Thème : HISTOIRE ET GEOGRAPHIE Mardi 4 décembre 2004
La légende napoléonienne
Par Mme Corpet-Nourry – Diplômée de l’Ecole du Louvre
Le talent le plus méconnu de Napoléon est celui d’avoir été le créateur de sa propre légende. Dès ses premiers succès, ce jeune général comprend l’intérêt à communiquer auprès de la population et il fait en sorte de surveiller ce qui s’écrit sur lui dans les gazettes. On le présente comme un chef exceptionnel qui porte aux nues ses soldats, qui sait tout, qui voit tout. Très vite, la population sera conditionnée en sa faveur.
Le journaliste Bonaparte fonde la légende du chef de guerre Napoléon dès la campagne d’Italie. A son retour, il convoque des artistes pour représenter ses faits d’armes. Les tableaux le présentent comme le symbole de l’énergie, du dynamisme. « Le Pont d’Arcole » le montre le regard autoritaire, la bouche sévère : toute l’image du chef forçant la victoire.
La campagne d’Egypte, un fiasco militaire mais une communication réussie
Pour ne pas compromettre sa popularité naissante, Napoléon choisit de s’éloigner de Paris. Il monte la campagne d’Egypte avec Talleyrand pour bloquer la route des Indes aux Anglais. Parallèlement à la campagne militaire – qui sera un échec – Napoléon monte une « campagne de communication » pour imposer l’image du héros pacificateur. Il fonde des journaux au Caire vantant ses exploits et ceux de ses troupes. Ces bulletins sont ensuite envoyés à Paris. Des tableaux le représentent devant la grande pyramide et devant la mosquée de Caire avec ses ennemis prostrés devant lui.
Pour couper court aux attaques de la presse britannique stigmatisant le massacre de trois mille mamelouks lors de la campagne de Syrie, Napoléon se fait représenter par Gros comme le sauveur, le rédempteur, celui qui guérit les blessés par simple apposition de la main.
Nommé premier consul, Napoléon Bonaparte lance une propagande très active pour montrer que la deuxième campagne d’Italie s’inscrit dans la tradition glorieuse de la première. Le peintre David le représente, épique, sur son destrier blanc, avec une nette référence à Hannibal et Charlemagne. A Vienne, Beethoven considère que Bonaparte est le pacificateur de l’Europe et lui dédiera sa symphonie héroïque, avant de le renier après son couronnement.
Le sacre de Napoléon
En 1804, Napoléon devient Empereur des Français. Dès lors, tout sera contrôlé pour son image et sa gloire. Les journaux sont asservis à la légende de Napoléon. Le moindre anniversaire d’une victoire passée fera l’objet de grandioses célébrations. Pour le tableau « Le Sacre de Napoléon » de David, l’empereur choisit de faire figurer le moment où il couronne Joséphine et où il tourne le dos au pape pour bien signifier qu’il tient le pouvoir de lui-même. Le luxe de cette scène annonce un pouvoir fort et un pays prospère. Cette œuvre entend clairement affirmer un propos politique au reste du monde. La seconde toile de David consacrant le sacre montre Napoléon à l’Ecole Militaire face à ses soldats qui l’acclament. Or, dans les faits, ils n’étaient pas aussi enthousiastes. Napoléon était venu exiger d’eux leur fidélité à vie, ce qui était loin de les réjouir. La scène ne s’est pas passée telle qu’elle a été représentée mais la grande force d’une peinture est qu’elle perdure, et ce qu’elle figure pèse finalement plus que les faits réels.
Une propagande à grande échelle
Napoléon voulait se distinguer visuellement des rois de France tout en se créant une nouvelle légitimité. Les œuvres représentant l’empereur font souvent référence à Charlemagne mais aussi à l’antiquité et à l’Egypte ancienne. Le style Empire est caractérisée par les arches : la rue de Rivoli, l’église de la Madeleine mais aussi l’arc de triomphe à l’Etoile en sont de parfaites illustrations.
Les années 1804-1808 forment les heures de gloire de la France napoléonienne. Les victoires se succèdent : Ulm, Austerlitz, Iéna, Friedland… Elles sont suivies avec passion par la population grâce à la presse, y compris dans les villages. Les enseignants sont tenus de commenter ces hauts faits de guerre en classe. Les artistes lisent les articles au théâtre, les curés doivent en parler lors de la messe. Le bulletin de la grande armée est lu partout. Il s’agissait véritablement d’une propagande à très grande échelle. En 1807, les vieilles monarchies semblent s’être inclinées devant celui qui représente la Révolution Française. L’Angleterre, en revanche, orchestre une vraie guerre d’image et monte l’Europe contre Napoléon. Les Anglais le représentent en ogre dont l’empire tient la révolution française prisonnière. Il s’emparent aussi des accusations de cruauté à l’égard de Napoléon et font circuler leurs caricatures à travers l’Europe.
La légende noire de Napoléon
C’est alors que le vent commence à tourner pour Napoléon. Son système est ébranlé. La guerre n’est plus représentée de façon aussi glorieuse. Les esprits les plus libres, comme Benjamin Constant et Chateaubriand, reprennent les critiques de Anglais. De plus, son divorce avec Joséphine est très impopulaire. Le retour des fanfreluches, des couronnes, des mariages princiers ressemble à s’y méprendre aux fastes de la royauté, que les Français rejettent.
La guerre d’Espagne marque le point de départ de la « légende noire » de Napoléon. Le célèbre tableau de Goya « Tres de Mayo » représente l’exécution de patriotes. En France, les artistes assimilent l’empire au déluge. Cette légende noire dominera jusqu’en 1814. Les souffrances imposées par l’empereur à son peuple prennent le dessus.
La nostalgie des heures glorieuses
Mais le Napoléon déchu et exilé à Sainte-Hélène suscite la curiosité du public. Son martyr, sa maladie puis sa mort provoquent une intense émotion. Napoléon avait lui-même prédit que son prestige grandirait avec ses difficultés. Dès lors, la légende noire n’a plus de prise. Dans son Mémorial de Sainte-Hélène, Napoléon se présente comme le fils de la Révolution Française dont il a protégé les acquis, il souligne les avancées du Consulat (le code civil, les préfets, le Conseil d’Etat, la Cour des Comptes, les lycées…) et justifie ses conquêtes et ses campagnes militaires comme des batailles pour libérer les peuples des vieilles royautés. Les difficultés de l’ère de Louis XVIII servent la légende napoléonienne. Les temps sont durs, les Français regrettent les heures glorieuses de Napoléon. Les anciens officiers, les anciens soldats de la grande armée glorifient les hauts faits d’armes tout en omettant les 400 000 hommes morts au combat. Les récits sont systématiquement embellis, y compris dans les chansons.
Dans le courant du XIXe siècle, il bénéficie de l’admiration de Stendhal, de Hugo, de Balzac, de Vigny… qui tous ont appris à lire dans le bulletin de la grande armée. Balzac le présente comme le modèle à suivre de réussite sociale. « Vivant, il a perdu le monde. Mort, il l’a conquis » écrivit Chateaubriand. De Gaulle dira de Napoléon : « Pour la France, il devait exister. Ne marchandons pas la grandeur ». Son image reste internationalement reconnue. De nombreux films retraçant la vie de Napoléon ont jalonné l’histoire du cinéma. Son tombeau aux Invalides reste l’un des monuments les plus visités en France.
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