Thème: ECONOMIE – SOCIETE Mardi 19 février 2013
PANORAMA DES ENERGIES MARINES RENOUVELABLES
Par Jean PEPIN-LEHALLEUR, Membre de la section « Sciences et Techniques » de l’Académie de Marine
Les énergies marines font l’objet de nombreuses déclarations et publications dans les médias suscitant beaucoup d’enthousiasme et d’espoir depuis la publication du « Livre bleu des engagements du grenelle de la mer » (juillet 2009). Les enjeux sont importants et le sujet est d’actualité, c’est pourquoi la conférence de Mr Pépin Lehalleur examine ici les principales technologies existantes et leur coût. Celle ci va donc passer en revue le « panorama » des ressources, des technologies, des coûts et des financements.
Des ressources considérables mais difficiles à capter
La mer constitue une source énorme d’énergie gratuite et non polluante mais très difficile à capter ! Les ressources utilisables sont, par ordre d’importance : le vent, les vagues, l’énergie thermique des mers (ETM), les courants marins et les marées. De plus, la culture d’algues particulières pouvant être transformées en hydrocarbures est en cours d’étude.
Ces ressources naturelles sont assez mal distribuées géographiquement et souvent éloignées des consommateurs. Néanmoins, on distingue qu’il y a des zones plus intéressantes que d’autres en ce qui concerne soit le vent, soit les vagues, soit les courants de marée près des cotes habitées et des zones favorables à l’ETM pour les îles tropicales. Les ressources naturelles (vents, courants, vagues, marées) étant par nature variables dans le temps, il en est de même pour l’électricité produite par les systèmes que le conférencier nous a présenter (à l’exception de l’ETM qui est quasi constante d’où son intérêt tout particulier). D’après l’IFREMER, les énergies marines récupérables en France fourniraient 3,4% de notre production nationale à l’horizon 2020, autrement dit, elles représenteraient 7,7% de l’objectif des 20 Mtep d ‘énergies renouvelables fixé par le Grenelle de l’Environnement.
Au niveau mondial, certains experts avancent les chiffres suivants pour les puissances potentielles réalisables à longue échéance (1 tranche nucléaire EPR = 1,6 GW)
– 3 500 GW pour l’éolien fixe et flottantes
– 600 GW pour l’houlo-moteur
– 75 GW pour l’hydrolien et systèmes marémoteurs
– 150 GW pour l’ETM
De nombreuses technologies encore à l’étude
Les éoliennes marines vont bientôt etre présentes sur 5 sites offshore. Il faut distinguer les éoliennes fixes (fixées au fond marin), qui existent depuis 15 ans en Mer du Nord, des éoliennes marines flottantes encore en projet. Les principales avantages de ces installations sont une occurrence de vent plus favorable qu’à terre, la possibilité d’avoir de très grosses machines (5 MW minimum), une technologie mature et fiable, bénéficiant de l’expérience des éoliennes à terre, et surtout l ‘éloignement de la vue des populations !
Les éoliennes marines fixes sont montées sur des « jackets » métalliques jusqu’à 50 m d’eau environ ou sur des structures en béton pour les faibles profondeurs. Pour le système flottant futur, il faudra les remorquer tant pour l’installation que pour la maintenance, car on imagine mal une intervention sur une nacelle d’une éolienne flottante à plus de 100 m de haut à partir d’un engin lui même flottant !
En France métropolitaine le gouvernement a lancé en juiller 2011 un appel d’offres pour 5 sites offshore (3 en Manche, 2 en Atlantique) correspondant à 3 000 MW installés pour des éoliennes fixes. L’attribution des contrats est prévue pour 2015.
ETM : un projet pilote réalisé par la DCNS
Ces systèmes utilisent la différence (au moins 25°) de température entre les eaux de surface et les eaux profondes pour faire fonctionner une machine thermique dont la vapeur entraîne un turbo alternateur. Un projet pilote est en cours de réalisation par la DCNS pour la Réunion avec un objectif d’installation de 1,5 MW en 2014. Un projet est en cours d’études aux États Unis. Mais il est bon de rappeler que les premiers pilotes avaient été réalisés à Cuba puis pour le Brésil en 1930 et 1935 !
Hydroliennes : plus de 100 projets dans le monde
Ces machines utilisent les courants marins, essentiellement les courants de marée qui doivent atteindre au moins 2 mètres / seconde. Il y a plus de 100 projets ou types d’hydroliennes dans le monde à des stades de développement variables. EDF a récemment installé (octobre 2011) une première turbine de 0,5 MW au large de Bréhat dans 30 m d’eau ; trois autres machines y seront prochainement installées.
