Thème : ECONOMIE – SOCIETE Mardi 13 Novembre 2007
Par Jean-Claude Noyé – Auteur du livre Le Grand Livre du Jeûne
Il existe des livres sur la prière, la méditation ou la mort, mais on trouve peu d’ouvrages sur le jeûne. C’est pourquoi j’ai décidé d’écrire un livre consacré à cette pratique universelle qui permet de rompre avec la frénésie dévorante du monde et qui, dans toutes les traditions spirituelles est vécue comme une forme de purification. Le Grand Livre du Jeûne est aussi un livre militant en ceci que j’ai voulu interpeller le lecteur, l’inviter à jeûner, sans faire pour autant de prosélytisme.
La pratique du jeûne consiste à se priver volontairement de nourriture – ce qui n’a rien à voir avec la privation subie – pour une raison spirituelle, religieuse voire médicale. Le jeûne dure en général quelques jours, mais on connaît l’existence de personnes très croyantes, très mystiques, qui ont jeûné sur des périodes de plusieurs mois. Ces personnes, les inédits, sont en quelque sorte des « anorexiques mystiques » mais qui une force mentale et psychique, à la limite du mystérieux, ayant repoussé les limites connues du corps humain. Il s’agit là d’un exemple extrême, mais le jeûne est avant tout une grande aventure spirituelle, pratiquée dans les grandes religions monothéistes.
Le jeûne dans les religions monothéistes
Chez les juifs : la torah, qui consacre deux traités à la question du ta’anit (jeûne en hébreu), distingue les jeûnes majeurs des jeûnes mineurs. Yom Kippour (jour du grand pardon) et 9 Av (jeûne du cinquième mois, le jour le plus triste de l’année juive) sont les seuls jeûnes obligatoires et qui durent vingt-cinq heures. Il est interdit de boire, de manger, de se laver, d’avoir des relations sexuelles, de se parfumer ou encore de porter des chaussures de cuir. Lors des autres jeûnes, il est interdit des boire et manger de l’aube à la tombée de la nuit. Outre les jeûnes majeurs et les cinq jeûnes mineurs, il existe de nombreux jeûnes facultatifs, suivis par les plus pratiquants.
Cette pratique doit permettre d’expier les fautes. Les paroles de Dieu viennent « remplir » l’individu en lieu et place de la nourriture. Avec le soutien du rabbin, les parents éduquent leurs enfants au jeûne, et ce dès leur plus jeune âge. Souvent, même les juifs non pratiquants respectent le jeûne de Yom Kippour, par fidélité à la communauté, à leurs ancêtres, et par peur de rompre un maillon de la chaîne.
Chez les musulmans : le jeûne du ramadan est le quatrième pilier de l’islam. Pratiqué lors du neuvième mois lunaire, il sanctifie la révélation du Coran à Mahomet. C’est un moment privilégié pour les croyants, un temps d’approfondissement de leur foi, de charité envers les autres, ainsi qu’un point de ralliement pour toute la communauté. Dès l’aurore et jusqu’au coucher, il est interdit de boire et de manger. Rien ne doit pénétrer le corps, que ce soit du tabac ou de la salive. En sont dispensés : les malades et les femmes enceintes ou qui allaitent.
Il faut également s’abstenir de paroles et de pensées mauvaises. L’essentiel est d’avoir sa pensée focalisée sur Dieu. Ce mois est censé permettre aux fidèles de lire intégralement le Coran, de se plonger intégralement dans les textes sacrés. Pour ce faire, les plus pieux observent une retraite dans une mosquée pendant les dix derniers jours du ramadan.
C’est un mois de charité et de grande entraide. Les plus pauvres peuvent enfin manger normalement. La fête de rupture du jeûne est l’une des deux plus grandes fêtes de l’islam. Une grande majorité de musulmans, même les non pratiquants, respectent le ramadan. C’est un temps béni qui offre une grande communion et une plus grande proximité avec sa famille et ses voisins. Comme chez les juifs, les plus pieux observent d’autres jeûnes facultatifs.
Chez les chrétiens : le mercredi de Cendres et le Vendredi Saint sont actuellement les seuls jours où l’église demande aux catholiques de jeûner. Autrefois, on jeûnait beaucoup plus souvent. Il existait le jeûne du mercredi (dénonciation de Jésus), du vendredi (crucifixion), du quatrième temps (les quatre saisons), de l’avent (quatre semaines avant la naissance du Christ) et les jeûnes lors de fêtes religieuses. Les chrétiens d’Orient, les coptes orthodoxes, suivent scrupuleusement tous les jours de jeûne du calendrier, soit 260 jours pendant lesquels ils suivent un strict régime végétalien. En revanche, dans la sphère catholique et protestante, les pratiques de jeûne sont tombées en désuétude.
Le jeûne, contestation vitale d’une société injuste
Tout comme le Dalaï Lama, Gandhi ou Martin Luther King, l’abbé Pierre est une haute figure de la mystique militante. A trois reprises, il a décidé de jeûner à des moments clefs de son existence. La première fois, pendant la guerre, il ne se nourrit que d’un peu de pain et de lait. La deuxième fois, en 1984, dans la cathédrale de Turin, il jeûne pour protester contre les conditions de détentions des Brigades Rouges. A la Pentecôte 1991, il jeûne aux côtés des déboutés du droit d’asile qui font une grève de la faim dans l’indifférence. En référence à ces périodes de jeûne, l’abbé Pierre évoquera plus tard « trois moments de grâce, le plus pénible étant de recommencer à manger ».
