Thèmes: Civilisation, Géographie, Littérature Conférence du mardi 2 avril 2024
Par Monsieur Marc ALAUX, spécialiste de la Mongolie depuis 25 ans, auteur, éditeur et libraire.
INTRODUCTION
La Mongolie est un pays immense mais possède relativement peu de terres arables car le pays est majoritairement couvert de montagnes et de steppes. Plus de la moitié des habitants vivent dans la capitale, Oulan-Bator, et près de 28% des habitants sont campagnards. La Mongolie est un des pays ayant la plus faible densité de population au monde avec moins de 2 habitants/km².
Le climat de la Mongolie est l’un des plus continentaux du globe : les températures descendent jusqu’à -40°C en hiver et montent jusqu’à 40 °C en été dans le désert de Gobi.
Pour les éleveurs nomades, l’hiver est la saison clé, celle qui détermine le reste de l’année. C’est pourquoi il est important pour quelqu’un qui souhaite connaître réellement les populations nomades de passer un hiver en leur compagnie et de partager leurs tâches quotidiennes. C’est ce qu’a fait Marc Alaux au cœur de l’hiver 2017-2018.
I – Préparation du séjour.
Dès son plus jeune âge, Marc Alaux est passionné de marche et de beaux paysages. Cette double passion l’amène à parcourir de longs périples pédestres : plus de 7000km en Mongolie. Après plusieurs voyages et séjours ainsi que l’apprentissage du mongol – les populations locales ne parlent que peu les langues étrangères –, Marc Alaux prépare un séjour particulier : passer tout un hiver avec une famille nomade au nord-ouest du pays.
Tout commence à Oulan-Bator où avec l’aide de réseaux familiaux, il trouve une famille nomade qui accepterait de recevoir durant des mois un étranger qui veut intégrer une famille sous la yourte. Un des principaux critères est une famille où il n’y a pas de problèmes d’alcoolisme, fléau de la société mongole. Le choix se porte sur la famille de Gotov Orlogo. Outre le fait d’être sobre, Gotov porte une moustache, chose rare chez les Mongols très souvent glabres. Le campement de Gotov-le-moustachu se trouve dans le district de Malchin (2500 habitants), province de l’Uvs – la province la plus froide du pays – à plus de 1500 km de la capitale, dans le Nord-Ouest du pays.
Le trajet depuis la capitale est long. « Pour aller à la campagne » comme disent les Mongols, il faudra trente heures de voyage à Marc pour couvrir les 1400 km en autocar jusqu’à Ulaangom, le chef-lieu de la province de l’Uvs. De là, Marc embarque dans un véhicule en partance pour le village montagnard de Malchin, à 100 km de là. La dernière partie se faisant avec un 4×4 tombant souvent en panne. Finalement, il arrive au campement d’éleveurs nomades, avec la yourte et une bergerie blotties contre les rochers. Le soleil couchant annonce un soir de décembre comme les autres en Mongolie. Sauf pour Marc, qui va cantonner là tout l’hiver. Une expérience difficile mais riche débute.
©Marc Alaux
II Un hiver de berger mongol.
La vie nomade est rude et la masse de travail importante, les animaux ayant des besoins quotidiens dans des conditions climatiques extrêmes.
Chaque jour, il faut sortir les bêtes, d’abord les « pattes longues », quelques vaches, vers 8 heures. Les « pattes courtes » – chèvres et moutons – sont sorties vers 10 heures, quand il fait un peu moins froid ! La tâche suivante est ingrate mais essentielle : nettoyer la bergerie. On enlève à mains nues les excréments liquides, on laisse les excréments secs qui serviront de matelas isolant, les animaux ne pouvant dormir sur un sol gelé.
Gotov, le père de famille est quant à lui toute la journée à l’extérieur avec le troupeau. Il est essentiel de le protéger car toute la richesse de la famille est ce troupeau. Les chiens sont là pour éloigner les nombreux loups de la région, mais c’est au berger de garder le troupeau regroupé et de ne perdre aucune bête.
