prison. C’est le plus léger de tous les verdicts prononcés à Nuremberg.
Théodore MOMM a alors repris contact avec lui, et en avril 1950 a reçu une lettre de SCHELLENBERG, très malade, qui fait allusion aux aides que lui a fait passer Gabrielle pendant sa détention.
Elle n’a d’ailleurs pas cessé de l’aider ; après sa libération, SCHELLENBERG fut expulsé de Suisse en 1951, et s’est installé à Palenza sur le lac Majeur dans une villa avec femme et enfants ; c’est Gabrielle qui a financé cette installation, elle continuait donc à vivre dans la crainte des révélations de SCHELLENBERG.
D’ailleurs, un agent littéraire peu scrupuleux avec lequel SCHELLENBERG avait eu des contacts en Suisse, a fait « chanter » Gabrielle et a exigé en échange de son silence une forte somme d’argent qu’elle a versée.
SCHELLENBERG devait mourir le 31 mars 1952.
Vers cette époque ou peu auparavant, Gabrielle avait appris d’autres décès. M.J. SERT, ex mari de Missia, laquelle à la suite de ce décès a sombré dans l’opium avant de mourir en 1950. A sa mort, Gabrielle s’est précipitée auprès d’elle et a fait sa toilette mortuaire.
De même a disparu Vera, amie de 25 ans malgré la dispute de Madrid. Le Duc de Westminster devait mourir aussi en 1953. BALZAN aussi est mort dans un accident d’auto en 1953, et Alphonse CHANEL a également disparu, autant de pages tournées pour Gabrielle.
Depuis 1947 à Paris, triomphe un nouveau couturier, Christian DIOR qui lance la mode du « New Look ». Il est soutenu par BOUSSAC qui disposait de gros moyens financiers. A son tour, il a renouvelé la mode féminine : longueurs de jupes, cambrures, couleurs à l’opposé de la façon de Gabrielle.
Cette circonstance a vivement contrarié Gabrielle CHANEL, qui n’a pas manqué dès lors de le couvrir de ses sarcasmes.
Durant ces années d’absence, Gabrielle CHANEL a beaucoup voyagé et elle séjourne fréquemment dans sa propriété à la Pausa et à partir de 1950, elle revient de plus en plus souvent en France et même à Paris. Ces contrariétés, ces deuils, la disparition de tous les témoins de « Modelhut » la poussent à mettre un terme à cet exil, qu’elle s’est imposé à elle-même, par prudence ; elle souffre aussi de son inaction et envisage de revenir reprendre ses activités.
Elle a commencé à s’y préparer, et en premier lieu, par des contacts avec les médias américains notamment avec une journaliste de mode très influente, Carmen SNOW de « HAPER’S BAZAAR » avec qui elle a envisagé une collaboration auprès des confectionneurs américains, en septembre 1953.
De même, elle met dans la confidence Pierre WERTHEIMER de crainte que la société des parfums CHANEL ne fasse obstacle à son retour, dans l’appréhension d’un échec de CHANEL qui affecterait la vente des parfums. Au contraire, P. WERTHEIMER lucide lui a procuré une aide de la société des parfums.
En fonction de ce retour, elle décide également fin 1953 de vendre la Pausa dont elle estime ne plus avoir besoin. Curieusement, c’est l’agent littéraire de Colette qui en fait l’acquisition.
Le retour
Alors, ayant constaté que tous les témoins de « Modelhut » étaient hors d’état de parler, elle revient à PARIS reprendre son activité de couturière. Elle a 70 ans.
Elle se remet au travail avec ardeur et présente sa première collection le 5 février 1954. Cet évènement a été soigneusement préparé, annoncé et attendu. Le gotha parisien et toute la presse sont là.
Du haut de son escalier Gabrielle surveille son défilé et les réactions des assistants. Le défilé commence par un mannequin revêtu d’un tailleur, paletot, personne n’applaudit. Le défilé se poursuit dans un grand silence.
C’est un échec, dont la presse parisienne se fait l’écho. « CHANEL à Fouillis les Oies », titre le journal Combat alors que le Figaro de son côté parle d’une mélancolique rétrospective. C’est un fiasco. Cruelle déception pour Gabrielle qui avait beaucoup investi.