Le jeûne est aussi vécu par ceux qui le pratiquent comme un moyen de protester contre l’avidité de notre société de consommation. En se privant de nourriture, ils montrent que l’homme n’est pas qu’un consommateur, qu’il ne se nourrit pas que de pain mais aussi de relations sociales. En cela, jeûner procure un surcroît d’être.
Les adeptes du jeûne sont souvent soucieux d’écologie et d’environnement. Ils reprennent à leur compte l’adage de Gandhi « Vivre simplement pour que tout le monde puisse vivre » et prônent la décroissance. Notre croissance économique semble illimitée pourtant nous vivons sur une planète aux ressources limitées. Si tout le monde vivait comme un Américain ou un Européen, il faudrait quatre ou cinq Terre. Dès lors, le jeûne apparaît bien comme un apprentissage de la frugalité, de la sobriété heureuse, qui nous sera de plus en plus indispensable à l’avenir, dans tous les domaines. Tous les experts s’accordent sur la fin prochaine du pétrole. La première réponse à la crise énergétique qui s’annonce sera donc de réduire notre consommation. Nous devrons également revoir notre façon de nous alimenter, beaucoup trop carnée. Pour produire un kilo de bœuf, il faut sept fois plus de terre arable que pour produire l’équivalent en légumes. Alors que l’eau devient une denrée de plus en plus rare, il faudra appendre à l’économiser. Actuellement, 850 millions d’être humains sont sous-alimentés et 1,5 milliards n’ont pas d’accès à l’eau potable.
Le jeûne comme un moyen de rapprocher les gens
Si on veut éviter le choc des civilisations annoncé par les attaques du 11-Septembre, il faut que les grandes religions discutent entre elles. Le jeûne est une forme d’ascèse qui se prête tout à fait à la rencontre des croyants de toutes religions. Pas besoin de grande manifestation ni de grand discours, cela se fait en silence. C’est un appel au partage plutôt qu’un repli sur soi. Quand le pape Jean-Paul II avait invité les dignitaires des autres religions à Assise, ils avaient prié et jeûné ensemble (ce que l’on sait peu). Après le 11-Septembre, il avait demandé aux catholiques de jeûner en même temps que les musulmans.
Bien que les religions aient des usages qui leur sont propres, il est frappant de constater que cette pratique est commune aux trois monothéismes et qu’elle ne se limite pas à la sphère religieuse. Elle affecte la société entière. Jeûner est invariant humain, qui touche à la fois le corps, l’âme et l’esprit.
Je consacre un chapitre à ceux qui jeûnent à des fins politiques, ce que l’on appelle à tort « grève de la faim ». Les exemples ne manquent pas. Nous avons tous à l’esprit celui du député Jean Lassalle qui ne s’est pas alimenté pendant un mois pour protester contre la seule entreprise de sa circonscription. Même s’ils ne s’inscrivent pas, au départ, dans une démarche spirituelle, les « grévistes de la faim » vivent tout de même une expérience spirituelle car leur esprit, leur psychisme, prend le relais du corps et ils vivent leurs émotions de façon plus intense.
Jeûne et santé
Le jeûne est la plus ancienne forme de médecines. Il est intéressant de noter qu’un enfant malade va, d’instinct, arrêter de manger. Saint Athanase écrivit ceci : « Le jeûne guérit les maladies, repousse les démons, sanctifie le corps et place l’homme sur le corps de Dieu. » Pour Saint Basile le Grand, « toute notre vie serait libérée des plaintes et gémissements si le jeûne était la règle ».
Le jeûne a un effet de détoxination. Au bout de deux trois jours, notre corps va chercher la nourriture dans nos réserve, et éliminer les toxines. On peut être un peu fatigué au début mais, très vite, on va se sentir extrêmement bien. L’activité physique est possible et même conseillée (marche, vélo, natation…). Le jeûne est un moment privilégié pour accorder un moment de repos à notre organisme, c’est une invitation à être à l’écoute de son corps. Toutefois, je conseille à ceux qui veulent jeûner quatre ou cinq jours de le faire en groupe.
On sait qu’il existe des maladies de la pénurie, il existe aussi des maladies de pléthore, comme les maladies cardiovasculaires ou les cancers. On mange trop, trop gras, trop riche, trop carné, trop sucré. Personnellement, je pense que le jeûne permet de prévenir les maladies graves. Il existe d’ailleurs en Allemagne et en Suisse (mais pas en France) des cliniques pratiquant le jeûne curatif. Mais rien ne sert de jeûner une fois ou deux dans l’année si on continue à manger n’importe comment tout le reste du temps. Le but est de mieux manger, de façon plus frugale.
En savoir plus …
Coté livres :
Le grand livre du jeûne
Auteur : Jean-Claude Noyé
Editeur : Albin Michel
ISBN-10: 222617303X
http://www.amazon.fr/grand-livre-du-je%C3%BBne/dp/222617303X
Coté Web :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Je%C3%BBne
http://www.passeportsante.net/fr/Therapies/Guide/Fiche.aspx?doc=jeune_th
http://www.mesregimes.com/regime_jeune.htm
http://www.effervesciences.com/s_sites/jeun/index.htm
http://islamfrance.free.fr/ramadan.html
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