LA VIE DES BORDS DE SEINE

LA VIE DES BORDS DE SEINE

Jean AUBERT

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Mardi 31 mai 1988

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Mardi 31 mai, Jean Aubert, écrivain et historien local, nous a parlé de « la vie des bords de Seine », suivant son ouvrage qu’il avait confié aux Editions Howarth.

« Fuyons toute chronologie, soyons des promeneurs, soyons accessibles au rêve, à l’imagination, laissons nous emporter et acceptons pour point de départ cet énorme paradoxe : la Seine prend sa source à Paris ; c’est vrai ! ».

C’était en 1932. La commune de Saint-Seine-l’Abbaye (Côte-d’Or) reçut une demande de la Ville de Paris afin qu’elle lui cédât une parcelle de terrain communal où se trouvait une des sources de la Seine. Le Conseil autorisa le Maire de Saint-Seine-l’Abbaye à vendre à la Ville de Paris le terrain en question, de 2 000 m2.

Il existe en réalité 7 petites sources qui se rejoignent pour former ce qui deviendra par la suite un fleuve : la Seine.

Acceptons que cette petite source sur ce petit parallélogramme acquis par Paris soit la source de la Seine.

Ce mince ruisseau va avoir une aventure exceptionnelle.

La source se trouve donc à Saint-Seine-l’Abbaye. Il n’y a jamais eu de cours d’eau qui ait donné son nom à un Saint.

On a donc vu un Saint homme devenir « Saint-Seine ».

Une légende nous raconte qu’une nymphe, poursuivie par un satyre versa ici des larmes… desquelles naquirent les eaux de la Seine.

Comme la plupart des sources, celle-ci fut l’objet d’un culte très ancien, et la galerie de bronze découverte à Bessey, un village voisin, en 1763, est le plus authentique des ex-voto.

Le christianisme récupéra la tradition ; un abbé du Xème siècle fonda un monastère à peu de distance au sud des sources, et la légende faisant le reste, il fut bientôt l’objet de vénération. N’avait-il pas le pouvoir de modifier le temps ?

À l’issue de la messe, lors du Dernier Évangile, tous les assistants, qui s’étaient précautionneusement munis de récipients, plongeaient ceux-ci dans l’eau sortie de terre où, par trois fois, avait été immergée la statue de Saint-Seine. Si l’on en croit la tradition, nos ancêtres aspergeaient alors le prêtre, et étaient persuadés que plus l’aspersion était abondante, plus la rapidité et l’efficacité de la cérémonie pouvait être assurée.

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Châtillon-sur-Seine est la première ville qui se développe sur la Seine. Elle occupe la rive droite.

« L’eau apporte, l’eau emporte ».

La Seine apporte le bois nécessaire à la construction. Le premier flottage de bois consistait à mettre sur l’eau les fûts des arbres coupés et à les arrêter plus bas, là où l’on en avait besoin.

Dans cette ville on construisit le premier pont qui enjambait la Seine.

Au XIIème siècle, Châtillon est à la tête de l’une des 5 subdivisions de la Bourgogne.

En 1576, lors des guerres de religion, quatre huguenots profanèrent la représentation du Saint, et deux d’entre eux, peu de temps plus tard, furent terrassés par la maladie. La chronique s’en emparant, un couplet évoqua leur mal :

« Car l’un brûla d’ardeur intolérable,

En même temps que l’autre moult agité

Mourut en Seine où, comme il est croyable,

Fuyant le mal, s’était précipité ».

Ce mal semblerait tout banalement être la conséquence de l’absorption d’ergot de seigle, provoquant de violentes douleurs et des éruptions très vives…

Nous avançons et nous atteignons la limite actuelle de la région de Bourgogne et conjointement celle du département de la Côte-d’Or.

La Seine est à 200 m au-dessus du niveau de la mer qui est à 700 km de là (1mm pour 3,5 m).

La pente sera donc très faible ce qui explique le très faible courant de ce fleuve.

À Bar-sur-Seine, de petits cours d’eau confluent.

