Thèmes: Civilisation, Géographie, Voyages Conférence du mardi 11 avril 2023
DANS LES BRAS DE LA VOLGA : UNE AVENTURE RUSSE
Par Monsieur Adrien CLÉMENCEAU, guide-interprète, kayakiste et auteur.
INTRODUCTION
La Russie et la Volga ont fasciné bien des auteurs dont Jules Verne et Alexandre Dumas qui ont transcrit leurs impressions et sentiments dans des ouvrages tels que Michel Strogoff ou Voyage en Russie. Ces récits ont influencé Adrien Clémenceau qui décide d’entreprendre une descente en kayak sur la Volga, de sa source dans les collines de Valdaï jusqu’à son delta dans la mer Caspienne.
Ce long périple de 82 jours (du 26 août au 15 novembre 2019) sur plus de 3 600 kilomètres sera riche en découvertes et surtout en rencontres humaines.
I – Pourquoi la Russie et la Volga ?
Adrien Clémenceau est né en 1988 à Angers sur les bords de Loire où il pratique le kayak. Adolescent il lit les l’œuvres de Jules Verne. Michel Strogoff transporte Adrien dans les lointaines contrées de Russie. En 2014 une exposition du photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski au musée Zadkine à Paris portant sur l’Empire russe de Nicolas II sera aussi une source d’inspiration.
En 2007, à 19 ans, Adrien Clémenceau vit sa première expérience avec la nature en allant construire un parc accrobranche en Lettonie. L’hiver venu, le travail cesse et ses collègues lettons lui font traverser la frontière russe et l’emmènent en vacances jusqu’au nord du Caucase. Fasciné mais conscient de ne pas avoir vécu pleinement l’aventure à cause de la barrière de la langue, il décide de rentrer en France, reprendre ses études dans le secteur touristique et suivre des cours de russe. Son professeur, Monsieur Francis Moncaubeig, est un colonel de l’armée française à la retraite ayant vécu en des pays de l’ex-URSS. Cette descente de la Volga sera le moyen de concilier trois passions : la culture russe, le kayak et l’aventure dans la nature.
Le projet d’un voyage en kayak s’ébauche mais les contacts sur place sont rares. Les témoignages sont quasi inexistants du fait que presque personne n’a réalisé cette aventure. On peut rappeler que la Volga est longue de 3600 kilomètres, peut atteindre une largeur de 17 kilomètres et ne comporte pas moins de 9 barrages hydroélectriques. Le défi est de taille. Finalement grâce à Internet Adrien Clémenceau entre en contact avec Kirill Aristov un jeune russe qui avait parcouru le fleuve partiellement. Ce dernier aide le jeune français à obtenir un visa de trois mois afin de réaliser son expédition.
Le voyage commence le 26 août 2019 avec un kayak pliant, du matériel pour camper et quelques victuailles.
II – La Volga.
La Volga est le troisième fleuve russe par la taille mais le premier par l’histoire. En effet, le long du fleuve on trouve de nombreuses villes historiques comme Kazan, Nijni Novgorod, Volgograd fondée en 1590, ville héroïque lors de la Seconde Guerre mondiale lorsqu’elle se nommait Stalingrad. Tout comme Simbirsk fondée en 1589 aujourd’hui Oulianovsk, ville natale de Lénine.
Le long de la Volga on trouve une véritable mosaïque de peuples slaves et non slaves comme les Maris, de langue finno-ougrienne, dans la République du Mari-El ou des groupes turcs notamment les Tchouvaches, en république de Tchouvachie, et les Tatars, en république du Tatarstan, établis sur la partie haute du cours. Dans la partie basse de la Volga se sont même installés des Kalmouks, de confession bouddhiste tibétaine, venus des steppes mongoles. Enfin au temps de Catherine II, de nombreux Allemands se sont installés dans la région de la Volga, l’impératrice souhaitant occuper les vastes terres du sud de la Volga. Pendant la Seconde Guerre mondiale craignant des actes de collaboration avec l’armée nazie, Staline déporte de force des familles entières de cette population des Allemand de la Volga vers la Sibérie et le Kazakhstan. La grande majorité d’entre elles ne reviendra jamais vivre sur les bords de la Volga.
Cette mixité des peuples va de pair avec une grande diversité de religions (Chrétiens, principalement Orthodoxes, Musulmans, Bouddhistes), de langues et de coutumes. La richesse culturelle des rives de la Volga est fascinante et donnera lieu à des rencontres inoubliables.
III – Le voyage.
