Thème : HISTOIRE ET GEOGRAPHIE Mardi 9 Janvier 2007
Par Philippe Haudrère – Professeur à l’université d’Angers – Membre de l’académie de Marine
Pourquoi une compagnie française des indes orientales ?
Depuis l’erreur d’appréciation de Christophe Colomb, qui pensait avoir débarqué en 1492 sur les côtes indiennes, on fait référence aux « Indes orientales » par opposition aux « Indes occidentales » qui se situent en Amérique. Bien que l’Inde était connue depuis longtemps des Européens, il fallut attendre 1498 pour qu’un navire portugais, commandé par Vasco de Gama, accoste pour la première fois dans un port indien, à Calicut. Cette découverte récompense les efforts menés depuis un siècle par la flotte portugaise pour trouver une voie maritime menant aux Indes orientales. Après avoir exploré méthodiquement les côtes africaines, ils avaient franchi le cap de Bonne-Espérance en 1488 – ce que les marins asiatiques n’avaient jamais réussi à faire. Dès lors, pendant près d’un siècle, les marins portugais sont les seuls à naviguer jusqu’en Inde. Ce monopole commercial fait rapidement la richesse du Portugal, qui fournit le reste de l’Europe en produits indiens.
En 1594, les Hollandais se rendent à leur tour en Asie. Pourquoi eux ? Les raisons sont d’ordre politique. La Hollande est l’une des Provinces Unies (actuels Pays-Bas) qui se sont rebellés contre la tutelle du roi d’Espagne. En représailles, Philippe II, qui est aussi le roi du Portugal, fait fermer les ports portugais aux navires hollandais venant acheter des produits asiatiques pour les revendre aux pays du Nord de l’Europe. N’appréciant pas l’organisation « étatique » du commerce à la portugaise et ayant la volonté d’organiser le marché par eux-mêmes, les Hollandais partent en Inde. Par ricochet, les Anglais décident également de se lancer dans cette bataille commerciale.
Mais les expéditions coûtent très cher. La principale difficulté pour mettre ce commerce en place est de trouver les capitaux nécessaires. Pour lever des fonds, les Hollandais créent une société par actions qui a le monopole du commerce avec l’Inde. C’est une réussite. La Compagnie des Indes hollandaise rapporte à ses actionnaires 15% de plus-value les mauvaises années et jusqu’à 40% les bonnes années. La bourse d’Amsterdam est créée dans le but unique de négocier les actions de cette compagnie. Les Britanniques ne sont pas en reste et lancenr à leur tour une compagnie des Indes.
Sur une initiative de Colbert, la Compagnie française des Indes orientales voit le jour en 1664. Les rares initiatives privées n’ont jusqu’alors pas permis d’établir un commerce durable avec l’Asie, ce qui inquiète la monarchie. Les Français restent tributaires des Hollandais pour l’approvisionnement en produits asiatiques. En constituant ce monopole, la monarchie a pour but de se doter d’un outil de commerce international tout en contribuant au développement d’une marine nationale. En outre, les Français peuvent devenir fournisseurs de leurs voisins. Mais les débuts sont difficiles. La Compagnie des Indes est une lourde machine difficile à diriger et qui doit faire face à de nombreux aléas. Ce n’est qu’à partir de 1715 que la société connaît ses premiers succès.
Une compagnie des Indes est une affaire trop importante pour que les Etats en soient absents mais le cas français est le plus fragrant. C’est la compagnie où l’Etat – le roi – a le plus de poids. Le commissaire du roi qui siège au conseil d’administration est, de fait, le vrai patron. En 1740, le roi détient à lui seul 20% des actions. Les autres grands actionnaires sont les princes et la noblesse, les banquiers (étrangers notamment), les financiers (qui manient l’argent du roi) et des particuliers (comme Voltaire, à qui ses actions rapportent 20 000 livres par an, soit le salaire annuel d’un haut fonctionnaire). Au XVIIIe siècle, la Compagnie des indes est devenue une affaire nationale.
Création du port et de la ville de Lorient
La création du port de Lorient, à partir de 1666, est essentielle pour la Compagnie. Avant qu’elle ne s’y installe, à la demande de Colbert, il n’y avait rien. Cette rade présentait l’avantage d’être bien protégée et de pouvoir y faire de la construction navale. Quatre mille à six mille travailleront ainsi à l’arsenal. Le premier vaisseau construit est « Le Soleil d’Orient ». Les habitants, qui ont pris l’habitude de se rendre à « L’orient » pour voir son avancement, donnent son nom à la nouvelle ville, qui a vu sa population passer de 6 000 à 20 000 habitants entre 1702 et 1720.
L’armement et le désarmement des navires se fait à Lorient pour éviter aux navires de remonter dans la Manche, potentiellement dangereuse. Dans un premier temps, les marchandises sont transportées par voie de terre vers Nantes et Le Havre avant que les ventes ne soient organisées sur place. Jacques Gabriel, qui dirigea la reconstruction de Rennes, conçoit l’arsenal avec une zone dédiée au commerce (magasin des ventes et hôtel des ventes notamment) et une autre réservée à la construction navale. Visuellement, les navires de commerce sont très similaires aux vaisseaux de guerre. Ils sont un peu plus larges, un peu moins longs mais contiennent surtout une immense cale en leur centre. Les marchandises ne craignant pas l’humidité sont placées au fond et recouvertes de toiles afin de protéger les produits fragiles (soieries, cotonnades…). Du poivre est répandu pour faire fuir les insectes. La cargaison d’argent pour acheter les marchandises est placée à l’arrière du navire tandis que les tonneaux d’eau douce sont placés à l’avant.