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« Ource, Arce, Laigne et Seine

Abordent au pont Bar-sur-Seine ! »

nous dit la sagesse populaire.

En 1359, une armée à la solde des Anglais, brûla 900 maisons. La Seine fut couverte de cadavres.

900 maisons, cela signifie une population d’au moins 3 000 personnes.

Continuons notre promenade par le quai de halage. On arrive devant Troyes. Troyes doit à la Seine et à un modeste affluent — la Vienne — sa première implantation.

Quand les Romains eurent conquis la Gaule, ils bâtirent (sur une faible hauteur émergeant des marais) une ville étape sur la longue voie qui reliait Milan à Boulogne-sur-Mer.

On construisit des moulins. Des tanneries s’établirent à l’ouest, près de la massacrerie (les abattoirs).

Troyes a subi au cours des siècles de nombreux ravages.

La massacrerie fut à l’origine d’une défaite des Huguenots souhaitant prendre Troyes aux troupes de la Ligue. Hélas ! c’était compter sans … la gourmandise : ou plutôt, sans le fumet des andouillettes que l’on fabrique là, tout à côté des abattoirs. Les troupes des Réformés voulurent goûter aux andouillettes, les trouvèrent sans doute fort bonnes, en mangèrent peut-être un peu trop, toujours est-il que les troupes de la Ligue les obligèrent à déguerpir plus rapidement qu’ils ne l’avaient souhaité !

 Quittons Troyes.

En aval de Troyes, où le débit moyen du fleuve se situe au-dessous de 30 m3/s (il sera de 300 m3/s à Paris), la Seine instaure une véritable flânerie. C’est qu’en effet, elle n’est plus qu’à une centaine de mètres d’altitude et qu’il lui faut encore traverser la Champagne, l’Île-de-France et la Normandie pour aboutir à la mer.

Au niveau de Saint-Mesmin, elle se divise par deux fois, en deux bras, avant de se creuser un lit plus large et un peu plus profond, et d’entrer dans la petite cité de Méry-sur-Seine, où, aux XVIIIème et XIX siècles, on embarquait par bateau les produits de la région afin de les diriger vers Paris.

Lors de la campagne de France de 1814, Blücher, avec l’armée prussienne, fut battu par l’armée impériale dans la plaine de Méry-sur-Seine. Cette défaite eut de tragiques conséquences pour la petite cité. Les Prussiens propagèrent le feu de maison en maison et anéantirent la quasi totalité de la ville.

Nous voici maintenant à Nogent-sur-Seine. Elle fut au XVII et XVIIIème siècle l’un des points les plus importants de la navigation sur la Seine. Nogent revient à l’actualité avec la construction et la mise en fonction d’une centrale nucléaire : « Tchernobyl-sur-Seine » à pu écrire — et décrire — un romancier pamphlétaire.

Dès l’époque carolingienne, la Seine fit tourner ici les roues des moulins.

Flaubert , dans l’Education sentimentale, écrivit :

« Ils n’entendaient que le craquement du sable sous leurs pieds, avec le murmure de la chute d’eau, car la Seine, au-dessus de Nogent, est coupée en deux bras. Des touffes de roseaux et de joncs la bordent inégalement.…. ».

Il faudrait d’ailleurs une autre conférence pour parler du rôle des fleuves, et de la Seine en particulier, dans le transport des personnes par bateaux.

Le point de confluence de la Seine et de l’Yonne est Montereau-Fault-Yonne. Avec la construction d’un château-fort au XIème siècle, la petite ville devint un point stratégique, ce que l’histoire de la Guerre de Cent Ans nous prouve abondamment à travers les sièges de 1358, 1359, 1420 et 1419. C’est aussi, sur le pont de Montereau, qu’en 1419, Jean-sans-Peur, duc de Bourgogne, fut assassiné, lors d’une entrevue avec le futur Charles VII.

Grossie de l’Yonne, la Seine a pris définitivement l’image d’un cours d’eau navigable qui n’a plus besoin du secours des canaux pour transporter ses bateaux.