Ces hydroliennes peuvent être posées sur le fond ou placées entre deux eaux, ou encore rester flottantes. La plupart des concepts sont basés sur une turbine sous-marine entraînant un générateur électrique ; d’autres concepts proposent des rotors verticaux ou horizontaux ou des pales battantes.
Les divers concepts ont des avantages et inconvénients relatifs: de nombreux concepts mettent en avant le fait que les machines posées sur le fond sont invisibles de la côte. D’autres concepts proposent d’avoir une partie émergente qui contient les systèmes sensibles et donc à priori plus fiables et plus facile à entretenir. L’un des enjeux des hydroliennes est leur installation et leur maintenance dans des zones où, par définition, il y a du courant fort quasi permanent.
Enfin, il faut rappeler qu’une partie importante, délicate et complexe des projets est de nature électrique : en effet, comme il a été dit plus haut , l ‘énergie disponible et donc l’électricité produite par les systèmes (éoliennes, hydroliennes, houlo-moteurs) est variable dans le temps.
Bassins à marées : le barrage de la Rance toujours fondateur
Les installations du barrage de la Rance (250 MW) utilisant les fortes marées locales font partie également des énergies marines renouvelables. Un projet en Corée (254 MW) est en cours de réalisation et il y en a d’autres en gestion (Canada, Grande Bretagne…)
Systèmes houlo-moteurs : de nombreux concepts à l’étude
Le conférencier propose un néologisme pour ces systèmes : les « houliennes » ! Il y a en effet de très nombreux concepts comme pour les hydroliennes, mais cette fois ci c’est l’ énergie de la houle qu’on essaye de récupérer.
Certains concepts proposent des flotteurs en surface, articulés entre eux et dont le mouvement relatif entraîne des pistons pompant un fluide hydraulique qui fait tourner un générateur électrique embarqué. D’autres concepts sont basés sur des flotteurs en surface, articulés entre eux et dont le mouvement relatif entraîne des pistons pompant un fluide hydraulique qui fait tourner un générateur électrique embarqué.
Un autre concept est basé sur un flotteur en deux parties cylindriques superposées, un flottant et l’autre immergé; le mouvement relatif permet alors de générer de l’énergie.
D’autres concepts encore sont basés sur les volets ou flotteurs sphériques sous marins (choix d’EDF pour un prototype à la Réunion) qui, par leurs mouvements dûs aux vagues, déplacent des pistons pompant de l’eau de mer vers une turbine installée sur la côte.
Enfin, plusieurs concepts sont basés sur le déferlement des vagues dans un bassin (fixe ou flottant) dont l’eau entraîne une turbine en retournant à la mer. La digue brise-lame du port de Mutriku en Espagne intègre un système de récupération de l’énergie des vagues d’une puissance de 350 kW : cette combinaison semble intéressante et reste une voie à poursuivre.
Sites d’essais : deux en Écosse et deux en France dans le monde
Comme expliqué précédemment, la plupart des systèmes de récupération de l’énergie en mer sont encore en gestation plus ou moins avancés et les difficultés techniques assez importantes.
Il y a déjà deux sites d’essais en Écosse : EMEC pour les hydroliennes et Wave Hub pour les « houliennes » ; en France, deux sites (Bréhat et le Croisic) sont en cours de développement. La plupart des grands pays industriels développent également des sites d’essais pour ces énergies marines renouvelables.
Un développement possible mais avec des subventions…
Toutes ces énergies nouvelles coûtent cher ! Car si la ressource est gratuite, il n’en n’est pas de même pour les équipements, leur installation, leur raccordement et leur maintenance.
En tenant compte du coût d’investissement, du facteur de charge, de la durée de vie et des coûts de maintenance, certains experts avancent les chiffres suivants pour le coût du mégawattheure :
Bien que ces chiffres soient sujets à débat, ils sont intéressants par leur valeur relative et montrent que ces nouvelles énergies ne peuvent être développées sans forte subvention : tous les pays où ces systèmes sont développés ont mis en place des systèmes de financements divers (prix garanti pour le rachat de l’électricité produite, primes ou certificats verts).
Enfin, le développement de ces systèmes, même si ils ne sont pas rentables actuellement pour la France métropolitaine, permettait aux entreprises françaises de les proposer aux pays en voie de développement (en particulier les îles) qui produisent actuellement leur électricité à partir d’énergies fossiles dont le coût est relativement élevé.
Ces énergies marines renouvelables constituent donc une nouvelle aventure technologique, dont l’intérêt écologique est évident et qui va être, n’en doutons pas, sous les feux de l’actualité lors de ces prochaines années !