Thèmes : Histoire, Géographie, Conférence du mardi 15 octobre 2019.
Par Monsieur Olivier MIGNON, guide-conférencier et auteur.
INTRODUCTION
A la fin du XIXe siècle la grande aventure consistait en la conquête des pôles. Ainsi en 1895 un congrès de géographie se tint à Londres où l’on encouragea les expéditions polaires. Pourtant le premier homme à faire un hivernage en Antarctique est le Belge Adrien de Gerlache. Les Britanniques un peu piqués au vif, lancent trois expéditions pour conquérir le pôle Sud. Finalement c’est en 1914 que part celle de Shackleton avec l’Endurance, qui prendra une tournure bien particulière et aura un retentissement international.
I – Les premières expéditions britanniques.
La première expédition britannique est menée par la capitaine Robert Scott à bord du bateau « Le Discovery ». Elle se soldera par un échec car Scott n’atteindra pas le pôle. Shackleton fait déjà partie de l’équipage ainsi que son ami Franck Wild. C’est la première expérience polaire de Shackleton.
La deuxième expédition britannique est lancée en 1907 avec le navire « Nimrod », Shackleton en est le capitaine. Mais, c’est un nouvel échec, pour cause de manque de ravitaillement qui contraint Shackleton à faire demi-tour à seulement 180 kilomètres du but. En dépit des échecs Shackleton sent qu’il est tout proche de la réussite. Malheureusement pour les Anglais, ces deux échecs permettent à un Norvégien, Roald Amundsen, d’être le premier à atteindre le pôle Sud, le 14 décembre 1911. Un ressortissant d’un petit pays qui vient d’acquérir son indépendance devance la grande Grande-Bretagne. Quel affront ! Amundsen et son équipe plantent des tentes et font des relevés. Doutant fortement de pouvoir rentrer en Norvège, ils laissent du courrier pour les Britanniques qu’ils savent proches du but. En effet la troisième expédition anglaise menée par Scott arrivera un mois plus tard. Scott et ses hommes sont extrêmement déçus de ne pas être les premiers à toucher au but. Les cinq membres de l’expédition britannique trouveront la mort sur le chemin du retour.
Shackleton, qui n’a pas réussi à être le premier à atteindre le pôle Sud, se lance alors dans un nouveau défi : être le premier à traverser l’Antarctique. Ce sera la quatrième expédition britannique en Antarctique.
II – Les préparatifs de Shackleton.
Ernest Henry Shackleton est né le 15 février 1874 en Irlande. Il fait ses études à Londres et à 16 ans il devient apprenti marin sur un voilier. En 1898 il devient capitaine au long cours, ce qui lui permet de commander un navire britannique partout dans le monde. Il prend contact pour la première fois avec les régions polaires en 1901 en tant que troisième officier lors de l’expédition Discovery menée par Robert Scott.
Souhaitant traverser l’Antarctique de la mer de Weddell dans l’Atlantique à la mer de Ross dans le Pacifique, Shackleton monte l’expédition Endurance. Son projet est de faire partir un premier bateau ; l’Aurora, qui partirait d’Australie pour la mer de Ross afin d’installer un camp et laisser du ravitaillement alors qu’un deuxième bateau, l’Endurance, le sien, irait jusqu’à la mer de Weddell. De là, les hommes traverseraient à pied les 2900 kilomètres du continent pour rejoindre le camp sur la côte de la mer de Ross.
Le projet est coûteux car il faut deux navires, l’Aurora et l’Endurance, celle-ci nommée ainsi en référence à la devise familiale de Shackleton « Par l’endurance, nous vaincrons ». Le gouvernement britannique donne 10 000 livres sterling, ce qui n’est pas suffisant. Du fait de l’engouement du moment pour les expéditions polaires, certains riches financiers comme l’industriel écossais James Caird ou l’industriel Dudley Docker participent au projet. Certaines écoles financent les chiens, éléments importants de l’expédition car désormais on savait que les poneys étaient inutilisables. Il faut également trouver des hommes et pour cela Shackleton publie une annonce pleine d’humour. Grâce à son prestige personnel et à l’attrait pour l’aventure, il reçoit 5 000 réponses. Shackleton sélectionne 57 hommes. Trente d’entre eux embarquent sur l’Aurora, qui part de Tasmanie pour rejoindre la mer de Ross et déposer le ravitaillement à l’endroit prévu. Les vingt-sept autres partent sur l’Endurance, qui part de Plymouth. A bord on trouve des scientifiques notamment un biologiste marin, un physicien et un géologue. Franck Worsley est le capitaine de l’Endurance mais à bord on trouve aussi les deux amis de Shackleton, Franck Wild et Tom Crean ainsi que le photographe australien Franck Hurley. Ce dernier joue un rôle important car c’est grâce à ses clichés que nous avons des témoignages visuels de cette expédition.
On prépare aussi les provisions telles que biscuits, conserves de chou afin d’éviter le scorbut, corned-beef et … croquettes pour les chiens.