Mais quels bateaux ?

Les « flûtes » étaient coutumières de la Haute-Seine ; c’étaient des bateaux plats, longs et étroits, généralement sans pont supérieur, aptes au transport de chargements pouvant aller de 40 à 150 tonnes.

Les « toues » saônoises ou de la Loire, à l’avant carré, munies d’une grande voile quadrangulaire, servaient au cabotage ou aux petits transports.

Les « margolats« , « guinois« , venus en Seine après avoir descendu l’Oise.

Des « flettes » courtes et légères accompagnant généralement un chaland auquel elles étaient attachées par une corde de chanvre.

Ainsi était composé le paysage nautique de la Seine.

Les bateaux ont été utilisés jusqu’en 1885 environ. À cette époque, on commença à uniformiser et normaliser les bateaux.

À Saint-Mammès, le Loing se jette dans la Seine après avoir arrosé Moret.

Venus des forêts du Morvan ou de la Puisaye, des trains de bois flottants, de 70 m de longueur sur 4,70 m de largeur maximale, conduits par un homme, souvent accompagné d’un enfant, descendaient le courant jusqu’à Paris. Parfois, sans arrêt de nuit, le flotteur atteignait Paris en une dizaine de jours, puis rejoignait à pied le village où un autre train l’attendait.

Melun, ville gauloise devenue romaine, puis carolingienne, capétienne où Louis VII reçut le pape Alexandre III, était une ville de meunerie, de moulins. Elle avait l’avantage d’avoir un pont construit par les Romains.

Ainsi, Melun est une ville créée par la Seine.

Un arrêté municipal de 1832 nous informe : « Nous, Maire de la ville de Melun, informé que fréquemment, pendant les chaleurs, un grand nombre de personnes voulant se baigner vont indistinctement sur tous les bords de la Seine, tant dans l’intérieur et l’extérieur de la ville, que dans les endroits les plus fréquentés pour la promenade ; qu’elles s’y déshabillent entièrement et paraissent ainsi nus ; que, conséquemment, d’une part, ils s’exposent au danger de se noyer, et que, de l’autre, ils offensent la décence publique ; également informé que, pendant les chaleurs d’été, on envoie les chevaux à l’abreuvoir, conduits par des enfants nus… »

Est-ce en réaction à cet usage que, sous le Second Empire, lorsqu’on érigea les fontaines annexes de la Fontaine Saint-Jean, dont la décoration est empruntée à des groupes d’enfants par Germain Pilon (« et nus… ») on supprima purement et simplement leurs attributs ? On peut le penser.

Après avoir franchi de nombreuses agglomérations, on atteint Corbeil.

C’est la ville, au XIXème siècle, où l’on débite le plus de bois en planches. Il existe de nombreuses scieries qui fonctionnent grâce à des machines à vapeur, alimentées par l’eau de la Seine. Deuxième industrie : celle de la papèterie, puis l’imprimerie.

Descendons encore. On arrive à Évry, jadis Évry-sur-Seine, puis Évry-Petit-Bourg.

Le site était surtout réputé pour ses châteaux et demeures bourgeoises importantes, aboutissant, autant que possible, à la Seine. Le château de Sennement, qui appartenait au marquis d’Antin, pourvu de la première charge des bâtiments et jardins de la couronne, y fut, au temps de Louis XIV, l’objet d’une extraordinaire mise en scène.

Le marquis reçut Louis XIV dans son château, et le roi regretta alors qu’une partie de la forêt (entre le château et la Seine) gênât la vue du promeneur. Le marquis entendit le regret, et prépara un spectacle digne de son hôte royal. Il fit scier 1 200 arbres près de la racine, mais de façon qu’ils puissent encore tenir debout. On y attacha 1 200 cordes, et 1 200 hommes furent chargés de tirer les cordes au geste du propriétaire.

Le roi, Madame de Maintenon, la duchesse de Bourgogne, petite-fille du roi, sont de nouveau là, et le marquis d’Antin trouve le prétexte de faire renouveler au roi son regret.

