LES CHRETIENS DU LIBAN, histoire et perspectives d’avenir

Thème : ECONOMIE – SOCIETE                                                                                                                                                    Mardi 5 février 2008

Les chrétiens du Liban, histoire et perspectives d’avenir

Par le Docteur Georges Hage

Le Liban est un petit pays du Moyen-Orient, pas plus grand que deux départements français, bordé par la mer Méditerranée à l’ouest, la Syrie au nord et à l’est, et Israël au sud. Sa population de 4,5 millions d’habitants (dont 1,5 millions à Beyrouth et ses environs) forme une mosaïque socioculturelle rare. Pas moins de dix-huit confessions cohabitent. Chez les chrétiens, les maronites sont majoritaires (750 000) devant les grecs-orthodoxes, les grecs-catholiques et les arméniens-orthodoxes. La diaspora libanaise est très importante. On estime que davantage de Libanais vivent à l’étranger que dans leur pays, notamment parmi les chrétiens (1 million de maronites). La communauté chrétienne du Liban est, proportionnellement, la plus importante du Moyen-Orient (36,8% de la population).

Le dernier recensement officiel de la population libanaise a eu lieu en 1932, sous mandat français. La question est si sensible qu’aucun autre recensement n’a été organisé depuis. A l’époque, sur 800 000 habitants, les chrétiens représentaient 51,3% de la population contre 48,8% de musulmans. En 1975, une estimation du ministère de Justice donnait 50/50. Avant 1989/1990 (conflit fratricide entre chrétiens), la part de chrétiens était tombée, selon le mouvement chiite Amal, à 41,2%. Après les affrontements de 1990, une estimation indépendante donnait les chrétiens aux alentours de 36,5% de la population (dont 22,5% de maronites, contre 63,5% de musulmans (dont 29% de chiites, 27% de sunnites). En soixante-quinze ans, on a donc assisté à un net recul du monde chrétien au Liban. Parmi les détenteurs de la nationalité libanaise vivant à l’étranger (2,7 millions de Libanais), les deux tiers d’entre eux sont chrétiens. Mais les musulmans refusent de prendre en compte ces Libanais de l’étranger.

Des siècles de persécutions

Trois thèses s’affrontent concernant les origines du peuple libanais. La première veut que les Libanais soient d’origine phénicienne pure. La deuxième, soutenue par les musulmans, estime au contraire que toute descendance phénicienne a été éliminée par la conquête arabe et que les Libanais d’aujourd’hui sont des arabes. La troisième thèse, qui est celle que je défends, prétend que, bien que n’étant plus des descendants directs des Phéniciens, les Libanais  ne sont pas pour autant arabes.

Après l’Antiquité, la région trouve une unité grâce à trois phénomènes fondamentaux : la civilisation hellénique, la civilisation romaine et la civilisation chrétienne (Saint Paul aurait parcouru le pays en 57-58 et trouvé les premières communautés chrétiennes, à Tyr). Des évêques libanais étaient présents dès les premiers conciles. Le christianisme libanais est composite. On y trouve à la fois des éléments hellénisés des cités littorales, des membres de la population  ainsi que les montagnards, appelés « mardaîtes », qui seront les ancêtres des maronites.

En 642, la région est totalement occupée par les armées islamiques. Les chrétiens d’orient (25 millions de personnes environ) doivent faire un choix : renoncer à leur foi et adhérer à l’islam ; rester chrétien mais en reconnaissant le pouvoir établi, payer un lourd tribu (le « jaziyat ») et devenir un citoyen de deuxième zone ; ou refuser la soumission et poursuivre la lutte. Ces résistants se réfugient dans les montagnes de Mésopotamie, de Syrie et du Liban. Les maronites, partis de Syrie du Nord pour retrouver leurs frères araméens phéniciens, constituent le groupe le plus important. Ils donnent naissance à un foyer national chrétien au Mont-Liban, qui sera violemment combattu par les musulmans pendant toute l’Histoire. En 1075, l’arrivée des Croisés donne une vigueur nouvelle aux chrétiens, qui sont initiés au latin, à l’italien et au français. Mais, dès 1291 et le retrait des Croisés, ils subissent un déchaînement de violence des musulmans.

