Thèmes: Economie, Géopolitique, Société Conférence du mardi 16 avril 2019.
Par Madame Anne DEYSINE, professeur émérite des Universités, spécialiste des Etats-Unis.
INTRODUCTION
Les Etats-Unis sont depuis la fin de la première guerre mondiale la première puissance mondiale. Ce statut a pour conséquence que chaque décision américaine a un impact au niveau mondial. De par leur richesse et leur puissance militaire les Etats-Unis imposent leur vision du monde à tous les pays. Donald Trump n’a pas une politique très différente de celle de ses prédécesseurs bien que son isolationnisme laisse une porte ouverte à la Chine devenue depuis quelques années la deuxième puissance économique mondiale et qui cherche à accroître son influence politique, géo stratégique et culturelle au niveau mondial.
I – Le monde aujourd’hui.
A la fin de la première guerre mondiale, les Etats-Unis remplacent la Grande-Bretagne comme première puissance mondiale. Les Etats-Unis s’enrichissent et commencent à imposer leur vision du monde, ainsi par exemple à la fin de la Grande Guerre le Président Wilson veut il imposer la création de la Société Des Nations ( le traité ne sera pas ratifié) et un nouvel ordre mondial. Par ailleurs, sur le plan économique le dollar prend la place de la livre sterling comme monnaie référence.
Après la Seconde guerre mondiale la domination américaine est absolue et la richesse des Etats-Unis considérable. Dès 1947 se met en place un monde bi-polaire où deux super puissances, les Etats-Unis et l’URSS, s’opposent en tous points : démocratie contre totalitarisme, capitalisme contre collectivisme. Le monde traverse plusieurs décennies de guerre froide émaillée de quelques incidents comme la crise des missiles au Cuba ou la guerre de Corée qui est l’expression de l’opposition des deux super puissances qui s’affrontent par pays tiers interposés.
La donne mondiale change radicalement en 1991 avec l’éclatement de l’URSS qui fait suite à la chute du Mur de Berlin en 1989. Les Etats-Unis deviennent une hyper puissance, sans rival. Cette situation engendre un changement dans la politique américaine. Une des erreurs commises est le fait d’avoir délaissé la diplomatie au profit des forces armées. Puis, c’est le choc du 11 septembre 2001. Les Etats-Unis se pensaient invulnérables et ils sont touchés sur leur propre territoire avec une violence jusque-là inégalée. Les Etats-Unis ne comprennent pas la haine qu’ils suscitent à travers le monde. Sur le plan économique la domination américaine est remise en question par l’émergence des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) qui concurrencent les marchés américains. Barack Obama comprend que les Etats-Unis ne peuvent pas résoudre tous les problèmes du monde. Il s’engage à se retirer de certaines parties du monde et à « mener de derrière » (leading from behind). Donald Trump s’engouffre dans cette brèche du recul et met en avant son nationalisme.
II – La politique internationale américaine : une continuité.
Si par son style si peu conventionnel, Donald Trump surprend dans sa politique internationale, il faut toutefois souligner la continuité de la politique étrangère américaine depuis de nombreuses décennies. Tous les présidents américains, qu’ils soient démocrates ou républicains, voient les Etats-Unis comme un pays d’exception où habite le « peuple élu ». Cette conception vient directement des Pères fondateurs et du puritanisme. Les Américains sont donc convaincus que le monde doit être à leur image. Un des points essentiels de leur vision est le concept très marqué du Bien et du Mal. Le monde est partagé entre les bons et les méchants et les Etats-Unis ont pour mission de combattre ces derniers. C’est le leitmotiv de George W. Bush durant toute sa présidence et sa justification pour intervenir au Moyen-Orient. Cette interprétation très dualiste du monde apparaît de façon frappante dans les westerns avec le héros au chapeau blanc et le méchant au chapeau noir. Les Etats-Unis se définissent toujours par rapport à un opposé radical, le nazisme puis durant la guerre froide ils étaient l’opposé de l’URSS, au début du XXIe siècle celui du terrorisme/ fondamentalisme islamique et récemment de la Chine.
L’autre constante dans la politique étrangère américaine est l’alternance entre l’isolationnisme et l’interventionnisme. Dès 1823, le Président James Monroe établit une doctrine qui portera son nom et qui stipule que les Etats-Unis n’interviendront pas en Europe si les Européens partent définitivement du sol américain dans son ensemble. En effet, à cette époque les Européens étaient encore présents dans certains territoires comme Cuba (‘Espagne) et ils cherchaient à imposer leurs dirigeants comme Maximilien au Mexique. Les Américains se placent comme les leaders du continent et ils voient l’Amérique latine comme l’appendice naturel des Etats-Unis. La doctrine Monroe est la théorie de l’isolationnisme, mais pas seulement. Par opposition on trouve l’interventionnisme, théorie qu’applique Harry Truman en 1947 lorsque la Grèce et la Turquie menacent de basculer dans le communisme. Pour Truman il y avait un lien direct entre la pauvreté et la tentation du communisme ou tout régime totalitaire. On établit un lien entre richesse et démocratie. C’est précisément ce lien que refuse de voir Trump quand il décide de ne pas aider le Honduras et le Nicaragua. De nos jours cette pauvreté engendre des flux de migration très importants que les pays du Nord, dont les Etats-Unis, essayent d’endiguer par tous les moyens. La construction de murs comme le souhaite Trump à la frontière mexicaine, est la réponse de certains gouvernements nationalistes.
