L’ACTIONNAIRE DE DEMAIN

Thème : ECONOMIE ET SOCIETE                                                                                                                                            Mardi 18 Octobre 2005

L’actionnaire de demain

Par Bernard Tarbes – Dirigeant d’entreprise

Notre monde a besoin de capitaux comme on a besoin de nourriture. Pour que nos entreprises continuent à avancer, les capitaux doivent être renouvelés continuellement (achat de nouvelles machines, frais de personnel, formations…).

Pendant longtemps, l’actionnariat était réservé à quelques passionnés de création d’entreprises ayant une grosse fortune. Ce n’est plus le cas et ce le sera de moins en moins. De très nombreux citoyens doivent consacrer une partie de leur argent dans l’apport de capitalisation aux entreprises. Il faut désormais pérenniser l’acte de capitalisation. Pourtant l’apport des actionnaires envers l’entreprise n’est pas toujours assumé, on ressent un désamour, une perte de confiance des petits porteurs.

Aujourd’hui, on assiste à un semi échec de l’organisation de notre monde capitaliste. Alors que les grandes entreprises ont besoin d’être soutenues par des petits porteurs en grand nombre, le droit de ces derniers à percevoir leur profit est amputé partiellement. Une partie seulement des profits est reversée sous la forme de dividendes, le reste étant automatiquement réinjecté dans l’entreprise pour financer des investissements futurs. Les petits porteurs, qui subissent cette situation, peuvent attendre très longtemps avant de recevoir des dividendes. Etant dans l’impossibilité de contrôler l’entreprise et se désintéressant de ses choix industriels, ils sont tentés de revendre leurs actions et chercher mieux ailleurs.

Des petits actionnaires démotivés

Deux exemples récents illustrent le dysfonctionnement du système actuel. Il a fallu une rumeur d’OPA d’une compagnie américaine sur Danone pour que tout le monde s’émeuve du risque de démantèlement de ce fleuron de l’industrie agro-alimentaire. Mais si les petits porteurs avaient eu plus de pouvoir, ils auraient été moins tentés de revendre leurs titres aux « vilains américains ». La situation d’Accor est, elle, symptomatique d’une vision à très court terme de notre organisation actuelle. C’est une entreprise florissante, qui réussit mondialement, mais dont le cours boursier est inférieur à la valeur de l’entreprise. Accor est sous coté. Les actionnaires, obnubilés qu’ils sont par le cours du titre, ont fait sauter le PDG de cette multinationale dans l’espoir que le prochain fasse remonter le cours en bourse.

De tes dysfonctionnements disparaîtraient si les deux fondements principaux du capitalisme étaient respectés : l’actionnaire est propriétaire de l’entreprise et reçoit en retour la part de profit correspondant à sa participation.

Le cas d’école proposé ici (lire le polycopié joint) montre que par le biais d’une cascade de SA, toutes filiales à 60% de la précédente, un dirigeant d’entreprise, M. H, peut imposer sa politique à l’entreprise Z alors qu’il n’en détient que 3%. Les petits porteurs, qui détiennent Z à 97% ne peuvent qu’accepter le fonctionnement imposé par H. De nombreux PDG dirigent une société dont ils ne détiennent qu’une infime partie. Peu à peu on a déplacé la réalité. Même dans le langage courant, on va parler du « patron » de telle ou telle entreprise en oubliant que le vrai patron n’est pas le PDG mais l’assemblée générale des actionnaires.

Les dirigeants eux-mêmes se plaignent du manquement des actionnaires à leurs obligations. « L’actionnaire est au sommet de la pyramide du pouvoir. S’il se dérobe, il remet en cause l’ensemble de l’édifice », Claude Bébéar. « Le tableau est obscurci par le court-termisme », Michel Camdessus. « Les assemblées générales ne fonctionnent pas car les actionnaires ne s’impliquent pas », Daniel Bouton. Si les actionnaires négligent leur rôle de meneur de jeu, il faut donc mener des réformes au sein de chaque entreprise pour les inciter à davantage s’impliquer dans le fonctionnement de l’entreprise, à être plus fidèles.