Au moment de l’occupation des Ottomans, qui restent quatre siècles dans la région (1516-1918), les chrétiens changent de stratégie. Ils se rassemblent autour d’un émir druze (branche hétérodoxe et minoritaire de l’islam), Fakhreddine II Maan. Bienveillant vis-à-vis des chrétiens, cet émir leur accorde un statut dérogatoire aux règles islamiques. En retour, les maronites l’aident à moderniser l’Etat, avec l’appui diplomatique de l’Europe. C’est au Liban qu’est installée la toute première imprimerie du Moyen-Orient, dans le monastère maronite de Qozhaya.

Le soutien des Européens

Dans les siècles qui suivent, les relations entre les chrétiens du Liban et l’Europe, et plus particulièrement la France, se renforcent. Le Liban dispose de lettres de protection de la France sous les règnes de Louis XIV (qu’il considère comme « une petite citadelle française ») et Louis XV. Un transfert des valeurs culturelles vers les langues occidentales chrétiennes, notamment le français, adopté au XIXe siècle par les chrétiens du Liban, s’opère peu à peu. Mais les Ottomans acceptent mal de voir ce petit émirat prendre de plus en plus son indépendance, du fait d’une poussée démographique des maronites, de la christianisation de certains émirs druzes, et du développement d’idées révolutionnaires et nationalistes chez les paysans chrétiens. L’émirat est donc démantelé. De 1842 à 1861, le Mont Liban est divisé en deux Caimacat (préfecture) : le caimacat nord (chrétien) et le caimacat sud (druzes et un tiers de la population chrétienne). En 1860, une guerre déclenchée par les druzes provoque la mort de 22 000 chrétiens, la destruction de 360 villages et 560 églises. Un corps expéditionnaire français est envoyé sur place. Un nouvelle entité, plus autonome et moins vulnérable, est créée, le Moutassarifiah. Ce  « Petit Liban » constitué autour du Mont-Liban est peuplé à 90% de chrétiens. Jusqu’en 1914, cette région connaît une période d’épanouissement et d’harmonie, avec notamment l’ouverture de nombreuses écoles et universités.

Les Turcs, furieux de cette province imposée par l’Occident, harcèlent le jeune pays. En 1914, quand la guerre éclate, ils abrogent l’autonomie et répriment les chrétiens. Quand l’Empire Ottoman est démantelé, le Liban est placé (avec la Syrie) sous mandat français. En 1920, le congrès syrien proclame l’indépendance de la « Grande Syrie », qui comprend le Liban. Mais les accords « Sykes-Picot », entre Britanniques et Français, avaient déjà partagé la région en deux zones d’influence. Le roi Fayçal, battu par les troupes du général Gouraud, est contraint à l’exil. Cet échec ne sera jamais accepté par les Syriens, qui continuent de considérer le Liban comme faisant partie de la « Grande Syrie ». Le 1er septembre 1920, le général Gouraud proclame la naissance du « Grand Liban » qui regroupe le Mont-Liban et quatre territoires périphériques à forte population musulmane, ce qui aura pour effet, à terme, de déséquilibrer les rapports de force. Dès 1925, les musulmans émettent des réserves sur la pérennité de la séparation d’avec la Syrie. Depuis lors, le Liban vit  une suite de crises et de confrontations.

Un fragile pacte national

En 1943, une partie des élites sunnites se convertit à l’idée d’un Liban indépendant et accepte de renoncer à la « Grande Syrie » si les maronites ne réclament plus la protection de la France. Un pacte national, fondé sur des critères confessionnels, est conclu et le Liban obtient son indépendance. La constitution de la République précise que le Liban doit être présidé par un chrétien maronite, qu’un musulman chiite préside le parlement, et qu’un musulman sunnite dirige le gouvernement. Le Liban est le seul régime démocratique du Moyen-Orient arabe. La liberté d’expression et le pluralisme y sont exemplaires.

