Thème : ECONOMIE – SOCIETE Mardi 22 Octobre 2007
Par Michel Barancy – Ancien directeur des approvisionnements à la Seita
Le tabac brut, qu’est-ce que c’est ?
Le tabac est une production répandue dans le monde. Plus d’une quarantaine de pays sont producteurs. Cette plante, qui pousse aussi bien dans les pays tropicaux que dans les pays tempérés (y compris au Canada), a l’une des plus petites graines au monde. Un sceau de 10 litres de graines de tabac pourrait ensemencer toute la France. La production de tabac nécessite beaucoup de main d’œuvre, environ 50% du coût de production y étant consacré. A l’époque où je travaillais à la Seita (Société d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes), nous importions plus de la moitié de nos besoins en matières premières. Etant chargé de l’approvisionnement de tabac, j’allais acheter un peu partout dans le monde, y compris dans les pays soviétiques. Les relations d’affaire y étaient pour le moins folkloriques. Il en était de même avec Cuba, gros pourvoyeur de tabac à cigares. Un jour, tous les importateurs de cigares cubains reçoivent un message indiquant que les Cubains ont perdu les bons de commande et qu’ils ne savent plus comment dispatcher la livraison. Il faut donc que les acheteurs s’arrangent entre eux pour se partager la marchandise, ce qu’ils feront sans problème.
J’aime souvent comparer le tabac et le vin car ces deux produits ont des caractéristiques communes. Dans les deux cas, la qualité du produit final dépend de plusieurs critères :
– les conditions pédoclimatiques (le sol et le climat)
– la manière de travailler la matière première après la récolte
– la qualité du cépage pour la vigne, la qualité de la graine pour le tabac
Quand Davidoff s’est brouillé avec les autorités cubaines, il a réussi à récupérer des graines de Cuba pour les faire pousser non loin, à Saint-Domingue. La graine était identique mais le sol, les conditions climatiques et la main d’œuvre n’avaient plus rien à voir. Au final, les cigares Davidoff produits à Saint-Domingue avaient perdu en qualité.
La Grèce est un producteur important. Les meilleurs crus proviennent de la Macédoine (Salonique) tandis que le tabac du Péloponnèse est de qualité très médiocre. On ne désigne donc pas du « tabac de Grèce » pas plus qu’on ne parle de « vin de France ».
L’acheteur de tabac sera davantage sensible à certaines qualités selon ce qu’il souhaite en faire. S’il veut du tabac à chiquer, la combustibilité n’entrera pas en ligne de compte. S’il souhaite fabriquer des cigares, il ne faut pas que les feuilles soient trouées, auquel cas le fumeur aura des difficultés à « tirer ». Pour faire des cigarettes, l’acheteur sera vigilant quant à la légèreté du tabac et recherchera un tabac qui foisonne. En revanche, le tabac pour la pipe est vendu au poids…
Le tabac et la santé
On a beaucoup entendu dire que les filtres ne servaient à rien, que cigarettes avec ou sans filtre étaient tout aussi dangereuses. Ce n’est pas exact. Les cancers des poumons sont provoqués par le goudron contenu dans le tabac. Il faut savoir que tout chose qui brûle contient du goudron. Les fabricants, constatant que l’abus de tabac provoquait des maladies graves, ont porté leurs efforts sur les filtres et réussit à diminuer le taux de goudron contenu dans les cigarettes. Voilà quelques années, une cigarette Gauloises bleue sans filtre contenait 35 mg de goudron (10 mg aujourd’hui) alors qu’une même Gauloise bleue avec filtre contient aujourd’hui entre 4 et 6 g de goudron.