Le soir toute la famille se retrouve sous la yourte pour un dîner assez frugal accompagné de thé, auquel on ajoute du lait voire du beurre. On prélève très peu de lait aux vaches car les veaux en ont besoin pour survivre aux températures glaciales et au manque de nourriture. Il arrive qu’on soit amenés à prendre certains nouveau-nés dans la yourte pour leur éviter de mourir de froid.
©Marc Alaux
La yourte est organisée de façon bien précise : face à la porte d’entrée, au fond, se trouve un autel et les places d’honneur, réservées aux personnes âgées. À l’inverse les jeunes restent près de la porte d’entrée. La yourte est une sorte de représentation de la société mongole qui donne une place prépondérante aux anciens.
La vie de berger nomade est rude mais ponctuée d’évènements festifs. Une des fêtes les plus importantes est le Nouvel An, qui tombe à peu près en même temps que le Nouvel An chinois, les deux pays ayant un calendrier lunaire. Le premier jour de l’année, on monte sur la montagne près du campement pour faire des offrandes. Les fêtes durent toute la nuit mais au retour il faut s’occuper des animaux sans avoir eu le temps de dormir ni de manger. Pour les fêtes, des denrées particulières sont préparées mais on achète aussi des friandises industrielles. Certains aliments ne sont consommés qu’à la fin des festivités.
III – Vie quotidienne sous la yourte.
Dans la yourte il n’y a pas d’intimité, et si l’on veut être seul il faut être à l’extérieur. Les heures passées seul à surveiller le troupeau sont bien souvent appréciables. En Mongolie on ne frappe pas à la porte, et n’importe qui peut entrer dans la yourte à tout moment. La toilette est donc difficile à cause des conditions climatiques mais aussi à cause de la promiscuité.
La nourriture est assez frugale, et l’élément essentiel est le thé que l’on enrichit avec divers aliments. L’eau pour se laver, cuisiner ou boire provient de la neige que l’on fait fondre. Durant les premières semaines, la neige utilisable est proche du campement mais au fil du temps, elle se souille et il faut aller la chercher de plus en plus loin. La vie quotidienne est remplie de tâches âpres liées ou non aux soins du troupeau.
L’habitat est chauffé grâce à un foyer placé au centre de la yourte où il fait environ 12°C, ce qui implique une forte amplitude thermique avec l’extérieur. Cela entraîne souvent une forte condensation dans la yourte.
Gotov et son épouse, Oyunchimeg, ont un petit garçon qui jouit d’une grande liberté au contraire de son frère aîné, âgé de 15 ans, qui lorsqu’il revient du pensionnat doit effectuer toute une série de tâches difficiles. Les jeunes enfants mongols sont élevés non pas par des explications mais en copiant les gestes des grandes personnes. Alors qu’en Occident on laisse plus de liberté aux adolescents, en Mongolie c’est le contraire. Les grands-parents transmettent les mythes et les légendes ainsi que la langue locale aux plus jeunes.
©Marc Alaux
Un extrait du livre Ivre de steppes en guise d’épilogue ; « Grand frère Gotov, maintenant c’est fini. Je ne suis plus berger, je ne suis plus mongol » lui dis-je avec un mouvement de voix trahissant mon émotion, alors qu’il lance son tacot dans la pente. Il me regarde avant de sourire en tournant sa moustache entre ses doigts : « Ça, répond-il avec sa voix rendu rauque par le tabac, c’est ce que tu crois. »
CONCLUSION
Cet hiver dans une famille nomade a été une expérience extrêmement enrichissante mais rude car le travail est épuisant. C’est dans cette situation extrême que la générosité et la confiance de la famille de Gotov ont été les plus appréciables. Le pastoralisme nomade, s’il persiste au fil des siècles, c’est qu’il a su s’adapter aux évolutions de la société, mais il ne résiste pas à l’exode rural, même si la vie nomade reste importante. Sur les 3,2 millions d’habitants de Mongolie, plus de 1,5 million de personnes sont rassemblées à Oulan-Bator, qui dans des logements de l’époque soviétique, qui dans des bidonvilles, qui dans des tours de verre, reflet du capitalisme actuel.
Bibliographie
Ouvrages écrits par Marc Alaux
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