Thèmes: Economie, Sciences, Société Conférence du mardi 10 décembre 2019.
Par Monsieur Guillaume COCUDE, Directeur Général de la Maison Champagne Henriot.
INTRODUCTION
Jusqu’au Moyen-âge, ce sont les religieux qui travaillent la vigne, le vin est réservé à la messe. Durant le premier millénaire, la France est un territoire morcelé, la Champagne intègre le royaume de France en 1284 grâce au mariage de Philippe le Bel avec Jeanne Ière de Navarre, fille unique d’Henri Ier, roi de Navarre et Comte de Champagne. Reims était devenue une ville importante lorsque l’évêque Rémi avait baptisé en 498 Clovis, durant près d’un millénaire ce sera le lieu où la majorité des rois de France seront sacrés.
C’est à partir du XVIII siècle que le vin de Champagne se distingue et devient un vin prestigieux, particulièrement sous Louis XV et Louis XVI. C’est la boisson des tables royales à travers l’Europe. Au XXe siècle il se démocratise et c’est avec du champagne que l’on marque les grands événements, des fêtes de fin d’années aux mariages en passant par les anniversaires et les victoires sportives. Le champagne est loin d’être un vin comme les autres.
I – Histoire du champagne.
La culture de la vigne est apportée en Gaule par les Romains mais ne se développe dans la partie septentrionale qu’à partir du IVe siècle.
En l’an 1114 l’évêque de Chalons, Guillaume de Champeaux, fait rédiger la grande charte champenoise qui conforte l’abbaye de Saint-Pierre-aux-Monts dans toutes ses possessions agricoles et vinicoles. Dès lors les moines n’ont cessé de cultiver la vigne et de produire un vin de plus en plus élaboré. Avant le XVIIe siècle les vins produits sont le plus souvent « tranquilles » c’est-à-dire non effervescents.
Si très tôt on cultive la vigne dans la région champenoise on estime la date définitive de la création du champagne tel que nous l’entendons au XVIIe siècle. Cette création est due aux abbayes bénédictines de Saint-Pierre-aux-Monts située à Châlons-en-Champagne et celle de Saint-Pierre de Hautvillers. C’est dans cette dernière que Dom Pérignon entre dans l’histoire champenoise. Dom Pérignon, moine bénédictin, assure le contrôle des vignes et des pressoirs de l’abbaye. Son apport à la méthode était d’assortir avant de les pressurer des raisins de diverses origines. L’assemblage devient une des grandes caractéristiques du champagne. Il apprend sa technique au savant bénédictin Thierry Ruinart, venu lui rendre visite en 1669. Dom Pérignon travaille également sur l’effervescence dont la majeure difficulté était de fabriquer une bouteille assez robuste pour résister à la pression créée par l’effervescence. En effet, c’est vers 1660 que l’on commence à mettre en bouteille le champagne afin d’assurer une meilleure conservation des arômes. Le caractère effervescent cause beaucoup de souci aux vignerons à tel point qu’il est surnommé « vin du diable » à cause des bouteilles qui explosent sous la pression. D’ailleurs, l’effervescence du vin restera empirique jusqu’aux recherches de Pasteur sur la fermentation au XIXe siècle.
Du fait de la proximité de la région champenoise par rapport à Paris, le champagne arrive rapidement à la Cour. Louis XIV permettra le développement du champagne. Mais, le rayonnement du champagne atteindra son apogée sous les règnes de Louis XV et Louis XVI et deviendra une boisson pour les élites de toute l’Europe en particulier à la Cour de Vienne. La croissance de la production reflète ce succès : 8 millions de bouteilles en 1850, 28 millions en 1900, 100 millions en 1970 et 300 millions de nos jours.
Au début du XXe siècle apparaît le fléau du phylloxéra, un insecte qui détruit la vigne et qui fait chuter la surface du vignoble de 65 000 hectares à 12 000 hectares. Des révoltes ont lieu. Dès 1911 sont apparus les crus afin de garantir les prix et stabiliser les prix. L’AOC champagne date de 1936. Enfin en 2015 le champagne est reconnu comme patrimoine universel de l’humanité par l’UNESCO.
II – Le terroir.
Quelques chiffres : la région de l’AOC Champagne est située à 150 kilomètres au nord-est de Paris, c’est 35 000 hectares de vignoble, les deux tiers sont situés dans le département de la Marne, dans l’Aube à 23% et une toute petite partie dans
L’Aisne, la Haute Marne, et la Seine et Marne.
On distingue quatre terroirs : la Montagne de Reims, la Vallée de la Marne, la Côte des blancs et la Côte des Bar.
