Thème : ECONOMIE – SOCIETE Mardi 16 Octobre 2007
Par Jean-Yves Le Borgne – Avocat
Le droit pénal et la répression progressent irrésistiblement en France. Le grand public a toujours été fasciné par cette horreur qu’est le crime, cet acte horrible frappé du déshonneur et réprouvé depuis toujours : meurtre, agression, viol voire vols. La loi pénale semple superflue tant il est acquis que ces comportements doivent être sanctionnés. Mais si la loi pénale progresse inlassablement, c’est parce que sacralisons de plus en plus l’ordre. Il en résulte que certains comportements, qui n’ont rien à voir avec le meurtre ou le viol mais qui troublent l’ordre social, tombent désormais sous le coup de la loi pénale. Des peines de prison peuvent être prononcées à l’égard de personnes ayant des « mauvaises pensées ». La loi visant à réprimer le délit de révisionnisme en est un bon exemple. Quiconque vient à développer l’idée grotesque que l’Holocauste n’a pas existé est assimilé à quelqu’un coupable de provocation à la haine raciale, et doit donc être, à ce titre, puni. Il peut paraître surprenant qu’on puisse être envoyé en prison pour avoir exprimé une idée, si choquante et si stupide soit-elle.
Autre exemple : le 30 décembre 2004, l’Assemblée Nationale vote une loi qui réprime le délit d’homophobie. Le fait d’exprimer une pensée contre les homosexuels peut être désormais puni. A l’occasion des débats dans l’hémicycle, un député UMP (dont j’ai été l’avocat) a estimé que l’homosexualité pouvait présenter un risque contre l’humanité. Ces propos, répétés quelques mois plus tard à un journaliste alors que la loi avait été promulguée, lui ont valu d’être condamné. Mais est-il normal que de telles pensées soient criminalisées et tombent sous le coup de la loi pénale ?
Le pénal envahit nos relations
Le problème, c’est qu’on pense que la loi est un moyen de régulation sociale. Le législateur, assez imprudent, n’arrête pas de voter des lois (tellement de lois sont votées que très peu de gens, y compris parmi les plus éminents juristes, peuvent se dire au fait de la loi française). Et pour que cette loi fasse sérieux, qu’elle ne soit pas assimilée à une vague recommandation, les parlementaires posent systématiquement une sanction pénale. Dès lors, on crée de nouvelles incriminations et de nouveaux délits apparaissent.
Mais j’ai coutume de dire qu’un délit, ça se voit. Si ce n’est pas évident, c’est donc que ce délit est artificiel. Dans le cadre du délit de facilitation de trafic de stupéfiants, un patron de boîte de nuit a été poursuivi et condamné pour avoir laissé faire des échanges au sein de son établissement. Ses clients s’échangeaient le produit… en s’embrassant. Condamnation. Il aurait dû vérifier ! Un autre client avait créé une start-up. Son site internet permettait la mise en relation des personnes qui se connectaient. Des prostituées se sont branchées. Lors de dialogues, des numéros de téléphone sont échangés, puis des rencontres tarifées sont organisées. Le responsable du site a été poursuivi pour proxénétisme. Il a eu beau argué qu’il ne pouvait pas savoir ce que les personnes se disaient au téléphone, il a été condamné. Ceci est une nouvelle illustration de la façon dont le pénal envahit les relations. On fait peser des obligations de contrôle et de police aux particuliers.
Dans les années 1990, on a redécouvert le droit pénal financier. Le délit d’abus de biens sociaux existait bien depuis des dizaines d’années mais n’était guère utilisé. Des juges, emmenés par Eva Joly dans l’affaire Elf, ont remis l’abus de bien sociaux au goût du jour et ont pu poursuivre à la fois des chefs d’entreprise et des politiques.
Il existe une suspicion, un regard empreint de défiance des juges par rapport au monde des affaires. Dans la magistrature, on aime à penser comme Balzac : « Il n’y a pas de fortune sans cause apparente qui ne dissimule un crime caché. » Autre détestation du monde judiciaire : le secret. Par définition, les juges détestent ce qui est caché, ce qui leur est caché. Tout ce qui n’est pas transparent est donc suspect. Le secret n’est-il pas pourtant la petite part de liberté propre à chacun ? Dans une société libre, il faut conserver une place au secret. C’est dans les sociétés totalitaires que le secret n’a pas sa place.