Enfin, dernière constante de la politique américaine, la création d’un réseau d’institutions multilatérales qui permettent de contrôler le monde ou du moins de l’influencer. Ainsi dès la fin de la seconde guerre mondiale sous l’égide des Etats-Unis sont créées les grandes organisations internationales telles que l’ONU, le FMI, l’OMC, l’OTAN… Tous les Présidents ont compris l’intérêt de ces institutions excepté Donald Trump qui cherche en permanence la négociation avec un seul interlocuteur. Trump ayant une vision comptable du monde, il ne voit pas l’intérêt de ces institutions multilatérales fondées sur des règles, qui selon lui coûtent trop cher aux Etats-Unis.
III – Le « soft power« et le « hard power« .
A la chute de l’empire soviétique, les Etats-Unis ont continué de privilégier les forces armées au détriment de la diplomatie. Ainsi, avec la montée de la lutte antiterroriste, le militaire et le renseignement ont pris une place prépondérante. Les Etats-Unis sont intervenus depuis le 11 septembre dans d’innombrables conflits particulièrement au Moyen-Orient mais aussi en Afrique. D’ailleurs, le budget militaire américain n’a cessé d’augmenter au cours du XXIe siècle. Il est passé de 329 milliards de dollars en 2002 à 610 milliards en 2017 avec un pic de 711 milliards de dollars en 2011.
Le hard power prend le pas sur le soft power. Barack Obama quant à lui a misé sur le trio diplomatie-défense-développement mais a conservé un budget militaire conséquent. L’influence de la culture américaine est aussi en baisse. A la fin du XXe siècle le monde entier rêve de porter un blue jean, de manger des hamburgers, boire un soda, voir un film hollywoodien ou assister à un concert de Mickael Jackson. Le rêve américain est présent partout dans le monde à travers de grandes compagnies comme Coca-Cola ou les super productions hollywoodiennes. Mais aussi comme la possibilité de réussir. Ce n’est plus vrai aujourd’hui avec les inégalités et la fin de la si vantée mobilité. Un élément montre bien le désintérêt des Etats-Unis pour le soft power est la suppression des fonds accordés aux ambassades pour le développement culturel. Les ambassades sont avant tout au service des sociétés américaines soit pour leur implantation soit pour leur développement travers le monde.
IV – Les changements de Trump.
Le soft power permet de résoudre des problèmes internationaux que les Etats-Unis ne peuvent régler seuls mais Trump cherche avant tout à résoudre seul et en bilatéral les crises mondiales, un bel exemple est sa manière de gérer le problème de la Corée du Nord : il pense réussir un deal avec le leader nord coréen. Dans les faits, bien souvent l’obsession de Trump pour la re-renégociation ne mène pas à de grands changements. Ainsi il a rejeté l’ALENA pour signer un nouveau contrat nommé USA-M-C qui en réalité ne présente que légères modifications par rapport à l’ALENA.
Ce désengagement des Etats-Unis dans les accords multinationaux ouvre la porte à une future domination de la Chine qui, elle, a une politique internationale agressive avec notamment son projet de nouvelle route de la soie et sa collaboration privilégiée avec la Russie. La Chine est également le leader du Traité de Shanghaï où n’ont été acceptés ni le Japon ni les Etats-Unis, et se positionne comme le grand pays défenseur du libre-échange international. Obama avait essayé de mettre en place l’accord de partenariat transpacifique connu sous son nom anglo-saxon Trans-Pacific Partnership (TPP) pour contrer le Traité de Shanghaï. Là encore Trump n’en voit pas l’utilité et désengage les Etats-Unis du TPP qui continue d’exister sous un autre nom mais qui perd de son influence du fait du départ des Etats-Unis et signale une perte d’influence des Etats-Unis. Par ailleurs, le retrait des Etats-Unis de la Convention de Paris sur l’environnement leur fait rater la mutation économique qu’implique une politique écologique dynamique. Les actes politiques de Trump favorisent la Chine et ont donc un impact mondial car la Chine est de plus en plus à même d’imposer ses normes au niveau mondial.
Les Etats-Unis sont les garants d’une certaine morale grâce à leur influence dans les institutions mondiales mais leur désintérêt sous Trump laisse présager un avenir différent. En effet, lorsque le FMI prête de l’argent à un pays il pose certaines conditions et impose un plan de réformes qui amélioreront l’économie. Ce n’est pas le cas lorsque la Chine accorde des fonds à certains pays africains par exemple. Elle ne prête que sous condition de pouvoir exploiter à son aise les ressources du pays. Ce type d’investissements favorise la dépendance des pays du Tiers-monde ainsi que la corruption. Trump en étant assez favorable aux dictatures (Russie, Arabie Saoudite…) il légitime indirectement la politique de la Chine.