La Montagne de Reims se caractérise par un sol composé de craie profonde, la Vallée de la Marne a un sol calcaire argileux, la Côte des Blancs bénéficie d’un sol crayeux en surface à l’inverse de celui de la Montagne de Reims, enfin la Côte des Bar est un sol composé d’un mélange de craie et d’argile.
La région Champagne est une des régions viticoles les plus septentrionales au monde ce qui permet au raisin de garder une grande acidité. Cette donnée est importante car c’est ce qui permet l’effervescence. La Champagne étant une région vallonnée, les vignobles plantés sur les coteaux permettent au raisin de mûrir en bénéficiant d’un bon ensoleillement. Le fait que les sols soient calcaires et crayeux joue aussi un rôle essentiel. En effet, la craie est une roche poreuse qui garde l’eau et où les racines puisent l’humidité lors de la période sèche. De ce fait, l’arrosage est interdit en Champagne. Les caves sont elles aussi creusées dans la roche calcaire.
On dénombre trois cépages essentiels bien que quelques autres cépages puissent entrer dans l’élaboration de certains champagnes. Le pinot noir couvre 39% du terroir, il apporte corps et puissance. Le pinot Meunier représente 33% du terroir et il apporte rondeur et fruité, enfin le Chardonnay, 28% du terroir, donne finesse et vivacité. Parce qu’il est le cépage qui développe le plus de complexité dans le temps, le Chardonnay entre en bonne partie dans l’assemblage des grands crus.
Actuellement, seule 2% de la surface est cultivée en bio mais on peut noter une forte augmentation : 35% sur les trois dernières années.
Il existe 259 AOC soit 68% des zones classées, 44 Premiers crus soit 18% du terroir et 17 Grands crus qui couvrent 14% du terroir. La classification « Grand cru » est la plus prestigieuse appellation dans l’échelle des AOC. Cette distinction est décernée aux villages en raison de caractéristiques de leur sol et de leur exposition particulièrement propices à la production des meilleurs raisins.
Au cours de la dernière décennie les prix des Premiers crus et des Grands crus ont augmenté alors que les AOC ont plutôt stagné. 15 800 vignerons et 300 maisons produisent le champagne. Du fait de son prestige et de sa valeur, non seulement monétaire mais aussi culturelle, c’est une filière très structurée. Dès 1941 est créée la CIVC (Comité Interprofessionnel du vin de Champagne), un organisme paritaire à 50-50 du syndicat des vignerons et de l’Union des Maisons de Champagne et qui régule toute l’organisation de la filière. Une partie du travail de cet organisme est de défendre l’appellation mais c’est également lui qui détermine le début des vendanges et le rendement annuel dans un souci de qualité et de maintien des revenus du secteur.
III – L’élaboration.
L’élaboration du champagne nécessite plusieurs étapes : récolte, pressurage, débourbage, fermentation (la première fermentation « alcoolique » et éventuellement la deuxième fermentation « malolactique»), assemblage, ajout de la liqueur de tirage, prise de mousse, remuage, dégorgement, ajout de la liqueur d’expédition et bouchage / habillage.
La vendange dure environ trois semaines. La récolte se fait à la main et une importante main d’œuvre est requise, environ 100 000 personnes. Actuellement ce sont essentiellement des vendangeurs roumains et bulgares qui effectuent les vendanges.
Le pressurage se fait dans d’énormes pressoirs parfaitement adaptés et qui bien que ne servant qu’une fois par an font l’objet d’importants investissements. Chaque pressoir peut coûter jusqu’à un million d’euros. Le pressurage est une étape critique car il faut contrôler la force de pressurage pour ne pas que les tanins de la peau rouge des raisins de pinot noir et de pinot meunier ne viennent tacher le jus.
La fermentation se fait dans des cuves thermorégulées. La première fermentation est alcoolique et elle est identique à celle que subissent les vins « tranquilles » puis on passe à la fermentation malolactique qui apporte des notes douces. La fermentation dure de deux à trois semaines.
L’assemblage est capital, c’est l’art du maître de chais. En champagne, l’assemblage se fait avec des récoltes d’années différentes. On peut ainsi mélanger les vins de récoltes de l’année et les vins de réserve, c’est-à-dire des vins des récoltes précédentes. C’est cet assemblage qui permet de aux champagnes de garder une qualité constante et au maître de chais de donner son caractère à chaque maison. Du fait des assemblages, les millésimes sont plus rares en champagne que pour les vins « tranquilles ». Seules les années exceptionnelles ont des millésimes, par conséquent le plus commun est le Brut sans année.
