L’ÉCOLOGIE À L’AUBE DU TROISIÈME MILLÉNAIRE

L’ÉCOLOGIE À L’AUBE DU TROISIÈME MILLÉNAIRE

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Jean-Marie Pelt

Mardi 16 mars 1993

 

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Mardi 16 mars, Jean-Marie Pelt, professeur de biologie végétale à |’Université de Metz, Président de l’Institut Européen d’Écologie, auteur de nombreux ouvrages (liste en annexe), nous a présenté « l’écologie à l’aube du troisième millénaire ».

Nous sommes arrivés à ce que l’on peut appeler le déferlement de la deuxième grande vague écologique. La première se situait dans les années 70.

Les premiers écologistes parlaient beaucoup de lutte anti-pollution, de protection de la nature, de qualité de la vie, des travaux du club de Rome sur le thème « Halte à la croissance ». Dans toutes ces approches de !’écologie, il y avait une prise de conscience des problèmes d’environnement proches de soi. Toutes les associations de défense étaient rivées à un problème ou à un site donné. Puis il y a eu la crise de l’énergie et l’économie a primé sur l’écologie, considérée comme un luxe des pays développés.

On n’a pas gardé le souvenir de ce qui a été positif dans cette éclosion, et pourtant, il reste des acquis d’une extrême importance. Toute une série de textes et d’institutions ont été crées. Les bases administratives et juridiques ont été posées. Il y a eu également une prise de conscience de l’urbanisme européen.

C’est à partir de ce premier grand mouvement de l’écologie que l’on a cessé de massacrer les villes et les villages de France comme cela avait été fait, surtout dans les années 60.

Puis la mèche s’est peu à peu rallumée.

Tout d’abord à cause des pluies acides. À partir de 1985, à l’étranger, surtout dans les pays de l’Est, puis ensuite en France, dans les Vosges, le Jura et même dans les Alpes, des forêts dépérissaient.

En 1986 il y eu plusieurs grands accidents : incendies sur la Côte d’Azur, pollution du Rhin, Tchernobyl. Ces accidents ont profondément marqué la conscience des gens.

La deuxième vague d’écologie est celle que nous connaissons actuellement et qui va « lécher les marches du Parlement’. Elle est de sensibilité planétaire.

Quelles sont les maladies dont la Terre est frappée ?

L’effet de serre : la progression de la culture du riz en rizières augmenterait le dégagement de gaz (gaz carbonique et méthane). Ce gaz se placerait à 30 km autour de la Terre et formerait une sorte de manchon qui empêcherait la chaleur arrivant au sol d’être réfractée partiellement dans l’espace. La quantité de chaleur qui resterait au niveau du sol augmenterait, et donc ainsi, la température du globe.

Depuis 1980, nous avons vécu des années de fortes chaleurs. Nous n’en avons pas eu conscience car jusqu’en 1986, le réchauffement a surtout concerné I’hémisphère Sud. On peut mesurer le réchauffement de la Terre au degré près. La température moyenne actuellement est d’ un degré supérieur à celle de 1980.

Les raisons de ce réchauffement sont obscures et les conséquences imprévisibles. Il n’est pas absolument certain que le réchauffement soit dû à l’effet de serre. Il pourrait résulter d’un changement spontané des climats comme il y en eut beaucoup dans l’histoire.

Il a été affirmé, il y a deux ans, que le niveau de la mer monterait, que la Hollande disparaîtrait… Tout et le contraire de tout a été dit. On en saura plus dans 7 ou 8 ans, quand les travaux de recherche aboutiront.

La couche d’ozone : Il y a de fortes présomptions pour qu’il y ait un lien entre la diminution de la couche d’ozone et la diminution de l’effet protecteur de cette couche contre les ultra-violets du soleil.

Une réduction importante de la couche d’ozone (de l’ordre de 5 à 6 %) dans l’antarctique, et d’une manière globale, sur la Terre entière, serait grave. C’est pour diminuer cet effet que l’on supprime les bombes aérosols qui dégagent des éléments chlorofluocarbonés produisant du chlore qui détruit l’ozone.

Avec la perte de son manchon d’ozone et l’acquisition d’un manchon plus important de gaz carbonique, des conséquences sur les climats sont prévisibles.

La déforestation : cette catastrophe n’est pas de l’ordre des supputations, mais de l’ordre des certitudes. La déforestation est un phénomène général qui entraîne la désertification, car dans les pays tropicaux, le sol, extrêmement mince, est entraîné par l’érosion dès qu’il y a de fortes pluies. Lorsqu’une forêt tropicale disparaît, c’est toujours une végétation très pauvre qui la remplace. 50 % des forêts tropicales ont disparu depuis 50 ans. Au Brésil il y a une perte de 10 % de la forêt amazonienne. Dans d’autres pays il n’y a plus de forêt tropicale humide : Inde, Ceylan, Thaïlande.

Les grandes mégalopoles : l’extension des grandes mégalopoles continue et aboutit à des entassements inhumains.

Aujourd’hui 11 mégalopoles comptent plus de dix millions d’habitants. Il y en aura 23 dans 25 ans. Cette augmentation sera localisée dans les pays du Sud. Lorsque l’on connaît la misère de ces pays, on frémit à l’idée que cette mégalopolisation puisse se poursuivre à ce rythme car les conditions de vie y sont inhumaines (Le Caire, Calcutta..).

Le règne de la chimie : sans cesse, de nouvelles molécules sont mises sur le marché. La loi française exige que, pour toute molécule nouvelle, des tests soient menés. L’imprégnation chimique des environnements pose de multiples problèmes que l’on maîtrise mal et qui sont en relation avec l’augmentation des cancers. Les maladies sont des faits de civilisation. On estime que 80 à 90 % des cancers sont liés à des facteurs chimiques de l’environnement.