« Que ce bois est regrettable » déclare le roi à son entourage. – Eh bien ! Sire, Votre Majesté n’a qu’à vouloir que ces arbres disparaîssent, ils disparaîtront ».

« S’il ne tenait qu’à cela, je les ferais abattre tout de suite ».

– « Vous serez obéi, Sire ».

Un geste : toute la forêt tombe. Quel panache !

Nous voilà maintenant dans ce que l’on appelle actuellement la région parisienne qui était, même au XIXème siècle, une pleine campagne.

Viry-Châtillon. Un texte d’un écuyer, au XVIIème siècle nous raconte une partie du voyage de Viry-Châtillon à Paris.

 

Nous atteignons Paris.

Pour mieux comprendre l’évolution de la ville, faisons rapidement trois fois le même voyage, mais en des époques différentes.

Nous sommes au IIème siècle. La forêt borde la Seine à peu près partout. Apparaît seulement une petite cité dans une île : c’est Lutèce, et sur la colline voisine, quelques maisons romaines, les thermes, les arènes.

Nous sommes au Xème siècle. Nous voyons un Paris qui a débordé sur sa rive droite, qui a des îles qui sont des pâturages, et des quais devenus des ports spécialisés. Puis nous voyons les constructions du Louvre qui commencent.

Si nous sommes maintenant au XVIIIème ou XIXème siècle, nous avons la ville de Paris toute restructurée, qui a poussé au fur et à mesure son agglomération, mais qui garde encore son château de Bercy.

Monsieur Aubert arrêtera sa conférence là où la Seine atteint Paris.

À bientôt pour un voyage jusqu’à la mer !

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– ANNEXE –

du livre de Simon Lacordaire

« Les inconnus de la Seine »

Paris et les métiers de l’eau du XIII au XIXème siècle

(914.436 LAC)

Chapitre XII – La Seine et ses noyés – p.168…171 –

La merveilleuse boîte fumigatoire.

« … Le bureau de la Ville décida au XVIIIème siècle d’installer dans les corps de garde des ports une manière de secours aux noyés. L’un d’eux donna de si bons résultats qu’il fut décidé qu’une boîte fumigatoire mettant à profit une vertu particulière de l’herbe à Nicot » serait installée dans chaque corps de garde. Un règlement fut édité que je ne peux faire autrement que reproduire et qui s’appliquait à toute personne retirée de l’eau :

1°) – La déshabiller, la bien essuyer avec de la flanelle ou des linges et la tenir très chaudement, en l’envelppant soit avec des vêtements, soit avec des couvertures et ce qu’on pourra se procurer ; ou en la mettant devant devant un feu modéré où dans un lit bien chaud s’il est possible.

2°) – On lui soufflera ensuite par le moyen d’une canule de l’air chaud dans la bouche, en lui serrant les deux narines.

3°) – On lui introduira de la fumée de tabac par le fondement, par le moyen d’une machine fumigatoire qu’on trouvera dans tous les corps de garde.

Si la personne retirée de l’eau paraissait exiger des soins pressants et qu’on ne fût pas à portée d’avoir sur le champ la machine fumigatoire, on y suppléerait en se servant de deux pipes dont le tuyau de l’une sera introduite avec précaution dans le fondement de la personne retirée de l’eau, les deux fourneaux appuyés l’un sur l’autre, et quelqu’un soufflant la fumée du tabac par le tuyau de la seconde pipe… ».

Pour exciter le zèle des sauveteurs, la Ville donnait une prime de 18 livres et une médaille pour les servants de la machine fumigatoire.

L’inventeur, Monsieur de la Michodière, à qui on devait cette trouvaille, eut aussi droit à la médaille et Louis Sébastien Mercier, flâneur, badaud et chauvin, pouvait écrire « la boîte fumigatoire a sauvé la vie à de nombreuses personnes. La Garde de Paris sait s’en servir avec beaucoup d’adresse, mais les Suisses grossiers, sur les bords de leurs lacs, n’ont jamais pu imiter cette manipulation aisée ».

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