Une réforme pour rendre le pouvoir aux actionnaires

Pour être efficace, la réforme devra jouer sur deux leviers : les actions personnelles et la redistribution des dividendes.

Les actions personnelles. Leur statut approcherait celui des actions nominatives. Seules les personnes physiques ayant réellement participé au financement d’une entreprise se verraient remettre de telles actions. Si l’action est revendue, transmise lors d’un héritage ou en possession d’une personne morale, le titre serait transformé en action au porteur valable trente ans. A l’issue de cette durée, l’action deviendrait caduque. Ce serait la fin du règne de l’action donnant un droit éternel sur une entreprise. Il faudrait par ailleurs abolir les stocks options, qui sont une perversion du système (la notion de risque disparaît totalement) pour les remplacer par de vraies actions consenties aux salariés à un poste stratégique.

La répartition des dividendes.  Actuellement, quand l’assemblée générale constate l’existence d’un profit, une partie de cette somme est automatiquement réaffectée dans un fonds de réserve pour financer les investissements futurs. Pour redonner un vrai choix aux petits porteurs, il faudrait que l’ensemble du profit soit redistribué sous la forme de dividendes. L’assemblée générale demanderait alors aux actionnaires d’en retourner une partie pour financer les projets à venir. Les entreprises les plus convaincantes s’en verraient récompensées, les autres perdraient au pire 50% des sommes attendues et devraient emprunter le restant. Une telle disposition permettrait de sanctionner les gestions aventureuses. Jean-Marie Messier n’aurait certainement pas géré Vivendi de la façon dont il l’a faite si les petits porteurs avaient eu un tel pouvoir.

Conséquence de ces réformes

Il n’y aura plus de marché boursier pour les actions personnelles car elles perdraient leur nature le jour même de leur cession. La Bourse continuera à assumer son rôle sur les actions au porteur, qui perdront chaque année de leur valeur. La cote des actions s’apparentera à l’argus automobile. En privilégiant le lien clairement identifié entre la personne physique actionnaire et l’entreprise, on supprime la société en tant qu’écran, en tant qu’intermédiaire. Les filières seront plus visibles. Le rachat d’une entreprise en bonne santé sera plus difficile, le système étant plus transparent. Il y aura probablement plus de fusions et moins d’OPA agressives. La marge de manœuvre des dirigeants sera plus réduite, la gestion plus prudente sera logiquement favorisée. Cette réforme aura le mérite de freiner la gestion aventureuse des grandes entreprises et d’inciter les plus petites à l’être davantage. Les grands projets devront être exposés lors de l’assemblée générale pour convaincre les petits porteurs de réinvestir de l’entreprise. Cela permettra, en outre, de les associer aux orientations de l’entreprise. Les actionnaires minoritaires ne subiront plus les choix imposés par les actionnaires majoritaires.

Il s’agit de privilégier le long terme sur le court terme, et de s’éloigner de l’absurdité actuelle de la loterie du cours de bourse qui régente tout.  Tout le monde aurait à y gagner. C’est maintenant aux actionnaires, dans chaque assemblée, de se mobiliser pour faire changer les statuts et modifier, ainsi, le mode de fonctionnement dans l’entreprise.

En savoir plus …

Coté livres :

La République des actionnaires

Auteur : Pierre-Yves Gomez

Editeur: Syros

ISBN-10: 2841469433

http://www.amazon.fr/R%C3%A9publique-actionnaires-Pierre-Yves-Gomez/dp/2841469433

Guide des relations actionnaires minoritaires/dirigeants

Jack Bertrandon

Editions Gualino

ISBN-10: 2-84200-653-4

http://www.eyrolles.com/Droit/Livre/9782842006532/livre-guide-des-relations-actionnaires-minoritaires-dirigeants.php?xd=b59c3fe9aa29cb915a4e6696ccbb4a5d

Coté Web :

http://www.lexinter.net/BOURSE/actionnaire.htm

http://fr.wikipedia.org/wiki/Actionnaire