Thème : HISTOIRE ET GEOGRAPHIE Mardi 29 novembre 2005
Par François Picard – Journaliste et voyageur
Entre avril et juillet 2004, François Picard a parcouru plus de 5 000 kilomètres à vélo entre Odessa, en Ukraine, et Tachkent, en Ouzbekistan, en passant par la Russie et le Kazakhstan. Pourquoi en vélo ? Pour aller à la rencontre des habitants, être au plus près d’eux. Ce périple a conduit à une réflexion autour de la cohabitation linguistique, religieuse, culturelle de ces peuples marqués par la domination russe.
La Crimée
La Crimée, point de départ de ce voyage, est une presqu’île située en Ukraine dont les paysages ressemblent beaucoup à la Corse. A Sébastopol, je me suis retrouvé dans une petite crique qui témoigne de l’évolution actuelle de cette région. Alors que ce lieu était autrefois un site militaire réservé à la marine soviétique, c’est aujourd’hui un lieu touristique où l’on peut se promener et se baigner. Au moment de la disparition de l’URSS, l’Ukraine s’est retrouvée avec une flotte de 600 navires de guerre qu’elle n’avait pas les moyens d’entretenir. Suite à un marchandage passé avec la Russie, celle-ci contrôle 80% des navires stationnés en Ukraine et d nombreux marins russes sont postés à Sébastopol. Cette ville ne se sent pas ukrainienne, comme le reste de la Crimée d’ailleurs. Ses habitants estiment que le rattachement de leur province à l’Ukraine en 1954 est un accident de l’histoire, et se sentent plus proches des Russes.
Un jour, sur la route, une Lada s’arrête à mon niveau. Après quelques minutes, le conducteur m’invite à passer l’après-midi avec sa famille. Ce sont des Tatars de Crimée qui sont revenus dans leur région d’origine depuis quinze ans. Persécutés par les Russes depuis le XVIIIe siècle, les Tatars s’étaient rangés du côté des Allemands durant la Seconde Guerre Mondiale. Pour les punir de cette trahison, Staline envoya des dizaines de milliers d’entre eux en exil au Kazakhstan et en Ouzbekistan. Les Tatars exilés n’ont eu le droit de revenir en Crimée qu’à partir de la fin des années 80 et cette famille a fait partie de cette vague de retours. Le gouvernement central ukrainien est ravi du retour des Tatars car cela lui permet de rappeler aux Russes de la Crimée n’est pas russe.
Tout semble bien se passer au quotidien entre les populations russe et tatar. Il faut aussi constater que les Tatars ont perdu une partie de leur culture et qu’ils vivent désormais comme des Russes, tant au niveau de l’habitat que de la langue ou des vêtements.
Russie et Kalmoukie
En passant en Russie, j’ai changé d’échelle. Je me suis retrouvé tout au sud d’un pays immense, et cela s’est immédiatement ressenti. J’ai roulé des dizaines de kilomètres sans traverser de ville ou de village. Je devais parcourir 500 km en cinq jours pour retrouver une amie à Volgograd qui devait m’accompagner par la suite sur quelques étapes. Ce parcours entre Rostov-sur-le-Don et Volgograd a été très éprouvant. De plus, les Russes se montraient peu accueillants, peu liants, même si je faisais parfois de belles rencontres, comme cette dame qui m’a raconté sa vie pendant une soirée. Plus régulièrement, je finissais par dormir dans le jardin de l’alcoolique du quartier car personne d’autre ne voulait de moi.
En raison de leur domination locale, les Russes ne comprennent pas qu’on ne parle pas leur langue et font peu d’efforts en ce sens. Heureusement, dans mon esprit, l’apprentissage d’une langue faisait intégralement partie du voyage et il était très agréable de constater mes progrès au quotidien. Je comprenais le russe de mieux en mieux et arrivais à me faire comprendre plus facilement.
