Thème : ECONOMIE – SOCIETE Mardi 7 Décembre 2010
Par Georges Poisson – Conservateur général du patrimoine
« Combats pour le patrimoine » est l’ouvrage que j’ai écrit pour raconter mon parcours en tant que conservateur général du patrimoine. J’ai passé le concours des musées en 1947 et effectué mon année de stage au musée du Petit Palais où avait été montée « Trésor des musées de Vienne », l’une des plus belles expositions d’après guerre, et pour laquelle j’ai dû faire ma première conférence. Soixante ans plus tard, j’en fais encore… En 1948, j’ai été nommé dans un musée fantôme, le musée de l’Ile-de-France dans le château de Sceaux. Créé peu avant la guerre, l’établissement n’avait pas eu le temps de se faire connaître et avait été occupé successivement par les armées française, allemande et américaine. Le site était dans un triste état : les parquets étaient défoncés (le Américains étant entrés en jeep dans les salles), les miroirs cassés, les corniches brisées, et il y avait une odeur de soldat particulièrement prenante. Cette maison nécessitait des travaux de rénovation considérables et il nous a fallu recréer ce musée de toutes pièces. Les collections, évacuées en province puis récupérées, étaient squelettiques. Il fallait donc enrichir le musée pour le faire connaître.
Enrichir les collections
Il existe plusieurs façons d’enrichir un musée. La première est de contacter des collègues conservateurs pour leur demander des objets dont ils n’ont pas l’utilité. Mais une telle démarche n’est pas assurée de succès : le travail d’un conservateur est de prendre soin des œuvres dont il a la charge, pas de s’en débarrasser à la première occasion. Néanmoins, j’ai eu droit à quelques gestes amicaux, comme la statue équestre en bronze de Louis XIV qui se trouve à l’entrée du château, ou le portrait de Colbert qui provenait du musée du Mans et qui avait été accroché dans le bureau du Premier ministre Michel Debré à Matignon. Une autre façon d’enrichir sa collection est d’avoir recours aux arrêts en douane. Toutes les semaines, un conservateur se rendait en douane pour vérifier les objets en partance pour l’étranger, et les préempter si besoin.
Un musée peut également acquérir des œuvres d’art. Mais cela peut revenir cher, d’autant que notre budget était limité. Il dépendait encore de la Ville de Paris, et les fonctionnaires se montraient souvent suspicieux quant à l’intérêt des achats envisagés. Pour faire l’acquisition d’une toile de Jean-François de Troyes représentant la duchesse du Maine en discussion avec un courtisan à Sceaux, j’avais lancé une souscription dans les journaux. J’espérais ainsi attirer l’attention de généreux mécènes, malheureusement aucun gros chèque ne nous a été envoyé. En revanche, nous avons reçu quantité de chèque de petites sommes par des particuliers, ce qui nous a grandement aidé à acquérir l’œuvre auprès d’un marchand new-yorkais.
Un musée peut également s’enrichir grâce aux dons. Le rôle d’un conservateur est aussi de chercher à intéresser les donateurs putatifs à son musée. J’avais établi des liens d’amitié avec le peintre Jean Fautrier, installé depuis la guerre à Chatenay-Malabry, et qui avait accepté de donner des centaines de ses œuvres au musée d’Ile-de-France peu de temps avant sa mort, en 1964. André Dunoyer de Segonzac nous fit également des dons. Nous étions en contact, mais il lui fallut dix ans avant qu’il ne se décide à venir un jour, incognito, au château de Sceaux. Après sa visite, il me fit savoir qu’une seule salle l’intéressait et que si nous lui laissions, il la remplirait. Ce qu’il fit.
Expositions, concerts et tournages
Pour faire connaître un musée, il faut attirer le public à lui. Pour ce faire, le moyen traditionnel est d’organiser des expositions, mais je ne suis pas convaincu par cette solution car le public ne vient pas voir le reste du musée pour autant. Pour le bicentenaire de la mort de Voltaire, nous avions organisé une exposition intitulée « Voltaire, voyageur de l’Europe » où nous racontions ses séjours en Europe. Fait exceptionnel, nous avions obtenu des prêts à la fois de Berlin ouest et de Berlin est – c’était la première fois que la RDA acceptait de prêter des tableaux à la France. Le voyage pour aller récupérer ces œuvres à Potsdam s’était montré particulièrement épique, avec de multiples péripéties liées au régime autoritaire de ce pays.