J’attribue la lutte anti-tabac à Jacques Chirac, ancien gros fumeur converti à la lutte anti-tabac, qui a imposé des normes drastiques. La France est le seul pays d’Europe à imposer sur ses paquets la mention « Fumer tue ». Parmi les mesures prises pour limiter la consommation, l’Etat a imposé une augmentation du paquet de cigarettes. Aujourd’hui, on fume officiellement moins (15 à 20% en cinq ans) mais on assiste dans le même temps à une hausse de la contrebande et à une baisse des recettes fiscales. Dans le cadre de la Politique Agricole Commune (PAC), l’Union Européenne accordait une prime aux producteurs de tabac. Quand on achetait le tabac 27 francs le kilo, Bruxelles en payait 65%. Dans cette logique de diabolisation du tabac, les autorités ont décidé de réduire drastiquement ces aides. Conséquence, les fabricants de cigarettes sont allés acheter leur tabac ailleurs. La production de tabac a presque disparu de la France, et beaucoup diminué ailleurs en Europe.
Les rapports entre fabricants de tabac en France et l’Etat
Au début du XIXe siècle, Napoléon 1er a crée un monopole d’Etat relatif à la culture du tabac, à la fabrication de tabac et aux débitants de tabac.
Le monopole de la culture a disparu après la signature du traité de Rome et la création de la CEE. Quiconque peut cultiver du tabac mais, avant de se lancer, mieux vaut s’assurer un acheteur. Le monopole de fabrication a été attribué à la Seita. Aucun de ses concurrents ne pouvait fabriquer des cigarettes sur le sol français. Cela ne les a pas beaucoup gênés. Philip Morris, qui voulait s’installer en France, s’est finalement replié sur les Pays-Bas. Quant au monopole des débitants, il existe toujours.
D’abord service de l’Etat avant de devenir une société autonome, la Seita n’en disposait pas moins d’un régime particulier, en matière de retraites notamment. En 1995, l’Etat privatise la société. Il n’arrivait plus à gérer ses propres contradictions par rapport au tabac (impôts/santé/indice des prix) mais, surtout, on estimait que l’Etat n’avait plus rien à faire dans une société qui fabrique des cigarettes. Pendant plus d’un siècle, des milliers d’ouvriers et ouvrières ont fabriqué des cigarettes en France, dans des manufactures construites à cet effet. En 1910, un ouvrier fabriquait 1 500 cigarettes par jour. Quand j’ai commencé, dans les années 50, une machine en fabriquait 1 500 à la minute. Aujourd’hui, le rendement est monté à 3 000 cigarettes à la minute.
Il arrivait que les hommes politiques interviennent en matière des prix. Il existait une amicale parlementaire des planteurs de tabac français. Quand les producteurs étaient mécontents du prix que leur offrions pour leur marchandise, ils faisaient appel aux parlementaires et au gouvernement qui faisait pression sur la Seita pour acheter le tabac à prix plus élevé. Pour faire plaisir à des élus, il a été décidé de produire du tabac à la Réunion. Après tout, pourquoi pas… il faut beaucoup de main d’œuvre pour la culture du tabac, et la main d’œuvre ne manquait pas. Ce qui manquait, en revanche, étaient les sols permettant de faire pousser les graines. La Réunion comporte peu de plaines, et les sols proches de la mer sont attaqués par le sel. Néanmoins, nous avons réussi à produire environ 30 tonnes de tabac à la Réunion, sur les 60 000 tonnes dont nous avions besoin annuellement.
Certes, la production a fortement diminué en France, mais elle n’a pas disparu pour autant. Altadis (ex-Seita), dont la France compte pour le quart du chiffre d’affaire, est devenu le premier producteur de cigares au monde et fonctionne de plus en plus dans les nouveaux marchés émergents.
En savoir plus …
Coté livres :
Le tabac en France de 1940 à nos jours
Histoire d’un marché
Auteur : Eric Godeau
Editeur : Presses Universite Paris-Sorbonne
ISBN-10: 2840505614
Coté Web :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Tabac
http://fr.wikipedia.org/wiki/Tabagisme
http://tabatieres-snuffboxes.chez-alice.fr/pageaccueil.htm
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