Les Etats-Unis utilisent également le droit pour contrôler le monde. Par des menaces d’interdiction d’accès au marché américain, les Etats-Unis obligent les autres pays à appliquer les mêmes embargos qu’eux sur certains pays comme Cuba ou l’Iran. En droit une loi ne s’applique que sur le territoire où elle a été votée sauf si on peut établir un lien avec un pays tiers. Dans ce cas la loi s’applique aussi à ce territoire. Ainsi l’utilisation du dollar dans une transaction entre deux pays tiers ou le simple envoi d’un mail via un réseau américain suffissent à établir ce lien et donc à faire appliquer la loi. Cependant, d’autres liens peuvent être trouvés, par exemple Airbus ne peut pas vendre des avions à l’Iran car une partie des pièces des appareils sont américaines. Trump utilise des lois parfois votées bien avant son arrivée au pouvoir pour mettre en place sa politique nationaliste. Ainsi, en 1996 est votée la loi Helms-Burton qui autorise les actions en justice contre les entreprises présentes à Cuba soupçonnées de profiter de biens ayant appartenu à des ressortissants américains expropriés par Cuba dans les années 1960. En activant cette loi Trump pénalise fortement les sociétés européennes qui avaient fait d’importants investissements notamment dans le secteur touristique.
CONCLUSION
La politique internationale américaine dans ses grandes lignes n’a guère changé avec l’arrivée de Trump qui est dans l’application de la doctrine Monroe. Cependant cette tendance à l’isolationnisme a des conséquences mondiales notamment en laissant place à la Chine qui mise énormément sur le soft power pour conquérir le monde.
Tant que le marché américain restera vital pour les pays industrialisés notamment les pays européens, une politique européenne commune sera impossible, pourtant c’est la seule solution pour contrer la toute puissance américaine et pouvoir commercer vraiment librement.
Bibliographie :
« Les Etats-Unis aujourd’hui » par Anne Deysine, Edition La Documentation Française
« Les Etats-Unis, une nouvelle donne » par Anne Deysine, Edition La Documentation Française
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Un commentaire
JEAN MICHEL BUCHOUD
Apr 13, 2020
La crise sanitaire de ce printemps 2020 due au coronavirus et la crise économique à venir qui lui est liée font apparaître des positions et des décisions différentes suivant les Etats ou les groupes d'Etats. Je joins ici un extrait d'un essai paru dans un revue de la Défense Nationale sur ce sujet qui me semble apparaître comme une suite logique aux réflexions de Madame Deysine. Début de citation "Covid-19 : une crise majeure et globale, trente ans après la chute du Mur Cyrille Schott Préfet honoraire de région, ancien directeur de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), membre du bureau d’EuroDéfense-France. La crise est de nature à changer la configuration géopolitique du monde La moitié de l’humanité est confinée. La crise est universelle. Tels les bouleversements majeurs dans l’histoire, elle peut changer le visage du monde. L’America First du président Trump a installé les États-Unis dans une phase défensive, de repli sur soi, qui n’exclut pas l’agressivité envers ceux jugés compétiteurs ennemis comme la Chine, ou contraires à ses intérêts comme l’Union européenne. Dans la crise, la présidence américaine considère strictement les intérêts nationaux, en excluant de proposer au reste du monde un leadership bienveillant et entraînant. L’image donnée aux opinions est celle d’un pays qui contribue à la foire d’empoigne autour des masques de protection. Telle Athènes qui, au début de la guerre du Péloponnèse qu’elle va perdre, colporte le bruit, lorsqu’elle est touchée par la peste, que les Péloponnésiens, ses ennemis, ont empoisonné les puits (4), l’Amérique de Trump ne parle que du « virus chinois ». La gestion de la pandémie par son Administration laisse craindre un choc énorme pour la population et l’économie des États-Unis. Certes, on ne peut réduire la puissance américaine, dont les ressorts et les capacités d’innovation sont considérables, à sa présidence. Il n’en demeure pas moins que la Chine, malgré les critiquables errements du début et sans qu’elle se soit révélée plus efficace que les démocraties d’Asie, semble avoir surmonté l’épidémie et pratique une diplomatie sanitaire, qui veut offrir au monde une image positive. Cette diplomatie s’appuie sur une capacité scientifique indéniable, notamment dans le domaine médical, et sur une très puissante économie, qui est en train de redémarrer et continuera à croître plus vite que l’américaine. Malgré son côté déplaisant, l’idée n’est pas à écarter qu’après cette crise à la durée incertaine, la Chine puisse s’installer sur la première marche du podium des puissances mondiales. En tout cas, il faudra compter plus que jamais avec elle. Et les Européens, au regard de l’évolution des rapports au sein du monde occidental, risquent d’être seuls dans cette nouvelle configuration. Le défi pour eux sera de parvenir à incarner la voix de l’Occident, y compris dans la puissance, ou de perdre toute influence sur le destin du monde. " Fin de citation