Alors que tout est prêt, la Première guerre mondiale éclate. En bon patriote Shackleton propose ses deux bateaux à la Marine britannique mais Churchill, alors Premier Lord de l’Amirauté lui ordonne de mener son expédition car en cas de réussite cela apportera un grand prestige à la Grande-Bretagne et sera un symbole pour le pays et les hommes. Le 8 août 1914, l’Endurance quitte donc Plymouth.
III – Une expédition pleine de péripéties.
Parti début août d’Angleterre, l’Endurance arrive en Argentine en octobre. Le 26 octobre le bateau appareille de Buenos Aires. C’est alors que Shackleton découvre un passager clandestin, Pierce Blackborrow, qui par tous les moyens, même illégaux, voulait absolument faire partie de l’expédition par goût de l’aventure. Il sera le cinquante-huitième membre de l’expédition. Shackleton fera alors de Blackborrow son steward. Le 5 novembre 1914, l’Endurance accoste à Grytviken, une station baleinière norvégienne sur l’ile de Géorgie. Le chef de la base, un norvégien très expérimenté, est très sceptique quant aux chances de réussite de Shackleton car il constate que la coque de l’Endurance n’est pas arrondie et que par conséquent elle se brisera sous la pression des glaces lors de la période hivernale. Par ailleurs, il informe Shackleton que l’hiver austral a été particulièrement rude cette année 1914, présageant des conditions difficiles pour la navigation. Finalement l’Endurance appareille pour la mer de Weddell le 5 décembre 1914, en plein été austral. Le jour suivant les premiers icebergs -énormes blocs d’eau douce- apparaissent déjà. Le surlendemain 7 décembre l’équipage aperçoit la banquise -glace d’eau salée puisque c’est la surface de la mer qui est gelée-. La première banquise rencontrée est celle de l’année donc facile à briser, et l’Endurance parvient à se frayer un chemin. Mais, plus on avance vers le Sud plus la banquise est dure et le bateau finit pris dans la glace. Dans ce cas il faut attendre et espérer qu’avec le réchauffement de la période estivale, la glace s’ouvre. L’attente est longue et finalement le 14 février 1915 la glace s’ouvre et les hommes, pioche en main, essayent de libérer le bateau. Malgré tous leurs efforts, ils n’y parviennent pas. L’Endurance reste bloquée dans les glaces. Afin de se distraire et de maintenir le moral de l’équipage, Shackleton, grand meneur d’hommes, organise des fêtes et des matchs de football. Ainsi le 16 février 1915 on joue le premier match de football de l’Antarctique ! Cependant la situation est préoccupante car l’automne austral approche et le bateau termine totalement pris dans les glaces. Il faudra donc attendre la fin du mois d’août pour espérer voir le bateau libre.
On aménage le bateau pour l’hiver pour que les hommes prennent leurs quartiers le plus confortablement possible. Les hommes mangent tous ensemble et renforcent leurs liens. On entraîne les chiens afin qu’ils sachent courir ensemble. De petits chiots naissent et on les éduque. Les hommes se maintiennent actifs en effectuant les tâches ménagères et en creusant des trous dans la glace afin d’attraper de nouvelles espèces maritimes que les scientifiques étudient. Les conditions sont de plus en plus rudes et dès le 1er mai on enregistre des températures de -28° C et les hommes de l’Endurance sont plongés dans la nuit australe. Au cœur de l’hiver la température chute à -48° C et seuls les hommes en charge des chiens sortent pour tuer des phoques afin de nourrir les chiens.
Au début du mois d’août le soleil revient enfin, c’est fin de la nuit polaire et on espère la reprise de l’expédition. En octobre la glace s’ouvre enfin mais seulement sur une centaine de mètres. Les machines sont remises en route mais presque aussitôt la glace se referme et le 18 octobre l’Endurance est littéralement soulevée par les glaces et se retrouve quasiment couchée sur le flanc. Tous les objets tombent, les chiens sont paniqués, les hommes tentent de tout réorganiser. Après quelques heures, la glace se desserre et le bateau revient à sa position initiale. Mais les ennuis continuent car sous la pression de la glace la coque du bateau a été très endommagée et Shackleton décide alors d’abandonner le bateau.
IV – L’expédition sans l’Endurance.
Le bateau étant perdu, les hommes déchargent l’essentiel et le mettent sur les trois chaloupes de l’Endurance. On s’apprête à effectuer une longue marche de 450 kilomètres sur la banquise pour rejoindre l’île de Paulet où se trouve du ravitaillement. Les chaloupes sont hissées sur des traîneaux tirés par les hommes. En une journée ils ne parviennent à parcourir que 1,8 kilomètres car la glace n’est pas lisse. Shackleton et ses hommes se rendent compte qu’ils ne pourront jamais atteindre leur but et on décide d’installer un camp nommé Ocean Camp. Les hommes reviennent à l’Endurance pour récupérer encore du matériel, des vivres et un poêle. On chasse les phoques et les manchots pour obtenir de la graisse qui sert de combustible pour le poêle. On aménage une petite cuisine protégée du vent par des bâches faites avec les voiles de l’Endurance. Avec leur radio les hommes essayent d’envoyer des messages mais ils ne passeront jamais.
