Thème : ECONOMIE – SOCIETE Mardi 18 Janvier 2011
Par Lucien Lanier – Ancien préfet de la région Ile-de-France
Le Grand Paris, c’est avant tout une loi, promulguée le 3 juin 2010, qui veut définir la continuité du développement de Paris pour les quarante à cinquante années à venir, et de lui en donner les moyens. Son ambition est, du point de vue économique, sociale et administratif, de permettre à la capitale de continuer son évolution, et d’empêcher l’immobilisme qui la relèguerait au 50e rang des villes dans le monde après en avoir été l’une des villes lumière.
Au fil des siècles, Paris a su s’adapter, évoluer, changer de visage à chaque fois que nécessaire. De Lutèce à l’enceinte de Philippe-Auguste, des barrières du Louvre à celles des fermiers généraux, des grands boulevards aux boulevards extérieurs… Paris n’a cessé de s’agrandir, de s’enrichir, de s’adapter, et a toujours épousé son temps. Au XXe, les conséquences effroyables de deux guerres mondiales ont plongé Paris dans la brutalité qu’elles impliquaient ; les besoins sont immenses, les moyens limités. Paris se recroqueville à l’intérieur de son périmètre et délaisse sa banlieue livrée à elle-même : une foire d’empoigne d’immeubles, de zones pavillonnaires, d’usines et des terrains vagues. Une certaine anarchie règne. Le général De Gaulle a compris qu’une pratique urbanistique rigoureuse et bien organisée était indispensable à la capitale. Grâce à la loi de 1964 créant huit départements d’un grand Paris, dont trois limitrophes, Paris prit sa véritable extension. Des communes proches devenaient de vraies villes chef-lieu, comme Créteil (12 000 habitants en 1967, 82 000 aujourd’hui). La banlieue, que Céline avait décrit comme un « paillasson au portes de Paris », était rénovée et allait aider Paris à répondre aux besoins économiques, sociaux et politique de la région Ile-de-France (le nouveau nom de la région parisienne à partir de 1976). Cette période symbolisée par l’équipe de Paul Delouvrier, « père » des Villes Nouvelles, a été une époque de grandeur et d’action. Nous en recueillons aujourd’hui les bénéfices, même s’il est de bon ton de dénoncer les « effets pervers » de la réforme, qui fut en quelque sorte victime de son succès.
Etre une « ville-monde » du XXIe siècle
Conscient de la nécessité de redéfinir l’avenir de Paris, Nicolas Sarkozy a affirmé à maintes reprises, entre 2007 et 2009, l’idée d’un ambitieux dessein, échelonné sur plusieurs décennies. Ce chantier du XXIe se veut être un modèle de développement durable de la ville, englobant toute l’agglomération francilienne, et mettant en jeu quatre leviers de changement : l’urbanisme, l’habitat/logement, la recherche et l’enseignement supérieur.
En 2008, la création d’un secrétariat d’Etat spécialisé dans le développement de capitale a permis de s’atteler à cette tâche considérable, et d’imaginer Paris en tant que « ville-monde » du XXIe siècle. Une « ville-monde » se caractérise par sa capacité d’attraction, elle est un centre organisationnel mondial (économique, culturel, politique), un point de convergence de capitaux, de personnes, un foyer de sciences et de techniques, un phare mondial d’éducation, de formation et de recherche. Au même titre que Tokyo, New York ou Londres, Paris répond encore à ces critères, mais connaît progressivement une perte d’attractivité. Pour répondre à la compétition mondiale et éviter d’être supplanté à terme par des villes telles que Shanghai ou Los Angeles, il faut préparer l’avenir.
L’évolution d’une ville-monde nécessite des mutations urbanistiques. Pour les prévoir, dix équipes d’architectes/urbanistes ont planché sur Paris dans cinquante ans. Les dix projets ont été dévoilés en février 2010. En outre, une étude d’impact préalable à la loi a identifié neuf « clusters », des zones où pourraient être développées les complémentarités entre divers domaines. La conception de la loi sur le Grand Paris s’est faite sérieusement, et à pas comptés. Cette loi se définit elle-même (article 1) comme « un projet urbain, social, économique, d’intérêt national, qui unit les territoires stratégiques de la région Île-de-France ».