Avec l’ajout de la liqueur de tirage se produit une seconde fermentation, dite prise de mousse, en bouteille. C’est durant cette étape que le vin devient effervescent. On bouche les bouteilles avec une cartouche plastique appelée bidule. Les levures se transforment et produisent du gaz. Les bouteilles sont couchées pour vieillir. Le Brut doit vieillir au minimum quinze mois tout comme le rosé et le blanc de Blancs, le millésime quant-à lui doit vieillir au minimum trois ans.
Le remuage se déroule sur 21 jours et permet la concentration des levures vers le bouchon. Jour après jour, chaque bouteille est légèrement tournée et inclinée jusqu’à atteindre la verticalité.
Le dégorgement consiste à enlever les dépôts des levures concentrées derrière le bouchon suite au remuage. Pour chasser le dépôt on plonge le haut du col dans un bain de saumure à -25°C pendant quelques secondes, créant un petit glaçon qui emprisonne la lie. Une machine retire les impuretés prises dans la glace. Suite à cette opération quelques centilitres sont perdus on doit donc ajouter de la liqueur dite d’expédition avant de procéder au rebouchage définitif avec un bouchon en liège. La liqueur d’expédition est du champagne avec du sucre en quantité variable selon le goût que l’on recherche. Le champagne doux contient plus de 50 g/l, le demi-sec 32 à 50 g/l , le Sec 17 à 32 g/l, le Brut moins de 12 g/l et l’Extra Brut entre 0 et 6 g/l.
Le rosé est un assemblage de vins vinifiés en rouge, environ 10%, issus de l’appellation Champagne. Seules quelques maisons font du rosé dit « de saignée « en faisant macérer le jus avec la peau du raisin.
Il existe un grand nombre de taille de flacons. Le plus petit flacon est le quart (20cl); la bouteille (75 cl) est la plus vendue; le jéroboam (3 litres) est le plus demandé des grands flacons. Le plus grand flacon, le Melchisédech (30 litres) pèse 54 kilos et ne sert quasiment qu’à la décoration. Chaque année seulement une dizaine de Melchisédech sont commercialisés. D’un point de vue qualitatif la taille idéale est celle du Magnum (1,5 litres) c’est pourquoi on embouteille souvent les millésimes dans cette contenance car comme ils se conservent bien, ils sont commercialisés deux à trois ans plus tard que les autres productions.
IV – Enjeux économiques du champagne.
80% de la production champagne se compose de Brut, de blanc de Blancs et de blanc de Noirs. Les cuvées Prestige ne représentent que 5% de la production mais du fait de leur prix élevé elles représentent 15% des recettes.
Si la quasi totalité de la production de la région Champagne se compose de vins effervescents il existe une petite production de vins « tranquilles »: les coteaux champenois et le Rosé des Riceys qui sont des AOC rouges ou blancs.
On produit 300 millions de bouteilles ce qui engendre un chiffre d’affaires de 4,7 millions d’euros HT. Les caves renferment un stock d’un milliard de bouteilles. 73% des bouteilles sont produites par les maisons, 18% par des vignerons indépendants et 9% pour les coopératives.
La moitié de la production est destinée à l’exportation et représente 60% du chiffre d’affaires. Le champagne représente 9% du volume global du vin français exporté mais 32% de la valeur. Le premier client international du vin de champagne en volume est la Grande-Bretagne, suivie des Etats-Unis et le Japon arrive en troisième position.
Les plus anciennes maisons sont Gosset, fondée en 1584, Ruinart créée en 1729, Henri Abelé qui date de 1757, Jacquesson fondée en 1798 et Henriot qui naît en 1808. De nos jours peu de maisons sont restées véritablement familiales, les grands groupes ayant acheté chacun plusieurs maisons et détenant les grandes marques. Quatre grands groupes dominent le marché : Moët Hennessy, Vranken-Pommery, Lanson BBC et Pernod Ricard.
La maison Henriot reste une maison familiale. La famille Henriot qui était une famille de drapiers, originaire de Lorraine, s’installe à la fin du XVIIIe siècle en Champagne. La maison est fondée en 1808 par Apolline Henriot. Actuellement la maison est dirigée par la huitième génération. Le champagne de la maison Henriot comporte 60% de Chardonnay et ses assemblages se composent aux deux tiers de grands et premiers crus.
CONCLUSION
De par sa complexité et la particularité de son élaboration, le champagne n’est assurément pas un vin comme les autres. C’est un produit résolument festif, mais aussi un vin qui peut aussi accompagner tout un repas. Napoléon ne disait-il pas que « le champagne dans la victoire, on le mérite, dans la défaite, on en a besoin ».
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