Des quantités énormes d’engrais chimiques ont été répandues au nom du productivisme, les rendements agricoles ont été décuplés. Ceci a eu deux conséquences : la perte de qualité des aliments (éléments protecteurs, oligo-éléments) qui n’ont plus une composition favorable pour l’organisme. Il est incontestable que la charge chimique globale de l’environnement en nitrate, en potassium et en phosphate, qui sont les trois engrais classiques les plus utilisés, appauvrit les plantes, en particulier les légumes. Cet appauvrissement entraîne différentes combinaisons chimiques dans l’organisme qui aboutissent à des phénomènes de cancérisation.

Il convient cependant de faire remarquer que ces « maladies du vivre » mêlent à leur origine l’inné (l’origine génétique) et l’acquis (facteurs déclenchants).

Quel est le péril le plus urgent ?

En fait il y en a qu’un seul : la mauvaise gestion de la Terre par les nations riches. Depuis 25 ans, nous ne faisons que sophistiquer les inventions du début du siècle. Nous sommes pris dans un cercle vicieux de fuite en avant éperdue, mais des phénomènes de résistance sont en train de se mettre en place actuellement. Les enfants sont tout à fait à l’aise dans ce monde technologique, mais sont ignorants de la nature. « Si on leur demande quel est votre légume préféré, ils répondront : des nouilles ».

Dans les grandes villes les enfants ont perdu complètement le sens de ce qu’est la nature. Ils sont dans la civilisation technique, les mots en « ique » (informatique, robotique, etc) ont un grand succès. « Il parait que le mot « procréatique’, qui a été inventé récemment signifie pour eux, l’art de fabriquer un enfant par ordinateur. Les mots en « isme » (communisme, christianisme, marxisme, etc.) se dévaluent au fur et à mesure que les mots en « ique » prennent de l’importance.

Nous sommes dans la civilisation du gadget. Nous produisons des gadgets, nous n’achetons plus de choses fondamentalement nouvelles. « Nous sommes dans la civilisation de l’idéologie méprisée et du gadget généralisé ».

Nous sommes depuis dix ans dans une société de communication et déjà nous sommes au bout. L’informatique débauche. La civilisation de chasse et de cueillette a duré deux millions d’années. La société sédentaire et agricole a duré huit mille ans. La société industrielle a duré deux cents ans. La société de consommation a duré trente ans. Et la société de communication, seulement âgée de dix ans, se termine. Nous ne savons pas ou nous allons. Il y a plus de décalage actuellement entre deux générations, qu’autrefois entre vingt-cing.

Les pays pauvres doivent contribuer au développement technologique des pays du Nord. Pour cela, ils fournissent les matières premières et de la main d’œuvre bon marché. De même ils représentent un marché potentiel. Ils sont endettés, mais nous leur remettons leurs dettes de façon à ce qu’ils continuent d’acheter. Pour payer leurs dettes, ces pays usent leurs ressources jusqu’à l’extrême. Ainsi, notre progrès se fait au détriment de leurs ressources.

Que peut-on faire ?

On peut modifier le cours des choses en inventant une politique planétaire. Il faudra des « ingérences écologistes ». Un organisme spécifique devra veiller à la bonne gestion planétaire des ressources en tenant compte du respect des cultures et des patrimoines traditionnels. II faudra mettre en place un « écodéveloppement », donner la priorité aux biens immatériels, comme l’environnement, les coopérations et les solidarités.

Dans les pays riches il faudra changer de langage et de sensibilité en mettant un terme au « Darwinisme social », idée que le monde naturel et social fonctionne à partir de luttes qui sont engagées entre différentes fractions de l’opinion. Pour cela, il faut une prise de conscience de l’opinion publique ainsi qu’une volonté politique.

Jean-Marie Pelt conclut en citant Macmillan, écologiste américain du début du siècle, qui s’occupait de la sauvegarde des condors : « Il faut sauver les condors, non pas seulement parce que nous en avons besoin dans les grands équilibres écologistes, mais parce que pour les sauver, il faut développer les qualités humaines qui seront nécessaires pour nous sauver nous-mémes ».

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ANNEXE

OUVRAGES PUBLIES

Les Médicaments
Coll. Microcosme
Ed. du Seuil (1969)
Evolution et Sexualité des Plantes Ed. Horizons de France (1970) Réedition 1975
Drogues et Plantes magiques Ed. Horizons de France (1971)
Ed. Fayard (1983)
L’Homme Re-Naturé
Grand Prix des Lectrices de ELLE
Prix Européen d’Ecologie
Ed. du Seuil (1977)
Les Drogues : leur Histoire, leurs Effets Ed. Doin (1979)

Les Plantes : Amours et Civilisations Végétales

Ed. Fayard (1980)
Réédition 1981
La Médecine par les Plantes Ed. Fayard (1981)
Réédition 1986
La Prodigieuse Aventure des Plantes Coauteur J.P. Cuny Ed. Fayard (1981)
Réédition 1986
La Vie Sociale des Plantes Ed. Fayard (1984)
Réédition 1986
Mes Plus Belles Histoires de Plantes Ed. Fayard (1986)
Le Piéton de Metz
Photographies de Christian Legay
Ed. Balland et
Ed. Serpenoise (1988)
Fétes, Fleurs et Saisons Ed. Fayard (1988)
le Tour du Monde d’un Ecologiste Ed. Fayard (1990)
Au Fond de mon Jardin Ed. Fayard (1992)
Des Légumes Ed. Fayard (1993)

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