Thème : ECONOMIE – SOCIETE Mardi 15 novembre 2005
Par Jacques Armaingault – Avocat spécialiste de la propriété industrielle
La propriété intellectuelle est mal connue, on la réduit souvent à la contrefaçon. Pourtant la propriété intellectuelle se trouve au cœur même de la mondialisation. Lors du premier choc pétrolier, un slogan avait beaucoup plu : « On n’a pas de pétrole mais on a des idées ». Seulement, les idées sont vulnérables car facilement reproductibles dès qu’elles sont connues. La propriété intellectuelle a été créée pour protéger les droits des inventeurs.
La propriété intellectuelle, notion occidentale, est née avec le libéralisme et la France a eu un rôle moteur dans l’élaboration de ce droit. Partant du principe que le progrès technique est bon pour l’humanité, il faut l’encourager. L’un des moyens d’y parvenir est de donner des droits à celui qui innove, en empêchant ses concurrents de profiter de ses découvertes. Le brevet a cette fonction. Mais on se rend compte que les brevets sont parfois utilisés comme un moyen de blocage par certaines entreprises au détriment de leurs concurrents.
Ce système va en se développant à travers le monde. Les accords de Marrakech, qui régissent les accords commerciaux dans le monde, imposent des obligations en matière de propriété intellectuelle aux signataires. Pour les Etats-Unis, plus gros consommateur de propriété intellectuelle, il s’agit là d’un élément essentiel du développement économique. La propriété intellectuelle est un atout pour les pays comme les nôtres. Avec la mondialisation, la mise en œuvre de nos idées nous échappe complètement (ex : les délocalisations, les productions en Chine…), et ce qui nous reste, c’est ce monopole accordé dans le cadre de la propriété intellectuelle. Ce mécanisme nous protège. Il n’en reste pas moins que des pays ayant d’autres cultures juridiques, comme les pays du Moyen-Orient ou encore la Chine, sont très éloignés de la notion même de propriété intellectuelle et ont du mal à l’incorporer à leur schéma de pensée, voire contestent ce mécanisme.
La contrefaçon crapuleuse
La contrefaçon, c’est la violation des droits de propriété intellectuelle, à savoir la violation des droits de celui qui a un monopole accordé par la loi (droit d’invention, d’innovation…). Sans droit qui s’attache à la création, il n’y a pas de contrefaçon puisque, sans droit, il est possible de reproduire. N’est contrefaisant que ce qui est la reproduction de ce qui est valablement protégé. La propriété intellectuelle couvre tous les domaines relatifs à la création humaine : propriété artistique et littéraire, propriétés appliquées, création technique… Seulement le droit de propriété intellectuelle n’est pas uniforme partout dans le monde, ce mécanisme relève des droits nationaux, des juridictions nationales. D’où un paradoxe entre le développement de la mondialisation des échanges et une mise en œuvre des droits de propriété qui relève strictement des Etats. Il est très difficile de sanctionner la contrefaçon produite à l’autre bout du monde.
La contrefaçon crapuleuse s’attaque à des domaines essentiels de la vie économique pour ce qu’ils sont (ex : les médicaments), et peut provoquer un danger pour la santé publique. Elle s’attaque aussi à des marques pour ce qu’elles représentent (ex : Louis Vuitton, Cartier…). Des bénéfices considérables sont générés dans le cadre d’une économie souterraine, assez semblable à celle de la drogue. Pour les grandes sociétés victimes de contrefaçon, ces produits de mauvaise qualité portant leur marque peuvent gravement ternir le prestige. La loi sanctionne la contrefaçon crapuleuse mais il est aussi difficile d’en trouver les auteurs et de les juger. Cette forme de contrefaçon ne peut se combattre que par une volonté politique très forte et la mise en œuvre de moyens puissants. Les douanes ont un rôle majeur dans ce domaine.
Le téléchargement illégal de films ou de musiques par internet porte un préjudice aux créateurs et aux distributeurs officiels. Cette forme de contrefaçon crapuleuse est en quelque sorte désincarnée, immatérielle, et les utilisateurs agissent souvent en toute bonne foi. Des efforts considérables ont lieu pour trouver des mécanismes qui préserve les intérêts de la société, ceux de l’auteur et la facilité de mise en œuvre. Nous avons à faire à un phénomène de société qui est difficilement soluble, d’autant que la propriété artistique bénéficie de régimes dérogatoires assez extraordinaires.
La contrefaçon subtile entre concurrents
Une autre forme contrefaçon concerne les rapports entre concurrents. Nous vivons sous l’emprise de la libre concurrence. Dans cet océan de liberté des échanges, il subsiste des îlots de monopole. Ce sont les droits liés à la propriété intellectuelle. Parfois, des industriels utilisent une forme de « contrefaçon subtile » en reproduisant l’objet d’un concurrent. Dans ce cas se pose de la validité du droit. Est-ce que l’invention est valablement protégée ? Est-ce que la contrefaçon est constituée, reproduit-elle l’invention telles qu’elle est protégée par le titre ? Chacun cherchera alors à démontrer que le droit est en sa faveur et nous ne sommes pas du tout dans le même cadre que la contrefaçon crapuleuse. On aboutit souvent à des contentieux lourds à gérer, relativement onéreux et qui posent le problème de l’accessibilité pour un petit inventeur de défendre ses droits. Outre la cherté du dépôt de brevet, un procès en contrefaçon va l’obliger à réinvestir des sommes considérables pour se défendre. De telles sommes ne sont pas à la portée de simples particuliers et de certaines PME. Or, le but de la propriété intellectuelle est quand même de protéger le créateur pour qu’il puisse vivre de son invention. En matière de biotechnologies, la course aux brevet est telle actuellement que, juridiquement, on ne sait plus où on en est. Les procès en contrefaçon peuvent durer éternellement.
Comment gérer cette propriété intellectuelle à l’échelon mondial ? Une question majeure concernait l’application ou non aux pays en voie de développement, en raison de leur retard technologique. Etrangement, ils ont signé les traités internationaux et sont soumis aux mêmes règles que les pays développés. Du coup, nombre d’entre eux, frustrés, essaient de trouver d’autres mécanismes leur permettant de jouer à armes égales avec les pays occidentaux. Or l’inégalité peut être source de contrefaçon, comme on le voit dans le cas des médicaments. Une contestation de cette propriété intellectuelle de plus en plus radicale se fait jour de la part de pays en voie de développement ou déjà industrialisés. Il est certain que la réponse n’est pas tout à fait évidente à trouver.
En savoir plus …
Coté livres :
Contrefaçon et concurrence déloyale Auteur : PASSA Jérôme Éditeur : Lavoisier
http://www.amazon.fr/Contrefa%C3%A7on-concurrence-d%C3%A9loyale-Jer%C3%B4me-Passa/dp/2711127621
Saisie – Contrefaçon
Auteur : Pierre Véron
Editeur: Dalloz-Sirey
ISBN-10: 2247052452
http://www.amazon.fr/Saisie-Contrefa%C3%A7on-Pierre-V%C3%A9ron/dp/2247052452
Coté Web :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Contrefa%C3%A7on
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