Les routes navales vers l’Inde
Pour profiter de la mousson dans l’Océan Indien, les navires doivent arriver sur zone vers le mois de mars. Il faut donc quitter Lorient en novembre-décembre, ce qui n’est pas la période la plus favorable pour traverser le Golfe de Gascogne. Passé l’équateur, la route se rapproche des côtes du Brésil, la navigation le long des côtes africaines étant beaucoup plus délicate. Les vents d’ouest permettent ensuite de prendre une voie directe vers le cap de Bonne-Espérance.
Après quatre mois de navigation, les navires font escale au Cap, ce qui permet aux marins de manger enfin des produits frais et éviter d’attraper le scorbut. Dans l’océan Indien, plusieurs routes coexistent. Le plus souvent, les navires remontent le canal de Mozambique et longent les côtes jusqu’en Inde. Les Hollandais, eux, préfèrent profiter des grands vents d’ouest pour partir au large et remonter plein nord vers l’Inde. Les Français passent par les Mascareignes. Après avoir tenté de s’installer, sans succès, à Madagascar, ils s’implantent sur l’île Bourbon – actuelle Réunion – puis sur l’île de France – actuelle Maurice. Ce site bénéficie d’un port remarquable (Port-Louis) que les Français aménageront et équiperont. Outre le ravitaillement, ce port d’escale présente l’avantage de pouvoir y réparer les navires grâce à un arsenal créé dans les années 1740. Il s’agit de la troisième base navale européenne dans l’océan Indien après Bombay (Grande-Bretagne) et Batavia (Hollande).
Pour le retour, les navires doivent absolument franchir le cap de Bonne-Espérance avant le début de l’hiver austral (fin mars), le passage étant impraticable par la suite. Les navires étant partis depuis dix-huit mois avant de revenir dans l’Atlantique nord, une halte sur l’île de l’Ascension s’impose pour récupérer des nouvelles du pays, déposées dans une grotte. Le commandement peut ainsi savoir quoi faire si un conflit est déclenché entre puissances européennes. Partis en novembre vers l’Asie, les navires revenaient en France environ vingt mois plus tard, à l’été.
Les comptoirs
Situé sur le golfe du Bengale, Pondichéry devient la tête de pont des intérêts commerciaux français en Inde. Achevé en 1710, ce comptoir est l’une des plus belle construction européenne en Asie. Entièrement fortifié, il a subi plusieurs sièges jusqu’en 1761 et la défaite contre les Anglais. La « ville blanche » (européenne), au bord de mer, comptait 4 000 habitants tandis que la « ville noire » (indienne) en comptait 100 000. Son activité portuaire était liée au coton, acheté aux alentours.
Chandernagor, situé sur les rives du Gange à proximité de Calcutta, est le comptoir français le plus actif et le plus riche. Avantage, les marchandises sont apportées par le fleuve mais cela implique que navires empruntent également le Gange à contre-courant. Des pilotes spécialisés doivent alors manœuvrer le bateau pour q’ils arrive à bon port.
Mahé se trouve sur la côte ouest de l’Inde. Il s’agit plutôt d’un entrepôt permettant de stocker les marchandises locales et d’y acheter du poivre.
Avec une part commerciale de 20% avec l’Asie, la Compagnie française des Indes se situait derrière la compagnie hollandaise (50% du commerce) et la compagnie britannique (30%). Néanmoins, au XVIIIe siècle, les Français ont fait régulièrement jeu égal avec les Anglais. Pour protéger leurs positions et bloquer l’avancée française, ces derniers n’ont pas hésité à recourir à la force, provoquant notamment la guerre de Sept ans. La défaite française provoqua l’arrêt du déploiement de la France en Asie. Malgré tout, Pondichéry restera prospère tout au long du XIXe siècle.
La Compagnie française des Indes orientales fut suspendue en 1769. Une nouvelle compagnie vit le jour après la guerre d’Indépendance des Etats-Unis mais perdit rapidement ses prérogatives. En 1790, l’Assemblée révolutionnaire décréta que le commerce vers l’Asie était ouvert à tous, et la Compagnie perdit son monopole. En 1795, elle fut définitivement liquidée.
En savoir plus …
Coté livres :
Les compagnies des Indes orientales. Trois siècles de rencontre entre Orientaux et Occidentaux (1600-1858)
Auteur : Philippe Haudrère
Éditions : Desjonquères
ISBN-10: 2843210836
http://www.amazon.fr/Compagnies-Indes-orientales-rencontre-Occidentaux/dp/2843210836
L’Inde
Auteur : Solange Thiney-Duvoy
Éditeur : Bachari
ISBN : 978-2-913678-35-4
http://www.passiondulivre.com/livre-45671-l-inde-en-france.htm
Coté Web :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Compagnie_fran%C3%A7aise_des_Indes_orientales
http://www.histoire-genealogie.com/spip.php?article675
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