Un bon signe de la reconnaissance d’un musée est lorsqu’un autre musée veut lui emprunter une œuvre. La première fois que cela nous est arrivé était pour une toile d’Utrillo que nous avons dû convoyer au Japon. A la suite de cette expérience, j’ai noué des relations très agréables avec mes homologues japonais, au point d’avoir l’immense honneur d’être promu au rang de docteur honoris causa de l’université de Tokyo.
Nous avons également ouvert le domaine de Sceaux aux concerts. Un récital fut interprété par la pianiste Gersande de Sabran, belle-fille du Comte de Paris, et nous avons accueilli de nombreux concerts classiques depuis. Le parc de Sceaux fut aussi le théâtre de grands concerts pop, comme celui de Madonna dans les années 80. Pour ce dernier, il y avait tellement de monde – 150 000 personnes (plus qu’en une année entière au musée) – qu’il avait fallu ouvrir les grilles plusieurs heures avant l’horaire prévu. Malgré les inquiétudes initiales, tout s’était bien passé. Le lendemain, le parc était dans un état lamentable et il en avait coûté 7 millions d’anciens francs au promoteur pour réparer les dégâts. Le domaine fut aussi utilisé comme décor de cinéma. Je garde un très bon souvenir du Napoléon de Sacha Guitry, qui m’a permis de faire la connaissance du réalisateur, toujours d’une extrême courtoisie avec tout le monde, et de ses principaux interprètes, Jean Gabin, Serge Reggiani, Daniel Gélin…
Promotion de la culture en Ile-de-France
En tant que conservateur, j’ai également fréquenté des collectionneurs célèbres (dont Stavos Niarkos, le beau-frère d’Onassis), leur prodiguant des conseils, et espérant être payé en retour par des dons pour le musée. Etant en charge du musée de l’Ile-de-France, je me suis intéressé aux petits musées de la région qui végétaient. J’ai décidé de créer une association pour rassembler ces petits musées et les faire connaître par le biais d’une publication et en exposant leurs collections. Avec mon ami Alain Decaux, nous avons sauvé le château de Monte-Christo (d’Alexandre Dumas) à Port-Marly qui était promis à la destruction par un promoteur immobilier. Grâce à la mobilisation d’admirateurs du monde entier, le permis de construire fut refusé. Un syndicat intercommunal fut constitué pour rénover le château et le comité de sauvegarde, transformé en société des amis de Dumas, prenait en charge le petit « château d’If ». Le roi Hassan II du Maroc, fervent dumaphile, ayant appris l’existence du projet voulut financer la rénovation de la chambre mauresque. De fil en aiguille, il paya pour la restauration du rez-de-chaussée, du premier étage, du chauffage, de l’électricité… et fut naturellement présent à l’inauguration.
Dans le cadre de mon travail, j’ai fait des conférences dans le monde entier, et j’ai été un commis-voyageur en culture avec beaucoup de plaisir. Mon Histoire de l’Elysée m’aura « nourri » pendant de longues années. Ma relation, discrète mais durable, avec le prestigieux site débuta lorsque le général De Gaulle réclama une brochure sur l’histoire de l’Elysée, un travail qui m’échut et que j’approfondis au fil des ans. Autre endroit cher à mon cœur : le musée de Meudon, qui n’est autre que l’ancienne maison d’Armande Béjart (la veuve de Molière), dont je fus un temps le conservateur (en même temps que le musée d’Ile-de-France). A Meudon, j’ai œuvré pour la réhabilitation du hangar Y, le dernier hangar à dirigeable de France, et milité à partir de 1980 pour la restauration de la « grande perspective » des jardins de Le Nostre, sur l’axe Clamart-Issy, et qui a été morcelé. Après quelques travaux, le projet est malheureusement stoppé depuis trente ans. Et je ne suis pas peu fier d’avoir été chargé de continuer, bénévolement, à m’occuper de ce domaine.
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Coté Livres :
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http://www.chateau-monte-cristo.com/lien/index.html
http://www.ville-meudon.fr/culture/musee-dart-et-dhistoire
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