Thème : ECONOMIE – SOCIETE Mardi 22 Novembre 2011
Le monde de la musique à l’heure de la globalisation
Par Mme Urban, Professeur Emérite à l’université de Strasbourg.
Mme Urban est venue ce jour nous parler des liens entre le monde de la musique et la globalisation, et nous a éclairés sur l’appréhension moderne de la musique dans le monde depuis l’ouverture sur le monde. Une vision intéressante sur un phénomène très actuel…
Tout d’abord, qu’appelle t’on le monde de la musique ?
Le monde musical est un univers fascinant où se côtoient divers protagonistes tous plus indispensables les uns aux autres. Il y a les compositeurs, les exécutants, les diffuseurs, les producteurs, les éditeurs de partition, les directeurs d’orchestre, les financeurs, les acheteurs et les fabricants d’instruments. Ils sont tous dépendants les uns des autres et constituent donc un tout en étant chacun partie prenante.
Mondialisation et globalisation
« La mondialisation » désigne l’harmonisation des liens d’interdépendance entre les nations et les activités humaines (politiques et économiques) à l’échelle du monde. Ce terme, spécifique à l’environnement humain, a une connotation spatiale.
La vie socio-économique d’un pays bien que débordant souvent des frontières, reste contrôlée par des instances culturelles, financières et éducatives nationales.
« La globalisation » est une notion légèrement différente: déferlant en plein milieu des années 80, elle a emporté dans son sillage une déstructuration internationale, où marché des capitaux et production ne furent soudainement plus seulement nationaux mais internationaux; c’est la chaîne globale de production qui fut dispersée de par le monde.
4 vecteurs essentiels y ont contribué :
1- La chute du mur de Berlin en 1989 a entraîné la chute du monde communiste, donc d’une société gérée de façon autoritaire (à l’inverse du capitalisme). A ceci s’ajoute donc une ouverture vers la liberté. L’exemple type est celui des chinois qui assoient leur pouvoir et leur rayonnement en maîtrisant les techniques de marché tout en étant tributaires des systèmes de contrôles financiers stricts de leur pays.
2- Une économie de marché de plus en plus libérale dans le monde occidental : l’emblème étant Margaret Thatcher et Ronald Reagan qui ont pris le parti de développer une idéologie ultralibérale en évacuant tout système de contrôle et en laissant le marché dicter sa loi. Le néo-libéralisme s’étend jusqu’au système judiciaire et éducatif où tout acteur est payé à la productivité, entraînant bien des dérives. Jusqu’à l’hôpital considéré comme un lieu de performance financière, ou encore la culture estimée secondaire car peu productive.
3- Internet : Né à des fins militaires puis scientifiques, internet a rapidement pris un essor fabuleux auprès du grand public. Avec pour conséquence directe la perturbation du jeu de la démocratie puisque tout y est gratuit. Les gens de talent s’y expriment vite, ce mode de communication nouveau offre liberté d’échanges, libre accès et possibilité d’intégrer des cultures autres sans bouger de chez soi.
4- La notion de « mal de terre », définie en premier par Hubert Reeves : la pollution de l’eau, de l’air, les transformations climatiques situent notre planète dans un danger latent qui nous fait prendre conscience de notre vulnérabilité. Cela contribue sans doute à accroître l’intensité des échanges pour vivre vite et à tout prix, toujours mieux et en un minimum de temps.
La globalisation touche donc à tout, puisque tout est possible et permis (jusqu’à la corruption et la contrefaçon).
Quelles conséquences directes cela a-t-il eu sur le monde de la musique ?
Le monde de la musique a certes toujours eu besoin de l’ouverture sur les autres pour exister. La globalisation peut donc paraître stimulante à première vue. Sauf que comme tout va très vite, nous sommes vite tombés dans les travers avant même de pouvoir profiter des réels avantages que cela représentait initialement .