En quittant Volgograd, le paysage change radicalement. On entre dans la steppe, un désert d’herbe où il n’y a rien. Le long de cette route, on arrive en Kalmoukie, une république autonome de la Fédération de Russie, sans qu’aucune frontière naturelle ne vienne marquer ce passage. Le décor reste désespérément le même. En revanche, la population est, elle, différente. Tout d’abord, les Kalmouks ont les yeux bridés. Ce peuple descend des Mongols qui sont arrivés dans cette région au XVIIe siècle pour trouver de nouveaux paturages pour leurs troupeaux. Les Kalmouks sont bouddhistes – il est d’ailleurs surprenant de voir de tels temples dans cette Russie orthodoxe – mais pratiquent très peu. Leurs temples sont vides.
Les peuples de l’ex-URSS ont un commun de ne pas associer la divinité supérieure à laquelle ils croient à une religion particulière. Etant peu pratiquants, ils ne s’opposent pas pour des questions religieuses. Je pense que c’est une des raisons qui font que ces peuples cohabitent harmonieusement les uns avec les autres, comme c’est le cas des Kalmouks et des Russes. En Kalmoukie, on assiste à un vrai métissage au sein de la population. Tout comme les Tatars, les Kalmouks vivent à la russe et ont perdu beaucoup de leur culture d’origine.
Le Kazakhstan et l’Ouzbekistan
Le Kazakhstan est cinq fois plus grand que la France. Le parcours était très éprouvant. De longues routes monotones en très mauvais état. Alors que je n’avais, jusque là, connu aucun souci technique, je crevais tous les jours. A Atyraon, ville très riche en raison du pétrole, j’ai traversé le fleuve Oural et suis entré en Asie. Il m’a fallu attendre d’être à Aktaon pour accéder, enfin, à la mer Caspienne. Aktaon, une ville composé d’immenses alignements d’immeubles, dans des rues sans nom. Ces immeubles, qui s’apparentent à nos HLM des années 70, bénéficient d’un confort minimum (eau courante, électricité…), ce qui n’est pas forcément le cas dans les campagnes.
Cette région n’était quasiment pas peuplée lorsque les Russes sont arrivés, et c’est presque par hasard qu’elle a été attribuée dans les années 1920 aux Kazakhs. Ironie de l’Histoire, son sous-sol regorge de pétrole. En 1990, au moment de son indépendance, le Kazakhstan comptait moins de 50% de Kazakhs de souche. Les slaves (Russes, Ukrainiens, Tatars exilés) formaient l’élite. Aujourd’hui, ils en subissent le contrecoup. Les politiques locales favorisent les Kazakhs ou Ouzbeks de souche, ce qui a conduit des Russes à partir en Russie. Mais, comme Lena chez qui je restais, nombre d’entre eux sont revenus car ils ne se sentaient pas à leur place là-bas. Le Kazakhstan est leur pays, ce sont des Russes Kazakhs.
Avant d’atteindre l’Ouzbekistan, je me suis arrêté à Mouniak, qui se trouvait jadis sur les bords de la mer d’Aral. Celle-ci s’est retirée, conséquence dramatique des cultures de coton en amont. Outre ces visions de bateaux qui rouillent dans le sable, l’impact écologique se fait cruellement ressentir. Les étés sont plus chauds, les hivers plus froids ; le vent charrie constamment des volutes de poussière chargées de pesticide, ce qui entraîne une hausse de la mortalité infantile. Mouniak, qui fut une grosse ville, est devenue fantomatique.
Sur la fin du voyage j’ai emprunté l’une des routes de la soie. En Ouzbekistan se cotoient du paysages de désolation et des endroits réellement splendides, que ce soit Khiva et ses nombreux édifices, Bukkara ou Samarkand, ville mythique de la route de la soie. Grâce à ses moyens de transports et ses capacités d’hébergement, l’Ouzbekistan est un pays facile d’accès pour les touristes et je vous recommande d’y aller.
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Coté Web :
http://voyageforum.com/membres/3600km/
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