Toutefois curieusement la presse féminine américaine est beaucoup moins critique et approuve les tendances de cette collection, notamment les journaux féminins « Vogue » et « Life ».
Gabrielle est ulcérée mais elle réagit, elle décide de poursuivre, persuadée qu’elle réussira de nouveau. Pierre WERTHEIMER vient la voir sachant qu’il devra rendre compte aux administrateurs de la société des parfums qui craignent que la marque CHANEL soit dépréciée.
Il trouve une Gabrielle têtue, déterminée à se battre et convaincue de gagner ; devant sa détermination et connaissant bien le caractère de Gabrielle, il décide de lui faire confiance. Il obtient de ses associés de soutenir l’affaire ; finalement Gabrielle cédera tous ses droits sur la maison de couture à la société des parfums tout en demeurant sa vie durant appointée de 1 000 000 par mois et défrayée (hôtels, restaurants, voyages, impôts), libre de toute décision et maîtresse absolue de la maison de couture
…Et le succès
Cet arrangement libère Gabrielle, à 71 ans, elle est riche et dégagée de tout souci financier. Elle se remet au travail, coupant, découpant, ajustant les robes et les tailleurs sur les mannequins pendant des heures.
Elle porte au cou un collier galon au bout duquel pend la paire de ciseaux avec lesquels elle exerce.
Un an plus tard, après une ou deux collections, elle a gagné. L’Amérique a salué son succès. C’est le « CHANEL LOOK ». Les journaux de mode français emboîtent le pas, « Marie-Claire », « Elle », notamment, les autres couturiers et le public reconnaissent son succès.
Pour la deuxième fois, CHANEL révolutionne la mode féminine le « New-Look », Christian DIOR et ses autres concurrents ne l’ont pas éliminée.
Pendant 17 ans, ses succès vont se poursuivre en France et en Amérique, d’année en année.
« Mademoiselle », c’est ainsi qu’on l’appelle désormais, considère que la mode est devenue folle, (mini-jupe, pantalon collant). Elle demeure fidèle à ses principes et elle créée des modèles raisonnables et luxueux. Son triomphe persistant, c’est, à côté du petit tailleur noir toujours présent dans les collections, la jupe sous le genou, l’aisance dans les mouvements, le tailleur tweed et les robes luxueuses.
Elle devait retourner en Amérique en 1957 pour recevoir le trophée NIEMAN MARCUS à Dallas. Elle fut fêtée comme une star, mais à nouveau elle n’a pas apprécié la vie en Amérique ; elle a cependant fait escale à New-York où elle a rencontré les journalistes de mode et c’est là que se situe la réponse attribuée à Marylin MONROE :
« Comment vous habillez-vous le matin ?
Je mets une jupe et un pull-over
Et l’après-midi ?
Egalement, je mets une jupe et un pull-over.
Et le soir ?
Pareillement.
Et la nuit ?
Quelques gouttes de n°5 de CHANEL ».
Sous l’égide de Gérard MILLE et de son frère Hervé, décorateurs, qui avaient fourni à Gabrielle ses paravents de Coromandel et les jeux de glaces de la rue Cambon, François BRISSON, producteur a voulu monter une pièce sur elle. Ce fut en définitive une comédie musicale créée à Broadway vers 1970. C’est Katherine HEPBURN qui tenait le rôle de COCO CHANEL. Le thème était simple, une femme a tout sacrifié à son indépendance et le paie au prix d’une désolante solitude. Gabrielle n’a pas voulu assister à la première.
De plus Gabrielle habille les grands de ce monde : la BEGUM, Madame POMPIDOU qui était sa cliente et portait un tailleur CHANEL aux obsèques du Général De Gaulle et qu’il reçut à l’Elysée, Jackie KENNEDY qui portait également un tailleur CHANEL lors de l’assassinat de son époux à Dallas, elle habille Jeanne MOREAU dans « les Amants » de Louis Malle, elle apprend l’élégance à Romy SCHNEIDER qui la visite chez elle.
Malgré la place qu’elle tient dans la haute couture, Gabrielle n’a plus dans la société la situation qu’elle avait connue avant guerre. Presque tous ses amis d’alors ont disparu. Seul REVERDI lui fait signe de temps à autre par téléphone ou par dédicace de ses ouvrages. Mais il devait mourir en 1960, après lui avoir écrit des poèmes de temps à autre.