Il existe bien quelques mouvements de résistance comme l’Ircam (L’Institut de recherche et coordination acoustique/musique, l’un des plus grands centres de recherche publique au monde se consacrant à la création musicale et à la recherche scientifique), ou encore des traditions musicales locales très fortes qui militent pour l’individualité musicale, car trop conscients des dérives qu’entraîne internet, entre autre l’incitation au téléchargement. Le téléchargement représente en effet un réel manque à gagner pour les maisons de disques et les interprètes et constitue un fléau dans le monde de la musique.
Internet offre cependant aussi des programmes d’apprentissage musical pour tous, incitant à se familiariser avec des musiques des autres pays. On arrive aussi à produire des disques en rassemblant les contributions des uns et des autres. (Ex : « My major company »).
Sauf que l’aspect essentiel des échanges dans la création musicale reste invisible et que pour percevoir l’attrait d’une musique ou sa répulsion, il faut pouvoir l’apprécier à l’oreille. Il faut tout d’abord créer des partitions, répéter assidument, trouver des salles et gérer l’organisation que suppose une tournée ou un simple concert. La musique a ceci de particulier qu’elle reste incomplète à chaque phase de la production musicale : une partition n’est rien sans instrument qui n’est rien sans musicien qui n’est rien sans producteur qui n’est lui-même rien sans financement.
Une femme, Betty Freeman, a eu l’intelligence de se servir des avantages de la globalisation pour aider à accroître la production musicale mondiale en intervenant de façon stratégique dans la chaîne de la création musicale.
BETTY FREEMAN (1921-2009)
Née de parents chimistes richissimes, Betty Freeman a souhaité utiliser dignement sa fortune en contribuant à révéler des talents musicaux. Elle est donc devenue mécène, mais ne s’est pas contentée de produire des talents déjà existants pour satisfaire son mécénat : souvent, les subventions musicales relèvent du territoire national, mais ne suffisent pas. Betty Freeman voyait grand. Parcourant le monde entier, son plaisir a été celui de dénicher de jeunes talents en se référant à l’avis de directeurs d’opéras ou de grandes salles, en s’engageant à fournir un salaire au jeune artiste en question pour qu’il fasse aboutir l’œuvre ébauchée, sous plusieurs conditions : qu’il soit lui-même compositeur, et que les directeurs de salle qui l’ont recommandé s’engagent à lui faire jouer son œuvre dans leur salle.
En parallèle, chacun de ses artistes faisait l’objet d’un book qui relate sa vie au travers de cliché photographiques qu’elle prenait elle-même pour mieux les présenter inscrits dans une réalité, non figés. Elle communiquait magnifiquement avec ses catalogues, tous exceptionnels d’un point de vue sociologique.
En contribuant à financer toute la chaîne de la création musicale, elle aidait également l’artiste à avoir confiance en sa pérennité. A la fois conseillère et consolatrice, elle avait le goût de la solidarité. Elle s’efforçait à faire se rencontrer tout ce petit monde qui devenait son réseau. Elle organisait des dîners hebdomadaires comme les siècles précédents: Elle présentait chaque semaine le projet de deux compositeurs à tout un parterre de directeurs de salles, d’opéras, de producteurs et d’artistes de grande renommée. Les convives les plus réactifs lançaient un effet de dominos dans les projets musicaux en cours.
En 40 ans de mécénat, elle a fait plus de 450 subventions ou commandes à plus de 80 musiciens compositeurs ! Cette philanthrope, mère de quatre enfants, a donc fait également naître au monde musical des talents comme entre autres Pierre BOULEZ ou Lou HARRISSON.
A l’heure qu’il est, il n’est pas certain que cette grande dame surnommée la « Modern-day Medici » par le compositeur John ADAMS, ait fait des émules. Quoi qu’il en soit, elle a été la première à bouleverser les codes de la création musicale moderne au moment de la globalisation, et à ce titre là, elle mérite notre plus grande considération.
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