Thème : ECONOMIE – SOCIETE Mardi 14 Novembre 2006
Par André Paléologue – Docteur en histoire, Expert consultant auprès du Comité pour l’UNESCO
A l’occasion du 30e anniversaire de la Convention de préservation du patrimoine mondial, un Congrès international fut organisé à Venise en novembre 2002, sur le thème « Héritage partagé, responsabilité commune ». Le choix de Venise est symbolique. Cette ville magnifique est à la fois un témoignage remarquable de la créativité humaine, de la science du beau et du bâti, et le patrimoine mondial le plus coûteux. Depuis près de cinquante ans, on a dépensé des fortunes pour sauver Venise qui subit de grandes crues décennales. De nouveaux projets ont été testés mais aucun n’a montré son efficacité à long terme. Car il ne s’agit pas de sauvegarder uniquement les vieilles pierres, il faut aussi maintenir le tissu social et culturel propre à ce lieu.
Le problème qui se pose est d’ordre philosophique. A Venise, on s’est rendu compte que le patrimoine n’est pas que le génie des bâtisseurs, c’est aussi la relation avec la nature et tout ce qui nous entoure. Lors de ce Congrès, il fut décidé que la protection des monuments historiques et du patrimoine culturel allait de pair avec la nature.
Le Comité du patrimoine mondial, qui dépend de l’UNESCO, est composé de représentants de 21 Etats. Le Comité a pour fonctions essentielles : d’identifier, sur la base des propositions d’inscription soumises par les Etats parties, des biens culturels et naturels de valeur universelle exceptionnelle qui doivent être protégés dans le cadre de la Convention, et d’inscrire ces biens sur la Liste du patrimoine mondial ; de contrôler l’état de conservation des biens inscrits sur la Liste du patrimoine mondial, en liaison avec les Etats parties ; de décider quels biens de la Liste du patrimoine mondial doivent être inscrits ou retirés de la Liste du patrimoine mondial en péril ; et de décider si un bien peut être supprimé de la Liste du patrimoine mondial ; et d’examiner les demandes d’assistance internationale financées par le Fonds du patrimoine mondial.
En 2006, 830 objectifs sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial et se répartissent comme suit : 630 bâtis culturels, 162 zones naturelles protégées et 24 objectifs mixtes. La première mobilisation internationale eut lieu dans les années 1950 pour sauver le site antique d’Abou Simbel qui risquait d’être englouti sous les eaux du barrage d’Assouan. Il fut déplacé un peu plus loin. Depuis, quand un pays décide d’un tel aménagement, nous étudions quels sont les monuments à sauver et lancer, si besoin, un appel de fonds international.
L’Europe est la région du monde qui compte le plus grand nombre de sites inscrits au patrimoine mondial. L’Espagne devance l’Italie, la France et l’Allemagne. Pour être inscrit, un site doit être proposé par son pays. Cela dénote aussi de la vision qu’un pays porte sur son propre patrimoine.
Quels sont les critères pour figurer dans la liste ?
La liste du patrimoine mondial compte des monuments/sites qui sont des chefs d’œuvre du génie créateur humain et qui valent par leur aspect unique. On y retrouve aussi bien le Parthénon que le site indien de Konarak, les mosaïques de Ravenne, des fresques orthodoxes en Moldavie, la Grande Muraille de Chine… Elle contient aussi des lieux qui sont le témoignage d’un échange d’influence d’une période historique donnée. A ce titre, Prague a été inscrite en raison de son passé historique et de sa grande concentration d’influences et de styles. Le patrimoine mondial est constitué également de sites qui témoignent d’une civilisation disparue, comme Stonehenge (Angleterre) ou l’île de Pâques. Figurent également des lieux de mémoire qui ont une grande signification pour l’histoire de l’humanité, comme Jérusalem. Auschwitz y figure à ce titre, pour conserver la mémoire de ce qui s’est passé dans ce lieu d’horreur.
A l’insistance des autorités hongroises, nous avons choisi d’intégrer des monuments « néo », comme cette église néo-gothique datant de 1898 ou cette église néo-romane de 1908. Pourquoi ? Parce que ce sont des édifices reconstruits à l’identique de ceux qui furent détruits par les Ottomans et témoignent d’une authentique sincérité dans la démarche et d’un réel savoir-faire dans la construction.
Il est plus compliqué de définir des critères pour des sites naturels mais on considère qu’ils doivent être avant tout le résultat d’un phénomène géologique exceptionnel, comme la Falaise des Géants (Irlande), les cascades de Plitvice (Croatie) ou le parc national du lac Malawi. Le Mont Athos (Grèce) est l’exemple même du site inscrit au patrimoine mondial en raison de sa situation naturelle, de son bâti, et de son caractère spirituel. Cet environnement n’a pas été touché depuis mille ans.
Parallèlement, nous publions chaque année une liste des monuments en péril. Alors qu’on en recensait 131 en 1993, 32 figurent cette année dans la liste. Un effort a donc été fait.
Quelles sont les menaces sur les monuments en périls ?