Voilà Coco très chère Le temps qui passe
Ce que de ma main Le temps qu’il fait
J’ai fait du meilleur Le temps qui fuit
De moi-même. De mon obscure vie
Bien ou mal fait J’ai perdu la trace
Je vous le donne Là voilà retrouvée
Avec mon cœur Plus sombre que la nuit
Avec ma main Mais ce qui vole
Avant d’aller voir Clair c’est ce que de tout
Au plus sombre chemin Mon coeur
Si l’on condamne ou Je vous embrasse
Si l’on pardonne. Et qu’importe
Et vous savez que je vous aime. Tout ce qui suit.
Elle ne sort plus beaucoup, sauf pour aller à l’opéra où Serge LIFAR a été repris ou aux courses où elle rencontre Yves ST-MARTIN.
Le travail occupe toute la vie de Gabrielle. Elle se rend journellement à son magasin où elle passe le plus clair de son temps à diriger ses ateliers, à imaginer de nouveaux modèles, à les modifier et à les rectifier. Elle arrive en fin de matinée élégante avec bijoux et chapeau, très fardée, et le soir elle rentre se coucher dans sa petite chambre.
Au fil des années, cette solitude s’est accrue, elle l’a ressentie et elle en souffre. Elle est devenue exigeante à l’égard des journalistes qui ne parlent pas assez de ses créations et auxquels elle raconte des souvenirs inexacts.
La disparition de COCO CHANEL
Elle est exigeante aussi à l’égard de son personnel et des mannequins qu’elle retient pendant des heures. Elle recherche la compagnie des gens qu’elle côtoie dont le cercle va en se réduisant. Ainsi elle retient ses employés au magasin, son maître d’hôtel chauffeur à table.
Le dimanche 10 février 1971 après une courte promenade, peut-être aux courses, rentrant chez elle, elle se met au lit pour se préparer au travail du lendemain, peu après elle poussa un cri pour appeler sa femme de chambre et rendre l’âme discrètement.
La disparition de COCO CHANEL n’a pas suscité de grand mouvement ni d’échos singuliers.
La maison CHANEL, les parfums CHANEL fonctionnaient, la mode CHANEL quasiment immuable demeurait et la disparition de « Mademoiselle » n’était plus un évènement.
Elle est morte dans la religion catholique romaine selon un billet qui figurait dans son sac accompagné d’une photo d’André PALASSE et de ses deux filles. Les obsèques solennelles eurent lieu à la Madeleine où il n’y eut pas la grande foule. Elle a été inhumée en Suisse au dessus de Lausanne.
Cette longue histoire est un véritable conte de fée qui se termine mal car née pauvre, elle ne s’est pas mariée, elle n’a pas eu d’enfant, elle est morte très riche dans la solitude et l’amertume. Le travail cependant l’a préservée jusqu’à son terme elle avait 88 ans.
Peu avant sa mort, sa petite nièce Tiny LABRUNIE s’est rapprochée d’elle et elle lui aurait dit :
« Vous vous êtes mariée, vous avez eu des enfants, c’est vous qui avez fait le bon choix, vous n’êtes plus seule, moi avec mes millions, je suis seule. »
Jean COCTEAU qui l’a bien connue a laissé d’elle un portrait lapidaire qui peut former la conclusion de cette longue histoire :
Ses colères, sa méchanceté, ses bijoux fabuleux, ses créations, ses lubies, ses outrances, sa gentillesse comme son humour et sa générosité composaient un personnage attachant, repoussant, excessif, humain enfin. »
A sa façon, Gabrielle a contribué à l’émancipation de la femme qui est un des traits marquants de l’évolution du XXème siècle en libérant la femme de modes vestimentaires très contraignantes ; elle a libéré le corps et ainsi participé au mouvement, elle l’a fait sans parti pris en suivant son propre instinct.
En savoir plus …
Coté livres :
Le temps Chanel
Auteur : Edmonde Charles-Roux
Editeur : La Martiniere Eds De
ISBN-10: 2732431168
http://livre.fnac.com/a1554599/Edmonde-Charles-Roux-Le-temps-Chanel
Coté Web :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Coco_Chanel
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