Le plaider-coupable pour soulager nos tribunaux surchargés
Il est paradoxal de constater que l’appétit du législateur est de réprimer encore et toujours alors que les magistrats sont dans l’impossibilité de le faire : plus on poursuit et plus on bloque la machine judiciaire. En France, il existe un goût théorique pour les poursuites mais une réelle difficulté pratique à les mettre en place. Le délit de chèque sans provision a été supprimé. Pourquoi ? Pour la simple raison qu’il y en avait trop. Les tribunaux étaient tellement surchargés que ce fut dépénalisé.
Alors que le Président de la République a récemment évoqué l’idée de dépénaliser le droit des affaires, ce qui devrait permettre de supprimer un certain nombre de délits mineurs (non-convocation dans les temps d’une assemblée générale…), on étend la pénalisation et les possibilités de poursuites (restriction de la prescription) à un certain nombre de délits « à la mode », c’est-à-dire ceux dont on parle dans les médias. La délinquance sexuelle en fait partie, et plus particulièrement la délinquance sur les mineurs. A un moment, on voyait des pédophiles partout. Des accusés ont fait plusieurs mois de prison à partir d’accusions boiteuses, comme dans l’affaire d’Outreau. Les délits sexuels doivent être poursuivis et limités autant que faire se peut. Mais faut-il pour autant en faire un cas à part, qui échappe aux règles communes ? Certains faits ont une durée de prescription qui peut atteindre les vingt ans alors même que ce ne sont pas des crimes (viols).
A force de tout pénaliser, la justice se retrouve embouteillée. Pour accélérer les choses, le législateur français, s’inspirant du modèle anglo-saxon, a adopté le principe du plaider-coupable. Le procureur de la République peut proposer un accord au justiciable qui reconnaît sa culpabilité. Cette sanction est ensuite validée par un juge. La comparution en reconnaissance préalable de culpabilité présente le double avantage d’être plus simple qu’un procès et de faire gagner du temps. La loi a prévu également que le justiciable sera moins puni s’il plaide coupable, ce qui pose problème car cela induit une disparité de peine entre une comparution traditionnelle et une comparution en reconnaissance préalable de culpabilité. On est puni moins sévèrement si on avoue immédiatement. En revanche, on est davantage sanctionné on a tenté de se défendre.
Toujours plus de répression. A quoi bon ?
Il s’est installé un phénomène d’exaspération sociale à l’égard du crime mais aussi à l’égard de tout ce qui n’est pas volontaire. Avant, on disait que c’était la faute au malheur. Aujourd’hui, rien ne doit venir déranger notre aspiration à une vie parfaite. Quiconque viendra perturber cet équilibre devra être sanctionné. Faut-il pour autant aboutir à une obligation de réponse pénale pour tous les actes de la vie ? Le pouvoir nodal du procureur de la République est de juger de l’opportunité de poursuivre ou non. Est-il aujourd’hui concevable qu’il classe une affaire ? L’opinion publique est derrière, la presse pousse, il faut des poursuites. Il devient extraordinairement difficile pour un procureur de limiter les poursuites.
Les peines planchers participent de cette logique. Pourquoi ont-elles été votées ? Pour, dit le législateur, en finir avec le laxisme de certains juges. Les magistrats en sont amenés à prononcer des peines injustes. Un jeune de cité est pris à voler un parapluie dans une voiture. Il est accompagné de copains, dont l’un porte un petit couteau qui a servi à ouvrir le véhicule. Vol en réunion, avec arme, en récidive. Peine plancher : trois ans ferme. Est-ce proportionné et juste ? Trois ans pour un parapluie… Où se trouve la personnalisation de la condamnation ? Certes, la loi prévoit que le magistrat peut prononcer une peine moins lourde, à condition de motiver sa décision. Mais motiver une décision, cela prend du temps, et les juges sont déjà surchargés.
L’exaspération actuelle conduit à toujours plus de répression, comme si la solution aux problèmes de la société était la prison. Ne sommes-nous pas en train de nous tromper de route ? C’est un choix de société. Un choix politique. Pas un choix de juriste.
En savoir plus …
Coté livres :
La répression pénale des crimes internationaux : justice pénale internationale
Auteur : Pazartzis, Photini
Editeur : Pedone (Paris) (15 mars 2007)
ISBN : 978-2-233-00511-3
http://www.revuebanquelibrairie.com/Product.aspx?ReferenceId=9782233005113&CategoryId=29
LA JUSTICE PÉNALE DES MINEURS EN EUROPE
Entre modèle Welfare et inflexions néo-libérales
Auteur : Francis Bailleau, Yves Cartuyvels
Editeur : L’Harmattan – Version numérique
ISBN-10: 978-2-296-03241-5 • mai 2007
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=23687
Coté Web :
http://www.denistouret.fr/institutions/index.html
http://www.cnrs.fr/Cnrspresse/n22a5.html
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