Trois thèmes fondamentaux
Ce projet s’articule autour de trois thèmes fondamentaux : la création d’un réseau du transport public, la création d’un société du Grand Paris chargée de mettre en route ce système, et la création d’un établissement public d’aménagement Paris/Saclay.
– Le réseau de transport public sera un métro automatique de grande capacité, long de 130 à 150 km en rocade autour de Paris, formant une double boucle (une autour de Paris, l’autre s’agrandissant vers le Sud pour relier Saclay), dont la réalisation ira de pair avec la modernisation du réseau existant, et qui permettra des interconnexions avec le métro, le RER, les lignes TGV et les aéroports. Il s’agit-là de la véritable ossature du Grand Paris. Rien ne se fera sans cette double boucle qui, comme le système sanguin pour le corps, irriguera et reliera les pôles économiques entre eux. Les aménagements se dérouleront par une procédure de contrats – les contrats de développement territorial – entre l’Etat, des promoteurs et les élus locaux. Le préfet de la région Île-de-France est chargé de la composition des dossiers – dix-sept contrats (dont l’aménagement du plateau de Saclay) à l’heure actuelle – qui doivent respecter l’objectif de construction de 70 000 logements par an. Coût estimé de cette ossature ferroviaire sur treize ans : 20 milliards d’euros.
– La société de Grand Paris. Pour orchestrer tout cela, cet établissement public à caractère industriel et commercial a été créé en juillet 2010. Elle est structurée en trois niveaux : un directoire (trois personnes), un conseil de surveillance (21 membres) et un comité stratégique largement ouvert aux élus, aux représentants professionnels et syndicaux. La mission de la société du Grand Paris est d’être le patron responsable de l’imagination, la conception, la coordination et la réalisation des projets.
– en août 2010 a été créé l’établissement public Paris/Saclay dont la mission est d’impulser, de coordonner et de développer les pôles scientifiques et technologiques, et d’en assurer le rayonnement international. Il s’agit d’en faire une Silicon Valley à la française capable de concurrencer Cambridge ou le MIT de Boston sur un campus de 9 km2, qui comprendra une zone de protection naturelle, agricole et forestière. Sans Saclay, il n’y aura pas de Grand Paris car ce doit être le grand pôle d’attraction.
Reste un problème à résoudre : depuis 1995, tout projet supérieur à 300 millions d’euros doit obligatoirement être soumis à l’avis des habitants concernés. La loi sur le Grand Paris prévoit d’associer le public au processus d’élaboration du projet de transport public. Un large débat public a lieu jusqu’à fin janvier 2011.
Par ailleurs, le schéma directeur de la région Île-de-France propose son propre projet de développement des transports franciliens : « Arc Express nord » doit relier La Défense à Pantin, et « Arc Express sud », d’Issy à Noisy-le-Grand. Coût estimé : 5 milliards d’euros sur quatre ans. En réalité, ces projets ne rivalisent pas avec celui de l’Etat. En vertu de la décentralisation, la région est dans son rôle de veiller à l’amélioration immédiate des transports locaux, tout comme il est de la responsabilité de l’Etat de prévoir à terme un projet plus vaste et plus ambitieux. Ne pouvant se bloquer mutuellement, Région et Etat doivent, promptement, s’entendre par un accord d’intérêt général, qui est présentement recherché et pour l’aboutissement duquel je garde la plus ferme confiance.
Le Grand Paris est un grand dessein dont l’ambition n’est que partiellement connue du grand public, pourtant directement concerné. La loi du 3 juin 2010 offre un enjeu de taille, une grande ambition pour la France du XXIe siècle. Bien que certains nieront les besoins sur le long terme, ce doit être l’occasion pour la France de marquer la mondialisation de son empreinte.
En savoir plus …
Coté Livres :
Coté Web :
http://www.debatpublic-reseau-grandparis.org/
http://www.lesechos.fr/economie-politique/france/dossier/300391282-le-grand-paris.htm
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