L’aventure commence à la source de la Volga dans les collines de Valdaï dans le hameau de Volgoverkhove, à 400 kilomètres au nord-ouest de Moscou. Les collines de Valdaï sont très boisées et difficiles d’accès car les routes sont rares et mal entretenues. La source n’est qu’à une altitude inférieure à 300 mètres, dans une zone marécageuse, l’écoulement se fait donc lentement. Une chapelle en bois typiquement russe est construite juste au-dessus de la source. La chapelle Saint-Nicolas donne une sacralisation au fleuve. Les Russes ont une affection particulière pour la Volga qu’ils appellent « Matouchka », ce qui signifie petite-mère en russe. Près de la source, on trouve d’ailleurs une inscription expliquant cet aspect nourricier du cours. On a de nos jours quelques clichés anciens de ce lieu grâce à Sergueï Prokoudine-Gorski (1863-1944) qui sous le règne de Nicolas II fera des milliers de clichés de l’Empire.
A 15 kilomètres de sa source, le fleuve devient navigable et rejoint un réseau de quatre lacs. On se retrouve dans la campagne russe avec ses maisons et églises en bois, c’est la Russie ancestrale. Au bout d’une centaine de kilomètres, on trouve un fleuve classique. Ce sont les premiers contacts avec les habitants, très hospitaliers -et peut-être un peu curieux- et offrent régulièrement des fruits et l’hébergement. Après six jours de navigation, arrivée dans la ville de Tver fondée en 1135 et qui se situe sur la route entre Moscou et Saint-Pétersbourg. L’expédition d’un Français sur la Volga intéresse les journalistes locaux qui font un article dans la presse locale ( le Tverigrad ) et le poussent à participer au marathon de la ville, se sera finalement un semi-marathon. C’est aussi à Tver qu’Adrien Clémenceau retrouve une amie russe (et son bulldog français prénommé Adrien !) qu’il avait rencontrée dans le cadre de jumelages entre les villes d’Angers, Osnabrück en Allemagne et donc Tver.
A Ouglitch un barrage datant des années 1940 – on parle du canal de la mer Blanche construit par les prisonniers de l’hydrogoulag – pose des difficultés à la navigation en kayak car s’il y a des écluses pour les gros bateaux les infrastructures ne sont pas adaptées aux petites embarcations. Il faut transporter le kayak et passer à pied sur les rives. Les riverains collaborent et aident à porter le kayak et le matériel à la main ou grâce à leurs véhicules. L’accueil est chaleureux et les habitants partagent volontiers leurs repas typiques avec leur hôte.
Le voyage reprend souvent deux kilomètres après un barrage, le kayak pouvant à nouveau être remis à l’eau. A Kaliazine on peut voir le clocher de l’église de Saint-Nicolas qui sert de phare depuis que la construction du barrage a submergé toute la petite ville. Le voyage se poursuit et au 14e jour c’est l’arrivée à Rybinsk, la ville la plus septentrionale de la Volga et ancien port de pêche à l’esturgeon. Son immense réservoir dû à la construction d’un barrage en 1950 est appelé la mer de Rybinsk. Un peu plus loin, c’est une rencontre avec des pêcheurs qui se terminera par une soirée karaoké.
Au 21ème jour de navigation c’est l’arrivée à Nijni-Novgorod avec la sensation d’être dans un lieu magique tout comme le décrit Jules Verne. Quant à Théophile Gautier il se demandait comment on pouvait vivre sans avoir vu Nijni-Novgorod. Au XIXe siècle, la ville organisait de grandes foires internationales très populaires mais sous l’ère soviétique la ville est devenue une ville interdite car elle abritait de nombreuses usines d’armement. Déjà au Moyen-Age c’était une cité fortifiée qui marquait la frontière avec les contrées reculées de l’Empire. Au fil des décennies Nijni-Novgorod devint le point de départ des avancées et conquêtes russes vers l’Est. Nijni-Novgorod est aussi le lieu de rencontre avec les kayakistes du club local de la ville. Lors de l’étape suivante, au village de Plios, Adrien rencontre un peintre qui avait descendu la Volga en voilier jusqu’à Astrakhan. Adrien Clémenceau sera hébergé dans l’atelier de ce peintre nommé Vitaly Pachenko qui partagera son expérience le long de la Volga avec son invité.
Le voyage se poursuit et à la sortie d’un méandre apparaît le monastère Makariev, totalement rénové et majestueux sur le bord du fleuve. Après la ville de Kazan qui offre de magnifiques minarets et non pas les dômes des églises orthodoxes, on trouve quelques îles au milieu du fleuve. Sur l’une d’elles, une maison isolée attire Adrien Clémenceau. La maison n’a ni électricité, ni eau courante et le seul lien avec l’extérieur est une vieille radio à piles. Le seul habitant de la maison est peu loquace mais préparera un copieux petit déjeuner à son invité français.