Avec le temps qui passe, le moral baisse et Shackleton décide d’agir. Le 23 décembre 1915 ils repartent, marchent cinq jours et parcourent douze kilomètres. C’est un nouvel échec et ils sont obligés de d’abandonner cette option. Le 27 décembre ils installent un nouveau camp prénommé « Camp de la Patience ». La libération arrive enfin le 9 avril 1916 après avoir passé 156 jours sur la glace. Les hommes réussissent à mettre les trois chaloupes à l’eau, avec 200 caisses qui contiennent le strict minimum. La mer est navigable mais des périls tels que les petits icebergs ou les orques guettent l’équipage. Le premier soir les hommes dorment sur un bloc de glace. Ils mettent le cap sur l’île de l’Eléphant, l’île la plus proche. Ils ne s’arrêtent pas même s’ils souffrent de faim et de soif. Finalement seules deux chaloupes arrivent, la troisième s’étant perdue dans le blizzard. C’est avec soulagement que les premiers arrivés la voient apparaître le lendemain. Mais, tous ces événements marquent les hommes. On installe un nouveau camp à onze kilomètres de la côte, un lieu moins frappé par le vent violent. Shackleton sait pertinemment qu’aucun bateau ne passera par l’île de l’Eléphant et il décide de transformer une chaloupe pour partir chercher de l’aide. Le charpentier de l’équipage réussit plusieurs transformations : surélévation des bords, renforcement de la coque, construction d’un pont de fortune et d’une mature précaire. Le 24 avril 1916, la chaloupe transformée, « James Caird », prend la mer. Cinq hommes en plus de Shackleton partent pour tenter d’atteindre l’île de Géorgie du Sud. Les conditions sont extrêmes notamment avec les vagues géantes et Shackleton n’a pour tout instrument qu’un sextant et un chronomètre pour se repérer. Après un voyage qui a duré 17 jours, la « James Caird » arrive à la Géorgie du Sud le 9 mai 1916 mais ne peut accoster que le lendemain à cause d’une tempête. Shackleton et ses hommes viennent de parcourir 1 500 kilomètres. Jouant à nouveau de malchance ils sont sur la mauvaise côte de l’île. Shackleton et deux des hommes doivent traverser l’île qui est montagneuse et qu’ils ne connaissent pas. Le périple dure 36 heures et a été si éprouvant que les hommes de la base baleinière Grytviken ne les reconnaissent pas quand ils arrivent. Franck Worsley repart pour sauver les 3 hommes restés de l’autre côté de l’ile près de la chaloupe. Un premier bateau est affrété mais ne parvient pas à l’île car on est dans une mauvaise période. Une deuxième expédition est organisée. Entre temps, sur l’île de l’Eléphant les hommes se sont organisés : ils ont retourné les chaloupes et les ont placées sur des murets pour en faire des sortes de cabanes. La quatrième expédition sera la bonne. Il s’agit d’un petit remorqueur parti de Punta Arenas, près d’Ushuaïa au Chili, qui arrivera à l’île de l’Eléphant le 30 août 1916. En une heure le camp est levé et lorsqu’ils débarquent à Punta Arenas, les hommes de Shackleton sont accueillis comme des héros.
Il voulait être le premier à avoir traversé le continent antarctique, il y aura à peine mis le pied. L’expédition telle que l’avait pensée Shackleton est un échec total, mais il aura réussi à ne pas perdre un seul homme de son groupe de l’Endurance, ce qui en fait un véritable exploit. Voilà pourquoi l’Endurance et ses hommes ont fait la une de tous les journaux. L’Aurora aura, de son côté, aura perdu trois hommes.
CONCLUSION
L’odyssée de l’Endurance est avant tout un bel exemple de courage et de solidarité entre les hommes. C’est aussi l’apogée de Shackleton comme meneur d’hommes. Fasciné par l’Antarctique, il retournera au pôle sud en 1921 avec l’expédition Shackleton-Rowett dans l’intention de mener à bien un programme scientifique et des explorations. Quelques heures après avoir jeté l’ancre dans l’anse de Grytviken en Géorgie du Sud, Shackleton mourra d’une crise cardiaque dans sa goélette. A la demande de sa femme, il sera enterré sur place. Trois des hommes de l’Endurance s’enrôleront dans l’armée britannique et mourront au combat lors de la Grande Guerre.
Conseils de lecture :
–« L’odyssée de l’Endurance », Ernest Shackleton, Payot.
–« Histoire d’une survie » Edition du Chêne.
–« L’aventure des pôles », Claude Laurius, Gallimard.
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