A chaque soubresaut du Liban, les sunnites mettent en doute le pacte national, préférant leurs co-religionnaires islamiques et le panarabisme de Nasser à la nation.  Ainsi, en 1969, quand l’OLP d’Arafat cherche à créer un mini-Etat dans l’Etat libanais et que des échauffourées éclatent contre les forces armées régulières, les sunnites s’opposent à l’intervention de l’armée. En 1975, la guerre civile éclate. Pour les chrétiens du Liban, il s’agit de lutter contre les interventions extérieures, qu’elles soient palestinienne puis syrienne. Deux conceptions politiques s’affrontent : le « libanisme » pour les chrétiens, l’arabisme pour les musulmans. Sous couvert de médiation entre les communautés, la Syrie s’introduit à nouveau au Liban. Pour que sa présence apparaisse comme indispensable à la paix, elle utilise la tactique du balancier entre les factions. Evincée après l’assassinat du Président Béchir Gemayel par un membre du parti national syrien et les accords avec Israël qui s’ensuivirent, la Syrie saura revenir dans le jeu à la fin des années 80. Et exercer une tutelle sur le Liban jusqu’en 2005. La fin de la guerre civile marque l’éclatement de la communauté chrétienne, partagée entre partisans du général Aoun, commandant en chef de l’armée, et ceux de Samir Geagea, chef des Forces Libanaises.

Aujourd’hui, les maronites voudraient affirmer leur identité et vivre sans complexe. Il faudrait pour cela trouver un système stable permettant aux communautés de coexister, sans risque pour les chrétiens de disparaître à long terme. Ce ne sera pas facile. Les chrétiens sont toujours divisés. Une partie pense qu’il faut s’allier aux chiites, l’autre aux sunnites. Le général Aoun fait partie de ces derniers. Cherchant à pactiser avec le Hezbollah, il est devenu un allié des Syriens et est considéré par de nombreux chrétiens comme un traître. De plus, les chrétiens sont victimes de la paralysie économique du pays, leurs jeunes cadres sont visés par des attentats, ils subissent le spectre d’une nouvelle guerre civile, et craignent de devenir une monnaie d’échange pour la stabilité de la région. D’où un exode à son paroxysme.

Il est donc urgent de faire appliquer les résolutions 1559 et 1701 du Conseil de Sécurité. Les zones contrôlées par des factions (Hezbollah) et qui gangrènent les institutions officielles doivent disparaître. Le contrôle de la frontière avec la Syrie, qui est devenue une vraie passoire, doit être renforcé. Nous espérons que le Liban sera placé sous protection d’un mandat international de l’ONU, comme ce fut le cas pour le Kosovo. Pour en finir avec le Liban comme théâtre des conflits du Moyen-Orient, nous voulons un Etat fédéral ou confédéral aux bases stables, sur le modèle du pacte national, à l’instar de la Confédération Helvétique. Cette organisation permettrait d’éliminer tout spectre de conflit intercommunautaire.

En savoir plus …

Coté livres :

Une certaine vision du Liban

Auteur : Michel Aoun

Éditeur : Fayard

ISBN-10: 2213632146

http://www.amazon.fr/Une-certaine-vision-du-Liban/dp/2213632146

Le grand retournement : Bagdad-Beyrouth

Auteur : Richard Labévière

Editeur: Seuil

ISBN-10: 2020884062

http://www.amazon.fr/grand-retournement-Bagdad-Beyrouth-Richard-Lab%C3%A9vi%C3%A8re/dp/2020884062/ref=pd_sim_b_img_1

La Bande Dessinée au Liban – Illustration de la vitalité de la francophonie libanaise

http://www.libanvision.com/BD-liban.htm

Coté Web :

http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/asie/liban.htm

http://www.voxdei.org/afficher_info.php?id=17798.2

http://www.oeuvre-orient.fr/article.php3?id_article=235

http://www.lefigaro.fr/international/20070806.FIG000000209_la_dangereuse_desunion_des_chretiens_du_liban.html

http://www.chartoun.com/fr/jc_villa.htm

http://blog.france2.fr/Liban/index.php/2006/02/07/19211-liban-rapprochement-spectaculaire-entre-le-general-aoun-et-le-hezbollah

http://www.un-echo-israel.net/article.php3?id_article=2840

http://www.nuitdorient.com/n22a612.htm

Les Chrétiens du Liban – Un reportage de France3

http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&id_notice=2731451001013

Le mystère Hezbollah – Une vidéo de 55mn de France5 – C dans l’air – Les Docs

http://video.google.com/videoplay?docid=-1312140417688176823