La navigation vers la Caspienne continue et c’est l’arrivée à Oulianovsk, ville natale de Lénine. Les habitants sont d’ailleurs très patriotiques et nostalgiques de l’époque soviétique. On trouve des décorations avec l’étoile rouge partout en ville (sculptures, bancs publics, fresques …), tout comme des drapeaux aux couleurs de la Russie. La télévision locale s’intéresse vivement au voyage du kayakiste français. On lui offre deux nuits dans un hôtel de luxe afin de l’interviewer et réaliser un reportage. Ce reportage passera dans les médias locaux mais aussi sur la télévision nationale.
Les jours suivants, arrivée au milieu des monts Jigouli, décrits par Alexandre Dumas qu’il compare à « un immense tumulus ayant la forme d’un fromage de Hollande » peut-être à cause de leur couleur orangé en automne ? Après Samara le paysage se compose de steppes et la Volga devient très large, (plus de 15 kilomètres). Ces paysages du Tatarstan donnent la sensation d’être déjà en Asie centrale, sur la rive droite du fleuve c’est l’Europe et sur la rive gauche les portes de l’Asie. Dans ces steppes au cœur desquelles on prétendait trouver de l’or, Adrien Clémenceau rencontre des villageois qui l’accueillent en jouant de l’accordéon. Cela sera une nouvelle soirée bien chaleureuse.
Au 56e jour de navigation c’est l’arrivée à Saratov où se trouvait une assez grande colonie d’Allemands arrivés lors du règne de Catherine II. Ils sont bien moins nombreux depuis la Seconde Guerre mondiale et leur déplacement forcé par Staline. Saratov est la ville de cœur de Youri Gagarine, véritable héros national, qui avait atterri dans sa capsule spatiale à seulement six kilomètres de la ville à la suite d’un problème technique lors du retour de son voyage dans l’espace.
Entre Saratov et Volgograd on traverse une vaste zone très peu peuplée sans infrastructures et où les habitants ont été laissés pour compte. En poursuivant vers le sud on arrive à Volgograd, l’ancienne Stalingrad, célèbre pour être le siège de la bataille qui marqua le tournant de la guerre 39-45. La ville abrite un imposant mausolée dédié aux victimes de la Seconde Guerre mondiale. C’est aussi dans cette région que s’étaient installés au XVIIe siècle les Kalmouks, descendants d’une tribu mongole de confession bouddhiste tibétaine qui avaient suivi vers l’ouest un khan nommé Ayuka. D’ailleurs, « kalmouk » dans la langue de ce peuple signifie « celui qui reste ».
Cap au sud pour arriver à Astrakhan dernière grande ville avant le delta de la Volga, le plus grand delta d’Europe. Ce dernier est un véritable labyrinthe où l’on rencontre de nombreux pêcheurs qui espèrent capturer des esturgeons afin d’obtenir du caviar. Le braconnage est chose courante et depuis plusieurs décennies le caviar est principalement issu d’esturgeons d’élevage et non sauvages. Adrien Clémenceau est invité à manger une soupe de poisson typique de la région et partager le quotidien de ces pêcheurs. Le delta forme un réseau très complexe et l’aide des pêcheurs pour se repérer est appréciable. Le voyage se termine ici, car pour naviguer sur la mer Caspienne il faut des autorisations spéciales.
CONCLUSION
Un long périple de plus de 3600 kilomètres et d’une durée de 82 jours dont une trentaine de nuitées chez l’habitant ont permis à Adrien Clémenceau de passer trois mois au cœur de la Russie traditionnelle et de partager le quotidien de peuples différents mais tous très hospitaliers.
Les dernières semaines du voyage ont été particulièrement éprouvantes du fait du cumul de la fatigue et de la chute des températures mais l’accueil chaleureux des habitants a permis d’aller jusqu’au bout de l’expédition.
Pour aller plus loin :
– Vidéo sur YouTube « La Volga en kayak » par Adrien Clémenceau:
– « Dans les bras de la Volga ; une aventure russe » de Adrien Clémenceau, éditions Transboréal
+ de 1000 textes des conférences du CDI sont disponibles sur le site du CDI de Garches et via le QRCode
2 commentaires
Jean-Michel Jean-Michel BUCHOUD
May 15, 2023
Conférence vivifiante, exploit sportif sans esprit de compétition, de belles rencontres vers l'Autre. Merci Adrien.
Pierre Legue
May 15, 2023
MERCI pour ce commentaire