A l’image de ce qui s’est passé dans les temples bouddhistes d’Angkor (Thaïlande), les sites sont souvent menacés par le pillage. Ils sont aussi soumis à la dégradation. Le temps fait son œuvre et il faut prendre des mesures de restauration. L’UNESCO a créé un mécénat afin de restaurer des fresques orthodoxes en Moldavie.
Un site peut être menacé par la mauvaise gestion qui en est faite. L’exemple du Mont Saint-Michel est édifiant. En choisissant de développer le tourisme, de construire une route et un parking au pied du mont, l’eau n’entoure presque plus le site. Pour qu’elle puisse circuler à nouveau, de nouveaux aménagements très coûteux seront bientôt mis en chantier. Mais entretenir le patrimoine coûte cher. C’est déjà le cas dans les pays pauvres mais ça l’est aussi ici. La France a donc un besoin impératif d’un financement international pour sauver le Mont Saint-Michel.
Pour sa part, le delta du Danube a été sévèrement détérioré par idéologie. La gestion communiste, en implantant l’industrie papetière grande consommatrice d’eau et en développant la culture intensive du maïs, a provoqué une catastrophe écologique. L’idéologie est aussi responsable de la disparition de traditions séculaires. Ainsi, les villages allemands dans les Carpates laissés à l’abandon après l’appel de Willy Brandt aux Allemands de l’extérieur de revenir au pays. En Roumanie, des villages furent rasés pour faire table rase du passé, en Russie des églises furent détruites…
La guerre reste la menace la plus terrible. Dubrovnik a échappé de peu à sa destruction complète lors de la guerre civile yougoslave. Finalement, ce joyau de l’Adriatique fut épargné. Mais cela montre combien notre générosité, notre travail de transmission aux générations suivantes peuvent être réduits à néant par quelques irresponsables. Nos efforts peuvent aussi être instrumentalisés. Le vieux pont médiéval de Mostar (Croatie) fut détruit pendant cette guerre par ceux-là même qui voulaient qu’il soit reconstruit. Ils pensaient ainsi avoir des financements et du travail pour de nombreuses années. Il fut effectivement reconstruit, mais par des artisans qui savaient faire ce travail si particulier et que nous sommes allés chercher en… Turquie. A Bamiyan (Afghanistan), les talibans ont détruit le deux bouddhas géants, témoignage unique d’une civilisation spirituelle disparue. Ces bouddhas étaient entourés de cellules occupées à l’origine par des moines et transformées en cache d’arme. Les talibans ne voulaient pas que ces armes tombent entre les mains de Massoud et exigeaient des équipes du patrimoine mondial qu’ils les transportent en Afghanistan sous peine de tout faire exploser. Mais nous ne le pouvions pas. Et ils ont tout fait exploser.
Le patrimoine immatériel
Depuis peu se développe le concept de vie de patrimoine immatériel qui s’intéresse à la vie qui s’organise dans un lieu construit. Le patrimoine n’est pas que des vieilles pierres. L’authentique sans vie (comme en Cappadoce) est-il mieux le néo ou le très reconstruit qui continue à vivre ? Le XXe siècle a été le théâtre de nombreuses destructions. La cathédrale de Cologne, très endommagée pendant la Seconde Guerre Mondiale, a retrouvé son éclat depuis dix ans. La ville martyre de Dresde fut laissée en l‘état par la RDA pour « montrer les dégâts de l’impérialisme de l’ouest ». Mais les choses ont évolué et l’église Frauenkiche vient d’être rebâtie.
Le patrimoine mondial attire l’attention sur notre génie humain. Tous les monuments ont une valeur exceptionnelle, notamment en raison de la part de sacré qui a présidé à leur construction. N’oublions pas que beaucoup de ces bâtiments ne « servent » à rien, que ce soit la Muraille de Chine, les armées en terre cuite ou le Taj Mahal qui fut toujours inhabité et qui est, dans le même temps, tellement habité par les sentiments que portaient cet homme endeuillé pour sa bien-aimée. Ce bâtiment magnifique est porteur d’un symbole fort. Mais ne vous méprenez pas, le patrimoine mondial a aussi intégré des lieux de vie, par exemple la ville norvégienne de Bergen, un exemple réussi d’organisation sociétale dans son environnement, des sites industriels ou des zones où subsistent des traditions séculaires et des façons de travailler propres à de tels lieux. C’est aussi une façon de conserver la trace de la vie qui passe.
En savoir plus …
Coté livres :
LES VILLES DU PATRIMOINE MONDIAL
Auteur : Xavier Maurin, Marie-Hélène Oulion
Éditeur : STUDI
http://www.decitre.fr/cd-rom/les-villes-du-patrimoine-mondial-3542291110015.html
Les sites naturels (Le patrimoine mondial de l’Unesco)
Auteur : CATTANEO Marco, TRIFONI Jasmina
Editeur: Lavoisier
http://www.amazon.fr/beaux-sites-patrimoine-mondial-lUnesco/dp/2700025989
Coté Web :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_du_patrimoine_mondial
http://www.ecologie.gouv.fr/-Patrimoine-mondial-.html
http://www.apiguide.net/01touris/06touris/patrimoine-mondial.htm
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